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LES OUBLIÉS DE LA MÉDECINE EN FRANCE XXI e Congrès National à Reims - 14-15 octobre 1995 Bimensuel N° 221 Janvier-Février 1996

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LES OUBLIÉS DE LA MÉDECINE EN FRANCE

• XXIe Congrès National

à Reims - 14-15 octobre 1995

• Bimensuel N° 221 Janvier-Février 1996

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Le mot du Secrétaire Général

Chers Amis,

Au seuil de 1996, le Secrétaire Général vous présente ses meilleurs vœux pour l'année nouvelle. Que souhaiter, sinon moins de morosité qu'en cette fin d'année 1995 ?

Que la« promesse de l'aube» nous rende optimistes et nous garde une jeunesse de cœur, à l'écoute des autres, aidés par la Providence. Les mois écoulés nous ont apporté de nouvelles richesses : un nouveau Président, le Professeur Marc Gentilini - qui prendra ses fonctions réellement le 6 janvier (traditionnellement le jour des Rois ... )- bien connu de la plupart d'entre nous pour ses multiples fonctions et prises de position. Mais aussi, arrivée du Père Jean-Claude Besanceney comme nouvel aumônier et qui déjà, nous fait part d'un certain nombre de réflexions dans ce numéro.

Souhaitons qu'une réflexion, un changement de comportement, et un meilleur accueil à l'autre, à tous les autres, nous aident dans notre activité et notre rôle de médecin chrétien.

Amitiés et Bonne année,

* * *

Marc Bost

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WI!IDim©JJlNim 8 IDI! IL~WCDWWŒ Revue du Centre Catholique des Médecins Français

BIMESTRIEL

RÉDACTEUR EN CHEF

P' Claude LAROCHE

CONSEIL DE RÉDACTION

MM. les Docteurs ABIVEN (Paris), BARJHOUX (Chambéry), BLIN (Paris),

DE BOUCAUD (Bordeaux), BOST (Paris), BOUVIER (Reims), BREGEON (Angers),

CHARBONNEAU (Paris), DEROCHE (Joué-les-Tours),

ESCHARD·(Bezannes), GAYET (Dijon), M""' le D' GONTARD (Paris),

' GROSBUIS (Garches), MM. les D" LIEFOOGHE (Lille),

MALBOS (le Mans), MASSON (Bar-sur-Aube),

. RÉMY (Garches), SOLIGNAC (Perpignan)

COMITÉ DE RÉDACTION

M. ABIVEN - F. BLIN - M. BOST M. BOUREL - P. CHARBONNEAU

P. CHARDEAU - F. GOUST - S. GROSBUIS M.J. IMBAULT-HUART - J.M. JAMES

J.M. MORETII - M. SALAMAGNE J.-L. TERMIGNON

ADMINISTRATION RÉDACTION

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Centre Catholique des Médecins Français

5. avenue de !'Observatoire 75006 Paris

Tél. : 46.34.59.15 Fax : 43.54.10.07

ABONNEMENTS

Un an: 350 F Étranger : 370 F

Le numéro franco : 100 F C.C.P. : C.C.M.F. 5635-34 T Paris

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

N° 221-JANVIER-FÉVRIER1996

SOMMAIRE • Le mot du secrétaire général

par le Or Marc Bost ........................................... .

• Réflexions sur la mission actuelle du C.C.M.F. par le Père Jean-Claude Besanceney ............................. .

• Introduction au Congrès de Reims par le Or Jean-Marie Bouvier ......................•.............

• Évolution de la protection sociale par le Or Claude Bertrand et M. Gérard Gouverneur ................ .

• Les perspectives du système santé et d'assurance maladie par M. Christian Prieur ... , ...... , ............................. .

• Les urgences médico-sociales par le D• Pierre Espinoza ...................................... .

• Le collectif santé par les 0'" Gérard Degy et France Rué ........................... .

- Les relais santé du S.ecours Populaire Français de Reims par pr J.J. Adnet, 0' Edouard Garbe et Mm• Nicole Cornu .......... .

- Le Quart-Monde par D• Debionne ........................................... .

- Les réseaux Ville Hôpital par Or Anne Vellay .......................................... .

- Le Secours Catholique par Mm0 Andrée Laurent ..................................... .

• Les personnes âgées par le Or Claude Truchet ....................................... .

• Homélie prononcée au cours de la messe célébrée en la basilique de Reims, le samedi 14octobre1995 par Monseigneur Gérard Defois ................................ .

• La législation et son application par la Sécurité sociale par M. Thomas .............................................. .

• Les exclus de la santé par le 0' Marc Fourdrignier .................................... .

• Les oubliés de la médecine et l'Évangile par le Père Lucien Marquet .................................. , ..

• Conclusion par le Père Michel Jeanroy .................................... .

• Un regard sur le Congrès de Reims par le Père Jean-Claude Besanceney ............................ .

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, REFLEXIONS SUR LA MISSION ACTUELLE

DU C.C.M.F. . ~es statuts du C.C.M.F. donnent à celui-ci plusieurs

m1ss10ns, et entre autres celle de « susciter. soutenir. favori­ser l'épanouissement de la vie spirituelle de ses me~bres ». II est essentiel que cette mission soit affirmée dans ces termes. Françoise Dolto avait écrit «l'Évangile à l'épreuve de la psychanalyse ». Faut-il paraphraser en évoquant « la foi à l'épreuve de la médecine »?

Certes le corps médical est extrêmement divers : le lieu n'est pas ici de décrire cette réalité; il est essentiel de l'avoir toujours en fonds de tableau. Cependant l'engagement de la personne du médecin dans l'accomplissement de sa fonction quelle qu'elle soit, constitue le «lieu de sens» fondamental où la vie de foi peut intervenir, parce qu'il est d'abord un «lieu d'humanité».

N'oublions pas que la médecine n'est pas née dans la mouvance biblique, mais en Grèce. Que depuis la venue de Jésus-Christ cette activité humaine essentielle puisse rece­voir un sens nouveau et notamment spirituel en rapport avec sa mission de salut, c'est ce qui s'est passé et se passe tou­jours. Mais pour autant n'oublions pas« l'événement fonda­teur » : la médecine est de soi une activité « profane ».

Cette réflexion voudrait aborder sommairement deux aspects de l'actuelle mission du mouvement : animer la vie spirituelle de ses membres, et en tant que groupe se position­ner dans le débat social et ecclésial, « avoir une parole ».

* * *

L'animation de la vie spirituelle comporte bien des aspects : quelques-uns vont être rapidement évoqués.

1. ASSIMILATION ET RÉDUCTIONNISMES

Il n'est pas difficile de projeter en toute occasion sur l'exercice médical le paradigme évangélique de Jésus guéris­seur, et ainsi de «l'évangéliser» à bon compte. On oublie plus ou moins la distance entre ces récits évangéliques, qui ne peuvent se comprendre que dans le cadre d'une culture fondée essentiellement sur la Bible, et la réalité : notre cul­ture marquée par la technoscience. Il n'était possible d'iden­tifier Jésus comme Messie que s'il apparaissait« accomplir les Ecritures». On se trouve d'emblée dans le registre du symbolique.

Lorsque Jean-Baptiste est en prison, il envoie des mes­sagers dire à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons nous en attendre un autre ? » et Jésus de répondre « Dites à Jean : les boîteux marchent, les aveugles voient, les sourds entendent •.• etc ... » ; mais il ajoute « et les pauvres sont évan­gélisés » ; et « heureux ceux qui ne seront pas scandalisés à mon sujet» ( Luc 7118-23) C'est donc bien le message du royaume et la foi en Jésus messager qui sont au cœur de son action de guérisseur.

Car pour Jésus ces « guérisons » sont essentiellement des «signes», Tel n'est pas le rôle médical: il n'est pas de donner des signes «du royaume qui vient», mais de tenter de guérir; c'est bien pour cela qu'on vient le trouver: en raison de sa compétence, et non d'une hypothétique «aura» que certains cependant savent parfaitement entretenir et utiliser.

Que par contre la situation de maladie, et d'accompa­gnateur du malade, constituent des lieux où la foi est enga­gée, c'est une certitude.

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Père Jean-Claude Besanceney (*)

Une autre attitude « réductionniste »consiste à assimi­ler « vie spirituelle du médecin » et observation d'une mora­le humaniste. Celle-ci est évidemment indispensable mais elle est pratiquée par des médecins sans appartena~ce ou r~~herche ,d!! foi. Un ~umanisme, inspiré en fait par une v1s1on chretienne de 1 homme, mais comme coupée de ses sources. On peut trouver également la même attitude chez des médecins d'origine juive, ou se référant au bouddhisme ou agnostiques ••• La « responsabilité » et le souci de l'autr~ peuvent être exemplaires et pour nous chrétiens être « image de Dieu » sans que les intéressés partagent cette vue de foi.

Aussi la mission d'aider les médecins à vivre leur foi - ou pour les non-croyants à se poser la question du « sens » -doit-elle reposer sur une vue théologique plus ferme que celle qui vient d'être évoquée. Et en particulier sur une théo­logie de la création. Ce qui va être amorcé ci-dessous.

* 2. SE FONDER SUR UNE THÉOLOGIE DE LA

CRÉATION

2.1. La source de toute responsabilité

Toute responsabilité humaine est en effet issue de la parole créatrice «Remplissez la terre et dominez-la» (Genèse 1/28). Parole confirmée par celle adressée à Noë : «Je vous donne tout .•• » (Genèse 9/3), suivie de l'établisse­ment de l'alliance fondamentale, sur laquelle reposeront les autres.

Mais cette mission confiée largement à'l'homme comme un fondement est perturbée dès le départ par le mal: c'est la prétention originelle de s'égaler à Dieu; c'est la violence avec Caïn et Abel, c'est la tentative collective de nier la différence avec la Tour de Babel, c'est la« corruption» découverte par Dieu avec déception et qui fut la raison du choix de Noë pour refaire une nouvelle création.

Il nous faut sans cesse en revenir à ces fondements dès que l'on veut éclairer les situations humaines par lesquelles la création se réalise aujourd'hui. Avec très en parallèle, mais ce n'est pas notre sujet, la parole fondatrice de la créa­tion de l'homme « homme et femme » pour tout ce qui concerne la vie affective et la « procréation ».

Cette mission donnée à l'homme, Dieu l'invite à la vivre en alliance avec lui. Ce don, il a à l'utiliser avec prudence, courage et intelligence pour le bien de l'humanité ; il a à le maîtriser et pour cela à développer les connaissances pour approfondir les secrets du cosmos pour le bien des hommes et la gloire de Dieu. Car tous les développements, les utilisa­tions que l'humanité aura pu en faire seront rapportées à Dieu à la fin des temps, au moment du ciel nouveau et de la terre nouvelle. Et déjà par l'Eucharistie, où le pain et le vin sont « fruit du travail humain et de la terre ».

La guérison, la recherche incessante de moyens nou­veaux pour analyser les maladies, en trouver les parades, les proposer à tous, voilà les aspects de la tâche créatrice du médecin : la compétence •.• Peut-être cette certitude anime­t-elle confusément tout médecin quelle que soit son apparte­nance ou non-appartenance à une tradition religieuse mono­théiste: nous pouvons le dire et le vivre ...

(*)Aumônier national du C.C.M.F.

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À cet aspect s'ajoute immédiatement et indissoluble­ment que soigner, c'est rencontrer l'autre,. e! cet aspect de «compassion» (au sens large) ou d~ « solbc1tu~e » comm~ on le dit souvent aujourd'hui, peut egalement etre partage par des médecins appartenant à des, tradition~. religieuses telles que le bouddhisme - ou encore a des traditions agnos­tiques, comme celui que nous présente Camus dans « La Peste».

C'est sur ce fonds de responsabilité et de sollicitude que sont à rechercher les « lieux » où se réalisent les choix à dimension spirituelle où est engagée la foi du médecin.

2.2. Théologie de la création et débat ecclésial

Le débat intra-ecclésial actuel a plusieurs aspects. L'un d'entre eux gravite autour du rapport entre la foi et l'agir du chrétien. Or, celui-ci n'est pas« déduit» du contenu dogma­tique de la foi, mais sans cesse à inventer à la lumière de la foi, en s'appuyant sur les «vertus morales cardinales» connues de tous les hommes et largement reconnues dans la tradition chrétienne.

Il n'y a pas à avoir peur de l'extension toujours plus grande du domaine de la responsabilité humaine ; comme si ce développement pouvait attenter à la grandeur de Dieu. Dieu, lui, a «pris ses responsabilités» : il a créé l'homme libre, quitte à le « regretter », comme le dit parfois le récit biblique. Mais il ne revient pas en arrière. Oui, la liberté de l'homme peut l'abaisser de manière tragique, et c'est la souffrance de Dieu ; mais elle peut aussi l'élever très haut. De ces « hauts lieux d'humanité », certains sont propres au corps médical.

Une vraie éthique de la responsabilité ne peut se conce­voir que dans la mouvance d'une saine théologie de la créa­tion. Or le discours ecclésial privilégie plutôt l'éthique de la « conviction » que celle de la responsabilité.

Rapidement;. autres conséquences de cette absence -plus que centenaire - d'une théologie de la création : ame­nuisement de l'acte créateur de Dieu au profit de la majora­tion de l'histoire du salut, et plus spécialement de la passion ; glorification de la souffrance, apologie du « martyre » dans le sang, dévalorisation de l'humaine sexualité et supervalori­sation de l'angélique continence, dévalorisation de l'œuvre créatrice de l'homme rangée sous la catégorie de « l'arti­fice » qui ne peut être que mauvais, etc ... et difficulté œcu­ménique avec les réformés qui au contraire valorisent la création (mais risquent de n'avoir du salut qu'une approche individuelle).

3. UN PRÉALABLE

Il existe dans le corps médical comme dans la société un courant de pensée suivant lequel l'être humain se réduit à sa matérialité somatique et à son psychisme. Le détermi­nisme, le rationalisme, le néo-scientisme sont toujours d'actualité.

On l'a vu par exemple réapparaître à propos des trans­plantations, dans la tendance à ne faire du corps mort, en état de mort cérébrale, qu'un « objet » dont la société pour­rait disposer à son gré. Le législateur a tenu à imposer un minimum de reconnaissance de l'essentielle altérité du corps humain par le consentement présumé : on mesure cependant aujourd'hui certes les avantages, mais surtout les limites de cette disposition.

C'est également l'état d'esprit qui s'exprime dans un ouvrage comme «Les fondements naturels de l'éthique», préfacé par )P Changeux, président du Comité Consultatif National d'Ethique.

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Loin d'être majoritaire, ce courant a résolu la question du« sens» à la suite de J. Monod:« L'homme est seul dans l'univers d'où il a émergé par hasard». L'homme est le com­mencement et la fin. Il n'est donc plus question de ce~te « finitude » que le médecin rencontre notamment dans l'm­certitude de la décision et qui provoque interrogation et recherche de sens. « Il faut en finir avec la finitude » écrivait le sénateur Caillavet, un des leaders de ce courant. Non pas agnostique, mais athée.

Ce qui n'empêche pas les tenants de ce courant d'être des médecins compétents et consciencieux, comme celui que campe Camus, mais ils ont de leurs patients comme d'eux­mêmes cette conception très réductrice de « l'humanitude ». La médecine apparaît alors comme une forme militante de la « libre-pensée » comme on dit encore •••

4. QlJELQUES ASPECTS DE LA VIE SPIRITUELLE DU MEDECIN

4.1. La solitude

Le médecin est un être de décision. Avec le magistrat, il a cette prérogative de bénéficier d'un espace de liberté qui n'est soumis à aucun contrôle (encore pour les magistrats existe-t-il la jurisprudence), prérogative que reconnaît d'ailleurs la déontologie.

Le médecin défend avec vigilance cette prérogative. La déontologie est également l'écho de cette vigilance. Mais la contrepartie en est la solitude. La responsabilité médicale est non partageable et chacun, formé à cela, doit « assumer ».

Une brèche est cependant ouverte dans la mesure où l'élaboration de la décision en situation critique tend à se faire de plus en plus en concertation, surtout en milieu hos­pitalier. Bien entendu le médecin reste le décideur, mais s'en­tourer des informations, des avis d'autres acteurs, notam­ment infirmiers, fait que le poids de la décision est partagé. On voit par contre des médecins céder à la pression d'un patient, ou de sa famille, parce qu'ils n'ont pas su ou voulu associer leurs collaborateurs à leur réflexion.

Car l'angoisse de la prise de décision existe. Un exemple tout simple : un jeune médecin de campagne voit un jour arriver à son cabinet une femme accompagnée d'une adoles­cente. Cette jeune fille lui était confiée par la D.A.S.S., et se trouvait enceinte. Cette femme demande l'I.V.G., car elle veut sauvegarder sa propre réputation vis-à-vis de la D.A.S.S. Ce recours est impossible en raison du dépassement du délai. Le médecin ne sachant que faire remet la décision au lendemain. Finalement, l'adolescente est envoyée à l'étranger, et c'est alors seulement que le médecin se dit « Mais, on ne lui a même pas demandé son avis ..... »

, Mon expérience de participation à la Commission Ethique de la Société des Réanimateurs révèle que, choisis par cooptation, et avec les non-médecins qu'ils ont acceptés, les chefs de service expriment et échangent avec une grande liberté leurs doutes, leurs questions, même leur souffrance : ce lieu de réflexion est aussi un lieu de « parole ».

4.2. La souffrance

On parle depuis quelques années de la souffrance infir­mière. On ne parle que très peu de celle du médecin. Une infirmière raconte qu'un médecin sort tout penaud de la chambre d'une patiente au pronostic fatal en s'écriant« J'ai fait 10 ans d'études, etje ne sais pas quoi dire à cette dame».

Lorsque l'on n'a pas le sens des limites, et que l'on croit plus ou moins clairement à la toute puissance de la médeci­ne, toute mort apparaît comme un échec, mal vécu. On voit des médecins« s'excuser» auprès d'une famille de n'avoir pu guérir leur patient.

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Réflexions sur la mission actuelle du C.C.M.F. ----------------------------~

• Plus sagement la loi n'exige du médecin qu'une obliga­tion de moyens. La .mod~tie médic~le est revenue depuis quelques années, le sida aidant. Le triomphalisme n'est plus de ~o~~· Av~ir le sens de ses limites, sans tomber dans la passmte ; n est-ce pas la voie royale de la découverte du «sens»?

Le sens des limites, en même temps que l'exigence de progi:esser, ne sont-ils pas des aspects d'une théologie de la création?

4.3. L'incertitude de la décision clinique en situation critique

La prise de décision dans des situations critiques est particulièrement lourde pour le médecin.« C'est toujours avec déchirement que je prends une décision d'arrêt thérapeutique » dit un chef de service de réanimation. Et pourtant c'est bien en équipe que cette décision a été éla­borée.

Tenir entre ses mains la vie ou la mort de quelqu'un parce que cela fait partie de la responsabilité médicale, éla: borer cette décision en équipe, ne s'agit-il pas là d'un haut lieu d'humanité ? On sait que cette décision est toujours aléatoire ; le patient va-t-il décéder, et quand ; va-t-il conti­nuer à vivre végétativement ?

En ces lieux de haute technicité, c'est la non-maîtrise, l'incertitude, la douloureuse expérience des limites, l'éviden­ce de la finitude qui apparaissent. Dieu a donné aux hommes « tout », c'est-à-dire également cette responsabilité de déci­sion concernant la vie et la mort. Parallèlement d'ailleurs, la contraception amène les couples à « décider » de la venue à la vie de leurs enfants.

Il ne s'agit aucunement ici de « mort provoquée », mais de la nécessité de mettre un terme à une thérapeutique qui n'a plus aucune utilité, de pratiquer la« désescalade». C'est mettre en œuvre la plénitude de la responsabilité confiée par Dieu à l'homme, de le faire avec humilité, « crainte et trem­blement », avec toute la sollicitude possible, après avoir uti­lisé tous les moyens d'analyse, de concertation. C'est alors le faire dans la paix : on a fait vraiment au mieux son travail d'homme. On a honoré sa responsabilité de gérer la vie. Mais c'est toujours« de nuit» comme le dit de la foi St Jean de la Croix.

Jamais peut-être la dimension spirituelle n'apparaît­elle aussi proche que dans ces« hauts lieux» d'humanité.

4.4. La rencontre de 1 'autre

C'est certainement cet aspect qui est le plus souvent mis en relief dans la réflexion chrétienne sur la responsa­bilité médicale. Avec le double risque signalé plus haut, d'une lecture évangélique trop« immédiate», ou du mora­lisme.

Là encore, revenons aux origines : la responsabilité humaine est aussi de vivre l'altérité, de construire - inlassa­blement - « une humanité » : « remplissez la terre » dit le poème de la création.

Mais là également le mal est à l'origine. La perturbation de la relation entre l'homme et Dieu rejaillit aussitôt sur la relation entre humains : entre homme et femme, entre frères, entre peuples. La tentative de nier la différence avec Dieu retentit sur les rapports humains. L'altérité est devenue difficile, elle est sans cesse à reconquérir. C'est là une tâche d'homme.

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Et c'est sur ce point que l'on voit bien comment le ~salut>? est une « re-création »: c'est toute la dimension e,vangéh9~e du rapport à l'autre qui vient redresser ce que 1 humamte ne cesse de détruire.

La déonto!ogi~ d~m~de à)uste titre que le médecin ne fas~e aucune d1scrimma~on meme non exprimée envers ses patients. Allons plus lom : voir en chacun un « frère en humani~é ?>, malgré sa ~étr~sse, ~~ révolte, son angoisse, son agressiv1te ... avec honnetete, vér1te : tout cela est bien connu.

Mais « 1' Autre » ne prend-il pas une autre figure lorsque la prise de décision clinique se prépare, se délibère: avec ces « autres » que sont les collaborateurs quelle que soit leur statut, d'autres acteurs aussi : surto~t en milieu hospitalier ? Tous impliqués dans la même recherche exi­g~,nte du « bien » du patient. Eux aussi « frères en huma­mte ».

4.5. La transgression

Elle peut se présenter à ditTérents niveaux, à tous les niveaux de « lois ». Elle marque toujours celui ou celle qui la commet. Un conflit intérieur a lieu, toujours éprouvant. Antigone en est la figure emblématique et non biblique.

Au niveau des normes fixées par la société, comme dans le cas de l'hypothétique levée du secret professionnel pour informer le (la) conjoint(e) d'un séropositif qui refuse obsti­nément de donner lui même cette information.

Au niveau de la loi naturelle, ~ouvent repris par des prises de position du magistère de l'Eglise: débuts de la vie, avec la position à prendre vis-à-vis de l'I.V.G., et plus encore de l'I.T.G., où l'avis médical est déterminant. Car il existe une distorsion entre la loi naturelle soulignée par le magistè­re, et la loi civile (1). C'est par contre cette dernière que cer-tains trangressent. ·

Plus encore à la fin de la vie, lorsque la responsabilité médicale après un long parcours plein de questionnements apparaît à un praticien, comme celle de favoriser le passage d'un patient pourtant longtemps « accompagné ••• »

Il n'est pas question de développer ici à fond ce thème. Mais dans les trois situations évoquées ici on retrouve la dif­ficulté de vivre cette liberté inaliénable du médecin: l'épreu­ve de la transgression. Non d'abord à cause de l'éventuelle sanction sociale, mais de la sanction morale, on pourrait dire spirituelle.

Les progrès de la biomédecine font qu'aujourd'hui tout un chacun est amené dans sa vie privée, à prendre des déci­sions, et qui comportent donc autant de possibilités de trans­gression : décider ou non les naissances, organiser ou non leur espacement, décider ou non de la naissance d'un enfant malfonné.

Transgressions dans sa vie professionnelle ou privée, le débat intérieur est le même. Ce sont les progrès mêmes de la technoscience qui les provoquent. Ces progrès répondent à la vocation de l'homme donnée à lui par Dieu. Ils obligent à grandir en responsabilité, laquelle, « éclairée » par le dia­logue, la délibération, peut amener à une décision de trans­gression. La liberté est éprouvante, et transgresser est par­fois plus difficile que se soumettre. Ou si la transgression est «facile», ce n'est pas une véritable transgression.

Aussi peut-on considérer que la transgression est aussi un « haut lieu d'humanité » , un lieu « spirituel ». Toute la

(1) Hors toute référence chrétienne, Impact Médecin pose ainsi laques­tion de la transgression en ce qui concerne l'I.V.G. : «Le médecin, partagé entre sa morale et son devoir d'assistance ••• ,. n° 740, 17 OS 95

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tradition de l'Église considère la conscience comme le « sanctuaire » où l'homme rencontre son Dieu. Le moment est arrivé de prendre davantage au sérieux cette affirmation, même si la décision prise n'a pas été celle que préconisait l'autorité morale ou religieuse.

Seule la maturité de l'expérience spirituelle peut per­mettre que de telles transgressions puissent être vécues dans la paix, sans culpabi.lité,. mais d~ns une souffran~e certai.~e? et l'humilité de celm qm peut dire en toute conscience « J a1 vraiment fait ce que j'ai pu ».

5. LES « TENTATIONS » DU MÉDECIN

Elles ont fait l'objet d'un N° de la revue. Il serait peut­être possible d'en reprendre l'exposé dans une perspective évangélique, et également d'en ajouter d'autres ... (il y en a tant) dans la visée globale d'une responsabilité confiée par le Dieu créateur et « re-créée » en Jésus-Christ.

* * *

AUTRE ASPECT DE LA VIE DU MOUVEMENT : LA PRISE DE PAROLE

La question est posée de fait, par la participation récen­te des responsables du C.C.M.F. à l'émission« envoyé spé­cial» sur l'I.V.G. Ce sont sans doute les producteurs de l'émission qui ont tenu à avoir une« autre parole», et ils ont tout naturellement considéré le mouvement comme une organisation représentative. Et la première séquence rete­nue a permis d'exprimer une transgression •••

État des lieux

Même si l'on peut critiquer un certain parti pris d'amalgame, ce.tte émission a mis en évidence l'existence d'un courant structuré de l'opinion française correspondant au courant « pro-life » aux U.S.A. Les membres de ce « lobby » se réclament explicitement de leur appartenance

catholique. Émission qui a cependant donné un très petit temps de

parole au C.C.M.F. Cette courte intervention s'est trouvée renforcée par le texte de présentation et le contenu de l'inter­view des reporters par le producteur, faisant clairement état de l'existence d'une importante part de catholiques « légalistes », désapprouvant les thèses et les actions du « lobby pro-Iife » français. Ainsi les responsables du C.C.M.F. se trouvent involontairement considérés comme représentatifs de cette « majorité silencieuse » de catholiques. La première des deux petites séquences retenues sur l'inter­view a permis d'aborder également la question du sida et d'affirmer clairement une prise de position de responsabilité médicale et son conflit avec la parole du magistère. C'est dans la même perspective que se situait le communiqué de I' A.C.M.S.S. (*) intitulé «I.V.G. : des chrétiens prennent la parole » publié par La Croix le 4/11 et distribué par les réseaux de ce mouvement, mais communiqué « non sollicité » qui en fait a provoqué un certain nombre de réactions.

Autre élément : la montée en puissance du « lobby pro­life » a mécaniquement suscité la renaissance du « lobby pro-choice » plutôt discret les années dernières. La manifes­tation parisienne du samedi 25 novembre pour la reconnais­sance du « droit de la femme à disposer de son corps » et une plus grande libéralisation de la loi était soutenue par 120 associations. C'est l'une d'entre elles, le «réseau Voltaire» qui avait dénoncé avant l'émission du jeudi 16 novembre les pressions parfois assorties de référés, faites sur le président de Al pour que l'émission n'ait pas lieu - reconnaissance claire de la pertinence de celle-ci.

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Ce lobby se manifeste également avec une certaine vio­lence d'un autre ordre. Par exemple le tract invitant à mani­fester à l'occasion du procès public du commando anti­I.V.G. de Mâcon, insiste beaucoup sur le« droit» à l'I.V.G., qui doit cependant rester le « dernier recours » mais on Y lit que «la loi de 1975 a permis de passer de 400.000 avorte­ments par an (sic) à 170.000 ». Quelles sources permettent une telle évaluation des avortements clandestins avant la loi ? (2) Recourir à de tels arguments discrédite la cause défendue. Tract signé par 20 organisations ou associations morales.

Ainsi le débat de société est particulièrement vif et même violent, et le débat intra-ecclésial manifesté par l'émission est considéré comme un élément de ce débat de société.

Responsabilités des mouvements médico-sanitaires catho­liques

À quoi cette conjoncture invite-t-elle les mouvements de médecins, d'infirmières, de travailleurs sociaux catholiques et la pastorale de la santé ?

Des chrétiens cautionnant les deux « lobbies », une majorité chrétienne « silencieuse », prise entre les déclara­tions et les invitations pontificales et leur conception de la responsabilité, dont les médecins catholiques.

Sans vouloir provoquer un troisième« lobby», n'y-a-t­il pas possibilité de prendre position largement et clairement autrement que par les « flashs » concédés par la T.V. et la petite place dans les médias écrits? Afin que d'une part la « majorité silencieuse » ne le soit plus, que ces catholiques sachent assumer leur position de « transgression » relative, mais également se positionnent comme une autre force dans la société, rejoignant bien des non-catholiques (dont les pro­testants) dans la modération et non dans l'idéologie. Reste alors à trouver les moyens ••. mais surtout « être attentifs à lire les signes des temps » : autre aspect de la « vie spirituelle », mais cette fois de tout chrétien.

Prendre la parole, c'est faire entendre une autre voix de chrétiens, et donner d'eux, de leur« humanité» et de leur foi une autre image dans la société, que les extrémistes de toute sorte. Et peut-être une parole œcuménique : les enjeux peuvent peser plus lourd que les différences dans la foi. Une parole en « communion » donc, qui n'exclut pas la « tension » avec le discours magistériel catholique.

Car, au-delà de la conjoncture, le dialogue intra-ecclé­sial ne peut avoir lieu que si la parole n'est pas réservée au magistère, malgré sa fonction« d'église enseignante». Pour qu'une « parole», une position soit vraiment ecclésiale, n'est-il pas nécessaire d'abord qu'elle émane d'un groupe reconnu et ayant sa compétence humaine et ecclésiale propre mais également qu'elle sache affronter un dialogue difficile entre magistère et peuple chrétien ? Dialogue qui peut être tendu : mais la communion ecclésiale est à ce prix. , En même temps qu'un témoignage est donné d'une

Eglise où le respect de l'autre n'est pas seulement affirmé, mais vécu •..

« Mais où êtes-vous donc, mouvements de chrétiens ? - disait récemment dans une réunion un journaliste -, votre silence devient assourdissant ••. N'avez-vous donc rien à dire devant ce qui se passe ? Vous, mouvements de personnels de santé, qu'avez-vous à dire sur la Sécurité sociale ? » Dire : non pas ce que dirait une association professionnelle, un syn­dicat, un parti politique, mais dire ce que seuls nous pouvons dire ; notre manière de « lire les signes des temps ». •

(2) L'évaluation maximale retenue par l'I.N.E.D. est de 250.000. (*) Action Sanitaire des Milieux Sanitaires et Sociaux.

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INTRODUCTION AU CONGRÈS DE REIMS

par le Or Jean-Marie BOUVIER(*)

Le Centre Catholique des Médecins Français qui compte environ 900 membres organise une année sur deux un congrès national.

Il a lieu aujourd'hui à Reims et a pour thème« Les oubliés de la médecine en France». Merci donc à tous les participants et en particulier aux intervenants. Merci à la Municipalité de bien vouloir nous accueillir. Alors que la législation de la protection sociale semble de mieux en mieux assurée, n'est­

on pas en train d'assister à l'éclosion d'un véritable« syndrome de précarité» qui touche les personnes jusque dans leur santé et correspond à un état de moindre résistance socio-écono­mique et psychologique aux agressions de la vie quotidienne ? L'agent causal peut prendre des formes multiples : perte de travail, séparation familiale, absence de logement, stress divers, toxicomanie sont autant de causes possibles.

La société française se trouve face à un problème nouveau : comment intégrer des groupes sociaux qui vivent de plus en plus à la marge de la Société dans un contexte qui pousse l'individu à trouver des solutions pour lui-même ou plus souvent à tout abandonner.

Même si les remèdes à la précarité sont autant politiques que médicaux, il a paru néces­saire aux médecins chrétiens de participer à cette recherche: que doit être l'acte médical, qui au-delà de la relation personnelle, doit permettre au sujet de garder ou de réintégrer sa place dans la communauté ?

Et je vous propose comme conclusion ce texte du Docteur Debionne (A.T.D.): «Le type de regard sur les personnes conditionne l'action qui les concerne: tant que les plus pauvres sont considérées comme des malades dont il faut étiqueter les maux pour déclencher des réponses spécifiques, les résultats ne peuvent qu'être décourageants. En revanche, quand les mêmes personnes sont considérées comme les premiers acteurs de leur santé, s'efforçant avec les moyens qui sont à leur portée de vivre le mieux possible, alors des points d'appui com­muns aux populations, aux professionnels et aux élus apparaissent, sans constituer des réponses magiques mais des ouvertures pour« un faire ensemble». Sans volonté de compré­hension de la vie des gens, sans identification de leurs propres efforts, sur quelle action commune pourrait-on déboucher ? » •

(*) Médecin généraliste à Reims, Président du C.C.M.F. de la région rémoise.

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ÉVOLUTION DE LA PROTECTION SOCIALE

par le 0' Claude BERTRAND (*) et M. Gérard GOUVERNEUR (**)

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1. - LES ÉTAPES IMPORTANTES DE LA PROTECTION SOCIALE

Sans remonter à l'antiquité, on peut noter quel­ques dates:

1544, création à Paris du grand bureau des pauvres: Ces interventions témoignent, il convient de le noter non seulement de préoccupations chari­tables et sociales, mais aussi de soucis d'ordre public devant la menace que constitue le dévelop­pement de la misère (on parle parfois, l'expression est significative, de: renfermement des pauvres; cette expression est toujours d'actualité).

1793, déclaration des droits de I' homme: « La société est obligée de pourvoir à la subsis­tance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail soit en assurant des moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler».

Ce sont véritablement les lois des 5 avril 1928 et 30 avril 1930 qui donnent naissance aux Assurances sociales au profit des salariés dont le revenu est infé­rieur à un certain plafond.

Cinq risques sont pris en considération : - 1 maladie - 2 maternité - 3 invalidité - 4 vieillesse - 5 décès

4 octobre 1945 ordonnance portant organisation de la Sécurité sociale. Cette ordonnance affirme trois prin­cipes fondamentaux : - la généralisation de la Sécurité sociale à toute la

population, initialement réservée aux salariés du Commerce et de l'industrie,

- l'unité des institutions et l'universalité des risques, mise en place d'un régime unique (régime général)

- l'expression de la démocratie sociale, autonomie compJète de gestion des organismes ; en contrepar­tie, l'Etat exercera une tutelle.

1948 bilan du premier système de Sécurité sociale français : c'est un échec relatif, les objectifs de généra­lisation et d'unité ne sont pas réalisés.

(*) Médecin Conseil-Chef - C.P.A.M. de la Marne. (**) Service Coordination - C.P.A.M. de la Marne.

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Évolution de la Protection sociale ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~--~~--~

1978 loi sur la généralisation de la Sécurité sociale : création de I' Assurance Personnelle. Évolution depuis 1981 : la recherche de l'équilibre des comptes:

tous les gouvernements successifs se sont pen­chés sur l'équilibre des comptes (plan Questiaux, plan Bérégovoy, plan Seguin, plan Weil, aujour­d'hui le plan Juppé) :

- maîtrise des dépenses de santé (diminution des remboursements maladie ; augmentation des taux de cotisations),

- recherche de nouvelles ressources (cotisations sur l'alcool, le tabac, C.S.G.).

Le Gouvernement Balladur a mis en place une séparation des risques entraînant l'autonomie finan­cière de chaque branche.

Il. - LE FINANCEMENT - L'EFFORT SOCIAL DE LA NATION

Il recouvre trois groupes de dépenses : - régimes légaux de Sécurité sociale, - protection sociale complémentaire, logement et for-

mation,

- autres dépenses : - congés payés, - comités d'entreprise ou particuliers, - aide sociale.

En 1990, il atteint 1 775,6 milliards de francs pour un P.I.B. égal à 6 492 milliards.

Les dépenses du 1"' groupe représentaient à elles seules 1 375 milliards.

Quelques chiffres: - 420 pour la maladie, - 125 pour la maternité et la famille, - 41 pour les accidents de travail, - 49 pour l'invalidité, - 684 pour la vieillesse.

Ill. - l' AIDE SOCIALE

Elle recouvre l'ensemble des interventions des collectivités publiques au profit des plus défa­vorisés.

On distingue ainsi : - l'aide à l'enfance, - l'aide médicale, - l'aide aux personnes âgées, - l'aide aux handicapés.

Elle est gérée soit : - par les Départements (dans la majorité des cas), - par I' État (sans domicile de secours ; gens du

voyage).

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Ill. 1. Couverture sociale de l'aide médicale

Elle concerne deux catégories de bénéficiaires : - l'aide à l'enfance, - l'aide médicale.

Elle prend en charge la partie restant due par l'as­suré après remboursement Sécurité sociale dans la limite du tarif de responsabilité pour l'aide médicale à domicile et l'aide médicale hospitalière.

1111. 2. Bénéficiaires du revenu Minimum d'insertion (R.M.I.)

Les RMlstes bénéficient de plein droit de l'aide médicale:

- en cas d'absence de couverture sociale, l'adhésion à l'assurance personnelle est d'office avec prise en charge des cotisations par la Caisse d'Allocations Familiales ou par les Services du Département ou l'Etat.

Ill. 3. La loi de juillet 1992

Elle prévoit la prise en charge : - du ticket modérateur pour les prestations en nature

des assurances Maladie et Maternité y compris l'hospitalisation et l'l.V.G.,

- le forfait journalier, - la cotisation d'assurance personnelle dans les

conditions prévues par l'article L.741-3-1 et l'article R.741-25-1 du code de la Sécurité sociale.

L'avis d'admission est délivré pour un an et pour tous les bénéficiaires couverts par l'assuré au sens du code de la Sécurité sociale. - articles L 313-3 et L 161-1-4.

Ill. 4. Décret n° 93-648 du 26 mars 1993

Celui-ci prévoit la gestion de l'aide médicale état par les organismes d' Assurance Maladie à compter du 1°' janvier 1996.

Une convention nationale a été signée par les pré­sidents des 3 Caisses Nationales (C.N.A.M.T.S.­NON.NON-M.S.A.)

IV. - PROTECTION SOCIALE DES DÉTENUS

A compter du 1°' janvier 1994, en application de l'article L.381-30-5 du code de la Sécurité sociale, les frais d'hospitalisation dispensés aux détenus en milieu hospitalier, les consultations et soins externes dispensés en milieu pénitentiaire a_ux détenus so~t pris en charge par !'Assurance Maladie dans les condi­tions de droit commun normalement applicables aux assurés sociaux dans le cadre de la dotation globale de financement de l'établissement qui a dispensé les soins. •

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LES PERSPECTIVES DU SYSTÈME SANTÉ ET D'ASSURANCE MALADIE

par M. Christian PRIEUR (*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

Il n'est pas facile de parler de perspectives de notre système sanitaire et d'assurance maladie alors que le Gouvernement vient d'annoncer une grande réforme de la protection sociale, après un vaste débat public qui se déroule actuellement. Les réflexions qui suivent sont inspirées de travaux, auditions et discus­sions de trois coauteurs du Livre Blanc sur le système de santé et d'assurance maladie, paru en décembre 1994.

Ce Livre Blanc, écrit par de vieux connaisseurs du monde de la médecine et de la Sécurité sociale, essaye de bannir la « langue de bois» ; il se propose de faire un état des lieux, d'évoquer les dysfonctionnements du système (pourquoi faut-il réformer?), de suggérer les points où la réforme est nécessaire mais demande une décision politique.

La Sécurité sociale fête son cinquantième anniver­saire mais l'assurance maladie a débuté en 1930 et s'est épanouie sous les Trente Glorieuses (1945-1975). Pendant cette période, elle était en phase avec son environnement économique et social : - Développement des besoins sanitaires curatifs dus

à la fois aux progrès de la médecine et à la recons­truction de notre appareil de soins, notamment hos­pitalier, après la Seconde Guerre mondiale.

- Financement collectif de ces besoins, via une assu­rance maladie progesssivement étendue à tous, grâce à une croissance forte de l'économie (5 % par an en francs constants : ce qui est considérable par rapport à la tendance de très longue période voisine de 1 à 2 %).

Cette croissance du Produit Intérieur Brut avait pour corollaire une augmentation des revenus directs et des revenus indirects (c'est-à-dire de la part des rémunérations du facteur travail, prélevées à la source sous forme de cotisations sociales). Le fort taux de croissance a permis à la fois la hausse du niveau de vie de tous les Français (utilisation des revenus directs) et l'édification d'un système de protection sociale de grande envergure.

Depuis vingt ans, l'environnement économique de notre système de santé et d'assurance maladie a pro­fondément changé : mondialisation de l'économie, développement des marchés financiers à la fois déré­glementés et mondialisés, ralentissement du taux de croissance et réapparition du phénomène des cycles économiques. De ce fait, notre système de santé et

(*) Ancien directeur de la C.N.A.M.

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Lesperspectivesdusystè~esanté~~~~~~~~~~~~~~~

d'assurance maladie est confronté à des défis impor­tants qui justifient une adaptation en profondeur, laquelle tarde à venir, faute de consensus entre les acteurs du système et de volonté politique.

1. - LES DÉFIS DU SYSTÈME DE SANTÉ ET D'ASSURANCE MALADIE

Le système de santé et d'assurance maladie, tel qu'il s'est développé depuis la seconde guerre mon­diale, est confronté depuis vingt ans à trois défis qu'il n'est pas parvenu à surmonter: défi du financement, de l'efficacité et de l'adaptation aux besoins.

1. Le défi du financement

Le financement du système sanitaire français pro­vient de trois sources inégales : - Assurance maladie........................................... 73 % - Mutuelles et compagnies d'assurance........... 10 % - Ménages........................................................... 17 %

Chacune de ces sources pose des problèmes.

a) Le financement collectif

L'assurance maladie trouve ses ressources grâce à des prélèvements qui, pour la plus grande partie, sont des cotisations assises sur les revenus professionnels salariés et non salariés, auxquels s'ajoutent quelques contributions de nature plus ou moins fiscale (taxe sur les primes d'assurance automobile par exemple). Ces recettes constituent une fraction des prélèvements obligatoires auxquels sont soumis les agents écono­miques français (ménages, entreprises).

Or, il n'est plus possible d'augmenter les prélève­ments obligatoires en France, ou tout au moins, la marge de manœuvre, en cette matière, est très faible. En effet, les prélèvements obligatoires (hors finance­ment du déficit du budget de l'Etat et des régimes sociaux) dépassent 44 % du Produit Intérieur Brut, c'est-à-dire de la valeur des richesses créées en France, chaque année (7 000 milliards de francs environ). Cela signifie que les contreparties de la croissance écono­mique, essentiellement les rémunérations du capital et du travail, sont, pour un peu moins de la moitié, soustraites à leurs bénéficiaires pour financer des usages collectifs : de la défense nationale à la protec­tion sociale, cette dernière représentant la moitié des prélèvements obligatoires (20 à 22 % du P.I.B.). Or, ce taux de prélèvement global est supérieur à celui de nos grands concurrents : Allemagne 40 %, Grande­Bretagne 36 %, États-Unis 31 %, Japon 30 %. Nous ne devons pas accroître cet écart : il y va de la compétiti­vité globale de notre économie.

On ne peut pas non plus augmenter les prélève­ments obligatoires pour d'autres motifs: - parce que l'augmentation des prélèvements obliga­

toires est défavorable à la croissance, donc à l'em­ploi et notamment à l'emploi non qualifié,

- parce que, en période de croissance lente (ce qui devrait être la norme pour les prochaines années), les travailleurs français n'accepteront pas que les fruits de la croissance (c'est-à-dire, en gros, ce qui

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permet la progression des revenus en francs constants) soient, dans leur totalité, affectés au financement d'une protection sociale boulimique : or, c'est ce qui se produit quand, à taux de rembour­sement constant, les dépenses de santé augmentent du double du taux de la croissance du P.I.B.

La solution tendant à transférer une partie ,des charges de l'assurance maladie sur le budget de l'Etat, sans augmenter son déficit, n'est pas non plus opéra­tionnelle car elle suppose que l'on réduise substantiel­lement d'autres dépenses publiques; or, il n'est pas évident que les postes sur lesquels on ferait porter la réduction (logement, éducation, prévention) n'aient pas, sur la santé des Français, un effet positif aussi important que celui des dépenses de soins curatifs qu'il s'agirait de laisser se développer.

b) Le financement complémentaire

Mutuelles et compagnies d'assurances prennent en charge une part croissante, depuis dix ans, des dépenses de santé, à mesure du retrait de l'assurance maladie obligatoire : augmentation du ticket modéra­teur, dépassements des médecins du secteur Il et des chirurgiens dentistes.

Ce développement des assurances complémen­taires n'est pas totalement innocent: - l'assurance complémentaire annihile l'effet de frein

de la dépense souhaitée par l'augmentation du ticket modérateur,

- l'assurance complémentaire à but lucratif (compa­gnies d'assurances) finance les dépassements de tarif et rend donc plus difficile pour l'assurance de base, de faire respecter les dits tarifs par le corps médical,

- l'assurance complémentaire se traduit par des pré­lèvements complémentaires qui certes, sont faculta­tifs mais qui pèsent, au même titre que les prélè­vements obligatoires, sur les ménages et les entreprises,

- enfin, le marché de l'assurance complémentaire, principalement, concerne les soins de ville car l'hô­pital reste encore bien remboursé par l'assurance maladie. Or, plus on dérembourse la médecine de ville, plus on incite les malades à se faire soigner à l'hôpital, c'est-à-dire dans les structures de soins les plus coûteuses et donc, plus on accroît les charges de l'assurance obligatoire.

Le développement de l'assurance complémentaire soulève donc une série de questions qui ne permet pas de la considérer comme une solution qui serait sans répercussions sur l'assurance maladie obliga­toire, sans parler des inégalités qu'elle crée.

c) Le financement direct par les ménages

Les ménages financent 17 % des dépenses de santé mais cette charge directe n'est pas également répartie car elle pèse essentiellement sur ceux qui n'ont pas les moyens financiers ou statutaires de se payer une assurance complémentaire c'est-à-dire sur la fraction de la population qui n'est pas socialement intégrée et financièrement solvable. Plus le ticket modérateur augmente, plus les « exclus » voient leur protection sociale s'amenuiser et plus l'obstacle finan-

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cier à l'accès aux soins grandit et moins l'assurance maladie remplit sa mission de base: l'égalité devant l'accès aux soins.

2. Le défi de l'efficacité

, La France est le troisième pays au monde après les Etats-Unis et le Canada, en ce qui concerne le coût de la santé en pourcentage du P.I.B.: elle copsacre 10 % de son P.I.B. à se soigner contre 14 % aux Etats-Unis et 10 % au Canada. Elle est le premier pays d'Europe: Allemagne 9 % du P.I.B., Belgique 8 %, Royaume-Uni 7,1 %.

L'état de santé des Français n'est pas à la hauteur de son effort financier: il n'est pas meilleur que celui des habitants d'autres pays européens de même niveau de développement que le nôtre. Certes, il n'y a pas de corrélation parfaite entre la dépense de santé par habitant et l'état de santé d'une population dans la mesure où les déterminants de la santé sont pour la plupart extérieurs au système de soins: habi­tudes alimentaires, hygiène collective, climat, loge­ment.

Néanmoins, on constate que notre système de santé manque d'efficience: il est déséquilibré au pro­fit du curatif et au détriment du préventif. Il est cloi­sonné en plusieurs grands secteurs (médecine de ville, hôpital public, cliniques privées) qui développent leurs propres stratégies selon leurs propres finalités, indé­pendamment des besoins de santé de la population, dans une approche plus concurrentielle que complé­mentaire. Cette fracture entre secteurs conduit à un mauvais emploi des ressources humaines et maté­rielles, favorisant les traitements redondants et en définitive la non-qualité. Tous ces gaspillages ont été exposés dans le rapport du professeur Béraud qui a dénoncé le coût de la non-qualité en médecine, les inégalités dans la répartition géographique des acteurs du système de santé comme dans la consom­mation médicale des assurés.

3. Le défi de l'adaptation aux besoins

Bien que coûtant particulièrement cher, notre sys­tème de santé ne sait pas bien traiter des besoins qui existent depuis longtemps mais qui se manifestent plus intensément actuellement, du fait du vieillisse­ment de la population: prévention, accompagnement médico-social des personnes dépendantes et handica­pées. Il a de la peine à faire face aux nouvelles affec­tions comme le Sida, la Toxicomanie ou les soins pal­liatifs.

Pour que notre système de santé et son financeur collectif, l'assurance maladie, surmontent ces défis, il lui faut s'adapter à ce nouvel environnement écono­mique et social, ce qui implique que ses acteurs soient bien conscients des enjeux et déterminés à modifier leur comportement.

Il. - LA RÉFORME DE NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ ET D'ASSURANCE MALADIE

Cette réforme est difficile parce que la sensibilité des Français est grande pour tout ce qui touche à la santé, parce que les intérêts des acteurs divergent et se conjuguent pour maintenir le statu quo, parce que

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notre dispositif sanitaire et financier est opaque et ne permet pas facilement, faute d'informations claires, au décideur politique de trancher.

Si l'on regarde de l'extérieur le système, comme l'ont fait les auteurs du Livre Blanc, il semble que toute réforme, qui ne sera en définitive qu'une adaptation car personne ne souhaite remettre en cause la conquête sociale majeure que constitue l'assurance maladie, doive respecter certaines lignes directrices princi­pales.

On peut en énoncer six d'importance inégale:

a) Nécessité de définir une politique de la santé des Français

Cette politique doit faire sa place à la prévention, se donner des objectifs et des moyens, y compris la définition du panier de biens et services rembour­sables dont la justification médicale doit être garantie par des autorités indiscutables. Il y a trop de médica­ments et de traitements remboursés dont l'efficacité n'est pas démontrée soit qu'il s'agisse d'usages · anciens qui « s'ils ne font pas de bien, ne font pas de mal », soit qu'il s'agisse de thérapeutiques, de maté­riels nouveaux dont le bien-fondé n'a pas été scientifi­quement démontré.

b) Renforcement du rôle du Parlement

Alors que le coût de l'appareil sanitaire dépasse 700 milliards de francs financés aux trois quarts par la collectivité, alors que le financement implique des choix entre fonctions collectives (éducation, défense nationale), il n'est pas normal que du fait de notre constitution et de nos traditions, le Parlement soit absent du débat politique sur le sujet.

c) Clarification des modes de financement

La balkanisation de notre système d'assurance maladie en régimes à base socio-professionnelle, ayant chacun leurs propres ressources, rend confuses les modalités de financement de l'assurance maladie des Français. Il vaudrait bien mieux avoir une assuran­ce universelle, applicable à tous les résidents, dotée d'une ou plusieurs ressources universelles, qu'elles relèvent d'une taxation des revenus du capital et du travail ou de la consommation. Cette assurance uni­verselle n'est pas contradictoire avec le maintien d'un certain nombre de régimes mais elle permettrait de clarifier le débat.

d) Renforcement des moyens d'évalution et d'infor­mation

Il n'est pas possible de gérer un système sanitaire financé collectivement sans informations permettant d'associer la dépense aux soignants, aux soignés et à leurs affections. Des progrès sensibles sont néces­saires: ils permettront d'asseoir des techniques d'éva­luation et d'appréciation qualitative. Ils devront être intégrés dans des programmes de formation initiale et continue du corps médical.

e) Clarification des compétences entre l'État et l'assu­rance maladie

Actuellement, c'est le régime de l'irresponsabilité illimitée permettant à chacun de se « défosser » sur l'autre de la responsabilité de ne rien faire. Il faut sor­tir progressivement de cette confusion : qui fait quoi ? Suivant quelle logique?

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Lesperspectivesdusystè~esanté~~~~~~~~~~~~~~~

f) Renforcement du rôle gestionnaire des caisses d'assurance maladie

Les régimes d'assurance maladie, grâce au systè­me conventionnel, ont commencé à instituer un dia­logue avec le corps médical sur le thème de la maîtri­se médicalisée des dépenses. Il faut que ce dialogue porte ses fruits ce qui suppose des efforts des deux partenaires: - effort de mise à disposition des informations perti­

nentes de la part des caisses, - prise de conscience du corps médical de son rôle

majeur dans cet exercice, s'il ne veut pas se voir imposer de l'extérieur des contraintes plus brutales, voire une mise en cause de certains principes de la médecine libérale.

Les caisses d'assurance maladie sont absentes de la discussion avec les hôpitaux : cependant, elles ont des informations nécessaires pour prendre de bonnes décisions et un corps de médecins-conseils, capables de discuter avec leurs confrères.

Telles sont les lignes directrices qui devraient ins­pirer toute réforme décidée à résoudre les vrais pro­blèmes de notre système de santé et d'assurance maladie.

Le corps médical donne l'impression d'un ensemble de forteresses assiégées par des barbares. Il faut sortir de cette attitude : on n'adaptera pas notre système de santé et d'assurance maladie sans les médecins. La vraie question qui se pose à eux, comme aux autres décideurs, c'est de savoir comment déve­lopper l'efficience de notre système sanitaire, ce qui conduira, en dehors de conséquences favorables pour les patients, à une maîtrise des dépenses de santé ; ceci ne veut pas dire une diminution ou un rationne­ment, mais un choix, démocratiquement exercé, de consacrer à la santé une fraction de la richesse natio­nale, créée chaque année par la croissance écono­mique. Peut-on espérer qu'à l'intérieur de ce choix glo­bal, une attention spéciale soit apportée aux exclus, ce qui ne pourra se faire qu'au détriment de ceux qui sont, actuellement les mieux remboursés, dans le cadre d'une solidarité nationale plus consciente. •

CONSEIL NATIONAL DU C.C.M.F. suite à l'Assemblée Générale

qui s'est tenue à Reims le 15 octobre 1995

Président national pr Marc GENTILINI

Secrétaire national or Marc BOST

Trésorier national

91640 BRIIS-SOUS-FORGES

75008 PARIS

pr Jean-Michel REMY 92380 GARCHES

Membres du conseil national

or Maurice ABIVEN or Paul BARJHOUX

75015 PARIS 73000 CHAMBÉRY

or Michel de BOUCAUD 33000 BORDEAUX Dr Jean-Marie BOUVIER 51100 REIMS pr Christian BREGEON or Didier DEROCHE

49000 ANGERS 37300 JOUÉ-LES-TOURS

or Jean-Paul ESCHARD 51430 BEZANNES or Robert GAYET D' Solange GROSBUIS pr Claude LAROCHE P' Jacques LIEFOOGHE Or Jacques MALBOS or Bernard MASSON Dr Henri SOLIGNAC

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21000 DIJON 92380 GARCHES 75008 PARIS 59700 MARCQ-EN-BAROEUL 72000 LE MANS 10000 BAYEL 66000 PERPIGNAN

Délégué aux régions

or Pierre CHARBONNEAU 75014 PARIS

Conseiller ecclésiastique

Père Jean-Claude BESANCENEY 94550 CHEVILLY-LARUE

Délégués à la F.l.A.M.C. et à la F.E.A.M.C.

or Françoise GONTARD 75015 PARIS Or François BLIN 95470 SAINT-WITZ

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LES URGENCES MÉDICO-SOCIALES

par le D' ESPINOZA (*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

Les urgences sont un observatoire de santé publique : des personnes en situation de précarité sociale, dans leur itinéraire souvent complexe, se pré­sentent fréquemment dans les sites d'accueil Urgences. Nous nous situons également à l'interface entre la médecine de ville et les services hospitaliers spécialisés.

Afin de bien identifier la réponse sanitaire à ces réalités quotidiennes, il est indispensable de décrire avec précision notre expérience : quelles sont ce~ populations ? Quelles sont les modalités pratiques du recours au soins 7 Les décisions médicales et l'organi­sation du soin sont-elles modifiées du fait du contexte social ? La réponse sanitaire est-elle satisfaisante ? Ou faut-il créer un circuit spécifique pour la prise en charge de ces personnes ? Quelles sont les limites de l'action sanitaire aux Urgences ? Quel est le projet médico-social ?

QUELLES POPULATIONS 1

Nous devons identifier plusieurs types de popula­tions, qui posent des problèmes différents, appelant une réponse sanitaire adaptée.

La précarité sociale se traduit dans sa forme extrê­me par le clochard désocialisé qui vit dans la rue depuis 5 ou 10 ans, qui transporte avec lui son sac, couche sous les portes cochères ; la toxicomanie alcoolique est souvent associée. Nous observons avec l'émergence du S.A.M.U. social une forme de prise en charge sanitaire et humanitaire qui tente de trouver un aménagement d'urgence, légitime et indispensable sur le plan humanitaire. Il ne faut pas résumer la pré­carité à cette forme extrême car nous observons tous les degrés de désocialisation. Le chômage et son retentissement psycho-social s'engrenent souvent dans une rupture familiale, une vie à l'hôtel, « un R.M.I. » et des problèmes de santé qui viennent com­pliquer la situation.

Nous avons observé dans les dix dernières années l'émergence, l'accroissement de la précarité dans les grandes villes et ici un phénomène nouveau surgit qui est celui de l'immigration, qui va confiner le patient maghrébin, africain, voire issu de l'Europe de l'Est (polonais, russe ou tchécoslovaque) dans une situa­tion d'irrégularité administrative.

La réponse de soins doit être adaptée mais aucune solution ne pourra être raisonnablement proposée si

(*)Praticien hospitalier, (responsable Urgences - Hôtel-Dieu) 1, place du Parvis Notre-Dame, 75004 PARIS.

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Les urgences médico-sociales ~~~~~~~~~~~--~~--~~~~~~~~~~~~

l'accompagnement dans le sens d'une réinsertion so~iale n'.est pas orQ_a~isé et structuré, si tant est qu'il soit possible. Les hoprtaux et les structures de soins extra-hospitalières sont sérieusement cloisonnés et le patient malade risque d'être une balle de ping-pong entre des structures qui ne se parlent pas ou peu. Le sanitaire et le social vivent dans des cloisonnements budgétaires bien individualisés, qui trouvent leur tra­duction dans la vie quotidienne. C'est l'irruption du papier, de la démarche administrative, des procédures complexes pour « refaire ces papiers » car le vol et l'agression sont souvent plus compliqués que pour la population générale.

Cas particulier, les toxicomanes aux drogues licites ou illicites ... héroïnomanes, cocaïnomanes, alcooliques sévères, posent des problèmes très com­plexes du fait de leur toxicomanie très active qui entraîne fréquemment la marginalisation, une déso­ci a lisation. La vie dans la rue sans domicile fixe s'émaille d'incidents médicaux et d'un recours itératif aux différentes structures de soin, en particulier les sites d'accueil urgences. La prise en charge est com­plexe et impose une étroite relation entre les réseaux de soins hospitaliers et extra-hospitaliers.

Que penser des malades psychiatriques qui déri­vent dans les rues des villes ? La réponse sanitaire et sociale est-elle adaptée aux besoins d'une population qui s'insère difficilement dans le tissu social?

Les personnes âgées, confinées dans l'exclusion par la perte progressive de l'autonomie, la rupture familiale, bénéficient d'une protection sociale mais nous devons développer des structures et réseaux d'accueil et d'accompagnement qui restent insuffi­sants, le vieillissement de la population est une réalité.

LE RECOURS AUX SOINS

Les patients en situation de précarité vont inter­peller l'hôpital public pour des pathologies très diver­sifiées. Dans notre pratique quotidienne, toutes les filières de soins sont susceptibles d'être concernées par ce patient malade gui présente de_s pathologi_es très diverses : pulmonaire, dermatologique, psychia­trique, cardiaque, diabète. La pat~ologie ~< ~u pied » témoigne de l'errance de populations qui sillonnent les villes.

La situation impose parfois l'intervention de l'as­sistante sociale dans un contexte d'hospitalisation d'urgence ; dans tous les autres cas il faut profiter de ce temps de contact pour ~valuer la situation so~iale et agir au cas par cas. Il n'existe pas une pathologie spé­cifique de cette précarité sociale : ces patients sont susceptibles d'être hospitalisés aussi bien en réani~a­tion, en chirurgie pour une fracture ou, un abcès, voire en pneumologie, car la tuberculose, frequente dans ce contexte de marginalité, nous impose une mise en veille permanente pour déclencher des mesures de prévention indispensables.

FAUT-IL UNE FILIÈRE SPÉCIFIQUE POUR CES PERSONNES ?

La pratique des urgences nous montre que nous ne devons pas identifier une consultation à deux

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vitesses. Ces patients qui arrivent aux urgences doi­vent être pris en charge comme tout citoyen. Il est vrai que l'odeur, le comportement, une agressivité poten­tielle, une alcoolisation excessive, une toxicomanie active, vont compliquer aussi bien la tâche des soi­gnants que des autres malades ou leur famille, qui séjournent à l'accueil urgences. Il s'avère cependant indispensable que la rupture sociale ne s'insère pas dans la vie quotidienne aux urgences. Il est nécessaire qu'un véritable projet médico-social voie le jour dans chaque hôpital lorsque l'urgence médico-sociale est constatée sur le site d'accueil, c'est un objectif de santé publique.

La situation particulière des malades mentaux mérite une réflexion car la fermeture progressive des hôpitaux psychiatriques risque d'exclure, de rejeter dans la rue ceux qui ne pourront trouver un lieu de vie adapté.

UN PROJET MEDICO-SOCIAL POUR L'HÔPITAL

Le recours aux urgences conduit toujours à une réponse sanitaire mais nous devons être critiques à l'égard de notre action : cette réponse est-elle toujours adaptée ? Lorsque l'hospitalisation s'impose, elle est quasiment toujours réalisée, parfois difficilement car trouver une place dans l'hôpital dans ce contexte est parfois difficile mais la réponse finit toujours par être adaptée. En revanche, de nombreux patients présen­tent des pathologies nécessitant un suivi en consulta­tion spécialisée ou une hospitalisation de jour ou de semaine et c'est dans ce cadre que la prise en charge n'est pas toujours adaptée. Lorsqu'il n'y a pas de domicile, que les papiers sont perdus, que la physio­nomie du patient n'est pas très accueillante, il devient difficile d'organiser le suivi médical. C'est la mission du service public d'organiser des consultations médi­co-sociales qui devront à l'exemple de la consultation Beaudelaire de !'Hôpital Saint-Antoine réintégrer le patient dans un circuit social et sanitaire le plus proche possible de la normale.

QUELLES SONT LES LIMITES DE L'ACTION AUX URGENCES 1

Il est vrai qu'à travers les siècles, les plus indi­gents ont souvent été hébergés dans l'hôpital public. Qu'en est-il en 1995 ? La maîtrise des dépenses de santé, l'hyperspécialisation hospitalière, le dévelop­pement économique et social, ont conduit à une modernisation de l'hôpital public qui, de fait, risque d'exclure les plus pauvres, les pll;JS indig~nts, les P!Us marginaux. Nous avons le devoir au sem du servi.ce public de prendre en compte ces personnes, de faire respecter leur dignité humaine. Cette action sanitaire aux urgences se heurte cependant à des limites. Est­ce le rôle de l'hôpital et des urgences d'assurer une fonction d'hébergement ? de douches ou de toil.ettes publiques ? de restaurant du cœur ? Il est vrai que dans la vie quotidienne, et notamment pendant la nuit, l'infirmière, le médecin de garde font souvent cette « Bonne Action », qui est légitime sur le plan humanitaire. Il est clair que ces actions seront ponc­tuelles et qu'il est indispensable que tous les relais

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sociaux dans la ville : lieu d'hébergement d'accueil urgences, lieu de repos, lieu de vie quotidienne, cir­cuit de réinsertion sociale, soient développés et que ta communication entre les circuits sociaux et le réseau hospitalier soit bien organisée. Nous devons poursuivre les efforts dans ce domaine dans le parte­nariat.

UN ITINÉRAIRE COMPLEXE

Chaque personne en situation de précarité sociale nous confronte à un itinéraire, une histoire dont la complexité ne pourra pas être résumée en quel­ques minutes d'entretien. Lorsqu'une personne tombe dans une précarité profonde, l'histoire s'est souvent échelonnée sur plusieurs années : quels seront alors la volonté, le désir du patient pour faire ce chemin inverse ? La réintégration sociale ne peut passer que par une procédure inverse toujours complexe. La pré­carité sociale existe, les soignants y sont confrontés, les limites de notre action aux urgences, dans l'hôpi­tal, sont certaines. La maladie est cependant fréquente ·et nous avons le devoir d'être organisés pour apporter une réponse.

LES URGENCES : UN OBSERVATOIRE DE SANTÉ PUBLIQUE

La précarité sociale nous donne une illustration caractéristique du rôle d'observatoire. Entre la ville et l'hôpital, nous vivons, nous développons des actions de soins au contact d'une population qui est représen­tative du monde des années 1990. L'irruption de l'im­migration, la crise sociale, le chômage trouvent leur traduction quotidienne dans notre pratique de soin. Une réponse adaptée est nécessaire. Elle impose nécessairement un décloisonnement entre les struc­tures de soins extra-hospitalières et le réseau de soin hospitalier: c'est une mission de service public.

Nous avons besoin dans la vie quotidienRe de réponses pragmatiques: création de postes d'assis­tantes sociales aux urgences, formation des person­nels soignants, création de consultations médico­sociales, décloisonnement entre l'hospitalier et l'extra-hospitalier, développement d'actions sur des thèmes précis : alcool, drogue, psychiatrie, héber­gement, SAMU social, prise en charge des personnes âgées ... Définir un projet médico-social aux urgences et dans l'hôpital c'est la réponse adaptée à cette réalité de santé publique. •

Le prochain numéro de la revue « Médecine de l'Homme » de MARS/AVRIL 1996 - N° 222, aura pour thème:

LA SOUFFRANCE MORALE

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LE COLLECTIF SANTÉ

par les D' Gérard DEGY (*) et France RUÉ (**)

. Le collectif santé est né en 1991 d'une initiative de l'Eglise réformée de Reims pour rassembler les diffé­rentes associations rémoises à vocation sociale : L'Armée du Salut. A.T.D. Quart Monde, Entraide protestante. - Foyers d'accueil et d'hébergement: foyer Jamais

seul, foyer Princet et Ozanam, foyer Noël. - Le MARS, Mission locale pour la jeunesse, Retour à

Reims. - Conférences Saint Vincent de Paul. Secours

Catholique. Secours Populaire, Solidarité nouvelle, Secrétariat diocésain à la solidarité.

LE BUT : faire progresser la politique sociale du département et en particulier l'accès aux soins des personnes défavorisées.

Ces différentes associations vivaient et vivent encore au quotidien les difficultés des personnes démunies, confrontées aux problèmes de santé et aux difficultés de prises en charge des frais médicaux. Comme vous le savez la constitution du dossier per­mettant d'obtenir l'A.M.G. n'est pas simple, demande du temps, des démarches que les familles ne peuvent pas toujours faire seules.

Le dossier déposé au C.C.A.S. est transmis au département, la réponse se faisant dans les 6 mois, sauf procédure d'urgence.

L'accord de l'A.M.G. supposait ensuite d'aller cher­cher à chaque fois un bon du C.C.A.S. pour chaque consultation auprès du praticien. Depuis 4 ans cepen­dant, il n'est plus nécessaire de présenter un certificat médical préalable pour obtenir ce bon.

Lors d'affections inopinées, il arrive que les patients n'aient pas de bons, et le médecin doit soi­gner en espérant voir venir ce bon ultérieurement. Si le patient est d'un autre département, les chances du médecin sont pratiquement nulles.

De toute façon, ce bon permettra au médecin de recevoir ses honoraires au moins 3 mois plus tard ... pour les malades de son département.

Il s'agit donc d'une procédure lourde, et volontiers dissuasive pour le patient comme pour le médecin.

Mais cependant, depuis les circulaires de Monsieur Philippe Seguin, ministre des affaires sociales en 1988, un net progrès a été réalisé au C.C.A.S. et dans les caisses d'assurance maladie, quant à l'accueil des personnes démunies, et l'octroi de bons en urgence.

(*) Médecin d'A.T.D. QUART MONDE à Reims. (**)Médecin-conseil à la Sécurité sociale de Reims.

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Il n'en demeure pas moins que l'application des lois, décrets, et circulaires ministérielles reste comme toujours très dépendante de la motivation des per­sonnes qui doivent l'appliquer.

Et ceci explique la grande disparité d'un départe­ment à l'autre dans ce domaine et dans l'accès aux soins des plus pauvres en particulier.

Environ,60 % des départements ont opté pour la carte SANTE.

Il y a 7 ans, le département de la Marne avait opté pour le remplacement des bons d' A.M.G. individuels pour chaque acte par des lots de vignettes distribuées par le C.C.A.S. aux familles et à coller sur les feuilles de soins de la Sécu par le praticien. Celui-ci était hono­ré par la C.P.A.M. à la réception des feuilles de soins. Le département remboursait le ticket modérateur à la Sécu.

Après un an de fonctionnement, le département a refusé de poursuivre cette initiative qui pourtant facili­tait les démarches des bénéficiaires.

Le collectif santé de Reims a donc essayé de faire à nouveau évoluer la situation en intervenant auprès des conseillers généraux, puisque ce sont eux les payeurs donc les décideurs.

~ous avons recensé autant que possible les besoins des personnes démunies à Reims : - 26 % ont l'A.M.G., - 5 % ont des dettes envers l'hôpital, - 1~ % ne se font pas soigner du tout en cas de mala-

die, par manque de moyens.

La J?l.upa.rt se font soigner trop tard, ou très mal (ex : ut1hsat1on de la G.U.R. par les familles Quart Monde).

Beaucoup d'enfants ne sont suivis et soignés que par la P.M.I. hebdomadaire du quartier.

. L~ loi d_u 29.07.91 était supposée améliorer la s1tuat1on puisqu'elle comporte: 1° L'a~mission de pleins droits à l'A.M.G. pour les

Rm1stes. 2° !-'admission de pleins droits à l'A.M.G. pour les

J~Un~s 1?-25 ans qui remplissent les conditions d attribution du R.M.I. sans application des règles de l'obligation alimentaire.

3° L'agré~ent possible d'association reconnue par le conseil général et la préfecture pour instruire et transmettre les dossiers d'admission à l'A.M.G.

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4° La possibilité de déléguer à la C.P.A.M. la gestion de l'aide médicale.

Le collectif santé est donc intervenu auprès du Conseil Général et de la Préfecture pour connaître les modalités d'application de cette loi.

On peut dire en 1995 que seule l'admission à I' A.M.G. des Rmistes est appliquée dans la Marne.

Le collectif santé ayant rencontré le président du C.A. de la C.P.A.M. de la Marne, celui-ci était prêt à assurer la gestion de I' A.M.G. si le Conseil Général acceptait une convention dans ce but- une carte santé pouvant remplacer les bons d' A.M.G. dans les plus brefs délais. Ceci se passait en décembre 92. La situa­tion est au même point aujourd'hui. - Or au C.C.A.S., il est actuellement délivré 14 200

bons d' A.M.G. par an, ceci représente des frais de gestion importants et une perte de temps considé­rable sans parler des contraintes physiques parfois insupportables pour les usagers.

- Sur notre demande la CPAM a fait une enquête sur l'aAide médicale légale actuelle en France. Il y appa­rait que dans les départements qui utilisent la carte sante (60 %), on observe une augmentation initiale et temporaire des dépenses de santé qui corres­P,0!1d à l'augmentation du nombre des bénéfi­c1a1res.

Dans cette enquête, il apparaît aussi que : - un assuré social avec sa famille obtient en moyenne

un remboursement de 4 820 F par an. - un bénéficiaire de l'A.M.G. (assuré + famille) pro­

voque un remboursement de 1 706 F par an.

Ces chiffres se passent de commentaires. Il s'agit bien d'une médecine à deux vitesses.

Enfin grâce à l'intervention d'une personne de notre collectif santé, nous sommes parvenus à obtenir 9ue le~ .b~ms d'A.M.~. toujours individuels puissent etre utilises pour plusieurs actes dans les limites des dates d'adl'!li.ssion à l'aide médicale. (Encore faut-il que les prat1c1ens le sachent et qu'ils acceptent de gar­der dans le~rs dossiers les bons d'A.M.G. encore utili­sables plu~ot que les envoyer aussitôt à la D.D.A.S.S. pour se faire reg Ier ... 3 mois plus tard).

Al} tot~I, guel p~r~ours laborieux pour un modeste progres s1 ,utile so1t-1I ! Quel}es inégalités en France selon les departements pour 1 accès aux soins des plus ~w~I •

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LES RELAIS SANTÉ DU SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS DE REIMS

par le P' Jean-Jacques ADNET (*), le D' Édouard GARBE (**), et Mm0 Nicole CORNU (***)

Le Secours Populaire Français fut créé en 1945 par des prisonniers revenus des camps qui décidèrent d'aider les enfants de ceux qui furent victimes de la barbarie nazie. Il fête cette année son cinquantenaire et a toujours eu une action dominante vers les enfants (Pères Noëls Verts, oubliés des vacances et séjours d'été dans des familles d'accueil).

Ces actions sont complétées par l'aide alimentaire (89 millions de repas en 1994 pour 1 200 000 bénéfi­ciaires). Parmi les actions nationales et internatio­nales, le domaine de la Santé tient également aujour­d'hui une large place.

La Fédération de la Marne qui a pris en charge 2 200 familles (dont 1 600 à Reims) et compte 1 200 bénévole~, développe depuis octobre 1993 les« Relais santé » : A l'initiative de Mmo Patricia Le Corvic, secré­taire départementale, chaque vendredi de 16 heures à 18 heures, un médecin et une infirmière accueillent les demandeurs d'aides dans le domaine sanitaire et éga­lement souvent social. Les 3 ou 4 consultants en été, 8 à 10 en hiver, sont essentiellement des jeunes sans ressources et sans «carte santé» dans la Marne, des familles très démunies qui amènent leurs enfants, enfin les sans logis, les« S.D.F. »qui saisissent l'occa­sion d'une aide alimentaire pour venir au relais santé exposer leurs problèmes.

L'analyse statistique (Or E. Garbe) concernant les motifs de consultations, les pathologies relevées (où dominent nettement les infections O.R.L. et respira­toires, les grippes, les troubles digestifs, les parasi­toses et ... l'angoisse) et les médicaments distribués, vont faire l'objet d'une thèse de médecine (B. Thiery).

Si des soins plus adaptés sont nécessaires, les consultations ou hospitalisations sont organisées et nous devons signaler les excellents rapports ~vec le~ services du C.H.U., également avec le centre d accueil des toxicomanes de Reims et avec le centre d'hygiène

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alimentaire de la rue Libergier - nos « corres­pondants » habituels. De même un certain nombre de spécialistes ou de dentistes du secteur privé, volon­taires pour ce type d'accueil ont toujours répondu « présent » à nos sollicitations.

Pour les médicaments, l'aide de « Pharmaciens sans frontière » de Reims mérite d'être signalée et dans le domaine bucco-dentaire, l'Union Française de la Marne a soutenu considérablement nos actions.

Ces relais hebdomadaires ont été complétés durant les deux derniers hivers par le déplacement une fois par semaine d'un médecin dans « le camion » d'alimentation du S.P.F. et par des actions sur place de dépistage du S.l.D.A. en liaison avec le service de Dermatologie du C.H.U. (Pr B. Kalis). L'équipe médica­le de Reims participe également au tri de nombreux médicaments déposés au S.P.F., qu'elle confiera à « Pharmaciens sans frontière » ou bien expédiera selon les besoins de l'actualité (par exemple nos der­nières expéditions au Burundi ou dans l'ex­Yougoslavie). Nos actions nationales ou internatio­nales (mission) sont coordonnées par le Secours Populaire Français National.

Ajoutons pour terminer que l'équipe des méde­cins du Secours Populaire Français est particulière­ment motivée pour participer aux côtés des 11 autres associations au « collectif action sociale » réuni régu­lièrement autour de M. Michel Faure au Presbytère protestant, rue Camille-Lenoir, en particulier pour l'obtention de la Carte Santé dans la Marne. •

(*) Cythopathologue. Professeur au C.H.U. de Reims. . (**) Statisticien (retraité) au Centre anti-cancéreux Godmot à

Reims. (***) Infirmière •

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LE QUART MONDE

Pour un médecin généraliste, les personnes qui vivent en situation de grande pauvreté sont souvent des personnes qui dérangent, qui introduisent la com­plexité, qui mettent en échec. En bref, ce ne sont pas des clients faciles.

Ces personnes dérangent par leur difficulté à res­pecter des horaires, mais tant d'événements bouscu­lent sans cesse leur vie, ne les laissant pas libres de l'organisation de leur temps.

Elles introduisent la complexité car leurs deman­des de santé sont multiples, faute d'avoir pu les expri­mer au fur et à mesure en confiance.

Elles mettent en échec le médecin, car d'autres urgences priment sur les soins, leur continuité, leur suivi. Plus encore, parce que leur santé dépend bien plus de l'amélioration de leurs conditions de vie et de leur environnement que de la réussite de soins de santé.

Ce ne sont pas des clients faciles car leurs deman­des dépassent les compétences techniques médicales habituelles.

Choisir de cheminer avec des familles ballottées par la misère, ce n'est pas de tout repos, c'est même usant, au point de décourager les médecins qui en font l'effort. Ceux qui malgré tout refusent d'oublier ces familles y puisent une autre façon d'appréhender la santé, au rythme de leurs patients, de la révélation progressive de leurs préoccupations, de leurs incom­p ré h en si o ns ... Ils sont bien obligés d'inventer ensemble un autre mode de relation, où le savoir aca­démique doit se renforcer de la découverte des

par le D' DEBIONNE (*)

logiques de survie, où la confiance aveugle dans la médecine doit laisser la place à l'action commune.

Pour le médecin généraliste, vouloir tirer de l'oubli le Quart Monde conduit d'abord à l'écouter, à décou­vrir avec lui ses aspirations, à comprendre que l'appel qui lui est lancé n'est pas seulement:« Soignez-moi» mais aussi : cc Agissez pour que la misère disparaisse afin qu'elle ne continue pas à ravager ma santé et celle de mes enfants».

Oui rencontre les familles les plus pauvres prend conscience des inégalités sociales de santé. Oui entend les aspirations du Quart Monde s'efforce d'ins­crire son action dans un ensemble plus vaste, apte à faire reculer la misère.

Le type de regard sur les personnes conditionne l'action qui les concerne : tant que les plus pauvres sont considérés comme des malades dont il faut éti­queter les maux pour déclencher des réponses spéci­fiques, les résultats ne peuvent qu'être décourageants. En revanche, quand les mêmes personnes sont consi­dérées comme les premiers acteurs de leur santé, s'ef­forçant avec les moyens qui sont à leur portée de vivre le mieux possible, alors des points d'appui communs a~x populations, aux professionnels et aux élus appa­raissent, sans constituer des réponses magiques mais des ouvertures pour un faire ensemble. Sans volonté ~e compréhension de la vie des gens, sans identifica­tion de leurs propres efforts, sur quelle action commu­ne pourrait-on déboucher 7 •

(*) Médecin généraliste à Strasbourg .

LES RÉSEAUX VILLE-HÔPITAL

Vers la fin des années 80, un certain nombre de professionnels de santé, médecins et non médecins se sont réunis pour réfléchir à une meilleure prise en charge des patients séropositifs au V.l.H.

Ces patients, jeunes pour la plupart, encore s!igmatisés comme appartenant à des groupes dits à risques, se trouvaient écartelés entre différents ser­vices hospitaliers et souvent rejetés par la médecine de ville. Quelques médecins et soignants se trouvaient submergés, la communication avec l'hôpital était très difficile, la continuité des soins presque impossible.

Ainsi, sont nés les Réseaux Ville-Hôpital, soutenus par une circulaire de la Direction Générale de la Santé et de la Direction des Hôpitaux, aidant financièrement la création de ces structures.

Certains Réseaux Ville-Hôpital prennent en charge également des patients atteints d'autres pathologies lourdes et se sont naturellement ouverts à la popula-

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par le D'Anne VELLAV (*)

tion toxicomane, particulièrement marginalisée et souvent exclue de l'accès aux soins. . Ils on! permis d'intég~er et de former des profes­

sionnels isoles, souvent insuffisamment formés de mettre à leur disposition, outre un carnet d'adresses adapté, un lieu perpétuel de formation et d'échanges.

Le patient remis ainsi au centre d'un dispositif plu­ridisciplinaire peut bénéficier d'une continuité de s~in:; entre l'hôpital ~t laA ville et réciproquement et ams1 autant que possible etre maintenu dans son lieu d'habitation lorsqu'il en a un.

Les réseaux sont un lieu d'élaboration d'un savoir­f~ire ~om~un, access~ble à tous, dont l'objectif est 1 an:iéhorat1on ~e la prise en charge médico-psycho­soc1ale des patients. •

(*) Médecin coordinateur du réseau Ville-Hôpital Paris Rive Gauche, 119, rue d'Alésia 75014 PARIS.

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LE SECOURS CATHOLIQUE

Le Secours Catholique, service d'Église, est un lieu d'accueil, d'écoute, d'aide: - Aide matérielle. - Aide dans les démarches. - Soutien dans les périodes difficiles. - Aide pour se prendre en charge et sortir du marasme.

Le Secours Catholique a aussi une action institution­nelle en agissant sur les structures, en alertant l'opi­nion et les organismes responsables.

Pour accomplir notre mission, il y a différents ser­vices à la Délégation de Reims dont j'expliquerai sur­tout le rôle par rapport à la santé.

D'abord les ENFANTS : pendant un mois ou plus, en été, des enfants partent dans des familles d'accueil qui décèlent souvent des déficiences dues aux carences ali­mentaires, une mauvaise hygiène, un manque de soins.

Dans certains cas, la famille d'accueil, sans se substituer aux parents, peut intervenir (dans le cas, par exemple, de caries dentaires).

Les bénévoles chargés des accueils familiaux connaissent les familles et peuvent agir auprès d'elles en faisant des démarches ensemble, en essayant de rendre la famille acteur de sa propre santé, en signa­lant les faits constatés avec la solution possible, sans jamais juger ...

Il y a parfois la découverte de sévices plus graves et une action sociale est alors entreprise.

Les bénévoles qui s'engagent dans l'accompagne­ment scolaire vont au domicile de l'enfant. Des rela­tions s'établissent avec les parents qui deviennent réceptifs à certaines données concernant l'hygiène, le bruit, la santé.

Les jeunes et les enfants accueillis par le Secours Catholique présentent de multiples ~ymptômes ~e dégradation de leur état de santé (dent1t1on, vue, ou1e, hygiène corporelle).

Il faudrait instituer, en milieu scolaire, une visite médicale annuelle et un véritable suivi pluriannuel avec action éducative et informative du médecin vis-à­vis de la famille. Il faudrait renforcer les effectifs et les moyens de la médecine scolaire, sui:tout ~ar:is les éta­blissements des villes et quartiers defavorises.

LES ADULTES : Quatre fois par semaine, des per­sonnes sont reçues à l'accueil d'urgence. Beaucoup, bénéficiaires du Revenu Minimum d'insertion, igno­rent leurs droits à l'aide médicale.

Faute de pouvoir consulter, les rhumes, bronchites traînent et dégénèrent ...

Les accueillants dirigent vers les services compétents ou vers la permanence médicale du mardi et du vendredi.

Il nous est arrivé de payer les médicaments indis­pensables à des personnes démunies qui sortaient de l'hôpital avec une ordonnance.

Mais la population la ~lus fragile est s9rem.en~ le~ sans domicile, sans travail, sans occupation livres a toutes les tentations de la rue.

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par Mm0 Andrée LAURENT (*)

Deux fois par semaine, le mardi et le vendredi matin, le Secours Catholique, reçoit les sans-abri, pour un repas, des vêtements, des douches, produits d'hy­giène, mais aussi une permanence médicale.

7 médecins constitués en association se relaient. 2 cabinets ont été aménagés et une infirmière assure les soins.

Médecins et infirmière écoutent, soignent, dirigent vers les services et travaillent en collaboration avec les éducatrices de rue, présentes aux permanences.

Les maladies les plus courantes: troubles circula­toires, surtout des membres inférieurs, avec souvent des complications dermatologiques ; maladies respi­ratoires, rhumatismales, digestives.

Des rendez-vous sont pris avec l'hôpital pour des examens ou une entrée éventuelle et le suivi est assuré.

Les problèmes dentaires sont nombreux. Beaucoup souffrent du manque de soins pour la vue. L'obtention de prothèses et de lunettes est difficile 1

De plus en plus de jeunes, garçons et filles, fré­quentent nos permanences et la drogue fait des ravages parmi cette population. Ces jeunes cumulent plusieurs handicaps : la rupture familiale, l'errance, l'isolement, le manque de soins.

Les médecins ont un rôle d'écoute, de conseil, donnent des substituts en médicaments, soignent les maladies, informent ... Il faut parler des risques encou­rus, du sida, de l'hépatite B, des dégâts de la drogue sur la santé physique et mentale ... Mais ils se trouvent démunis quant à la résinsertion sociale.

Les éducatrices prennent le relais, cherchent à éta­blir un projet avec le jeune quand la, c~nfi~nce est .ins­tallée, puis cure et p_ost-cure. Il f~u~ ev1ter a tout p~1x le retour à la rue apres la cure d ou tout un travail de contacts. Le médical et le social sont intimement liés.

Le cheminement avec la personne est long, ardu et les efforts entrepris ne sont pas forcément couron­nés de succès.

Mais les personnes en difficulté savent qu'elles peuvent venir, qu'elles seront soignées, soutenues, non jugées ...

Le but ce n'est pas de les maintenir dans une situa­tion d'assistanat; c'est de les inciter à sortir du systè­me d'exclusion, à aller voir un médecin de quartier ... D'où la nécessité d'un partenariat avec les médecins de ville car certains refusent de recevoir des per­sonnes bénéficiant de 1 'A.M.G.

La drogue, l'alcool sont vraiment des fléaux c~ez les jeunes, qui se donnent des adresses. ~ertams disent : « On se débrouille à Châlons pour avoir tout ce qu'on veut». Il manque des structures spécialisées pour les soins et la réinsertion.

Le Secours Catholique travaille avec d'autres dans le Collectif Santé.

C'est vrai que certains seront toujours.« assistés » mais nous voulons, avec nos moyens, améliorer la qua­lité de vie des personnes souffrant des inégalités sociales, ayant de graves répercussions sur leur santé. •

(*) Bénévole.

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LES PERSONNES ÂGÉES

par le D' Claude TRUCHET {*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

Dire des personnes âgées qu'elles font partie des oubliés de la Médecine en France n'est pas exact. C'est même une mauvaise analyse car personne ne peut imaginer qu'elles risquent un jour d'être privées de soins et encore moins de disparaître aux yeux des médecins. Il suffit de considérer le poids économique des plus de 65 ans dans une clientèle médicale pour en être convaincu.

Il en est de même dans notre société occidentale, aujourd'hui, où du seul point de vue démographique, les personnes âgées ne peuvent être oubliées et cela pour des raisons simples :

La première est l'existence d'un pouvoir d'achat propre aux plus âgés qui se nourrissent, s'habillent, utilisent des biens courants et s'offrent des loisirs. La généralisation des systèmes de retraite concourt à cette situation qui empêche de considérer les vieillards comme économiquement stériles. Au contraire, ils sont« intéressants». On peut donner un argument mesurable; c'est l'importance des sollicita­tions commerciales par le canal de la publicité à l'at­tention des jeunes et moins jeunes retraités.

Une deuxième raison, c'est la gestion parfois diffi­cile des systèmes de retraites et la prise en charge tou­jours plus lourde des problèmes de santé qui ne per­mette nt pas de considérer les personnes âgées comme économiquement muettes.

Politiquement, il suffit d'écouter même distraite­ment, les déclarations pré-électorales pour se rendre compte que les personnes âgées ne sont pas les oubliées du discours. Il serait facile d'ironiser: un vieillard ... une voix ...

En vérité, même si les mesures en faveur des plus âgés ne progressent pas aussi vite que souhaitable, on ne peut nier qu'elles existent et répondent à des demandes précises dans la réalité. L'actualité récente avec la mise en place de « la prestation autonomie » d'un coût annuel voisin, dit-on, de 14 milliards de francs, montre que 700 000 personnes âgées dépen­dantes ne sont ni politiquement, ni économiquement, ni socialement oubliées.

De fait, des services existent partout en France, pour que les vieillards ne soient pas oubliés dans la cité. Ici, à Reims, le Centre Communal d'Action Sociale a édité un répertoire et dans l'édition 92/93, on peut vérifier qu'il n'existe pas moins de 70 Associations ou Services qui proposent aux plus âgés une assistance technique ou morale pour les aider matériellement, les accompagner humainement et éviter l'exclusion.

(*) Généraliste à Reims.

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Les personnes âgées--------------------Si oublier, c'est perdre le souvenir ou négliger, on

ne peut donc pas dire que les Personnes Agées sont oubliées. Pourtant en première ligne, le Médecin Généraliste constate encore trop souvent que malgré le nombre et la qualité des aides offertes à son malade âgé, l'inadéquation entre les problèmes posés et les solutions possibles reste importante.

Un seul exemple parmi d'autres: il concerne le retour et le maintien à domicile.

Après une hospitalisation, les malades âgés vivant seuls posent souvent à leurs enfants ou à leur méde­cin-traitant le difficile problème d'un retour à domicile hâtif voire prématuré. L'organisation d'un environne­ment efficace et sûr, et la mise en place d'une équipe d'intervenants médico-sociaux est théoriquement possible. Dans la pratique, le succès n'est pas toujours garanti.

Pour illustrer le propos, voici l'observation abré­gée mais récente d'une malade qui vivait dans un quartier voisin de celui-ci.

Il s'agit d'une petite femme mince et dynamique de 73 ans, veuve depuis longtemps d'un mari qui lui a fait cinq enfants quand il n'était pas en prison. Elle vit seule par souci d'indépendance et elle semble l'objet d'une véritable vénération de la part de ses enfants dont elle a des visites très fréquentes. Elle même tient porte ouverte au sens propre et au sens figuré et elle reçoit régulièrement quelques malheureux du quartier à qui elle offre des cigarettes, un verre de vin et/ou un bol de soupe. Elle aussi, fume beaucoup : entre 20 et 30 cigarettes par jour depuis l'âge de 13 ans. Elle n'a peur de rien : elle a un cancer du sein qu'elle a refusé de faire opérer. Elle a fait deux infarctus du myocarde, un ulcère gastro-duodénal. Elle soigne également une hypertension artérielle, une artérite et un diabète. Elle ne ferme jamais sa porte à clé : «j'ai pas peur ... J'ai un pétard sous mon oreiller ... regardez, il est chargé ... ayez pas peur je sais m'en servir». Sa grande préoc­cupation est de ne pas « em ... embêter ses enfants», quand elle sera vieille.

Récemment, elle a fait un accident ischémique cérébral dont elle récupère avec des séquelles. A l'is­sue d'une première hospitalisation, elle est sortie avec le commentaire suivant: « ... patient tout à fait auto­nome mais qui présente des troubles comportemen­taux. Le maintien à domicile étant impossible, une prise en charge par la famille est nécessaire ».

Lettre du Chef de Service quelques jours plus tard: cc ... une tentative de sortie a été envisagée mais n'a pas dépassé 24 heures. Nous en revenons donc absolument au même point ... je crois qu'il n'y a rien à attendre de son environnement».

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Nouvelle lettre, quinze jours plus tard: « ... nous avons pu obtenir un passage en moyen séjour. Il semble qu'elle ne puisse continuer à vivre seule. Elle a toujours été un petit peu singulière».

Aux dernières nouvelles, cette malade est bien dans un service de moyen séjour ; elle se déplace un peu, avec de grandes difficultés. Elle fait des chutes, elle est incontinente, parfois incohérente et agressive. Dans certains moments de lucidité, elle menace de se suicider.

Cette observation est très banale, cette pauvre femme est-elle une oubliée de la médecine ? Sûrement pas si l'on considère ce qui a été fait médi­calement pour elle. Peut-être oui, si on pense que l'ou­bli, c'est aussi l'imprévoyance, le refus de s'informer et les conduites d'évitement de ses proches et des soi­gnants qui l'ont prise en charge. On ne peut reprocher à cette vieille dame d'avoir été imprudente, d'avoir refusé les conseils de prévention.

On ne peut reprocher à ses enfants d'avoir préjugé de leurs possibilités quand ils ont essayé de la reprendre avec eux. Peut-être auparavant avaient-ils oublié eux-aussi qu'elle était imprudente, qu'elle était âgée et qu'elle était malade.

Et la Médecine qui l'a tirée d'affaire quand elle était si mal, ne l'a-t-elle pas oubliée en la laissant au désarroi des siens? A-t-elle oublié ce que cette femme était devenue et ce qu'elle pouvait faire désormais ? A-t-elle oublié qu'elle avait soigné une malade et pas seulement une maladie ? Et a-t-elle pensé que c'était oublier sa patiente que de négliger son devenir?

En matière de conclusion, je vous lirai deux courts extraits d'un texte de Guy Bezzina qui s'appelle « un cœur grabataire» :

« Ça lui est arrivé un matin d'été. Il nettoyait l'allée du jardin car ses petits-enfants allaient venir. Sa main droite était devenue inerte, il sentit que quelque chose n'allait pas. Aux services des Urgences, il a longtemps attendu. Depuis ce jour, il s'est mis à attendre comme d'autres se mettent à peindre, à voyager, à lire et à vivre. Prisonnier des barrières de son lit, il attendait, attendait ... »

« Et nous, nous sommes passés - peut-être - à côté de ce cœur grabataire. Nous avons soigné ses escarres avec compétence, en oubliant, peut-être, cette plaie au cœur qui ne demandait que l'onguent d'un mot chaleureux. Nous avons passé des nuits à équilibrer nos comptes et nous avons oublié - _Peut être - que l'équilibre essentiel de la vie de nos prison­niers était réduit en miettes de larmes muettes à quelques pas de notre bureau». •

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~

HOMELIE prononcée par Monseigneur Gérard DEFOIS <*)

au cours de la messe célébrée en la basilique de Reims, le samedi 14 octobre 1995

Chers Amis, Chrétiens mes Frères,

Les textes de la messe n'ont pas été choisis par vous. Ce sont ceux que la liturgie prévoit pour le 28• dimanche, selon le missel romain. Et ils rencontrent de front les préoccupa­tions de votre Congrès.

En effet, ils parlent de la maladie la plus radicale de la société d'alors: la lèpre. Réputée inguérissable et surtout contagieuse, elle condamnait tout homme, qu'il fut roi, géné­ral ou mendiant, à être exclu de la communauté. Elle était une impureté qui ne pouvait venir que du péché ; selon les traditions, elle était la figure primordiale du mal, de la des­truction du corps et de la famille humaine. En elle se ren­contraient la déchéance physique, l'impureté, le péché et l'exclusion. La communauté devait rejeter le malade, l'ou­blier et l'abandonner à sa logique de mort, tant corporelle que sociale.

Le païen Naaman n'était qu'un étranger, les lépreux de l'Évangile n'étaient que des errants : et le prophète annonce à un païen que son Dieu, celui du peuple élu, le guérit ; et Jésus éprouvant de la compassion lui aussi guérit ces ombres sans domicile fixe. Ces hommes, si loin qu'ils fussent de la vérité, découvrent le salut en apercevant le Dieu de la vie, qu'ils soient païens ou, pire, Samaritains. Pour l'un comme pour les autres, la parole de Dieu ouvre à la réintégration sociale et à la santé du corps. Leur reconnaissance de Dieu va de pair avec la guérison et le retour à la vie commune.

Ce faisant, le prophète et Jésus entendent rompre la logique de l'exclusion en refusant les explications du mal, j'allais dire les justifications, par le péché et la culpabilité. Toute guérison évangélique s'accompagne d'un acte de foi et donc d'une libération du cycle infernal de la culpabilité. C'est le goût du salut et le pain de la réconciliation qui bri­sent les chaînes de l'impureté et de la culpabilité, car l'espoir de retrouver sa dignité d'homme fait se lever Naaman le Syrien, le besoin d'être des hommes comme les autres fait <;_rier pitié aux dix lépreux de l'Évangile. Or, ni le prophète Elisée, ni Jésus, ne font allusion au péché ou à quelque puni­tion de Dieu, ils entendent la voix venue des ténèbres pour éclairer du visage de Dieu, maître de la vie, les souffrances de l'exclu.

Permettez-moi d'insister, car l'image archaïque d'un Dieu vengeur, d'un Seigneur intraitable pour la culpabilité de l'homme demeure insidieuse dans nos esprits et nos représentations médiatisées. L'idée d'une société de purs, sans tache ni faute, est revendiquée encore aujourd'hui pour se protéger du mal, de l'autre, du malade et du mourant. Nous avons peine à vivre clairement nos handicaps. Et la volonté d'exclure, pour oublier, en est d'autant plus pré­gnante et perverse. Jusqu'à l'affreuse expression moderne de purification ethnique.

La double figure du prophète et du Christ qui vient d'être évoquée nous révèle le point de vue de Dieu: il est guérison et accueil dans la communauté humaine. Pour lui, le mal et la mort, le péché et le refus ne sont jamais le dernier mot de l'homme. La foi dans le Ressuscité comporte une logique de résurrection qui est l'âme même de l'Église dans sa mission de salut et de rassemblement. La passion de vivre et de faire vivre devrait nous habiter ; pour vous-mêmes, au

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cœur de votre métier d'homme, elle est la conséquence directe de votre foi au Créateur et au Sauveur, il est plus fort que le mal et la mort. Au point que saint Paul disait il y a un instant à Timothée : « Si nous sommes infidèles, lui, il res­tera fidèle, car il ne peut se renier lui-même ». Ce qui coupe court avec toute interprétation culpabilisante du mal, de la maladie et même du péché.

Comment ne pas faire aujourd'hui le lien entre la lèpre et les maladies contagieuses, telles que le Sida ? Pour Jésus le mal n'est pas d'abord le péché, même si la responsabilité de l'homme est engagée, mais un appel à la guérison et à la réin­tégration dans la famille humaine.

Nous ne sommes pas, qui que nous soyons : évêques, prêtres ou médecins, les juges de nos frères, mais les servi­teurs de la guérison totale, c'est-à-dire de la réconciliation du malade avec lui-même et avec ses frères. Même si profes­sionnellemenJ il nous faut par aseptie nous protéger de la contagion, l'Evangile nous dit que l'impureté religieuse n'est ni physique, ni extérieure, ni matérielle, mais le consente­ment au mal et la résignation à son développement. Le péché est celui du cœur, et c'est là que la conscience personnelle doit être libérée et guérie.

Ainsi diagnostiquer le mal, physique ou moral, n'est pas pour le chrétien une œuvre de condamnation mais un appel à la guérison, une prise de responsabilité pour amorcer une réconciliation avec soi-même, ses faiblesses et ses forces, ses chutes et ses espoirs. Toute maladie ou handicap, en nous révélant nos pauvretés, nous fait apercevoir la porte grande ouverte du Royaume de Dieu, selon l'Évangile des Béatitudes.

Médecins, mes frères, votre profession fait de vous des artisans de réconciliation et de paix pour la santé totale de vos frères. Vos débats aujourd'hui nous disent les difficultés de cette réconciliation dans la guerre économique et la peur de l'autre en notre société.

Maintes fois dans le passé, des Saints, de François d'Assise à Vincent de Paul, du Père Damien aux mission­naires créant des dispensaires de fortune, ont eu cette colère créatrice pour donner aux lépreux, aux enfants et aux vieillards, l'espoir de la guérison et la considération sociale, quand l'oubli, l'indifférence ou l'angoisse des bien portants les rejetait. Ces Saints ne sont-ils pas pour nous des guet­teurs de l'amour de Dieu ?

L'Eucharistie que nous célébrons se veut un symbole fort d'une communauté de guérison, de pardon et d'amour fraternel. Au-delà du rite, elle exprime notre foi en Celui qui a donné sa vie pour la réconciliation de tous avec Dieu, avec soi-même et avec les autres. Nos propos chrétiens disent notre rêve d'une fraternité communautaire et d'une égale considération pour tout être qui souffre. Nous refusons à juste titre, une médecine à deux vitesses, comme l'on dit. C'est confesser par là même que Dieu nous confie ensemble, ce service de la guérison et de la réconciliation pour aujour­d'hui. Car tout homme est pour lui déjà pardonné et invité à communier dans la joie de vivre et de faire vivre.

AMEN

(*) Archevêque de Reims.

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LA LÉGISLATION ET SON APPLICATION PARLA SÉCURITÉ SOCIALE

par M. THOMAS (*)

INTRODUCTION

Les pays riches redécouvrent depuis quelques années le terme de pauvreté et, alors que la société française pensait avoir assuré sa solidarité, le nombre de ses exclus tend à marginaliser des populations de tous âges créant ainsi des zones de << non droit » ou de méconnaissance des droits sociaux.

Le thème central de ce congrès vise les ruptures constatées dans l'accès aux soins et entre autres com­munications, la présente intervention se situe plus précisément sur les manques et les insuffisances. Quels sont-ils? Comment les gérer? et << Les réponses des pouvoirs publics ? »

Pour ma part et dans un temps qui ne devrait pas dépasser 15 minutes- pour respecter les temps impar­tis aux interventions suivantes - j'évoquerai : - « La législation et son application par la Sécurité

sociale» en débordant toutefois sur le rôle complé­mentaire important de l'aide médicale qui - a priori - ne fait pas l'objet d'une communication à ce congrès.

- Les difficultés éventuelles de coordination entre ces institutions, étant bien précisé que mes propos n'en­tendent pas être agressifs à l'égard de tel ou tel ser­vice et tendent seulement à dresser un constat de ces difficultés ... sans plus.

Pour situer le champ de nos travaux, il est utile de rappeler qu'en l'état actuel de la législation et même si on peut toujours considérer que l'évolution des droits sociaux n'est pas achevée et s'adaptera encore à l'évo­lution de notre société, <<l'ensemble de la population de notre pays bénéficie d'une couverture sociale » : - soit d'un régime obligatoire d'assurance maladie, - à défaut de l'assurance personnelle dont la cotisa-

tion sera prise en charge par l'aide médicale en cas de ressources insuffisantes,

- le cas échéant, de l'aide médicale pour les dépenses non couvertes par les régimes de sécurité sociale (ticket modérateur, forfait hospitalier entre autres) et s'il y a insuffisance de ressources.

J'examinerai ainsi: - les initiatives générales prises en vue d'améliorer

l'accès aux soins, - les actions et les propositions de la Caisse Primaire

d' Assurance Maladie de la Marne.

(*) Président du Conseil d'Administration de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Marne.

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1. - LES INITIATIVES GÉNÉRALES Malgré une amélioration certaine de la législation

issue des assurances sociales en 1930, remodelée et complétée par le Plan Français de Sécurité sociale de 1945 et par de nombreux textes conduisant à la cou­verture sociale de l'ensemble de la population, les pouvoirs publics mais aussi les Institutions sociales se sont préoccupés des difficultés d'accès aux soins des plus démunis et pour ne retenir que les deux dernières décennies, il faut citer : - en février 1981, les travaux du groupe de travail

« Précarité-Pauvreté » présidé par M. Oheix -Conseiller d'Etat et comprenant les représentants de tous les ministères et établissements publics concernés,

- en janvier 1988, les travaux du groupe de travail pré­sidé par M. Revol - Inspecteur Général des Affaires Sociales auquel avaient été associés : - les principales associations nationales concer­

nées, - la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des tra­

vailleurs salariés, - les représentants de l'Assemblée Plénière des

Présidents de Conseils Généraux, - les représentants de 1' Association des Maires de

France, tendant à promouvoir les initiatives prises par la voie d'accords et de conventions entre les organismes d'assurance maladie et les conseils généraux notamment par la mise en place de dis­positifs dits «carte santé» ou similaires évitant entre autres l'avance des frais.

Plus récemment et par une loi du 29-7-1992 appli­cable au 1-1-93, un nouveau régime de l'aide médicale a été mis en place tant en ce qui concerne la nature des prestations que la simplification des conditions d'ad­mission et des modalités de gestion. Même si ce texte ne vise pas expressément le dispositif du type « carte santé», cette formule peut constituer un support pra­tique au titre de l'admission à l'aide médicale, cette admission n'étant plus prononcée à chaque maladie mais pour un an.

Enfin et par une circulaire du 21-3-1995, les pou­voirs publics ont recommandé à tous les préfets, ser­vices et organismes concernés, un plan d'action quant à l'application effective des dispositions de la loi préci­tée de 1992 sur l'aide médicale. En effet et alors que des moyens légaux et réglementaires existent dans notre pays pour garantir un accès de tous à des soins de qualités, des dysfonctionnements sont encore nombreux, en ce qui concerne: - l'attribution immédiate de l'aide médicale à certains

bénéficiaires (personnes titulaires du R.M.I. et de l'allocation de veuvage) et plus généralement à toutes les personnes dont la situation l'exige (détresse sociale et médicale),

- des délais d'instruction trop longs pour toutes les catégories de demandeurs,

- des dispositions restrictives manifestement illégales telles que la délivrance de bons à chaque maladie,

- le recours à des enquêtes ou demande de res­sources des obligés alimentaires au stade de l'ins­truction de la demande d'aide médicale alors que seule la liste des obligés alimentaires peut être demandée, lors de l'instruction de la demande, le recours éventuel de l'aide sociale auprès des obli­gés alimentaires intervenant seulement après l'attri­bution de l'aide médicale.

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Plus généralement, les pouvoirs publics rappe­laient dans cette circulaire que l'offre sanitaire et sociale doit s'adapter aux situations:

• en améliorant l'accueil, • en simplifiant les procédures, • en allant si nécessaire au devant des personnes.

2. - LES PROPOSITIONS ET LES ACTIONS DE LA C.P.A.M. DE REIMS

Une remarque liminaire s'impose : Compte tenu du contexte administratif issu des

lois de décentralisation et notamment de la compéten­ce quasi générale du Département sur le plan de l'aide sociale, les initiatives d'un organisme d'assurance maladie tendant à améliorer les systèmes de gestion des bénéficiaires de l'aide médicale ne peuvent se concevoir qu'en accord avec le Département et nous regrettons sur ce point les« difficultés de communica­tion » qui ont jalonné ces cinq dernières années et ont limité vraisemblablement les améliorations possibles.

Cette remarque ne constitue pas un jugement de valeur mais seulement un constat.

Me référant aux initiatives déjà prises par d'autres départements en matière de « carte santé », j'étais intervenu en ce sens le 29-1-1990 auprès de M. le Président du Conseil Général de la Marne pour procé­der avec son accord aux études préliminaires à une telle réalisation. Malgré un certain nombre d'échanges de vues, de 1990 à 1995, de propositions et de contre­propositions dont je vous épargnerai le détail, la situa­tion n'a pas évolué sur ce point et aucune mesure concrète n'a pu être mise en place.

J'ajoute que j'ai reçu à plusieurs reprises à ce sujet les représentants des associations caritatives qui sou­haitaient entre autres l'institution d'un dispositif dit «carte santé» et qui étaient également intervenues en ce sens auprès du Président et des conseillers géné­raux.

Je leur ai indiqué que ce dispositif ne poserait pas de problème sur le plan technique pour la C.P.A.M. mais nécessite un accord avec le Département qui s'y est toujours opposé. Ce système fonctionnant dans un assez grand nombre de départements, il m'a paru inté­ressant de faire une enquête sur ce point auprès de toutes les Caisses Primaires d'Assurance Maladie (129). De l'exploitation de ces questionnaires et sur 79 réponses - ce qui est satisfaisant comme nombre de réponses - il apparaît que le dispositif « carte santé » f«?nction~e pol;lr 59 % des réponses et que des sys­temes s1m1la1res reposant sur des conventions « caisses primaires - Départements» sont en place pour 30 % des réponses soit au total 89 % des réponses pour lesquels les organismes d'assurance maladie et les départements ont essayé de réduire les difficultés d'accès aux soins en évitant l'avance des frais.

~o.t~~s que la loi .de 1992 a prévu également la poss1b11lte de convention « orgamsme-département » pour les cas d'admission de plein droit à l'aide médi­cale (R.M.I. - Veuvage - Barême établi par le départe­ment). Cette possibilité n'a été utilisée que pour 5 % des organismes ayant répondu à ce questionnaire.

D'une façon générale et à l'exploitation de ces questionnaires, il apparaît que s'il est constaté une augmentation relative des dépenses dans les premiers mois de la mise en place d'un dispositif« carte santé», ce mouvement ne se poursuit pas et on peut considé-

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La législation et son application~~~~~~~~~~~~~~~~

rer qu'il ne représente pas forcément une « surcon­sommation »mais plutôt la satisfaction d'un besoin de soins.

met ainsi une aide d'autant plus efficace quant aux for­malités à accomplir.

Il est d'ailleurs prouvé que les bénéficiaires de l'ai­de médicale ont moins recours aux soins ambulatoires que les autres assurés. C'est ainsi par exemple que pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Marne et déduction faite des dépenses d'hospitali­sation publique et privée, la dépense moyenne (assuré et ayants droits) s'élève F. 4 820 par an alors que pour les bénéficiaires de l'aide médicale, cette dépense moyenne n'est que de F 1 706 par an.

Par ailleurs, la C.P.A.M. a été amenée à prendre ou à proposer certaines initiatives en vue de faciliter les démarches ou l'accès aux soins.

Parmi les difficultés rencontrées pour l'accès aux soins, il faut citer la part non remboursée de certaines dépenses (optique, prothèses) et sur ce point à titre expérimental et en liaison avec le C.C.A.S. de Vitry-le­François et les professions de santé concernées, une prise en charge réelle de ces dépenses a pu être réali­sée. Toujours dans le souci de faciliter l'accès aux soins, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Marne poursuit également une politique constante de développement des systèmes de « tiers payant » avec les professions de santé concernées - en simplifiant les procédures et en développant les transmissions de données sur des supports informatiques.

Je signalerai, à ce titre et depuis 1988, l'institution d'une cellule de travail appelée S.0.S.-Sécu qui prend particulièrement en charge les cas difficiles d'ouver­ture des droits et provoque le cas échéant une deman­de d'assurance personnelle. Des permanences sont également assurées à l'extérieur entre autres à la Mission locale pour la jeunesse de Reims ce qui per-

Il serait hasardeux d'esquisser une conclusion à des propos volontairement limités dans le cadre du sujet proposé.

Une discussion générale doit clôturer cette demi­journée et je serais bien volontiers à votre disposition pour compléter - si vous le souhaitez - votre informa­tion sur les questions évoquées. •

, COMMUNIQUES

LITURGIE ET PASTORALE DE LA SANTÉ

à paraitre au 15 mars 1995

La liturgie est au service de la vie, insé­parablement corporelle et spirituelle. Là où le corps est blessé, les communautés chrétiennes agissent et célèbrent. Le numéro de La Maison-Dieu, élaboré avec le concours des responsables nationaux de la pastorale de la santé et des aumô­neries des hôpitaux, sœur Marie du Christ Coudurier et le P. Michel Lutringer, fait le point sur les actes liturgiques avec et pour les malades, les handicapés et tout simplement les isolés. Des réflexions fondamentales sur l'urgence, l'importance des gestes, la diversité des ministres et des ministères alimentent la réflexion ainsi que des échos de la pra­tique en hôpital mais aussi dans les com­munautés paroissiales. À lire pour tous ceux qui prennent une responsabilité dans la pastorale de la santé.

On peut se procurer le numéro (75 F) en s'adressant aux : Éditions du Cerf, 29 bd Latour­Maubourg, 75007 Paris ou dans les librairies religieuses.

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SOMMAIRE: LA MAISON DIEU, N° 205,

LA PASTORALE DE LA SANTÉ

$' Marie du CHRIST, Michel LUTRINGER, La liturgie au service de la vie.

Alain BOURRON, L'urgence sacramentelle en milieu hospitalier. Pierre ARZ, La pastorale du sacrement des malades. Pierre-Marie Gv, Le ministre du sacre­ment des malades. Jean-André NOUAL, Les ministres en pas­torale de la santé. Catherine BERTHELET, Le baptême dans les maternités. Aldo MARENGO, La formation des ministres extraordinaires de la commu­nion. Paulette SoucHON-CHAMPAGNE, Le via­tique.

Kristiaan DEPOORTERE, Prier avec des mourants. Michel THIBAULT, Quand les gestes de la liturgie deviennent impossibles.

La Communauté du Puits de Jacob propose:

UNE SESSION POUR LES CHRÉTIJ:NS DES PROFESSIONS DE SANTE

- du 8 au 16 juin 1996 : Pour médecins, infirmières, kinés, et autres soignants chrétiens ou en recherche de Dieu, Une formation humaine, éthique et spiri­tuelle pour avancer dans une unité plus profonde et une plus grande incarnation de notre foi dans le quotidien de notre vie de soignants. Animée par François VIGNON, médecin, Bernard BASTIAN, prêtre et médecin, et une équipe de la Communauté. Renseignements et inscriptions : Communauté du Puits de Jacob, 12, rue des Dentelles, 67000 STRASBOURG. Tél. : 88.22.11.14 - Fax 88.32.40.65.

• cc ENVOYÉ SPÉCIAL ,, ÉMISSION DU JEUDI 16 NOVEMBRE 1995

Les Drs Jacques Liefooghe, Maurice Abiven, Marc Bost ont été sollicités en Octobre 1995, par le journaliste Jacques Cotta, pour connaître notre attitude devant le problème des gangs anti-1.V.G. En fait, ils ont été interrogés également et surtout sur « avortement», et cc pré­servatif». L'enregistrement a eu lieu le 19 octobre 1995. Il n'a pas été possible de connaitre les propos des autres intervenants. Ce petit communiqué semble nécessaire compte tenu de la réaction de certains membres du C.C.M.F., mais il paraissait utile que nous puissions intervenir au titre du mouvement. Nous avons préféré prendre ce risque plutôt que de ne pas être présents.

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LES EXCLUS , DE LA SANTE

par le D' Marc FOURDRIGNIER (*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

À l'issue de cette journée de travail, de ces nom­breuses interventions, me revient la redoutable tâche d'essayer de répondre à la question : « pourquoi ces manques et ces insuffisances persistent-ils au fil des années ? » Des éléments de réponse ont déjà large­ment été évoqués ; il reste à tenter de les articuler à partir d'un regard global et externe au champ de la santé, puisque si ce n'est en tant qu'usager, voire par­fois comme formateur, je n'ai pas d'implication pro­fessionnelle directe dans ce domaine d'activité.

Revenons tout d'abord sur l'intitulé de ce congrès et sur la question qui m'a été soumise. Il y aurait donc des oubliés de la médecine. En se basant sur les diffé­rentes significations du mot oubli, cela voudrait dire que la médecine a une défaillance de la mémoire sur des aptitudes acquises (est-ce sa capacité à soigner les pauvres?) ; que la médecine n'effectue pas ce qu'elle devrait faire (appliquer le serment d'Hippocrate), qu'elle ne tient pas compte d'une règle, plus ou moins involontairement, qu'elle ne prend pas en considéra­tion par indifférence ou par mépris (1 ). Le sens est lourd : il y aurait donc défaillance, dérive, dévoie­ment ... Cette manière de poser le problème peut mener à une approche éthique, universaliste et intem­porelle; ce n'est pas celle que nous retiendrons, il est important de relier ce problème aux conditions sociales, économiques et culturelles dans lesquelles il se pose.

Deuxième aspect, la question posée. Celle-ci repo­se sur l'idée que, globalement, l'amélioration du sys­tème de santé, tant par les moyens consacrés (bud­gets, personnels, progrès techniques), que par la législation, devrait se traduire par une disparition ou du moins une régression très forte des manques et des insuffisances. Or, force est de constater qu'il n'en est rien.

Pour éclairer ces différents aspects, il est nécessai­re de privilégier les interactions entre l'environnement sociétal et le système de soins. En effet, s'il y a aujour­d'hui des oubliés, ce ne sont pas seulement ceux de la médecine, mais plus largement ceux du système de soins et du système de santé (2). Ne pas procéder à cet

(1) Nous reprenons les trois sens principaux du terme oubli. Petit Robert 1982.

(2) Nous reprenons ici, les définitions du Haut Comité de la Santé Publique : « Le système de santé est l'ensemble des moyens et des activités dont la fonction est la production de la santé (promotion, pré­vention, réparation, rééducation, réinsertion). Le système de soins est le sous-ensemble dont la mission est la production de soins curatifs ». La santé en France. Rapport général. La Documentation Française, 1994,p.26. •

(*) Sociologue CERASQ (Centre d'Etudes et Recherche sur l'Action Sociale et les Qualifications) l.R.T.S. 8, rue Joliot-Curie - 51100 Reims, Tél: 26.06.41.94.

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élar~is~ement. risque de nous priver des éléments expl1cat1fs pertinents. Prendre en compte l'environne­ment sociétal revient à dire que l'on prend acte du fait que nous vivons dans une société en pleine mutation et que l'analyse de ses caractéristiques actuelles est fondamentale pour comprendre l'existence des oubliés.

Néanmoins pour éviter la connotation comparati­ve du terme oubliés, nous préfèrerons parler d'exclus du système de santé. Ceci explique le titre de mon intervention.

Celle-ci se centrera plus sur les processus en cours que sur l'état figé d'une population qui serait en situa­tion définitive d'exclusion. Se basant sur une défini­tion de l'exclusion en référence au droit, à l'identité sociale et à l'échange, elle visera à examiner deux aspects du rapport santé/exclusion, l'état de santé des exclus et l'exclusion du système de santé.

1 - L'ÉTAT DE SANTÉ DES EXCLUS : ÉLÉMENTS POUR UN DIAGNOSTIC

A. Associer santé et exclusion

Deux raisons principales expliquent l'association de ces deux termes. Tout d'abord, on doit noter qu'un discours se constitue aujourd'hui sur cette question. Les publications et les colloques en sont un signe: en Octobre 1994, la Caisse d'Assurance Maladie de Paris a organisé un colloque intitulé « pour une ville sans exclus» (3).

La revue Économie et Humanisme consacre un numéro intitulé« soigner sans exclure» (4), titre repris par la « revue de l'infirmière» (5).

Deuxième raison : notre société a changé. Nous raisonnions jusque-là en termes de démocratisation et de réduction des inégalités, qu'elles soient dans le registre de l'accès aux soins (couverture sociale) ou des pratiques de santé.

Aujourd'hui, les inégalités n'ont pas disparu (6), mais est venu s'ajouter un nouveau phénomène, l'ex­clusion, ceci valant aussi bien pour la santé, le travail, l'école ou le logement. Il y a donc des gens en situa­tion d'exclusion. Quel est leur état de santé 7

B. L'état de santé des exclus

Les études menées sur les bénéficiaires du R.M.I. (Revenu Minimum d'insertion) montrent que leur état de santé est nettement dégradé.

Ainsi la délégation au R.M.I. estime que « la popu­lation des allocataires du R.M.I. a objectivement de graves problèmes de santé. On peut estimer que le taux de mortalité des bénéficiaires du R.M.I. est entre deux à trois fois plus élevé que celui de la population générale, après élimination des effets d'âge» (7).

Pour les affections, on peut dire que globalement elles ne seraient pas spécifiques mais seraient plus nombreuses.

Une synthèse réalisée en 1992 soulignait les points suivants: • les affections dentaires touchaient 27 % des per­sonnes, soit quatre fois plus que la population géné­rale;

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• la santé mentale et les troubles causés par l'alcoolis­me, l'angoisse et la dépression concernaient 26 % des personnes; • venaient ensuite les troubles cardio-vasculaires et les pathologies digestives (8).

Ceci est conforté par une enquête réalisée dans les Bouches-du-Rhône. Elle souligne la précarité de l'état de santé et confirme « la prééminence des troubles d'ordre psychologique et mental qui ne doit pas mas­quer la place importante des maladies cardio-vascu­laires, endocriniennes et ostéo-articulaires » (9).

Une enquêt~ récente mené.e auprès de 754 per­son~es en s1tuat1on de pauvrete a montré que « près du tiers des personnes interrogées se déclare très sou­vent malade ou pense ne rien pouvoir faire à cause de sa santé» (10). On pourrait discuter sur la pertinence du recours à l'état de santé ressenti et non à l'état de santé réel. Toujours est-il que réel ou non, cet état conditionne sans doute la situation sociale des per­sonnes.

Cette partie de la population a en majorité plus de 40 ans ; ces personnes vivent souvent seules, sans enfants, elles ont connu des ruptures importantes dans les années passées, aucune d'elle ne travaille, ceci durant depuis au moins cinq ans pour une moitié d'entre elles (11 ).

Deux avis de ces derniers mois permettent de syn­thétiser les tendances : le Haut Comité de la Santé Publique dans son rapport sur la santé en France, confirme l'aggravation des inégalités sociales devant la santé et classe l'exclu­sion, le chômage et la grande pauvreté parmi les déterminants sur lesquels il faut agir en priorité. Le Conseil Économique et Social, dans son rapport sur la grande pauvreté souligne lui aussi la détérioration de l'état de santé, associée à une plus forte insécurité en matière d'emploi ainsi qu'aux ruptures subies au cours de l'existence.

Sont relevés les problèmes de malnutrition repé­rés dans le cadre scolaire ou pour les bénéficiaires du R.M.I., les troubles visuels, dentaires, auditifs, la résur­gence de la tuberculose, les affections cutanées ou l'alcoolisme, la toxicomanie.

Soulignons aussi l'augmentation des troubles psychiques (dépression, destructuration) et surtout une souffrance psychologique et sociale non prise en charge par la psychiatrie, mais suffisamment pertur­bante pour compromettre l'insertion sociale.

(3) Le Monde Les institutions sociales et sanitaires parisiennes se mobilisent contre l'exclusion. 26 octobre 1994.

(4) N° 327, Décembre 1993. (5) Janvier 1994. (6) Mormiche (Pie~re). L'acccès aux soins : évolution des inégali­

tés entre 1980 et 1991 Economie et statistique, 1995-2, 3-19. (7) Vanlerenberghe Pierre. R.M.I. le pari de l'insertion.

Commission Nationale d'Évaluation du R.M.I. La Documentation Française-1992, Tome 1, page 254.

(8) Bulletin de la délégation interministérielle au R.M.I. La santé objectivée, 19 novembre 1992.

(9) Obadia Yolande, Toubiana Pierre, Chanut Charlie, Rotily Michel. L'état de santé des RMlstes dans les Bouches-du-Rhône. Revue Française des Affaires Sociales,~. Avril-Juin 1994, p. 125.

(10) Enqu,ête CREDOC in Conseil Economique et Social. La gran­de Pauvreté. Evaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté. Journal Officiel, n° 4277, Juillet 1995.

(11) CREDOC, op. cit, p. 96.

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Sur la base de ces quelques éléments, on peut affirmer aujourd'hui que la situation d'excl';Jsion d'un nombre croissant de personnes se traduit par une dégradation significative de l'état de santé~~ ces ~er­sonnes. Encore faut-il analyser leurs cond1t1ons d ac­cès aux soins.

11 - L'EXCLUSION DU SYSTÈME DE SANTÉ

Ce titre peut surprendre : il mérite quelques expli­cations. Tout d'abord, il faut préciser ce que recouvre cette notion tant employée et si peu définie.

Pour moi (12), l'exclusion est l'incapacité à avoir et à exercer ses droits, c'est la perte totale ou partielle d'une identité sociale, c'est aussi l'incapacité à échan­ger. Reprenons ces trois points à propos du système de santé.

A. Le droit à la santé

Les dispositions législatives et réglementaires ont largement contribué, ces dernières années, à répondre théoriquement à la question du droit à la santé.

Avoir des droits est donc théoriquement possible pour tout le monde. Néanmoins, les autorités doivent régulièrement appeler à la mobilisation pour que le droit à la santé soit effectif et que les personnes en dif­ficulté puissent accéder au système de soins.

Donnons deux exemples : • une circulaire du 17 septembre 1993 (13) signée par Mme WEIL a indiqué: cc Je vous rappelle qu'il n'appar­tient pas aux membres du corps médical de refuser de donner les soins que requiert l'état d'un patient si celui-ci se présente sans prise en charge ». •Une circulaire du 21 mars 1995 (14) indique: cc des personnes confrontées au chômage, à la pau­vreté, à la perte de leur logement connaissent encore des difficultés pour accéder à notre système de soins. Ces difficultés ne sont pas acceptables. Tous nos efforts doivent tendre aujourd'hui à ouvrir le dispositif ordinaire de soins à la population qui en est actuelle­ment exclue ... »

La question d'avoir des droits et de pouvoir les exercer reste donc entière ; nous y reviendrons.

B. L'identité sociale

Cette notion renvoie au fait d'appartenir à la socié­té au sens d'y avoir une place, que ce soit dans le tra­vail, la famille, le quartier ... Cela va se traduire par une situation sociale et par une inscription dans différents réseaux de relation. Voilà le cas de figure classique de l'inséré.

Qu'en est-il pour les populations en difficulté? L'élément central est d'ordre économique.

Aujourd'hui le monde de la santé fonctionne de plus en plus comme un marché au sens économique du terme. Dans ce contexte, on sait très bien que seule la demande solvable est légitime.

L'accroissement de la participation financière du malade, les nécessités de trésorerie que recouvre l'avance des frais, l'existence des secteurs convention­nés et non conventionnés, ... contribuent de fait à frac­tionner de plus en plus les pratiques selon différents marchés principaux ou secondaires. Le secteur carita-

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tif a du instaurer une nouvelle stratégie, par l'intermé­diaire de ses permanences ou de ses dispensaires (Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières ... ) pour que les non sol~ables puissent accéder, tardive­ment souvent, aux soms.

Une récente enquête du CREDES indique : cc En France, en 1994, près d'un quart des ménages, dont au moins l'un des membres est inscrit à la Sécurité socia­le, déclare avoir renoncé à des soins en raison d'un remboursement insuffisant» (15).

Dans l'enquête citée plus haut, 18 % des per­sonnes interrogées n'ont aucune carte d'affiliation. Ils peuvent alors bénéficier de l'Aide Médicale Gratuite, avec toutes les contraintes et les difficultés que cela induit.

C.L'échange

Troisième aspect, et non le moindre, l'échange. À un premier niveau, il peut être entendu au sens

économique du terme, on voit bien qu'il y a souvent échange impossible.

À un second niveau, celui de la communication et de la relation sociale, on voit bien toutes les diffi­cultés.

Dans quelle mesure, l'ensemble des acteurs du système de santé souhaite-t-il entrer en communica­tion et en relation avec ces populations ? On est sou­vent dans le dialogue de sourds ou dans l'évitement de l'échange.

La relation avec les administrations, d'autant plus lorsque elle est écrite, est bien souvent difficile. Se pose alors la question de l'accueil des populations en difficulté dans les différentes composantes du systè­me de soins.

Certains organismes se mettent hors la loi : cc Ma hiérarchie ne m'a pas demandé d'appliquer cette nou­velle loi. Elle n'est pas en vigueur chez moi » (16). Des médecins s'insurgent contre les dispensaires qui leur envoient des marginaux : « Nous ne sommes pas un dépotoir! Cessez de nous envoyer vos déchets» (17). Les psychiatres répugnent à prendre en charge les S.D.F., au motif qu'en effet ceux-ci ne sont domiciliés nulle part (18).

D'autres règlent le problème autrement en évi­tant l'échange et en renvoyant à des organisnes compétents ou « qui savent y faire avec ces per­sonnes ». On voit ainsi comment certains hôpitaux ou Centres Communaux d'Action Sociale cc approvi­sionnent» les permanences des associations huma­nitaires.

(12) Point que nous avons développé dans cc l'exclusion, le nou­veau fléau à combattre ». Vers de nouvelles pratiques sociales. Pour une conception culturelle du changement. Les Cahiers de Promofaf, 5, Sept. 1993.

(13) Circulaire DH/AF1/DAS/RV3 n°33-93 du 17 septembre 1993 relative à l'accès aux soins des personnes les plus démunies. Bulletin Officiel du Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville, n° 93/42, pp. 99-101.

(14) Circulaire DAS/DH/DGS/DPM/DSS/DIRMl/DIV n° 9508 du 21 mars 1995 relative à l'accès aux soins des personnes les plus démunies.

(15) Cité par Actualités Sociales Hebdomadaires, 22 septembre 1995.

(16) Propos prononcé lors d'une émission de France Culture. Marie-Noëlle Arrighi. Exclus des soins : quelles alternatives aux réponses caritatives? 26 février 1994. Propos repris dans le Monde. Il s'agissait de l'accès aux soins médicaux aux étrangers, même dému­nis de leurs papiers. Cette disposition n'était pas appliquée par la ville de Paris.

(17) Propos prononcé lors du colloque de la Caisse d'Assurance Maladie de Le Monde. 26 octobre 1994.

(18) Ibidem.

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Pour conc~~re ce su~ol, j~ dirai qu'il y a effective­ment ~es oublies de la medecme et plus généralement des soms.

Pourquoi y a-t-il persistance de ces manques et de ces insuffisances? 1. La société française « produit » massivement de

l'exclusion, ce qui tend à mettre hors jeu une part croissante de la population.

2. Dans le même temps, les règles du jeu changent insensiblement. La logique économique et mar­c_hande est de plus en plus prégnante. La dualisa­t1on du marché de la santé est une réalité. Par exemple, les débats actuels sur la Sécurité sociale ou la réforme de l'hôpital ne sont pas dominés par la question de l'accès aux soins. Comme le dit le président de la Mutualité Française : « S'agit-il de garantir l'accès à des soins de qualité ou de main­tenir le pouvoir d'achat des professionnels de santé?» (19). Malgré cela, certains continuent d'af­firmer que l'hôpital « représente le dernier rempart contre la misère. Et nous voyons bien que le sani­taire et le social se différencient de moins en moins» (20).

3. La conception qu'a le pouvoir politique de la poli­tique sociale et sanitaire joue un rôle également. Ceci a été amplifié par la décentralisation. Les col­lectivités locales peuvent déployer ici leurs propres stratégies. Des conceptions légalistes et gestion­naires risquent fort de renforcer les manques et les insuffisances. Les débats actuels autour de la carte santé en sont un bon exemple.

4. L'information des populations et la communication avec celles-ci contribuent également à renforcer les difficultés. La complexification des systèmes d'ac­cès, théoriquement prévus, rend de plus en plus difficile l'accès aux soins.

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5. À un autre niveau, ces « persistances » interrogent sur le~ pratiques effectives des acteurs du système de soms. Comment font-ils face à ces situations? Comment se positionnent-ils?

11 est, sans doute, trop simple de se limiter à ren­voyer l'ascenseur au système, à la Ssécurité sociale ... La question se pose aussi à chacun d'entre nous : avons-nous oublié certains ? . ~odifier le regard pprté sur ces populations en dif­

f1culte, mieux les connaitre et accepter alors l'échange, telle est sans doute l'une des pistes de réflexion. De même, s'agit-il de permettre au malade de retrouver la place qu'il doit avoir en tant que sujet de droit et en tant qu'élément central du système de santé. Le soin n'est pas d'abord une dépense, c'est avant tout un plus apporté à une personne.

Dans ces perspectives, l'organisation même de ce congrès sur ce thème en est un signe positif. Mais qu'en est-il aujourd'hui dans les formations médi­cales, qu'elles soient initiales ou continues ? On ne pourra plus longtemps faire comme si on pouvait ne pas tenir compte de l'environnement. On sait, par exemple, que l'évolution du système de santé n'ex­plique que 10 à 20 o/o des progrès accomplis depuis les années 50 dans le domaine de la mortalité (21).

Prendre en compte les interactions entre la socié­té et le système de santé, sortir de sa marginalité la santé publique, est aujourd'hui nécessaire, à moins que notre nouvelle frontière soit outre-Atlantique avec trente millions de personnes sans couverture sociale. •

(19) Le Monde, 22 août 1995. (20) BAUDET (Marie-Béatrice) Dernier rempart contre la misère. Le

Monde Initiatives Emploi. Dossier : au service du public, 11 octobre 1995, p. Ill.

(21 I Haut Comité de la Santé Publique, op cit. p. 26 .

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LES OUBLIÉS DE LA MÉDECINE ET L'ÉVANGILE

par le Père Lucien MARQUET(*)

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CONSIDÉRATIONS PRÉALABLES

Que deviennent ceux qui ne peuvent plus suivre 7

Après tout ce que l'on a entendu depuis hier sur «Les oubliés de la Médecine en France», thème de ce 21° congrès de médecins, il me vient à l'esprit cette petite parabole. La société actuelle ne ressemble-t-elle pas à ce groupe de marcheurs partis ensemble en montagne? Sur le parcours, le groupe s'étire. Des dis­tances se creusent, jusqu'à former deux, voire plu­sieurs groupes. Il y a le groupe à la traîne, essoufflé, souvent arrêté et il y a le groupe de tête décidé et en pleine forme. Or, les premiers qui progressent ont la carte, les sacs à dos avec le casse-croûte, les habits de pluie et la trousse à pharmacie ... Tout va si bien pour eux qu'ils en oublieraient les autres. Ils ont d'ailleurs de bonnes raisons d'aller bon train, ils ouvrent pour tous le chemin. En progressant ainsi, ils entendent entraîner, tirer tout le monde vers le sommet. Mais survient un orage, les éclairs, les grondements de ton­nerre ... que faire ? Les derniers décident d'abandon­ner et les premiers, enfin, se disent: mais que devien­nent donc ceux qui suivent?

Performance et solidarité

Oui, n'est-ce pas là une sorte d'image de la socié­té actuelle ? On a parlé d'une société à deux vitesses. Peut être plus que deux d'ailleurs. Et dans cette socié­té, il y a les médecins, les soignants. Ils sont dans le peloton de tête. La médecine cherche, progresse, devient toujours plus performante, mais et c'est là notre questionnement : devient-elle du même coup plus solidaire, plus universelle, davantage au service du plus grand nombre ? Nous savons que performan­ce et solidarité ne se conjuguent pas forcément dans notre société.

Ne sommes-nous pas entrés dans une période de turbulence, d'orage qui conduit la société toute entiè­re à s'interroger davantage sur le plan éthique et moral ? D'où peut-être le thème de ce congrès « Les oubliés de la médecine en France ». D'où notre inter­rogation : alors que nous avons la vocation et la mis­sion de soigner et de guérir la vie, la médecine actuel­le ne nous contraint-elle pas parfois, de fait, à effectuer une sélection et donc à exclure, à tout le moins accep­ter que certains soient écartés de nos soins ? Toute-

(*) Vicaire général du diocèse de Reims.

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Les oubliés de la médecine et l'évangile

foi,s, ~ous retie~drons tout au long de cet exposé qu e~!ste plus qu une nuance entre ces deux mots: les oublres et les exclus. Les oubliés ne sont pas forcé­ment des exclus. Des associations les aident à formu­ler et exprimer leur mal de vivre. Parmi eux pourtant certains savent parfois prendre les moyens de ne pa~ se faire oublier !

. . Médecin~ et chrétiens, nous nous interrogerons 1c1 non pas d abord par rapport à une morale, un code religieux mais d'abord par rapport à Dieu le vivant Dieu ~ui disait à Caïn « qu'as-tu fait de ton frère ? ,,: Aussi, ces quelques réflexions proposées n'ont d:au~re but 9ue d~ no~s inviter à contempler Dieu, lui s1 preoccupe de faire vivre, y compris les plus oubliés, les plus cabossés, les plus découragés et mis de côté. Je pense à tous les isolés, hors des réseaux de rela­tion. Ils n'ont plus la force de faire part de leurs problèmes, ils n'ont plus ni porte-parole ni défen­seurs. On pourrait les nommer les sans voix. Ils sont de ce fait oubliés. Les exclus ce sont tous les disquali­fiés du progrès, mis sur les voies de garage avant d'avoir pris le train. Exclus de l'école, de la profession, de l'habitat ...

Appels de Dieu pour servir la vie des plus petits

Contempler Dieu diffuseur de vie, lutteur contre tout ce qui barre la route aux vivants, Dieu solidaire et passionné de la cause de l'homme, contempler Dieu ce n'est pas, disons-le tout de suite, prendre le risque de se culpabiliser, mais au contraire s'ouvrir à la chan­ce de I' Avenir, à la grâce de la conversion. La médeci­ne et les médecins n'ont-ils pas besoin de prendre conscience de leurs situations ? En effet la question qui nous interpelle aujourd'hui ne concerne pas seule­ment chacun d'entre nous, au fond de lui-même, mais la médecine en France en tant que grand service natio­nal. Il est hors de question dans ce propos de prôner une médecine au rabais mais davantage de l'inviter à se mettre à la portée et au service de tous puisque la vie n'a pas de prix ... toute vie a du prix. Certes, la gran­de indélicatesse de l'exclusion c'est de se produire dans les lieux qui échappent au maillage administratif. D'ailleurs on ne rejoint pas les exclus seulement par la connaissance de leurs problèmes, mais par la connais­sance de leurs aspirations, de leur révolte, en écoutant leurs cris, en devinant leur détresse par le signe de leur silence. L'approche du Monde des exclus ne relè­ve pas d'abord d'une série de courbes et de statis­tiques, mais d'une connaissance qualitative plutôt que quantitative.

Santé et salut

Nous le savons, la médecine entend s'appuyer sur une science de plus en plus étendue et pointue, sur des techniques de plus en plus élaborées et ajus­tées, sur des soignants judicieusement formés et en permanence instruits. La médecine n'a-t-elle pas aussi à réajuster le service de la vie qu'elle accomplit en fonction d'une société elle-même en perpétuelle évolution et sous certains aspects en profonde muta­tion ? Les médecins savent bien qu'un malade n'est

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-------------------------------pas seulement un corps malade, mais un être humain ~ont toute la yi~, y compris sociale, familiale, rela­t1onn~lle ~n ge~eral, est, a.bîmée, atteinte, compromi­se. La ou la vie se dellte la santé est atteinte. Pourtant, la vie selon la médecine et la vie selon le langa~e des évangiles ne se superposent pas. L'acte de soigner la vie passe le relais à l'acte de sauver qui pourtant dans son étymologie même signifie santé. Il y a donc comme une connivence entre la santé et le salut dont la vie e,st le mot mitoyen. Mais, n'allons pas soupçonner l'Eglise et les croyants de mépriser la place du corps dans la vie humaine. Le corps est le lai:iQa~~ ?e l'âme. Tous les sacrerylents font une place pr1v1leg1ee aux sens. Les gestes rituels sont à ce sujet très expressifs de ce don de la vie délivrée par Dieu elJ abondance. Nous connaissons tous cet épisode de 1'.Evangile des 10 lépreux que Jésus approche et gué­rit. Un seul est revenu sur ses pas pour remercier Jésus. Tous ont été purifiés avec tout ce que cela comporte de santé physique mais aussi de droits sociaux recouvrés. Mais, un seul a trouvé le Salut. Il a reconnu Jésus comme son sauveur et il a accepté qu'une relation s'établisse entre Jésus et lui. (St Luc 17,11-19).

* Pour honorer ce qui m'a été demandé, je voudrais

donc parcourir avec vous quelques séquences choi­sies de la Bible. Non pour étayer ce qui pourrait appa­raître comme une leçon de morale soulignant un décalage souvent constaté et regretté dans une vie d'homme entre la foi et les actes. Je voudrais plutôt faire avec vous une sorte de méditation, un peu à la façon dont les peintures des impressionnistes pénè­trent en nous, par nos sens jusqu'à imprégner nos ~entiments les plus profonds. Ainsi, contempler ces Evangiles jusqu'à communier aux désirs de vie d'un Dieu passionné pour l'humain. Les toiles que nous contemplerons seront quelques pages de la Bible dont la méditation patiente et répétée a parfois été présentée comme le goutte à goutte de la foi 1 Un magnifique vitrail n'est apprécié qu'à la condition d'être contemplé de l'intérieur de l'édifice. Ainsi en est-il de la Parole de Dieu. Sa lumière ne nous atteint qu'à la co11dition de l'entendre en croyants, de l'inté­rieur de l'Eglise du Christ. En ouvrant avec vous les livres et de la Bible et de la Vie de l'homme, je vou­drais montrer combien ces deux livres ouverts sont tous deux sacrés, distincts mais liés. Tant Dieu a comme noué sa réputation à la vocation de l'humani­té. Dieu et l'homme ne cessent de se chercher et cette longue histoire nous est dite dans la Bible. Dieu vou­drait tellement en effet que ce pari qu'est l'homme réussisse pleinement, qu'il y a mis le prix : Jésus Christ = Communication de Dieu vers l'homme et communication de l'homme vers Dieu. Dieu a ense­mencé l'histoire de l'humanité de sa Parole. Or, il est arrivé souvent aux hommes de perdre la mémoire de ces graines de vie. L'homme se montre souvent amnésique de son origine et de sa fin.

Je voudrais être avec vous ce matin comme un botaniste à la recherche des traces et des signes de Dieu comme autant de germes de vie 1Oui1 au travers des désirs, des aspirations les plus essentielles, au tra­vers des refus et des cris des hommes, c'est Dieu lui-

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même qui apparaît et gui nous dit à travers Jésus Christ« Je suis la vie». Etre chrétien n'est-ce pas choi­sir, contre toutes les forces de corruption, de destruc­tion, de promouvoir la vie ? De croire en elle ! Dieu est ta vie.

Le Paralysé

Dans un autre épisode, << ta guérison d'un paralysé » ce n'est pas Jésus qui entend, s'arrête, et invite à regarder« t'oublié », te marginalisé dans le fossé, jus­qu'à lui donner de voir et de s'intégrer à ta vie, ce sont des hommes qui lui amènent sur un lit un paralysé, et qui, d'une certaine façon, forcent la porte (Luc 5, 17-26 ). Ce jour là, Jésus se trouvait dans une maison entouré de Pharisiens et de Docteurs de la Loi, venus de toute ta Palestine pour l'entendre et surtout le prendre au piège de leur argumentation religieuse. Des gens arri­vent portant un paralysé sur une civière ... « et, comme à cause de la foule, ils ne voyaient pas par où le faire entrer, ils montèrent sur le toit et au travers des tuiles, ils te firent descendre avec sa civière en plein milieu, devant Jésus. Voyant leur foi, Jésus dit « Tes péchés te sont pardonnés». Alors que le plus urgent semble de guérir ce paralysé, Jésus commence par lui pardonner ses péchés. Quet message y a-t-il dans ce geste ? Selon Jésus, vivre n'a pas pour seul critère la santé physique, mais aussi l'accord avec Dieu. En pardon­nant les péchés, Jésus déclare son identité divine. Et si l'instant d'après il délivre cet homme de son handicap physique, c'est bien au nom et avec la force du Dieu de vie.

Jésus invite ce paralysé à se lever et à porter son lit, geste par lequel il signe son pouvoir et son acte de pardonner. Libéré à la fois de la paralysie du péché et de son corps, cet homme peut trouver une vie norma­le au milieu des siens.

Dans cette double action de Jésus, nous perce­vons assez bien la conception de la vie nouvelle selon Dieu. « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance ». Nous aurons aussi remarqué certains contrastes mis en évidence par l'évangéliste. Jésus entouré de croyants et de savants, comme détenu par eux, se laisse envahir par des gens bien plus qu'audacieux, admirables de foi. Jésus aime cette foi qui ose, qui dépasse les traditions, transgres­se les interdits et même les lois, telle celle du Sabbat. Car qu'y a-t-il de plus important à ses yeux pour le Pasteur qu'il est que d'aller chercher la brebis perdue ? Il laisse les 99 et il va à toute heure du jour ou de la nuit la chercher ... Il n'a de pensée que pour celle-là et quand il l'a trouvée dans les épines, il panse ses plaies, la c~nsole, lui parle, il la prend sur ses épaules, il la ramene avec le troupeau. C'est dire la bonté du Seigneur et sa joie d'avoir retrouvé celle qui était per­dl;Je. C~tte passion P<?Ur le bless.é, I~ ~auvre, l'immigré, Jesus tient cela de Dieu. Pour ams1 dire, c'est constitu­tif ~e s~ divinité. Non seu~ement Il n'oublie personne mais D.1eu C~fl!mence tou1ours par ~onger à ceux qui sont tom, qui risquent sans cesse d'etre marginalisés laissés en route, de ne plus compter pour quelqu'un .. :

, , Com.me!'lt r:ie p~s me'"!tionner aussi cette séquence d Evangile mt1tulee « Jesus et la femme guérie .. " Ainsi, n'a-t-on pas tous, un jour, souri à la lecture de st Luc (chap. 8 v.43) qui raconte les difficultés de cette femme qui souffrait d'hémorragies depuis 12 ans; elle avait dépensé tout son avoir en médecins et aucun n'avait pu la guérir. Elle s'approcha derrière Jésus, toucha la frange de son vêtement, et à l'instant même

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elle fut guérie ... Jésus dit : «quelqu'un m'a touché ; j'ai bien senti qu'une force était sortie de moi ... » (Luc 8, 43-48) Ce récit populaire entend illustrer cette puis­sance de vie qui irradiait du Christ. Il a suffi à cette femme de capter ce pouvoir grâce à son désir fréné­tique de guérir, conjugué à sa foi en Jésus. Cette femme a, par Jésus, retrouvé ce pouvoir qu'elle avait perdu de donner la vie. Et nous savons que ce pouvoir de guérir et de libérer la vie, Jésus le transmettra aux douze. Ce pouvoir et ce devoir de guérir, de tou~ faire pour redonner chance à la vie, les chrétiens en Eglise l'ont donc reçu comme une responsabilité.

Donner l'espoir aux plus démunis c'est aussi donner du sens à notre société.

Une société humaine ne doit-elle pas sans cesse réévaluer sa progression en fonction de ceux qu'elle a essoufflés et peu à peu disqualifiés ... N'est-ce pas en oubliant cela qu'elle devient société à deux ou plu­sieurs vitesses, qu'elle creuse la ou les fractures sociales? Jésus accomplit ce qui était pressenti et déjà publié dans l'Ancien Testament concernant l'Amour de Dieu pour tout être humain.

Écoutez le Dieu des juifs dont on nous a souvent dit qu'il était un Dieu de crainte. Il dit au livre d'lsaïe : « Si une mère oubliait son enfant, moi je ne t'oublierai pas. »(ls, 49) Avez-vous lu le Coran ? Il y est dit que Dieu aime tellement l'homme « qu'il est plus proche de lui que la veine de son cou » (50, 16). Au fait, toute religion, quelle qu'elle soit, aurait-elle quelque chance d'avoir des adhérents si elle ne mettait l'amour à son p~ogramme ? Et pourtant, je crois qu'il y a dans la Bible quelque chose d'unique. C'est que Dieu se soit d'abord fait connaître par son amour au temps de la sortie d'Egypte. de sorte que la création elle-même est d'abord perçue comme le résultat de cet amour. Regardez les lys des champs ! Les oiseaux du ciel 1 Ou~lle débauche de tendresse 1... Et voyez comme: enfin, Il se donne à l'homme jusqu'à mourir ! Aimer devient alors : aimer comme il nous a aimés, avec l'amour qu'il a mis en nous ... Où cela s'arrête-t-il ? Je cite quelques bonnes références bien connues, savou­reuses et nourrissantes ... - "D'un amour éternel, Je t'ai aimé" (Jr 51,3) - " Tu comptes beaucoup à Mes yeux tu as du prix

pour Moi, Moi je t'aime (ls 43,4) - " Une femme oublie-t-e/le son enfant ?

Même s'il s'en trouvait une pour /'oublier, Moi, Je ne t'oublierai jamais. Regarde, Je T'ai gravé sur la paume de Mes mains, Tes rebâtisseurs se hâtent, Tes démolisseurs s'en vont" (ls 49, 15)

- " Alors que tu étais abandonné, méprisé, délaissé, Je ferai de toi un objet d 'éternelle fierté " (ls 60, 15)

- « pomme un jeune homme met sa joie en celle qu'il aime, Ton Dieu met Sa joie en toi " (ls 62,5)

* Et puis, toutes ces références concernant l'étran­

ger dans la Bible : - (Exode 22,20) " Tu n'exploiteras ni n'opprimeras

l'ér;nigré car vous avez été des émigrés au pays d'Egypte."

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Les oubliés de la médecine et l'évangile _____________ _

- (Lévitique 33) « Quand un émigré viendra s'installer chez toi, dans votre pays vous ne l'exploiterez pas.» (34) « Cet émigré, installé chez vous, vous le traite­rez comme un indigène, comme l'un de vous ; tu l'aimeras comme toi-même, cat; vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d'Egypte. " «C'est moi, le Seigneur, votre Dieu. 1:'(Lv 19, 33-34).

- (Lévitique, 24, 22) :

- « Vous aurez une seule législation : la même pour l'émigré et pour l'indigène; car c'est moi, le Seigneur, qui suis votre Dieu. " « Si ton frère a des dettes et s'avère défaillant à ton égard, tu le soutiendras, Qu'il soit un émigré ou un hôte ; afin qu'il puisse survivre à tes côtés ... "(Lév. 25,35)

DES QUESTIONS À NOUS POSER

Médecin, pourquoi soignes-tu 1

Les médecins, chrétiens de surplus, ont au moins deux raisons de soigner l'homme malade :

- tout d'abord, c'est leur profession. Ils ont prononcé le serment d'Hippocrate qui engage à tout faire pour sauver la vie de toute personne quelle qu'elle soit. En cela, ils sont déjà collaborateurs de Dieu.

- Mais la deuxième raison, c'est que trouve écho dans leur cœur de croyant cette phrase du Christ: "Ce que vous aurez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'aurez fait"·

Il s'agit pour les médecins q1,1i sont chrétiens de mettre en rapport les appels de l'Evangile et les situa­tions pratiques dans lesquelles ils évoluent profes­sionnellement.

Certes, si l'on se réjouit que le médecin ait de bonnes connaissances, un excellent diagnostic, des compétences au top niveau, o.n attend aussi q~.'il so!t un être humain dont les oreilles, les yeux, 1 mtelh­gence et le cœur soient éveillés et déterminés à soi­gner toutes les personnes de toutes conditions. La médecine est faite pour l'homme, et non l'homme pour la médecine. La médecine ne doit pas se conten­ter d'attendre le malade elle doit aussi savoir aller à sa rencontre, l'écouter, apprendre son langage, com­prendre son environnement, son milieu qui parfois l'agresse et devient cause de son propre mal. La médecine a sa logique, mais elle n'ignore pas celle d'autres partenaires, ainsi les acteur~ sociaux. La concertation n'est pas seulement souha1~able, elle est une condition pour l'insertion de ceux qui sont exclus. Aucun médecin, pris individuellement, ne peut réfor­mer une médecine qui se reconnaîtrait trop prisonniè­re de moyens techniques, financiers, tellement perfor­mants et pointus qu'ils deyiennent trop éloignés d~ service des pauvres. Il s'agit ~e se de~ander ei:i quoi le corps médical dont vous faites partie, pourrait evo­luer, se modifier pour qu'il soit davantage en mesure de n'oublier personne dans le champ de ses respon­sabilités.

Il s'agit pour vous de réent~ndre comme actuali­sés les appels du Christ dans l'Evangile. La lecture de

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la Parole de Dieu ne dispense pas de ce temps d'ob­servation et de confrontation qui relève de votre savoir et de votre devoir médical. Lorsqu'il écoute la Parole de Dieu, le médecin croyant confronte ce à quoi il se sait invité et les exigences de !'Institution médicale dans laquelle sa profession l'investit. L'on pourrait aborder là tous les problèmes posés par la Sécurité sociale, sous l'angle en particulier des rela­tions entre usagers et médecins, leurs droits et leurs devoirs, en tout cas leur responsabilité respective. Le médecin chrétien n'est pas seulement un homme d'action mais aussi de contemplation, de prière. Vous le savez, l'on voit souvent Jésus se retirer à l'écart pour se ressourcer dans un face à face intime avec le Père. Et même, en pleine journée, l'on voit Jésus lever les yeux au ciel pour une prière, avant d'agir. La prière n'est-ce pas pour le croyant ce qu'est l'oxygè­ne pour le corps ?

Médecin, qui et comment soignes-tu 1

Souvenons-nous de ce cantique « L'amour a fait les premiers pas». Oui, dans l'histoire des relations de Dieu à l'humanité, Dieu a toujours fait le déplacement pour venir s'approcher, s'incarner. N'est-ce pas là indi­cation pour la médecine d'imaginer les moyens que réclame notre époque pour s'approcher des oubliés? Cela suffirait-il d'attendre les exclus dans les cabinets sans imaginer les moyens adéquats de les rejoindre?

Or, qui sont aujourd'hui ces pauvres, ces petits, ces démunis ? Ces gens de rien, cabossés, abîmés physiquement et moralement, ces exclus du regard, qui sollicitent une plus grande solidarité? Souvent des Migrants mais aussi des exclus du travail, du loge­ment, de la nourriture et de l'énergie, de la culture, de l'école, de la formation, exclus de la santé ... chômeurs et leurs familles, handicapés physiques et mentaux, plus assistés que reconnus, séropositifs et malades incurables, vieillards séniles, enfants et jeunes en échec scolaire, en rade sur le quai, à qui on refuse de monter dans le train, et même ces jeunes qui ont pour­tant des tickets obtenus avec courage et dûment com­postés 1 Habitants des bidonvilles dans le froid et la boue, étrangers, boucs émissaires de nos difficultés sociales et économiques, prisonniers entassés dans les prisons, en attente d'un juge"!'ent, prostitu~es, toxicomanes, ivrognes ... On pourrait continuer la hste de toutes ces formes d'exclusion et de marginalisa­tion. La pauvreté n'est pas, nous le savons tous, un phénomène marginal mais croissant. Ce congrès nous l'a rappelé tout au long des exposés et des carrefours.

Toutes ces populations ne sont-elles pas tous ces blessés de la vie que Jésus n'a pas cessé de rencontrer et de secourir: Bartimée l'aveugle, les lépreux, les boî­teux, les gens à la traîne ou sur le côté. Des pauvres, Jésus en a parlé : ainsi la Parabole du pauvre Lazare et celle du Bon Samaritain. (Luc 16, 19-31) La société fran­çaise est un corps. Elle a tout intérêt à ne laisser aucun de ses membres dépérir, sous peine de risquer elle­même tout entière de s'affaiblir!

Médecin et Bon Samaritain

Chrétiens, nous ne faisons pas que constater les dégâts faits à l'Humanité actuelle. C'est auprès de tous

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ces meurtris de la vie que nous allons retrouver Dieu, notre Dieu, Jésus-Christ. La Parabole du Bon Samaritain, je voudrais la relire avec vous avant de ter­miner ces quelques réflexions (lue 10, 29-37).

... « Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: « Et qui est mon prochain 1 »Jésus reprit: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l'avoir dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à. de,mi:mort .. Un prêtre vint à descendre par ce chemin la ; 11 le vit et passa outre. Pareillement Ur:' lévite, suryeflant ~~ c~ lieu, le vit et passa outre. Ma.1s un ~amanta1!1, qui e:t~ut en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de p1t1é. Il s'approcha, banda ses plaies, y versant de l'huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l'hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers de sa bourse et les donna à l'hôte­lier, en disant: « Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. » Lequel de ces trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme tombé aux mains des bri­gands 7 Il dit : « Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui. » Et Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même.»

Dans cette parabole du Bon Samaritain, les personnages sont nommés selon leur fonction socia­le : un prêtre, un lévite. L'un est nommé selon son lien d'appartenance : la Samarie. La Samarie est mal vue des Juifs (en raison de son passé). Quant à l'homme blessé, il est dit de lui qu'il est« un homme »,c'est-à­dire tout être humain et par extension l'Humanité. Devant un homme blessé, toute prescription légale s'efface pour faire place à la nécessité d'agir, de se faire prochain de celui qui a besoin. Ce Samaritain va s'approcher du blessé. Il est pris de pitié. La souf­france de l'homme blessé devient sa souffrance. Ce Samaritain a beau être étranger, puisque cela se passe en dehors de la Samarie, en Judée, il voit, il diagnostique, il accomplit les soins d'urgence, il bande ses plaies, il utilise l'huile, le vin. Bien plus encore, il le prend en charge, l'amène à une auberge, continue à le veiller jusqu'au lendemain. Il donne alors de l'argent à l'aubergiste: «Prends soin de lui et si tu dépenses quelque chose de plus, c'est moi qui te le rembourserai quand je repasserai »... Le Samaritain associe d'autres personnes au salut de cet homme.

Il donne de lui-même, de son temps. Il accomplit un suivi. Au fond, il fait les gestes du médecin. N'êtes­vous pas un peu des samaritains 7

Jésus conclut la Parabole en disant au légiste qui avait posé la question « Qui est mon prochain 1 » « Va et toi aussi, fais de même " Montre-toi le prochain de l'autre.

Or, n'est-ce pas aujourd'hui à nous que ce conseil s'adresse 1 De tous ces blessés d'aujourd'hui, faites­vous proches et intéressez les autres (comme l'auber­giste mis dans le coup). Intéressez vos confrères. Créez une dynamique, une synergie selon un des mots en vogue et pourtant qui exprime bien tout un esprit 1

Faites de même. Faites-vous prochain de celui qui est proche ou de celui qui est loin. N'est-ce pas là l'at­titude fondamentale du chrétien 7 Le Bon Samaritain, c'est bien sûr d'abord Dieu dans l'histoire. Jésus est venu secourir l'Humanité blessée, de la part de Dieu, l'Humanité en panne dans le fossé, sur le bord de la route de la vie, pour la remettre en marche. Et ce que Jésus a commencé, nous devons le poursuivre avec la force de son Esprit.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

Nous découvrons là l'image d'un Dieu qui ne sauve pas de haut, à distance, mais au contra.ire en, se faisant proche. Il prend les moyens et va 1usqu au bout. Car Dieu ne fait pas d'assistanat. Son but, ce n'est pas de se rendre indispensable à l'homme, son but c'est de restaurer les capacités, la liberté et la responsabilité de ,l'h9mme. 9ieu ne veut pa~ être la prothèse ou la bequ1lle de 1 homr;ne, con~ra1remen~ au célèbre reproche prononce par N1etzche a l'adresse des croyants, mais de permettre à l'homme de se lever et de marcher. « Lève-toi et marche » dira souvent Jésus aux gens qui lui arrivaient cabossés.

Médecin et serviteur du Dieu de la marge, du Christ crucifié, hors la cité

Tant de gens aujourd'hui nous apparaissent au bord de la route. Exclus, aux marges. Or, la marge, ce n'est pas seulement celle de nos villes, de nos pays industrialisés. Le Tiers Monde est la marge des pays riches. Ils sont aussi lieux d'interpellation. Nous avons une image très négative de la marge. Pourtant, prenons bien soin d'y regarder de près car elle peut nous enseigner beaucoup. En effet, la marge n'est­el le pas le lieu des titres et sous-titres où se concentre l'idée principale 1 N'est-ce pas dans la marge que le maître note ce qu'il a l'intention de faire ressortir, de mettre en valeur 7 Il serait donc regret­table que l'on ne regarde pas, n'écoute pas, ne s'en­richisse pas de ceux qui campent aux marges. La grandeur d'une ville ne se juge pas seulement à la beauté de son centre mais à l'aspect paisible et har­monieux de ses banlieues.

Tous les lieux de pauvreté et de malheur devien­nent ces lieux de marge qui, parce que sécrétés par une société, en disent beaucoup sur les mobiles, les modes de fonctionnement de cette société, sur ses richesses ou ses carences internes. Or, ces lieux sont aussi les lieux de Dieu. Dieu de la marge, Dieu de la périphérie. Jésus en Croix au Golgotha aux portes de la cité Sainte. Les pauvres sont nos maîtres, a dit I' Abbé Pierre.

Vous connaissez peut-être ce jeu d'enfants? Il y a sept sièges pour huit joueurs ; lorsqu'on interrompt la musique qui passe, chacun doit vite s'asseoir. Huit joueurs, sept sièges, un sera donc éliminé 1 On retire chaque fois un siège. Lorsque le plus vif, le plus débrouillard investira le dernier siège restant, il sera reconnu gagnant ... Sommes-nous en train d'assister aujourd'hui à ce jeu, dangereux, dans la société 7

Pour finir, laissez-moi vous citer un philosophe : Michel Serres,

« Oui, nous pourrons, demain, écrit-il, nous pour­rons choisir le sexe de nos enfants. La génétique, la biochimie, la physique et les techniques asso­ciées nous donneront tous les pouvoirs, mais nous devrons administrer ce pouvoir même qui, pour le moment parait nous échapper, parce qu'il va plus vite et ailleurs et plus loin que nos facultés de le prévoir, que nos capacités de le gérer, que nos désirs de l'infléchir, que notre volonté d'en décider, que notre liberté de le diriger. Nous avons résolu la question cartésienne : comment dominer le monde 7 Saurons-nous résoudre la suivante : comment diminuer notre domination, comment maitriser notre main-mise 7 ( ... )

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Les oubliés de la médecine et l'évangile _____________ _

Nous devrons maintenir l'équilibre du monde. Nous devrons organiser ou protéger la multiplicité de la vie. Sans nous en apercevoir, nous passons du verbe pouvoir au verbe devoir. Quel retour inat­tendu de la morale ! Les générations qui nous précèdent jouirent, un temps bref, de décliner le premier, alors que la nôtre se voit contrainte à conjuguer le second ( ... ). Il va donc nous falloir un savoir prodigieux, aigu dans le détail, harmonieux pour son ensemble, et une sagesse souveraine, claire dans l'instant et prudente pour l'avenir. Divine ? "

Pendant deux jours on a regardé l'exclu, les exclus de la médecine ...

, Celui qui incarne ce rôl~ dans l'Évangile c'est Jesus «Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu" (Jean 1-11).

« Ils ont rejeté celui qui était pourtant la pierre d'angle ... "(Mat 21,42-44 - Mc 12, 10 - Le 20, 17-18).

Entendons Pilate le présenter à la foule cc Ecce homo ». 11 ne croyait pas si bien dire car Jésus est l'homme d'hier, d'aujourd'hui. Ecce homo, le voici sous les traits de l'exclu, du pauvre, du malade ... cc qu'allez-vous en faire? » demande Pilate à la foule? Vous savez ce que la foule a crié ce jour là ... ? : cc qu'il meure 1 »

Qu'allons-nous faire nous, pour qu'll vive? •

F.E . .A.M.C.

Dans ce nu.znéro, à nouveau un bulletin d'inscription

au CONGRÈS de PRAGUE

« LA MÉDECINE D' .AUJOURD'HUI et NOTRE IMAGE DE L'HOMME >>

du 5 au 9 juin 1996

Nos aznis tchèques espèrent vous voir noznbreux

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CONCLUSION

par le Père Michel JEANROV (*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

Faut-il conclure avec quelques traits d'humour ? Dire l'heureux démarrage de notre congrès avec le Docteur Lasne, le« général Lasne» qui sabre au clair, écartant les pauvrologues et la seule générosité, nous a entraînés vers la justice égale pour tous et fait visiter le centre Baudelaire; avec Anne Veley qui nous a un peu perdus dans le labyrinthe de ses intéressants « réseaux ; avec le sociologue qui a manié le scapel et décapé nos bonnes consciences et remis le malade au centre de tout; avec Christian Prieur qui a carrément secoué le cocotier pour faire tomber quelques freins ou barrières venant entre autres du corps médical lui­même ; enfin avec le Professeur Gentilini qui a donné un grand coup de pied dans la petite colline de nos problèmes hexagonaux que nous avions avec effort inventoriés durant deux jours, pour nous aider à regar­der, plus loin, l'immensité de la planète, pour dresser devant nous cette montagne de misères et d'oubliés qui frappent à nos portes. Ces oubliés qu'on pourrait symboliser par cet enfant difforme des déserts de cailloux du Nord Cameroun surnommé « Debné », ce qui veut dire:« Est-ce quelqu'un?», dont nous a parlé le Père Marguet dans sa très belle méditation. Justement on pouvait se demander si ce congrès des oubliés de la médecine était bien utile pour nous, gens des pays développés. Nous dont les richesses et les compétences ont permis d'accéder à un rêve de sécu­rité pour l'ensemble des citoyens, un rêve qui s'appuie sur des droits et qui met en œuvre des devoirs et qui s'appelle la Sécurité sociale au sens large. Y avait-il vraiment des oubliés, qui pouvaient-ils bien être, comment en étaient-ils arrivés là, et, s'ils existaient, quels remèdes apporter? Fallait-il creuser un peu plus le trou de la « sécu » ou y avait-il d'autres pistes à suivre?

Un médecin qui accomplit toute la journée et toute l'année avec compétence et dévouement son travail peut ne pas rencontrer ce type de personnes. Il a sa clientèle qui l'occupe entièrement, une formation per­manente à poursuivre, une famille qu'il voit trop peu. Il se couche le soir, il prend ses vacances, en ayant, à juste titre, le sentiment d'avoir bien rempli son contrat de service d'autrui, son devoir d'état. Cependant en s'endormant, s'il est chrétien, il peut faire, au risque de se culpabiliser un peu, cette prière reprise de celle du jeune homme riche de l'évangile: Seigneur est-ce que je fais bien tout ce que je dois pour gagner la vie éter­nelle, que puis-je faire, que dois-je faire encore?

(*) Aumônier du C.H.U. à Reims.

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Conclusion ______________________ _

Or nous avons vu et entendu des témoins, des médecins, un « peuple de prophètes » qui ont décou­vert que même dans une société policée, dans un état de droit, des oubliés nombreux existaient. Ils nous ont dit avec des chiffres et des faits la réalité de cet oubli, les mécanismes de son développement et de son aggravation.

Et voici que s'est dressée devant nos yeux et nos consciences la figure pitoyable, aux multiples visages, de !'oublié de chez nous et du monde. Un cri a retenti qui remonte à vingt siècles en arrière : « ECCE HOMO » J voici l'homme oublié, exclu, tombé à terre, victime de lui-même ou des péchés collectifs de nos sociétés. Qu'allons-nous en faire ? Cela nous concerne-t-il ? Sommes-nous les gardiens de nos frères, n'y a-t-il pas d'autres instances que les nôtres pour s'occuper de cela, n'y a-t-il pas des vocations spécifiques pour eux, allons-nous nous laver les mains ?

Merci à tous ceux qui ont éclairé le terrain, alerté nos consciences, éveillé notre imagination, conforté nos engagements. Les oubliés de notre société et du monde sont nombreux, leur santé est précaire, leur approche des soins est difficile, souvent trop tardive, toujours nécessaire et cependant insuffisante en elle­même. Un immense travail de prévention et de suivi est nécessaire pour qu'ils puissent tenir debout comme « Debné » appareillé après avoir été apprivoi­sé ou même pour qu'ils puissent reprendre la route avec tous. Mais nous avons vu que ces oubliés de la société ne relevaient pas du seul médecin et que le tra­vail de prévention et de suivi devait être le fait de mul­tiples instances regroupant le culturel, le social, l'éco­nomique et le politique ; instances nécessairement coordonnées entre elles si elles veulent être efficaces. Les mots de décloisonnement, de communication, d'échange ont été sans cesse utilisés. La médecine doit avoir sa place dans ces dispositifs, elle ne peut pas grand-chose sans ces colleqtifs, s~ns ces. ré.seaux et ceux-ci sont boiteux sans la d1mens1on sanitaire.

Mais le médecin dont la vocation est d'approcher les personnes malades dans un colloque personnel n'est pas automatiquement p~éparé à .prendre P.lace dans ces collectifs ou a les creer : la simple pratique par exemple de l'équipe soignante n'est pas pour tous

familière et pour les plus convaincus elle est sans cesse à refaire; la notion de prévention et de suivi le mobilise peu, à la limite elle tuerait son gagne-pain, elle demande une véritable conversion. Individuelle­ment on ne peut donc pas faire grand-chose. Certes c'est déjà un grand bien d'accueillir, d'aider, de suivre tel ou tel cas venu jusqu'à nous dans la détresse. Cet accueil, cette compassion sont certainement un passa­ge obligé pour un «plus» ou plutôt pour un «autre­ment». Mais cet« autrement», nous l'avons compris, s'accomplira essentiellement au niveau institutionnel et associatif. Il supposera donc une prise de conscien­ce, une conversion, un engagement mangeur de temps, car ces structures sont lourdes; mangeur d'ar­gent car elles sont peu ou pas gratifiantes au plan rémunération. Vos amis ne manqueront pas de faire mention de ce service d'autrui dans les discours d'amitié et de reconnaissance qu'ils feront en vous accompagnant à votre dernière demeure. Avant cette date, beaucoup vous regarderont peut-être comme des originaux, des saints ou des fous ; Dieu merci, nous en avons découvert beaucoup dans cette assem­blée et il se trouve que sous la poussée des grandes ou petites associations humanitaires, profanes ou chré­tiennes, dans lesquelles ils ont pris place, ils voient parfois des réponses institutionnelles à leur effort : telle autorisation au plan local, telle loi ou création au plan national, telle orientation au plan international, le modeste effort des O.N.G. qui ne représente que 6 % de l'aide aux pays en voie de développement est peut­être en partie le levier qui oblige à une meilleure aide publique ou qui freine son recul.

Rejoignons ceux qui œuvrent ainsi, ça vaut le coup d'arracher notre société à sa pente instinctivement individuelle et égoïste et de lui donner un sens, du sens, son sens. Faisant cela nous donnons aussi un sens à notre propre vie et la Foi, la prière, la contem­plation des croyants s~ traduis~nt alors en terme .d'ac­tion sont davantage signe de 1 amour de notre Dieu ... Au jugement dernier notre folie d'amour ser~ regar­dée comme sagesse, la recherche et le service des oubliés se révélera être recherche et rencontre du Christ, même pour les incroyants : «c'est à moi que vous l'avez fait ! » •

Il nous manque quelques articles. Leurs auteurs, très occupés, ou gênés

par les« grèves» de décembre, n'ont pu les faire parvenir à temps pour publication dans ce numéro.

Nous les publierons en annexe à un autre numéro, dès réception ...

38 MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

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UN REGARD SUR LE CONGRÈS DE REIMS

par le Père Jean-Claude Besanceney (*)

MÉDECINE DE L'HOMME N° 221

Le très judicieux choix du thème était fait pour per­mettre à tous les praticiens quel que soit leur mode d'exercice, de se retrouver devant un aspect commun et actuellement menacé de l'exercice de la profession: l'égalité devant l'accès aux soins. Car l'évidence sem­blait être que l'existence d'un système de santé cin­quantenaire et qui a fait ses preuves, malgré ses diffi­cultés, était en effet à même d'assurer indéfiniment cette égalité de fait.

Or voici que l'impact de la « fracture sociale » ou de « l'exclusion » suivant les options, fait que le« sys­tème» en principe égalitaire et universel ne fonction­ne plus pour une fraction notable de la population. Le corps médical est ainsi amené à se ressaisir de cet impératif qui est un des fondements de son éthique.

En même temps que les médecins, surtout en exercice libéral, s'inquiètent des empiétements pos­sibles de l'institution de protection sociale sur leur domaine de responsabilité, voici que sa déficience les amène à reconsidérer cette question essentielle de la réelle égalité de l'accès aux soins.

Il n'est pas étonnant qu'un système conçu à l'époque du plein emploi et de l'intégration sociale dans l'identité nationale retrouvée après la guerre 40-45 ne soit plus totalement adéquat à une société qui a évolué sous la pression de problèmes de santé nou­veaux. La question du financement n'est qu'un aspect de cette inadéquation : le Congrès de Reims en a abor­dé un autre: le versant« médical ».

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La manière de l'aborder a été différente suivant les intervenants, dont l'un ou l'autre a suscité des réac­tions dans la salle au cours de la matinée. Cependant, les témoignages plus concrets de l'après-midi et celui qui a pratiquement et trop rapidement terminé le Congrès ont donné corps et visage à ces « oubliés de la médecine».

Ce qui paraît en jeu, c'est la difficulté pour le médecin de se situer devant un problème à dimension sociale sans perdre son identité. Il n'a pas à se situer en travailleur social : telle n'est pas sa fonction. Mais comment, pour certains du moins, changer une certai­ne conception de l'accueil et du suivi de ces patients d'un nouveau type ? Certes en médecine de ville bien des praticiens voient entrer dans leur cabinet de ces « oubliés ». Mais quelle que soit la nécessité et l'im­portance du «colloque singulier», il semble qu'il

(*) Aumônier national du C.C.M.F.

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Un regard sur le Congrès de Reims ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~-

devienne parfois insuffisant. Or, nous a-t-on dit, il n'y a pas de « pauvrologie » et « le sida et la toxicomanie ne sont pas des spécialités ». La notion neuve de « réseaux» invite le praticien de ville à changer quelque peu ses habitudes : or, nous a-t-il été dit également, certains refusent de participer à ces réseaux, alors même que le « partage » du secret médical ne les décharge pas de leur responsabilité.

En médecine hospitalière, les urgences fournis­sent leur lot quotidien « d'oubliés » et ils sont accueillis, souvent orientés vers des services appro­priés, mais est-ce suffisant ? : La notion d' « urgence médico-sociale » et l'existence de centres comme « Baudelaire » peuvent aussi amener à modifier le regard et I' accueil du praticien hospitalier. L'institution ne le protège plus de la rencontre concrète de deman­deurs d'aides multiples à travers la demande de soin. Le « service »tel qu'il est conçu, et bien qu'il ait fait ses preuves, est-il adapté à cette population ? La notion de «sas» se révèle opportune: là où on ne peut entrer de plain-pied, un lieu de transition est nécessaire.

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Interrogations donc, et cela est bien. Mais ne pour­rait-on aller plus loin dans la réflexion ? A l'occasion de cette redécouverte de la« non-évidence» de l'éga­lité de l'accès aux soins dans notre pays, ne nous est­il pas dit que la mise en œuvre de ce « droit de l'homme » est aussi un objectif médical essentiel ? L'investissement du médecin dans l'exercice de sa profession ne se limite pas au soin de personnes indi­viduelles indépendantes les unes des autres, mais il s'étend potentiellement à tout demandeur et constitue ainsi une forme de sociabilité. Le militantisme médical n'est-il pas également de faire en sorte que la société honore réellement ce droit sans se contenter d'y répondre avec ses propres patients ? La rencontre se fait alors entre l'exigence hippocratique et la promo­tion d' un droit élémentaire de la personne.

Il est normal que ce changement de perspective suscite des résistances. On a beaucoup parlé durant le Congrès de<< partenariat, réseaux, décloisonnement. .. ». L'importance des associations comme acteurs médi­co-sociaux nous a été soulignée. Le bon fonctionne­ment de son service ou de son cabinet ne peut-il pas masquer au praticien la réalité d'une demande nouvel­le qu.i implique un accueil et un suivi renouvelés ? Outre sa « solitude » parfois lourde, ne se découvre+ il pas également «isolé», livré à lui-même, surtout peut-être en médecine de ville ?

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L'écho évangélique proposé débutait d'une manière cohér~nte avec le thème du Congrès en abordant la question de fond « performance et solidarité ». Comment en effet pour le corps médical gérer l'inces­sant progrès biomédical et simultanément l'accueil des nouvelles demandes ? Mais les évocations bibliques et évangéliques présentées nous remet­taient devant des situations où guérison et ré-intégra­tion sociale coïncidaient, de sorte que le thème initial ne s'est pas trouvé approfondi : continuons de le tra­vailler dans nos diverses réunions. Comment vivre à la fois cette « image de Dieu » que nous sommes dans la dyna­mique du progrès des connaissances et des tech­niques, et en même temps vivre en fils d'un Dieu et disciples d'un Christ qui « n'oublie personne » ... ?

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Appels quelque peu « prophétiques » d'interve­nants, appels évangéliques: ce Congrès aura permis, outre l'intérêt de la convivialité, qu'ils nous soient adressés. C'est bien l'affaire de tous, dans les diffé­rences d'exercice de la profession, que dans l'avenir la médecine « n'oublie » personne dans le cadre d'une société globalement plus consciente des risques graves de « désintégration »qu'elle court.

Ainsi pourrait se réaliser pleinement, en tout cas à l'hôpital, ce qu'affirme la toute récente «charte» offi­cielle du patient hospitalisé « L'accès au service public hospitalier est garanti à tous, et en particulier aux per­sonnes les plus démunies quand bien même elles ne pourraient justifier d'une prise en charge par l'assu­rance maladie ou l'aide médicale» (1).

Sans nul doute,« Reims» aura des suites... •

(1) Circulaire D.G.S./D.H. n° 95-22 du 6 mai 1995.

Annonceur SERVIER........................... IV

Directeur de la Publication 0' Claude LAROCHE 34, rue de Bassano, Paris-a•

ISSN 0543-2243 Commission Paritaire

N° 54216

IMPRIMERIE tl ALENÇONNAISE Rue Édouard-Belin, 61002 Alençon

Dépôt légal: 1"' trimestre 1996- N° d'ordre: 36339

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