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Journée Mondiale de la Prévention du Suicide le 10 septembre 2010 COLLOQUE INTERNATIONAL «Avec qui et avec quoi veulent-ils en finir ? Prévention et prises en charge des adolescents suicidaires» Journée organisée par l’asbl «UN PASS DANS L’IMPASSE - Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement - réseau Solidaris»

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Journée Mondiale de la Prévention du Suicide

le 10 septembre 2010

COLLOQUE INTERNATIONAL

«Avec qui et avec quoi veulent-ils en finir ?

Prévention et prises en charge des adolescents suicidaires»

Journée organisée par l’asbl «UN PASS DANS L’IMPASSE - Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement - réseau Solidaris»

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Ce colloque a été organisé par l’ASBL « Un pass dans l’impasse – Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement – réseau Solidaris ».Lieu : Centre de Formation des Mutualités Socialistes Wallonnes – « Action Francophone pour la Formation » (AFF).

Animation de la journée : Madame Daphné BERTRAND.Modérateur : Docteur Dimitri TOMANOS.Photographie : Madame Dominique FERON.

Ce document a été finalisé en Juin 2011 ; il peut être téléchargé sur le site Internet de l’asbl (www.lesuicide.be) ou commandé auprès de :Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement « Un pass dans l’impasse » asblChaussée de Waterloo n°182 – 5002 Saint-ServaisTél. : 081/777.150 – Fax : 081/777.159Mail : [email protected] – Web : www.lesuicide.be

© ASBL « Un pass dans l’impasse – Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement – réseau Solidaris », 2011.

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MATINÉE

Introduction

La Place de la mort dans la société contemporaine : quelques conséquences pour la

prévention du suicide

Extrait de l’intervention de Madame Maja PERRET - CATIPOVICPsychologue spécialiste en psychothérapie FSP, Responsable du Centre d'Etude et de Prévention du Suicide (CEPS), Genève

Les jeunes et l’idée de mort – Evaluation du risque suicidaire à l’adolescence

Extrait de l’intervention du Professeur Nicolas ZDANOWICZPsychiatre, Unité de Psychopathologie et de Psychosomatique, Cliniques Universitaires de Mont-Godinne, UCL

La souffrance n’a jamais tué personne, l’incapacité à y faire face : oui ! Devoir

d’ingérence… qualité de présence

Extrait de l’intervention de Monsieur Mario BEAULIEUIntervenant communautaire au CÉGEP Sainte-Foy, Centre de prévention du suicide, Québec

« Je voulais pas mourir, je voulais juste me tuer ». Comment aider l’adolescent suicidaire à

sortir de son impasse ?

Extrait de l’intervention du Docteur Xavier POMMEREAUPsychiatre responsable du Centre Jean Abadie, CHU, Bordeaux

APRÈS-MIDI

Les ateliers thématiques

Atelier 1 : « Dépistage et relais »

Atelier 2 : « Prévention »

Atelier 3 : « Outils thérapeutiques »

Conclusion

Par le Docteur Dimitri TOMANOSMédecin généraliste, Coordinateur général au Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement « Un pass dans l’impasse » asbl – réseau Solidaris

Et Madame Florence RINGLETPsychologue, Directrice thérapeutique au Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement « Un pass dans l’impasse » asbl – réseau Solidaris

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Introduction

Le suicide est souvent considéré comme la griffe de la désespérance individuelle et sociale. Il évoque pour beaucoup le refus d’une existence douloureuse et devenue insupportable. Passage à l’acte brutal ou parfois différé une vie durant, il peut être compris comme une ultime tentative pour dire l’indicible.

Dans le cadre de la Journée Mondiale de la Prévention du Suicide, le Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement « Un pass dans l’impasse » asbl – réseau Solidaris a organisé le 10 septembre 2010 un colloque international destiné aux acteurs de terrain et aux associations qui oeuvrent dans le domaine de la prévention du suicide et l’accompagnement du deuil. Cet évènement était également ouvert au grand public.

Nous avons consacré cette journée à l’étude de l’adolescent face au suicide et à la mort dans une société complexe et en constante évolution. Les objectifs poursuivis lors de cette journée étaient de sensibiliser à la problématique du suicide, de présenter des outils thérapeutiques, et de croiser les expériences et les pratiques afin d’élaborer des recommandations visant la prévention du suicide chez l’adolescent.

Après la séance plénière plus théorique de la matinée, les différents intervenants se sont répartis dans trois groupes de travail. Ces ateliers en groupe restreint avaient pour objectif de se centrer sur les réalités de la pratique de terrain. Ils ciblaient trois domaines précis : la prévention, la question du dépistage et du relais, et les outils thérapeutiques. De plus, ils étaient l’occasion pour les participants d’échanger avec les intervenants sur leurs pratiques en Suisse, France, Québec et Belgique.

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Les intervenants.

Cette journée a été introduite par Monsieur Husain SHABAN, Secrétaire Général de la Mutualité Solidaris de la Province de Namur et Président de l’asbl « Un pass dans l’impasse », qui a pu rappeler toute son implication dans le projet mais aussi sa sensibilité pour les questions liées à la santé mentale. Ensuite, le Docteur Xavier POMMEREAU, parrain de l’asbl, a tenu à insister sur l’importance de développer des projets innovants en matière de prévention et d’aide aux jeunes confrontés à la problématique du suicide. Il a également précisé combien il était attaché à l’asbl « Un pass dans l’impasse » et enthousiaste de voir ce projet prendre une telle ampleur. Enfin, Madame Florence RINGLET, directrice thérapeutique de l’asbl, est revenue sur les moments forts de la création du centre et sur la dynamique inhérente au projet.

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« La Place de la mort dans la société contemporaine : quelques

conséquences pour la prévention du suicide »

Extrait de l’intervention de Maja PERRET - CATIPOVICPsychologue spécialiste en psychothérapie FSP, Responsable du

Centre d'Etude et de Prévention du Suicide de Genève

« La représentation de la mort chez les adolescents est soumise au paradoxe qui marque de son sceau le fonctionnement psychique à cette étape du développement. Lorsque la rêverie ne suffit plus à panser un narcissisme blessé, la mise en acte du « fantasme du Phénix » devient tentante. L’idée de se tuer, non pas pour cesser d’exister mais pour renaître à la vie autrement, est aisément repérable dans bon nombre de tentatives de suicide chez l’adolescent. Elle provoque le clinicien et l’oblige à conflictualiser aussi bien le désir de tuer la vie devenue insupportable, que le désir de vivre autrement, surtout lorsque ce vivre autrement tend à l’enfermement dans une bulle narcissique mortifère.

Le Phénix se consume puis renaît de ses cendres plus beau et plus fort. La fascination des adolescents pour cet oiseau mythique est sans doute due à l’écho narcissique de la toute-puissance du Phénix. Non seulement il se tue pour se débarrasser des contraintes des mortels, mais il renie toute filiation autre qu’à lui-même. L’affront suprême de ne pas avoir présidé à sa conception est ainsi lavé, l’auto-engendrement volant au secours de l’insupportable inscription dans la double différence des sexes et des générations.

Selon la légende, si le Phénix est condamné à s’auto-engendrer et à renaître de ses cendres, c’est aussi parce qu’il ne peut exister qu’un seul Phénix à la fois et que toute possibilité de rencontre d’un autre, différent, lui est de ce fait refusée. Le problème survient lorsque l’adolescent se place dans une logique du dépit comme solution par excellence pour esquiver ses contradictions internes en même temps que les contraintes externes.

Ce qui nous intéresse particulièrement c’est d’envisager la problématique adolescente au regard de l’évolution récente des valeurs et tabous de notre société. Cette réflexion débouchera sur la proposition de quelques pistes à prendre en compte dans l’élaboration des programmes de prévention du suicide chez les jeunes » (M. Perret-Catipovic).

Les progrès de la médecine au cours du 20e siècle ont défié la mort dans ce qu’elle a de symbolique, jusqu’à donner à l’Homme une illusion de maîtrise à son égard. Dans les pays industrialisés, la vaccination massive et les diverses campagnes de prévention à destination des jeunes parents ont contribué à abaisser le taux de mortalité infantile à un niveau record. De même, avec la généralisation des antibiotiques, les progrès de la recherche médicale et les améliorations en matière d’hygiène et d’alimentation, on a pu constater un net recul des décès prématurés dus à la maladie. Dès lors, il semble justifié de questionner la place de la mort dans la société contemporaine. Comment concevons-nous la mort dans nos sociétés modernes ? Et quelles en sont les conséquences en matière de prévention du suicide ?

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La mort a changé de visage. Elle ne prend plus celui du nouveau-né, de la femme en couches ou la figure de l’homme encore jeune mais malade ou tué en temps de guerre. Non, le trépas est désormais assimilé à la vieillesse dont les premiers signes sont traqués, rejetés, gommés. Comme si en effaçant les rides, il était possible de conjurer l’inéluctabilité du vieillissement, et par là de la mort. Ces marqueurs de vieillesse, aujourd’hui assimilés aux symptômes d’une « maladie » honteuse, déclenchent une sorte d’« angoisse signal » qui donne tout son élan au jeunisme ambiant. Alors, la mort devenue indécente, ineffable, est reléguée aux seules mains des spécialistes, théorisée et mise à distance par la professionnalisation des rituels funéraires. L’évolution sociale est telle que nous pouvons avancer l’idée d’une transition au cours du 20e siècle d’un tabou lié à la sexualité vers un tabou portant sur la mort elle-même. En d’autres termes, de l’opprobre entourant les plaisirs de la « petite mort », l’évolution culturelle nous aurait précipités dans un épais silence en ce qui concerne la finitude.

Certains spécialistes ont qualifié les sociétés occidentales modernes de « post-mortelles » en ce sens que le statut symbolique de la mort y serait nié. Cette dernière aurait de ce fait perdu son statut d’« organisateur socioculturel ». Selon Philippe Ariès1, « le sentiment d’échec que la mort inspire tant vis-à-vis du pouvoir médical que de celui de la toute-puissance de l’individu va transformer la mort en un phénomène honteux qu’il faut à tout prix cacher ». Le fantasme de l’immortalité, tel un chant de sirène, sonne toujours plus doux aux oreilles de nombreux généticiens. Et pour cause, des financements conséquents sont attribués chaque année à des chercheurs en biologie cellulaire, à l’instar du Docteur Stanley Shostak2. Ce dernier avance une proposition de modification génétique de l’humain visant à stopper la croissance cellulaire à l’orée de la puberté. Cette méthode devrait permettre de ralentir, voire d’interrompre le processus de vieillissement naturel des cellules. Ce type de projection scientifique se retrouve également chez Aubrey de Grey (2006) pour qui « la personne qui vivra éternellement est déjà née ». L’immortalité n’apparaît donc plus taxée d’ineptie mais s’annonce rondement comme la prochaine croisade scientifique.

Portées depuis le 19e siècle par cette hypomanie propre au libéralisme économique et par l’industrialisation massive dans nos contrées, nos conditions de vie se sont considérablement améliorées, ce qui a notamment eu pour conséquence de la prolonger. Le taux de mortalité précoce a en effet diminué de manière remarquable. La mort est sans cesse « repoussée » plus loin. Mais n’oublions-nous pas qu’elle reste pourtant une part essentielle et constitutive du réel, y compris de la réalité de nos adolescents ? Que représente la mort pour eux ? Comment est-elle symbolisée ? De quelles représentations est-elle entichée ? « Tout comme la pornographie est l’image grossissante et désincarnée de la sexualité interdite, le meurtre, la violence létale et les accidents occupent une place centrale dans la culture contemporaine marquée par le déni de la mort »3. De quoi meurent principalement les adolescents aujourd’hui ? Rarement d’autre chose que d’accidents liés à des conduites à risque (roulage, sports, intoxication, …) ou d’actes auto-agressifs tel que le suicide.

Les progrès en science médicale ont permis de réduire l’impact des maladies infectieuses à un niveau minimum sans précédent. L’apparition de virus pandémiques mobilise les structures de santé publique de façon extraordinairement organisée et efficace. Pourtant, il est des épidémies meurtrières qui ne bénéficient d’aucun plan d’action coordonné. (Footnotes)1 Ph. Ariès, « Essais sur l’histoire et la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours », Paris, Editions du Seuil.2 Stanley Shostak, « Becoming Immortal : Combining Cloning and Stem-Cell Therapy », University of New York Press, 2002.3 Gorer, G., « The pronography of death », Encounter, 1955.

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Le suicide, phénomène hautement contagieux et responsable d’un décès toutes les 40 secondes dans le monde, n’en est encore qu’à provoquer des effets de manche. Les budgets alloués à la recherche en suicidologie restent en effet bien insuffisants pour permettre des actions concrètes et coordonnées. Si les autres causes de mort prématurée ont nettement reculé au cours des trois dernières décennies, le suicide s’est maintenu dans une inquiétante stabilité. Toutefois, une tendance se dégage : alors que le suicide n’est pas un phénomène nouveau, nous déplorons un abaissement de l’âge des suicidés.

Les adolescents nourriraient l’espoir secret que par leur mort, ils pourraient renaître à la vie, autrement plus forts. Ce fantasme d’auto-engendrement viendrait laver l’affront narcissique d’une vie conditionnée à la dépendance à l’Autre. Mais dire que les adolescents cherchent surtout à vivre autrement en se tuant ne me suffit pas. Il reste à expliquer comment ils parviennent à allier des raisonnements parfaitement intelligents avec des propos proprement incohérents et irrationnels. Comment peuvent-ils être capables d’opérations mathématiques complexes et en même temps songer à renaître de leurs cendres en déniant la mort ? N’est-ce pas là justement une caractéristique de cet âge d’être dans une sorte d’état traumatique permanent où, grâce à la magie du clivage, différents états contradictoires du moi coexistent au rationnel ? Un âge où se contracte le nœud borroméen entre Réel, Imaginaire et Symbolique, mais aussi la dialectique entre principe de plaisir et principe de réalité.

Ma pratique au Centre d’Etude et de Prévention du Suicide (CEPS) m’a amenée à cette question récurrente dans le travail avec les adolescents suicidaires : avec qui et avec quoi veulent-ils en finir ? Et l’hypothèse que leurs actes mortifères seraient notamment destinés à rendre à la mort son statut de réalité.

Au sein du CEPS, nous envisageons la prévention du suicide chez les jeunes suivant trois axes. Premièrement, la « prévention universelle » nous amène à développer des actions de prévention à destination du grand public, notamment à travers les médias, le secteur de l’enseignement et les conférences publiques. Il s’agit à proprement parler de diffuser une information claire et accessible sur la problématique du suicide, et qui met en avant la déstigmatisation de la souffrance morale. Cette voie de prévention rencontre principalement deux écueils. D’une part, face à ce type de message, il se produit une sorte d’effet de « superposition des représentations ». Cela se traduit notamment par des réactions dans le public du type « je sais bien mais quand même ». L’impact du message préventif est alors pour ainsi dire nul. D’autre part, il reste souvent laborieux de renverser certaines croyances dominantes relatives au geste suicidaire.

Deuxièmement, la « prévention sélective » qui concerne spécifiquement les groupes à risque, tels que les adolescents « toxicophiles » ou en rupture scolaire, et ce à travers la formation des intervenants et la pratique du dépistage systématique (dans les écoles). Elle vise principalement comme objectif de permettre une évaluation efficiente et propose des stratégies collectives quant au repérage des individus à risque. Cela passe nécessairement par une identification et un renforcement systématique des ressources naturelles du milieu et du réseau. Mais surtout, il s’agit d’adopter un positionnement éthique pour éviter le travers de la « pathologisation » excessive des difficultés rencontrées par les jeunes.

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Troisièmement, la « prévention indiquée » qui cible directement les patients lorsque le risque de suicide est avéré. Dans ce contexte, nous mettons en place une évaluation spécifique de la situation et nous proposons une prise en charge adaptée (entretiens de médiation familiale, guidance parentale, entretiens thérapeutiques individuels, psychodrame, entretiens téléphoniques et « répondance » Internet). L’objectif est alors, soit de permettre une entrée en soin, soit de favoriser une poursuite de soins, soit enfin de soutenir une démarche de soins préexistante.

Notre expérience nous amène à considérer comme essentielle la connaissance du réseau, de ses modes d’emploi et de ses spécificités. Nous pensons par ailleurs qu’il est contre-productif de démultiplier les centres et associations, alors qu’il est toujours nécessaire de mettre en valeur la complémentarité. Même en rapport aux multiples « causes externes » de blessure, le suicide représente un facteur déterminant, au même titre que les accidents de roulage dont on sait qu’environ un tiers seraient des suicides non renseignés comme tels. En effet, selon les pays, pour décréter un suicide, il faut impérativement que l’intention suicidaire ait été clairement consignée par écrit. Le suicide tue à tous les âges de la vie, que ce soit en France, en Suisse ou ailleurs. Mais si nous devons nous mobiliser particulièrement pour comprendre et contenir le suicide à l’adolescence, c’est qu’il représente une des causes principales de décès à cet âge. Lorsqu’on prend conscience qu’un tiers des décès des jeunes (en particulier les hommes) est dû au suicide, comment ne pas l’inscrire comme priorité absolue de santé publique ? En effet, dans la plupart des pays européens, le suicide représente la 2ème cause de mortalité chez les 15-24 ans, après les accidents de la circulation, et la 1ère cause de mortalité chez les 25-34 ans.

Le 16 avril 2008, l’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe a voté la résolution 1608. Elle pose le suicide des enfants et des adolescents en Europe comme un grave problème de santé publique. Cette résolution liste 15 constatations desquelles sont extraites 18 propositions. Le développement de structures d’accueil et de soins n’est qu’une de ces 18 propositions. Les autres, pertinentes, nous incitent à être créatifs, à tenir compte des particularités des adolescents et de leur environnement social, à nous questionner et à collaborer entre professionnels.

Des moyens de prévention du suicide existent mais ils ne sont pas forcément là où on les attend. Sans doute est-il indispensable de sortir du modèle étiologique classique en santé mentale : « pour prévenir les conséquences, éradiquons les causes ». La prévention du suicide porte en exergue la nécessité de maintenir coûte que coûte un lien avec la personne suicidaire. A titre d’exemple, une étude en Nouvelle-Zélande1 montre que le taux de récidive et de réadmission à l’hôpital peut-être significativement diminué lorsque des courriers de soutien sont envoyés à la personne dans les quelques mois qui ont suivi son hospitalisation.

Je soutiens l’idée que le suicide à l’adolescence est souvent l’expression d’un désir de restauration narcissique. Vu sous cet angle, on renoue mieux le dialogue avec des socio-anthropologues, tel que David Le Breton. Pour lui, le meilleur et premier service à rendre à l’adolescent suicidant, c’est de l’éloigner des « psys ». S’il s’agit pour ces derniers de donner des médicaments aux adolescents afin de faire taire toute dialectique psychique, je ne peux qu’être d’accord avec lui. En France, 1 jeune fille sur 5 dit prendre des médicaments pour dormir, et 1 sur 7 pour calmer ses angoisses. Heureusement, les « psys » ne se limitent pas tous à ce type de traitement, du moins en ce qui concerne les psychanalystes et les psychologues cliniciens.

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« Les jeunes et l’idée de mort – Evaluation du risque suicidaire à

l’adolescence »Extrait de l’intervention du Professeur Nicolas ZDANOWICZPsychiatre, Unité de Psychopathologie et de Psychosomatique,

Cliniques Universitaires de Mont-Godinne, UCL

« Il est fréquent, pour toutes les disciplines qui s'occupent d'adolescents, de se poser la question du risque suicidaire. Cette évaluation se fait en tenant compte de facteurs de risque « direct » individuels, socioculturels et familiaux. La prise en charge thérapeutique, quant à elle, est à envisager comme un facteur « indirect » du risque suicidaire. En effet, en fonction du type d'interactions familiales, la compliance de l'adolescent à la médication et à l'abord psychothérapeutique est modifiée. Face à un adolescent suicidaire, il y a dès lors urgence d'écoute mais aussi importance de relever les différents facteurs de risque car ils influencent le type de prise en charge que nous pouvons proposer » (N. Zdanowicz et E. Jadoul).

Malgré une amélioration sensible de la prévalence avec le temps, le suicide chez les jeunes demeure une préoccupation majeure de santé publique. Les adolescents recourent deux fois plus au geste suicidaire que les adultes mais en meurent deux fois moins. Il s’agit d’un phénomène plurifactoriel qui contraint l’observateur à abandonner toute tentative d’explication causale linéaire. En effet, il renvoie à des facteurs tant psychologiques (tempérament, impulsivité) que médicaux (dépression, trouble de l’humeur) ou sociaux (insertion sociale, perspectives d’avenir) et trouve son origine tant dans l’histoire personnelle que dans le vécu actuel de l’individu. En outre, il comporte très souvent une composante familiale ou relationnelle. Par ailleurs, une préoccupation excessive autour de « ce qui fait vivre ? » est caractéristique du mal-être des jeunes à tendances suicidaires.

L’évolution de nos sociétés occidentales confronte les jeunes à un « travail d’adolescence » complexe. Souvent en effet se pose la question de la fin de l’adolescence et l’entrée dans une phase de transition vers l’âge adulte ou « jeune adulte » (OMS, 2008). Nous pouvons repérer plusieurs critères d’autonomisation tels que l’insertion dans le monde du travail qui est en grande partie fonction du temps d’étude, la gestion de la génitalité et de la parentalité, ainsi que la continuité entre les générations.

Les adolescents ont à se construire une véritable « éthique de vie » en s’appuyant sur les valeurs que leur propose la société et le monde adulte. Cette solution de continuité entre les générations suppose une opposition au modèle adulte et une remise en cause des valeurs qui le constituent. Cela prend la forme de plaintes et de critiques ouvertes à l’égard des parents (ex : « tu dis que la famille est importante mais tu n’es jamais là ! »). Ces conflits ne doivent pas être considérés péjorativement dès lors qu’ils sont extériorisés car ils permettent un espace et un processus associatif nouveau entre le jeune et ses parents. Ce processus s’inscrit alors dans une logique de filiation à travers une incorporation verbale, consciente.

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A l’inverse, ce processus devient pathogène lorsque la logique de filiation s’inscrit dans une dynamique non-verbale, inconsciente. Ainsi, face à un vécu douloureux non élaboré dans l’histoire de ses parents, l’adolescent est contraint d’incorporer massivement des représentations parentales inconscientes et non-verbalisées sous peine de « casser » les liens de filiation. Il se retrouve alors habité par des représentations sans les reconnaître et dans l’impossibilité de se les approprier. Cela peut se traduire chez le jeune par une tension entre la non-reconnaissance de soi ou de l’autre. Ces situations, lorsqu’il s’en dégage une souffrance partagée, nécessitent une prise en charge familiale afin d’aider à l’élaboration des contenus inconscients à travers une narration historique commune. Nous pouvons illustrer ces mécanismes par un exemple clinique.

Une mère se présente à la consultation en raison de son inquiétude relative à l’hypersexualité de sa fille âgée de 14 ans. Le travail sur la famille d’origine de la mère l’amènera à évoquer un vécu traumatique d’inceste. Elle en aurait gardé l’idée d’une sexualité sale et empreinte de dégoût. Ainsi, en dehors de la fonction de reproduction, la sexualité est érigée en tabou familial douloureux. Malgré elle, la mère aura transmis à sa fille un contenu brut de représentations impossibles à élaborer au sujet de la sexualité. La fille n’a eu jusque-là comme possibilité d’interroger ce contenu que la voie du corps et de l’acte, soit par l’absence de sexualité, soit par l’exagération de celle-ci, la parole étant bannie à ce sujet. Une élaboration commune était dès lors nécessaire par la mise en mots du vécu traumatique de la mère.

Cet exemple clinique montre combien la transmission des représentations inconscientes et des valeurs est prégnante dans l’ambiance familiale même en l’absence de mots.

Pour rappel, nous retrouvons plusieurs variables dans l’évaluation du potentiel suicidaire. Premièrement, nous devons tenir compte des facteurs « directs », c'est-à-dire se rapportant directement à l’individu, au moyen utilisé, aux caractéristiques familiales ou encore aux facteurs socioculturels et environnementaux. Deuxièmement, nous devons étayer notre jugement sur les facteurs indirects qui eux sont fonction du type de prise en charge. Certaines échelles permettent d’évaluer le potentiel suicidaire à l’adolescence (CASPI – Child & Adolescent Suicidal Potential Index). Ce type d’outil psychométrique prend en compte différentes variables tant individuelles (anxiété, impulsivité, dépression) que familiales (notion de stress familial) ou contextuelles (idéation suicidaire ou acte abouti, dangerosité).

Concernant les facteurs directs, ceux qui se rapportent à l’individu sont multiples et fluctuants. Ils ne sont pas stables dans la population des adolescents suicidaires mais représentent une probabilité statistique. Ainsi, ces « indicateurs épidémiologiques » pris séparément ne sont ni nécessaires ni suffisants pour évaluer le risque de passage à l’acte, cependant ils doivent toujours être considérés avec sérieux. Par ailleurs, un « effet de cumul » n’est pas forcément observé de sorte qu’un passage à l’acte peut toujours survenir en présence d’un nombre de facteurs de risque très limité. Nous voyons combien l’évaluation clinique de ce type de situation est délicate et nécessite la plus grande prudence.

Nous citerons les maladies chroniques (diabète, IST, …) et les handicaps permanents, l’ensemble des conduites de rupture (mise en échec répétée, consommation de toxiques, les fugues, les conduites à risque), les comportements hétéro-agressif et/ou prédélinquant.

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Nous porterons une attention particulière aux divers troubles de l’humeur en raison de leur haute prévalence en matière de « suicidalité », ainsi que les antécédents de tentative de suicide (taux de récidive de 30 à 50 % avec issue mortelle surtout chez les garçons). Enfin, un cumul d’évènements de vie semble être un facteur aggravant (rupture amoureuse, séparation parentale, deuils, problèmes disciplinaires et judiciaires). Par ailleurs, il est nécessaire d’envisager trois éléments spécifiques et qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler le « syndrome pré-suicidaire » : le sentiment d’absence d’issue, l’inhibition de l’agressivité ou « rage impuissante », et les fantasmes suicidaires qui agissent chez le sujet comme un auto-conditionnement vers le passage à l’acte (Beautrais A.L. & al., « J.AM.ACAD.CHILD », Adolescent Psychiatry, 1996).

Les facteurs psychosociaux présentés ci-dessus ne doivent pas nous conduire à négliger les hypothèses bio-comportementales en la matière. Nous citerons celle d’un déficit en sérotonine induisant une disposition caractérielle particulière (irritabilité, impulsivité, labilité émotionnelle) et facilitant le recours au geste suicidaire. Egalement, les recherches génétiques chez les sujets suicidaires avec antécédents familiaux permettent d’isoler certains gènes nécessaires à la physiologie de la sérotonine.

Venons-en maintenant aux facteurs socioculturels et environnementaux. D’une manière générale en santé mentale, et à fortiori en suicidologie, la précarisation socioéconomique est classiquement reconnue comme un facteur péjoratif sans qu’on puisse réellement établir de statistiques valables tant ce type de facteur possède un rôle complexe. Il apparaît que les crises économiques sont plutôt accompagnées d’une hausse de la fréquence du suicide. Cependant, il n’est pas possible d’établir une corrélation simple entre taux de chômage et suicide bien qu’il est vraisemblable que ces variables entretiennent un rapport étroit. Rappelons toutefois que la problématique du suicide est nettement plus présente dans les quartiers riches que pauvres, de même qu’il s’apparente à une épidémie dans nombre de pays développés. La question de la densité du lien social et des éléments de désocialisation doit ici être portée en exergue. Cependant, ces facteurs sont reconnus comme peu discriminants d’un point de vue individuel même s’ils peuvent avoir une incidence sur les conduites des individus.

Evoquons également « l’effet de contagion » qui reste un enjeu au niveau de la prévention comme de la postvention. L’annonce collective ou publique d’un suicide dans les médias peut très certainement influencer le choix d’un modus operandi particulier en créant en quelque sorte un modèle. Il semblerait que cette influence atteint moins directement le taux de suicide. De plus, ce type d’effet n’est pas observable à long terme. Par ailleurs, son rôle se limiterait à précipiter le suicide chez des sujets déjà à risque en agissant comme un catalyseur au niveau du processus suicidaire.

Concernant les moyens utilisés par les adolescents suicidaires, 15% d’entre eux absorbent des produits toxiques par voie orale ou parentérale. Seulement 5% utilisent des moyens dits « violents » (pendaison, arme à feu, défenestration, …) alors qu’ils représentent le « 1er choix » chez l’adulte. L’ambivalence du geste est une caractéristique prégnante chez les adolescents souvent moins déterminés à mourir que leurs aînés. Les filles optent majoritairement pour l’intoxication médicamenteuse ou la phlébotomie alors que les garçons s’orientent préférentiellement vers les moyens plus violents. Précisons toutefois que le choix du procédé est plus souvent une affaire d’occasion et de disponibilité que de planification volontaire.

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Toujours au sujet des facteurs directs, citons maintenant les caractéristiques familiales. La dissolution familiale (perçue ou réelle) est toujours un facteur prépondérant en ce qu’elle bouscule l’adolescent dans son sentiment d’appartenance et son ancrage identitaire. A ce titre, le décès d’un des parents est toujours un moment critique pour l’adolescent, tant sur le plan affectif qu’intrapsychique. L’absence de père ou de toute figure d’autorité paternelle semble également jouer un rôle péjoratif dans le développement psychologique de l’adolescent. A ce titre, c’est moins la structure réelle de la famille que les modes relationnels en son sein qui sont prépondérants. Le divorce des parents n’est donc pas en soi un facteur suicidogène pour l’adolescent mais plutôt la stabilité et la possibilité d’entretenir des relations suffisamment consistantes avec ses parents. Nous devons également insister sur l’importance de la fonction de tiers que peuvent jouer des personnes identifiées comme ressources par l’adolescent, bien qu’extérieures à la famille. Les antécédents psychiatriques familiaux sont fréquents : suivi d’un ou des deux parents en psychiatrie, alcoolisme ou existence de suicide(s) ou de tentative(s) de suicide dans la famille. Enfin, plusieurs auteurs mentionnent la fréquence d’incestes ou d’un climat incestueux dans les familles des adolescentes suicidaires.

Nous abordons à présent les facteurs indirects liés à la prise en charge. Nous ne saurions trop insister sur la nécessité d’une hospitalisation systématique suite à un passage à l’acte suicidaire chez l’adolescent, tant au plan somatique que psychologique. Du point de vue somatique, il est parfois très malaisé d’envisager les conséquences du geste suicidaire au moment des soins apportés en urgence. Notamment en cas d’intoxication médicamenteuse volontaire, la nature des produits absorbés est souvent difficile à connaître avec précision. De plus, les toxiques employés peuvent présenter des effets retardés de sorte qu’une surveillance clinique en milieu hospitalier général s’avère nécessaire. Sur le plan psychologique, une proposition d’hospitalisation systématique en première intention doit permettre de réaliser une évaluation psychopathologique et psychosociale du suicidant. Cela sera précieux afin d’initier le cas échéant un traitement psychiatrique et d’éventuellement orienter la personne vers un service de consultation adapté à ses besoins. Il est également nécessaire de prendre systématiquement contact avec l’entourage, de manière à favoriser une éventuelle mobilisation bénéfique à la faveur du patient. La coordination avec le médecin traitant s’avère également indispensable pour assurer un suivi global et régulier. Par ailleurs, un des bénéfices incontestables de l’hospitalisation systématique est de transmettre à la personne que l’acte suicidaire ne peut être banalisé, voire même dénié, ni par lui ni par son entourage. Toutefois, il faut veiller à ne pas basculer dans une dramatisation de la situation. Après les soins somatiques, la première urgence est d’aider la personne à retrouver la faculté de penser ce qu’elle vit et à remobiliser ses ressources afin d’éviter l’acting impulsif.

Sauf cas grave avec risque imminent d’un danger pour la personne ou pour autrui, l’hospitalisation ne peut être contrainte. La littérature scientifique1 nous permet de constater que l’hospitalisation des personnes suicidantes ne réduit pas le taux d’idéations suicidaires, le nombre de tentatives de suicide ou de suicides aboutis. Elle est avant tout un moyen d’éviter un risque immédiat. La qualité du « contact » lors des premiers entretiens est fondamentale dans la mesure où elle va influer fortement sur la relation thérapeutique future et l’adhésion à la prise en charge proposée. Cette dernière est un enjeu difficile pour l’intervenant : deux tiers des patients suivent le traitement médicamenteux, une moitié poursuit la psychothérapie individuelle, et un tiers s’engage dans une thérapie familiale, tout ceci indépendamment du statut socioéconomique ou de la gravité de la situation2.

(Footnotes)1 M.S. Gould & al., J AM ACAD, « Adolescent Psychiatry », 2003.2 C. A. King & al., J AM ACAD, « Adolescent Psychiatry », 1997.

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Sur le plan psychodynamique, le geste suicidaire chez l’adolescent vient répondre à une tension intrapsychique liée à son développement psychoaffectif. Nous pouvons repérer plusieurs modes ou fonctions suicidaires « derrière » le geste autodestructeur des adolescents.

Il peut traduire soit un besoin par « manque de règle » de se confronter à la mort en ce qu’elle justifie le sens de la vie ou au contraire une volonté d’échapper à un sentiment d’impuissance face à un parcours de vie « hyperdéterminé ». Il peut s’agir aussi pour le jeune en mal d’intégration de vérifier le « poids de son existence » aux yeux des autres.

Inversement, un « excès d’intégration » peut devenir source d’angoisse pour le jeune en quête d’autonomie et voulant rompre avec la position de dépendance propre à l’enfance ; le fantasme de l’indifférenciation est alors vécu comme une menace identitaire réelle à laquelle il tente d’échapper dans l’affirmation de soi absolue que représente le suicide.

Citons le « processus ludique » qui traduit comme une métaphore ce sentiment de l’adolescent d’être contraint par la vie à un chassé-croisé avec la mort. Le geste suicidaire est alors à envisager comme une manière extrême d’exprimer ce sentiment que « la vie ne tient qu’à un fil ». L’adolescent par sa tentative de suicide se place dans une position telle qu’il va vivre ou mourir selon les circonstances et l’intervention plus ou moins fortuite d’un agent extérieur. Survivre à une telle épreuve, comme dans l’ordalie antique, rassure l’adolescent sur la légitimité de son existence. Ces conduites ordaliques peuvent par ailleurs se combiner avec une recherche de sensations agréables et d’excitation faisant apparaître plus encore la dimension ludique (jeu du foulard, jeu dangereux, etc.).

Le geste suicidaire comporte incontestablement une dimension de violence que l’on retrouve à la fois sous la forme d’un « processus agressif » et à travers un « processus punitif ». D’une part, l’identification à l’objet haï et le retournement de l’agressivité contre le sujet lui-même donnent à l’acte suicidaire une valeur subjectivement équivalente au meurtre d’autrui. D’autre part, la violence retournée contre soi correspond souvent à un sentiment de culpabilité et évoque le besoin de s’infliger une punition à travers un acte « expiatoire ». Si l’auto-agressivité existe dans tous les comportements suicidaires plus ou moins explicitement, la « fonction hétéro-agressive » est quant à elle déterminée par des processus plutôt inconscients où l’identification au mauvais objet détourne l’agressivité qu’il génère sur le sujet lui-même (insatisfaction, vengeance, lutte contre un sentiment de dépendance affective).

Nous pouvons également citer le « processus escapiste » où l’autolyse comporte une « fonction de fuite ». Elle exprime le sentiment d’impuissance du sujet face à une situation devenue insupportable (maladie, faillite, sanction, échec, menace, …). Le sujet impuissant face à son échec peut en assumer l’entière responsabilité et diriger son agressivité contre lui-même comme pour se fuir.

Nous citerons également la « fonction d’appel » prédominante dans les tentatives de suicide où le sujet revendique l’attention des autres, comme une sorte de sonnette d’alarme. L’agressivité est forcément très présente dans ce type d’appel évoquant souvent un chantage affectif (hétéro-agressivité), doublé d’un sentiment marqué de dévalorisation (auto-agressivité).

Enfin, le « processus oblatif » apparaît sous la forme d’une conduite presque sacrificielle pour le suicidant.

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« La souffrance n’a jamais tué personne, l’incapacité à y faire face :

oui ! Devoir d’ingérence… qualité de présence »Extrait de l’intervention de Mario BEAULIEU

Intervenant communautaire au CÉGEP Sainte-FoyCentre de prévention du suicide à Québec

« La tragédie de la vie n’est pas la mort, mais ce que nous laissons mourir en nous lorsque nous vivons » (Normand Cousineau)

Je souhaiterais aborder avec vous non pas la question du pourquoi vivre mais plutôt celle du comment vivre. Si le suicide est toujours synonyme de souffrance morale, l’inverse ne l’est pas. Beaucoup de personnes en souffrance ne se suicident pas. La souffrance n’est pas inutile à la vie, pourtant elle reste encore aujourd’hui un tabou social. Or, il est possible de lui donner un sens en déterminant ce qui la produit, le moment où elle a débuté et quand elle se terminera. Considérée de la sorte, elle peut être un puissant moteur de compréhension de soi.

Intervenir auprès d’une personne suicidaire, c’est un engagement. Il est nécessaire d’adopter une position suffisamment consistante dans la relation, avec souvent l’obligation de sortir de celle d’écoutant pour adopter une attitude plus « interventionniste ». La personne suicidaire a fréquemment une représentation claire de son désir de mettre fin à ses jours, que cela soit source d’angoisse ou d’apaisement. Il est dès lors essentiel d’interagir avec elle de manière tout aussi franche, ce qui implique de lui poser des questions sans détour. « Est-ce que tu penses au suicide ? ». Dire les choses simplement ne signifie pas qu’on tient un discours simpliste. C’est là un piège à éviter car, se positionner de la sorte autorise l’autre à nous donner une réponse sans équivoque et donc à aborder sa souffrance sans retenue.

Laissez-moi vous proposer la métaphore suivante : apporter son aide à une personne suicidaire, c’est ouvrir sa garde-robe et s’y installer avec elle. Il s’agit incontestablement d’une position inconfortable pour les intervenants que nous sommes. D’autant plus que si nous acceptons de la rejoindre dans l’ombre, c’est chargé d’une histoire forcément singulière, celle qui détermine nos forces et nos blessures, nos craintes et notre sensibilité. Entrer dans un tel espace clos avec une personne suicidaire implique une certaine détermination – à ne pas confondre avec les certitudes – car il faudra parfois oser fermer la porte de la garde-robe pour lui permettre d’ouvrir une autre voie de sortie. Pour cela, il est impératif que l’intervenant soit au clair avec ses représentations au sujet du suicide, son ambivalence à propos de la vie et de la mort afin d’éviter un phénomène de « résonance ».

Afin de prévenir le suicide des jeunes, il me paraît essentiel de réfléchir à comment éviter l’épuisement des professionnels. Tout comme le nageur en eau profonde doit veiller à surveiller le niveau de sa bouteille d’oxygène, l’intervenant psychosocial doit également veiller à recharger sa bonbonne d’empathie. Il est dès lors essentiel de s’aménager des supports et un réseau de soutien interprofessionnel, comme une soupape psychologique. De ce point de vue, nous ne saurions trop rappeler la nécessité de participer à des supervisions régulières.

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Je constate fréquemment à quel point nous vivons dans une société qui valide l’option du suicide. La souffrance est « pathologisée », banalisée ou passée sous silence. Elle est assimilée à un signe de faiblesse individuelle. Les hommes évoquent leur souffrance autant que les femmes mais dans des contextes différents et de manière spécifique. Les adolescents apprennent de nous et s’imprègnent des valeurs culturellement admises. Que leur transmettons-nous à propos de la mort et particulièrement de la mort par suicide ? Il revient souvent l’idée qu’une personne qui s’est suicidée est enfin tranquille, qu’elle ne souffre plus. Ces conceptions permettent incontestablement aux jeunes d’envisager le suicide comme une option valable pour tenter de mettre fin à leurs souffrances. Autrement dit, un jeune qui se suicide le fait parce qu’il en a implicitement perçu l’autorisation, que ce soit dans son histoire, celle de sa famille, dans son environnement, ou à travers les valeurs issues de la société dans laquelle il évolue.

Enfin, rappelons la nécessité de ne pas réduire la personne qui s’enlève la vie au geste posé. Il y a là une distinction essentielle, éthique autant que morale, à souligner. Le suicide n’est en soi pas condamnable, tout comme le suicidé ne peut être jugé pour son acte. Par contre, nous devons questionner les raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte. Valoriser l’idée que le suicide n’est pas une option ne veut pas dire qu’on rejette la personne qui s’est suicidée mais bien que l’on considère une telle mort comme inacceptable. Ce message doit avoir suffisamment de force que pour mobiliser le jeune en détresse et ainsi l’amener à envisager d’autres voies de résolution de ses difficultés.

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« Je voulais pas mourir, je voulais juste me tuer. Comment aider

l’adolescent suicidaire à sortir de son impasse ? »Extrait de l’intervention du Docteur Xavier POMMEREAU

Psychiatre responsable au Centre Jean Abadie, CHU de Bordeaux

Je voulais souligner l’intérêt des journées de réflexion comme celle-ci car elles permettent de croiser nos pratiques et nos représentations, nécessairement différentes en raison des milieux distincts dont elles sont issues. On apporte chacun des éléments complémentaires, parfois similaires sans le savoir. Si les données épidémiologiques en suicidologie révèlent des différences entre les pays, nous ne pouvons qu’échouer à tenter d’y trouver une explication au phénomène du suicide. Ces différences ne sont que des différences mathématiques. Les statistiques ne peuvent révéler d’explications utiles à la clinique des conduites suicidaires car le mystère du suicide résiste à ce genre de théorisation. Si l’épidémiologie permet d’identifier dans une certaine mesure les facteurs de risque aux comportements suicidaires, cette source de connaissance est insuffisante pour déterminer à elle seule la prise en charge singulière d’un patient. De plus, nous voulons insister sur l’écueil d’une lecture statistique en termes de facteurs de risque qui simplifierait le raisonnement clinique en une vision linéaire causaliste. Par exemple, les études montrent une prévalence du suicide plus élevée chez les enfants adoptés devenus adolescents. Nous ne pouvons en conclure que l’adoption prédispose au suicide mais simplement qu’elle est un facteur parmi d’autres qui complexifient la traversée de l’adolescence.

Dans nombre de situations, nous serons tentés d’identifier la cause unique qui a précipité le geste suicidaire d’un adolescent : une rupture amoureuse, un renvoi scolaire, une dispute familiale, … Le jeune comme son entourage proche auront même parfois le besoin de s’accrocher à ce que l’on peut considérer comme une rationalisation de l’acte. Or, bien souvent, le candidat au suicide méconnaît le sens de sa souffrance, dissimulé dans le passage à l’acte. C’est justement parce qu’il ne le connaît pas qu’il est suicidaire. Paradoxalement, il ne sait pas ce qu’il cherche à travers son geste. C’est comme s’il tenait un langage qu’il n’était pas en mesure de comprendre lui-même. Il dira peut-être qu’il veut en finir avec cette vie-là… Qu’il en a marre de ses problèmes. Il croit vouloir en finir avec une existence qui lui échappe. Nous pouvons certainement comprendre qu’il veut rompre avec une situation devenue intolérable et sans issue. Mais nous pouvons aussi entendre son désir masqué de renouer avec une existence qui serait autre. Le jeune suicidaire est animé par le fantasme de mettre un terme à sa souffrance en modifiant à travers la mort son mode d’existence.

Certains se reconnaissent suicidaires et le sont, alors que d’autres ne se considèrent pas comme tels tout en l’étant. Nous pouvons citer pour exemple l’histoire de Chris, mise en scène par Sean Penn dans le film « Into the Wild » (2007). Tout juste diplômé de l’université, Chris, 22 ans, est promis à un brillant avenir. Pourtant, il va choisir de tourner le dos à cette vie confortable qui s’annonce et va se lancer dans un périlleux voyage à travers les Etats-Unis. Il va partir sans se retourner avec la voiture que ses parents lui ont offerte pour le féliciter de sa réussite. Tout au long de son périple, il laissera des traces de lui et de son passage dans chaque lieu, comme pour marquer son errance, jusqu’à mourir d’inanition en Alaska.

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Il s’agit bien d’une volonté de rompre avec son identité ou plutôt de la mettre à l’épreuve en défiant une existence nouvelle. Sans doute ne cherchait-il pas la mort à travers cette trajectoire jusqu’au bout de lui-même mais bien une refonte de son identité, une valeur à son existence. Chris était un suicidaire qui s’ignorait.

L’exemple commun de cette jeune fille qui après une rupture amoureuse tente de se suicider parce qu’elle considère qu’elle ne peut continuer à vivre sans l’être aimé peut nous permettre de comprendre ce qui se joue en creux dans une tentative de suicide. Cette jeune fille sera amenée aux urgences en arrêt cardiaque suite à l’ingestion volontaire de bêtabloquants. Un travail psychothérapeutique durant près de 6 mois lui aura permis d’établir un lien signifiant entre l’acte et sa souffrance. Cela lui aura permis de comprendre que loin de chercher à mourir, à travers son acte, elle voulait avant tout arrêter son cœur de battre car il la faisait souffrir.

Le suicide n’est pas une exclusivité médicale ou psychologique. En amont de l’intervention des professionnels de santé, nous pouvons tous nous sentir concernés par cette problématique car nous pouvons tous jouer un rôle vis-à-vis d’une personne en souffrance : lui adresser une parole sincère, lui proposer une écoute empathique, un accompagnement vers un lieu d’aide etc.

La prise en charge thérapeutique a pour objectif d’aider le sujet à mieux comprendre sa souffrance. Nous pouvons définir un dénominateur commun aux diverses conduites de rupture (tentative de suicide, fugues, scarifications, prises de psychotrope, …). Ce qui fédère tous ces comportements inquiétants chez le jeune c’est la difficulté à se constituer une identité qui lui soit tolérable. Chaque fois que sa structure identitaire est agressée, bafouée, il y a un risque suicidaire. Nous décelons cette souffrance dans l’expression du sentiment de ne pas trouver sa place, de ne pas accepter son orientation sexuelle, de ne pas être écouté ou d’être stigmatisé. La dimension groupale est un facteur essentiel dans l’épanouissement du sujet adolescent, c'est-à-dire l’importance de trouver sa place parmi les autres et d’en retirer un sentiment d’appartenance. L’impression d’être transparent ou de ne pas compter pour les autres correspond à un risque important de passage à l’acte suicidaire chez un jeune. Dès lors, toutes les attentions qui viendraient valoriser la reconnaissance du sujet, son identité, son rôle dans le groupe, ont un caractère préventif incontestable.

Nous pouvons dégager de cela quelques recommandations simples comme celle de « dire bonjour ». Cette marque d’attention systématique permet déjà de ne pas confronter le jeune à la violence de son sentiment de non-existence, validé par celui d’être transparent pour l’autre. Nous préconisons également le « vouvoiement » avec nos patients suicidaires. La nécessité de cette distance « convenue » mais aussi signe d’un respect inconditionnel vient du constat clinique qu’une importante majorité des adolescents suicidaires ont dans leur histoire un vécu d’inceste, réel ou fantasmatique. L’espace interpersonnel garanti par le vouvoiement permet au jeune de ne pas revivre au cours de l’entretien clinique, l’écartèlement identitaire qu’il vit à travers la difficulté de concilier un vécu traumatique infantile et un corps sexué du fait de l’effraction du pubertaire. Ces mesures simples permettent en quelque sorte de panser une identité blessée et autorisent à penser la souffrance autrement.

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Le suicide peut être considéré comme un acte terroriste qui s’ignore. En effet, si le candidat au suicide cherche à rompre avec une identité meurtrie pour tenter d’exister autrement, il le fait au détriment de ceux qui lui survivront. A travers sa mort, il condense son envie de faire disparaître une existence endolorie avec le désir de laisser une trace indélébile dans la vie des personnes qui lui sont proches et ainsi exister à jamais. C’est comme s’il se débarrassait de sa souffrance en l’infligeant aux autres, ce qui peut paraître « dégueulasse » ou lâche pour les observateurs extérieurs. Ces jugements de valeur sont évidemment à proscrire devant la personne suicidaire, et ce pour au moins deux raisons. D’une part, ils répètent une atteinte narcissique à l’encontre d’un sujet déjà en peine. D’autre part, ils sont impropres à caractériser la complexité du processus suicidaire et le sens d’une telle conduite, tant dans sa singularité que dans son aspect interpersonnel et familial.

Une certaine « violence » est nécessaire dans la communication avec les adolescents suicidaires pour les amener à réagir et les forcer à se poser des questions utiles. La violence est déjà débordante dans ce type de situation, qu’elle soit dirigée à l’encontre de l’entourage ou retournée contre le sujet, et bien souvent les deux. Il est dès lors plus judicieux de dévier cette « force de déliaison » en une énergie dynamique pour le sujet que de tenter de la contrarier à grand renfort de neuroleptiques par exemple. Il y a comme une nécessité de faire « violence au sujet » en regard de la violence de son acte. Ces jeunes éprouvent une difficulté considérable à mettre en mots leur mal-être. Ils abordent les choses au sens large plutôt que de parler d’eux, comme s’ils ne pouvaient supporter de poser un regard juste sur eux-mêmes. Ils invectiveront le monde en projection de leur petit monde à eux. Une écoute passive n’est sans doute pas le meilleur service que nous pouvons leur rendre. Il y a le risque de les laisser « tourner en boucle » à dévider des causes apparentes sans jamais pouvoir considérer la partie immergée de l’iceberg, sans leur donner la possibilité de comprendre le sens de leur souffrance. Cela passe par des questions sans détour, parfois abruptes : « Pourquoi ne supportez-vous pas d’être quittée ? », « Qu’est-ce qui vous empêche de vivre ? », « Les autres sont-ils vraiment plus importants que vous ? ». Egalement, plutôt que de s’échiner à leur faire dire l’indicible, nous pouvons leur proposer de s’auto-représenter « matériellement » pour ensuite leur permettre de commenter les « marques concrètes » de leur souffrance. Ces séances d’auto-représentation permettent au jeune suicidaire d’établir des liens avec son histoire, celle de ses parents, et d’accéder au sens de sa souffrance. Elles lui permettent en quelque sorte de se définir et de se familiariser avec cette définition.

De nos jours, nous devons reconnaître qu’il est insensé d’un point de vue clinique de vouloir soigner un adolescent sans proposer une prise en charge familiale. De même, l’expérience nous montre combien il est nécessaire de mettre en place des activités de groupe parallèlement au suivi individuel. L’aide thérapeutique aux adolescents doit s’adapter aux évolutions sociales, aux technologies modernes, mais aussi aux formes psychopathologiques actuelles. L’enjeu principal est sans aucun doute de leur permettre un accès au langage de l’indicible en favorisant les auto-représentations de soi, de leur souffrance, pour qu’ils en découvrent le sens et qu’ils puissent en laisser une trace, la déposer.

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Pour aider un jeune suicidaire, il est indispensable de s’engager dans la relation, de se « mouiller » avec lui afin de lui permettre de prendre appui pour exister autrement et continuer à vivre.

Ces photos présentent deux « auto-représentations » réalisées par des résidentsdu Centre Jean Abadie de Bordeaux.

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Les ateliers thématiques

Plusieurs groupes de travail étaient organisés en deuxième partie de journée. Ils se sont déroulés sous forme d’ateliers de réflexion sur des thématiques spécifiques :

%� Atelier 1 : « Dépistage et relais » ;%� Atelier 2 : « Prévention » ;%� Atelier 3 : « Outils thérapeutiques ».

Leur principal objectif était d’aboutir à des recommandations basées sur les difficultés rencontrées au quotidien par les professionnels et les intervenants de première ligne. Pour ce faire, une série de questions a été soumise aux responsables du groupe de façon à alimenter la réflexion et à balayer l’ensemble des thèmes abordés. Les intervenants de la matinée étaient répartis dans les différents ateliers de manière à apporter leur expertise aux thèmes discutés.

Nous vous présentons ci-dessous plus en détail le thème de chaque atelier et les recommandations qui en découlent.

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Atelier 1 : « Dépistage et relais »Atelier animé par Madame Dominique DAUBY

Secrétaire Générale FPS à Solidaris LiègeAvec l’expertise de Monsieur Mario BEAULIEU

L’atelier « Dépistage et relais » avait pour mission d’aborder les questions suivantes :

1. Quelles seraient les qualités d’un professionnel susceptible d’être confronté à une personne suicidaire ?

2. Quel professionnel de la santé (médecins, infirmiers, psychologues etc.), quel intervenant social (éducateurs, assistants sociaux,

enseignants etc.) devrait disposer d’un minimum d’information/de formation relative à la problématique du suicide ? Ces compétences ne devraient-elles pas faire partie de la formation de base de ces professionnels ? Si oui, sous quelle forme (sensibilisation, formation initiale ou formation complémentaire) ?

3. Existe-t-il des réseaux/plateformes spécifiques à la problématique du suicide ? Sont-ils suffisamment identifiés ?

4. Quelles sont les structures à même de traiter de la problématique du suicide aux différentes phases d’intervention (prévention – crise – postvention) ? Quelles sont les difficultés qui se posent en matière de relais entre ces structures ? Comment articuler et optimaliser les relais entre ces différentes structures ?

Cet atelier a permis aux participants d’exprimer un sentiment de grande solitude face aux situations auxquelles ils sont confrontés quotidiennement, que ce soit en termes de manque de ressources, de soutien ou de « peur de mal faire » etc. A ce sujet, Monsieur Mario Baulieu a été très sollicité à propos de la réaction appropriée à adopter dans des situations réelles ou fictives.

De cet atelier, ressortent plus concrètement les recommandations suivantes :

- Il serait intéressant de proposer une supervision systématique aux travailleurs de première ligne (services d’urgence, services d’aide aux victimes etc.).

- De même, des supervisions « inter-services » pourraient être mises en place étant donné l’importance de confronter les regards, les pratiques et d’échanger les informations.

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- L’idée a par ailleurs émergé de proposer aux intervenants des secteurs sociaux et éducatifs une formation de base sous forme de sensibilisation qui serait complétée par une formation spécialisée selon les secteurs d’intervention (la pratique d’une équipe éducative dans une école n’est évidemment pas la même que celle des intervenants dans le cadre d’un Service d’Assistance aux Victimes).

- L’atelier a également été l’occasion de constater une demande substantielle d’information quant aux relais existants (A qui s’adresser ? Où ? Comment ?).

- Une autre idée qui est ressortie de l’atelier est celle de la mise en place d’une ligne téléphonique accessible 24h/24 et 7 jours/7 pour les intervenants ET pour les personnes suicidaires.

- Il serait judicieux de diffuser les statistiques propres au suicide en Wallonie et à Bruxelles aux responsables politiques de manière à ce qu’ils puissent proposer des mesures concrètes en matière de sensibilisation des professionnels et de soutien au développement d’une pratique de réseau efficiente.

- Enfin, il pourrait être intéressant de réaliser, comme pour les groupes d’entraide, un « guide-répertoire » consacré aux questions liées aux suicides (personnes ressources, guide d’intervention, services d’aide, etc.).

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Atelier 2 : « Prévention » Atelier animé par Madame Anne COLMANT

Psychologue au Centre de Planning Familial FPS de CharleroiAvec l’expertise du Professeur Nicolas ZDANOWICZ

L’atelier « Prévention » avait pour mission d’aborder les questions suivantes :

1. Qu’existe-t-il en matière de prévention ? Qu’est-ce qui pourrait/devrait exister ? Sous quelle(s) formes(s) ?

2. D. Feron

3. Qui peut être acteur de prévention ? Quelles sont les limites du champ d’action de chacun (professionnels et non professionnels) ?

4. Si la prévention massive du suicide présente des effets pervers, où se trouve le juste milieu entre attendre « dans l’ombre » qu’un suicide soit avéré et agir de manière proactive ?

5. Quelles pourraient dès lors être des initiatives de prévention ? Par quelle porte d’entrée agir ? (Promotion du bien-être ? Pathologies de l’agir ?)

Des échanges animés et controversés ont malgré tout permis de se rassembler autour de cinq grands axes de travail :

- Un grand nombre de personnes se sentent démunies face à la problématique du suicide en raison notamment d’un manque de formations données par des équipes spécialisées. Ces formations devraient être systématiquement proposées aux éducateurs, aux enseignants, aux médecins généralistes, aux académies de police, aux services d’assistance aux victimes. Toutefois, certains participants ne partageaient pas ce point de vue. Selon eux, une formation n’est pas nécessaire. Il suffit de se montrer « plus humain » car la mort n’est pas une spécialité. L’envie de vivre ne dépend pas d’un spécialiste. De plus, à vouloir mettre des structures en place, on perd la spontanéité des « aidants naturels ». D’autres répondent à cela qu’ « on ne peut quand même rien faire tout seul ! ».

- Développer des animations spécifiques en s’appuyant sur différents outils :1. Des ateliers de « théâtre action » sur le thème du suicide qui impliquent

directement les jeunes en leur permettant de changer le cours de l’histoire ;2. Différents jeux qui abordent des thèmes variés tels que la confiance en soi, le

respect de soi, l’estime de soi, le deuil, etc., dans le but de mettre des mots sur les difficultés de la vie ;

3. Le groupe s’accorde unanimement sur l’importance de parler du plaisir et du « bien vivre » aux jeunes ;

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- Il apparaît qu’une activité de prévention efficace ne devrait pas uniquement porter sur les risques car cela porte systématiquement en exergue les interdits. Elle devrait plutôt être axée sur l’appréhension des aspects positifs de la vie et des relations aux autres. Rappelons toutefois qu’une prévention abrupte sur le suicide dans les écoles pourrait avoir des effets pervers et de contamination.

- L’importance de rendre le sujet de la mort moins tabou.

- L’importance de recréer du lien social dans les lieux de vie, les quartiers (par exemple, en soutenant les initiatives des maisons de jeunes et en favorisant les activités entre voisins). Le groupe a également imaginé qu’une campagne publicitaire de prévention pourrait être créée proposant un slogan qui aurait pour fin « va sonner chez ton voisin ! ».

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Atelier 3 : « Outils thérapeutiques »Atelier animé par Madame Cécile ARTUS

Psychologue et coordinatrice du Centre de Planning Familial FPS d’ArlonAvec l’expertise de Madame Maja PERRET - CATIPOVIC

L’atelier « Outils thérapeutiques » avait pour mission d’aborder les questions suivantes :

1. Quelles sont les conditions d’une aide efficiente en matière de suicide à l’adolescence ? Quelle serait l’utilité de structures d’accueil spécifiques à cet âge ? Sous quelle forme ? Quelles sont les initiatives intéressantes à l’étranger ?

2. Quelles sont les spécificités de l’approche de l’adolescent suicidaire dans les structures post-hospitalières ou ambulatoires ?

3. Est-il opportun de segmenter l’approche du sujet adolescent selon les conduites pathologiques visées (assuétudes, suicide, automutilations, etc.) ou devons-nous opter pour une approche globale, par exemple en termes de bien-être ou de pathologies de l’agir ?

4. Comment développer des outils spécifiques d’intervention et qui soient utilisables en consultation ? Existe-t-il des initiatives intéressantes à ce sujet en Belgique et à l’étranger ?

5. Un suicidaire a-t-il besoin d’une médication spécifique ?

Les participants de cet atelier ont élaboré les recommandations suivantes :

- L’importance d’une prise en charge particulière pour les adolescents. L’adolescence est souvent une période difficile. L’identité de l’adolescent est encore en développement. A la recherche de celle-ci, il peut parfois sombrer dans un profond mal-être. Mais les difficultés qui mènent vers cette mauvaise pente sont différentes de celles des adultes. Un adolescent suicidaire se questionne autrement qu’un adulte suicidaire. Il est dès lors important d’en tenir compte lors de la prise en charge.

- L’importance d’une prise en charge particulière en fonction de la problématique. Il est essentiel de pouvoir installer un cadre clair et spécifique pour chaque problématique afin de ne pas engendrer de la confusion.

- L’importance de la continuité des soins. Il n’est pas nécessaire que l’adolescent soit pris en charge par une seule personne mais il faut qu’il y ait une cohérence entre les différents intervenants.

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- L’importance de l’engagement de l’intervenant. Si un lien a été créé avec le jeune, il faut pouvoir continuer à s’engager vis-à-vis de lui. Réorienter un jeune qui a accordé sa confiance serait anti-thérapeutique. Les adolescents ont besoin de s’accrocher à quelque chose de stable.

- L’importance de l’utilisation d’une médication « accompagnée ». Les adolescents ont de plus en plus recours à la médication. Celle-ci en devient banalisée. Il est essentiel de reconsidérer la façon de gérer la médication en instaurant un dialogue autour du symptôme. Par exemple, pour un jeune qui aurait mal à la tête, lui appliquer une poche de glace sur le front sera plus efficace qu’une aspirine. Par le fait de poser un geste, le jeune va mieux car on « prend soin de » lui. Reconnaître la souffrance du jeune a plus de force qu’un simple médicament distribué.

- Il n’est pas recommandé de laisser partir un jeune avec une boîte de médicaments. Une proposition en ce sens a été formulée : le jeune viendrait chercher son médicament chaque jour auprès de son médecin. Mais, cela demanderait un investissement considérable de la part de l’intervenant !

- L’importance de développer des outils métaphoriques avec les adolescents. Les jeunes ont souvent des difficultés à exprimer leurs émotions et à trouver les mots pour expliquer leur mal-être. Par le biais de la métaphore, ils peuvent plus facilement représenter leur souffrance. L’adulte va interpréter ce que l’adolescent a voulu dire par cette métaphore. L’acte métaphorique va donc permettre la discussion.

Mme Cécile ARTUS, Mme Dominique DAUBY, et Mme Anne COLMANT (en partant de la gauche).

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Conclusion

Par le Docteur Dimitri TOMANOS Médecin généraliste, Coordinateur général

Et Florence RINGLETPsychologue, Directrice thérapeutique au Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement « Un pass dans l’impasse » asbl – réseau Solidaris

En guise de conclusion, il nous semble important de relever quelques idées clés de la journée. Nous avons vu avec Madame Perret-Catipovic qu’il fallait réintroduire la réalité de la mort dans celle de la vraie vie puisque les

jeunes nous interpellent à ce sujet au travers des accidents de la route et du suicide, premières causes de mortalité pour cette population.

Avec le Professeur Zdanowicz, nous avons compris l’importance de la prise en compte de la dynamique familiale : « On ne peut pas soigner l’adolescent qui va mal, sans ou contre ses parents. »

Monsieur Beaulieu nous a rappelé que le pire dans la souffrance (tant du côté de l’intervenant que du côté de la personne qui la vit) c’est de rester seul, de la nier ou de prétendre l’éradiquer. En famille ou en société, la question du lien est fondamentale. Il faut affronter la souffrance en face, la reconnaître et chercher à lui donner un sens et tout faire, en lien avec les autres, pour la transformer en énergie créatrice et vitale.

Le Docteur Pommereau a quant à lui émis l’idée selon laquelle l’adolescent en souffrance exprime à travers ses actes, sans le savoir, des pans entiers de sa problématique. A nous de l’aider à en percevoir le sens !

Porter attention et aide à l’autre est l’affaire de tous ! De même, tout ce qui permet de reconnaître l’autre, sa place, son rôle ou sa fonction, en famille ou en société, contribue à prévenir le suicide. L’aide et le soin ne doivent pas uniquement passer par la parole, l’écoute et l’échange verbal. Des supports et des médiations peuvent également aider les adolescents à exprimer leur souffrance, d’où l’intérêt de chercher à créer de tels outils.

Plus que la seule compétence des intervenants, c’est avant tout la cohérence dans les prises en charge, la cohésion des équipes impliquées et la qualité de leur articulation qui sont responsables de l’efficacité de l’aide prodiguée.

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Il faut des humains plus que du matériel pour venir en aide aux personnes en souffrance, donc des équipes d’aide ou de soins. Cela ne dépend pas d’une seule spécialité ou d’un seul spécialiste. C’est une action qui doit être pluridisciplinaire et qui nécessite un engagement dans la relation, des moyens d’action et des supports d’échanges : prise en charge individuelle, groupes, ateliers d’expression… et même des lieux d’accueil qui ne soient pas seulement des lieux de consultation, mais bien des lieux de vie pour se poser un moment et faire un bilan des raisons de sa désespérance en bénéficiant de l’aide de professionnels.

L’équipe du Centre de Prévention du Suicide et d’Accompagnement « Un pass dans l’impasse » asbl – réseau Solidaris, de gauche à droite : Thomas THIRION, Pascale FRANQUINET, Grégory SCHOUMACKER, Mélanie OUDEWATER, Sylvie DRÈZE, Xavier MALSIOUX, Emilie DOUTREPONT.

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Avec le soutien de :

La Wallonie, la Communauté française Wallonie - Bruxelles, la Province de Namur, Solidaris mutualité,la Mutualité Socialiste , Delta Lloyd et la Loterie nationale.

W A L L O N I E | B R U X E L L E S

La MutualitéSocialiste

COLLOQUE INTERNATIONAL

«Avec qui et avec quoi veulent-ils en finir ?

Prévention et prises en charge des adolescents suicidaires»