Convegni 1 - Aracne editrice - · Colonna sur l’épisode de la femme adultère, confiée à deux...

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Convegni 1

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Convegni1

In copertina:Veduta di città ideale. Urbino, Palazzo Ducale © 1990, Foto Scala, Firenze, 13 x 18.Su concessione del Ministero dei Beni e Attività Culturali.

Perspectives FRANCO–ITALIENNES

ProspettiveITALO–FRANCESI

Séminaires du CEFI2000–2002

études réunies et publiées

par Luca Badini Confalonieri

ARACNE

Copyright © MMV ARACNE editrice S.r.l.

www.aracneeditrice.it [email protected]

via Raffaele Garofalo, 133 A/B 00173 Roma

Tel. 06 93781065 – Fax 06 72678427

ISBN 88–7999–895–1

I diritti di traduzione, di memorizzazione elettronica, di riproduzione e di adattamento anche parziale,

con qualsiasi mezzo, sono riservati per tutti i Paesi.

Non sono assolutamente consentite le fotocopie senza il permesso scritto dell’Editore.

I edizione: marzo 2005

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Table des Matières/Indice

Luca Badini Confalonieri

Présentation ................................................................................................... 3

Littérature et mythe/Letteratura e mito

Alessandro Ballor

Jason et Médée au Moyen Age en France ................................................... 9

Michele Mastroianni

Le monologue de Hémon dans l’Antigone de Robert Garnier:

traitement maniériste d’un mythe tragique classique ................................. 15

Marco Livera

Il mito di Fedra nella rilettura operata dai Gesuiti ..................................... 23

Daniela Dalla Valle

Appunti sul mito di don Giovanni: le origini ............................................. 33

Lucie Comparini

Récurrences de Pamela en France: Goldoni traduit et adapté ................... 43

Littérature et philosophie/Letteratura e filosofia

Pierre Tordjman

L’invention de la philosophie chez Platon: imposture ou

événement littéraire? ..................................................................................... 67

Luca Badini Confalonieri

Le philosophe et le narrateur: la représentation du philosophe

dans la nouvelle italienne du Moyen Age.................................................... 109

Valentina Martini – Barbara Meazzi

Il concetto di «Elasticità» tra Bergson e Boccioni ...................................... 123

Maryline Maigron

Moravia lecteur de Wittgenstein .................................................................. 139

Indice

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Littérature et politique/Letteratura e politica

Pierre Tordjman

Littérature et politique: archéologie d’un rapport........................................ 157

Antonella Amatuzzi

La littérature politique de la Fronde: une «guerre de plumes» au service de

la langue française. L’exemple des Mazarinades du Cardinal de Retz......... 169

Giovanni Paoletti

Le ambiguità della prospettiva: teoria politica e

immaginazione letteraria in Necker e Constant........................................... 181

Stefano Brugnolo

La democrazia e la foresta: Tocqueville come viaggiatore ........................ 199

Dario Voltolini

Un impegno politico e antiideologico .......................................................... 219

Littérature et religion/Letteratura e religione

Chiara Pisacane

Recherche et oubli de soi: Vittoria Colonna interprète de l’Evangile........ 229

Franco Pierno

«L’ultimo è stato il Bruccioli…»: notes sur Antonio

Brucioli et le rôle de la langue vulgaire. ..................................................... 243

Luana Pallagrosi

Les Tragedies Sainctes di Louis Des Masures:

una proposta nel panorama delle tragedie bibliche ..................................... 261

Michele Mastroianni

Quelques remarques sur l’emploi de la Bible dans le Mespris

de la vie et consolation contre la mort de J.–B. Chassignet ...................... 293

Monica Pavesio

Letteratura e religione nel primo Seicento francese:

il teatro di Jean Prévost ................................................................................. 301

Simona Munari

Il conflitto religioso nel romanzo moresco francese del Seicento .............. 313

Index/Indice dei nomi.................................................................................... 333

L. BADINI CONFALONIERI (éd.), Perspectives franco-italiennes—Prospettive italo-francesi, 3 Séminaires du CEFI 2000–2002, Roma, Aracne, 2005, pp. 3-5.

PRÉSENTATION

Luca Badini Confalonieri

Les pages qui suivent témoignent des journées de séminaire organisées par le Centre d’Études Franco–Italiennes en 2000, 2001 et 2002 sur “Littérature et mythe”, “Littérature et philosophie”, “Littérature et politique” et “Littérature et religion”. Je voudrais tout de suite souligner l’atmosphère très peu formelle, mais d’échange véritable et fructueux, qui a caractérisé ces rencontres, auxquelles ont également participé d’autres collègues et étudiants dont les communications n’ont pu trouver place ici1. Il est je pense significatif que, exception faite des deux chercheurs “séniors” qui sont aussi les directeurs du centre, Daniela Dalla Valle et moi–même (et du témoignage de l’écrivain Dario Voltolini), toutes les communications présentées se relient plus au moins étroitement au travail de thèse des auteurs, en cours ou déjà achevé. L’occasion de nos rencontres, sous l’enseigne d’une problématique commune mais en même temps assez souple pour que chacun puisse faire entendre sa voix sur les époques et les auteurs de sa compétence, a permis aux différents intervenants de reprendre sous un angle nouveau le corpus de leur travail majeur ou d’en approfondir, avec un “affondo” bien ciblé, un aspect particulièrement fécond.

Les travaux de l’école de Daniela Dalla Valle et de Dario Cecchetti, qui depuis longtemps se consacrent à l’étude des rapports entre littérature et mythe (notamment des reprises et des transformations des mythes anciens dans la littérature des XVIe et XVIIe siècles et de la constitution de mythes modernes) se sont déjà traduits en plusieurs initiatives et publications. Nous pensons au colloque d’octobre 1999 consacré à Il tragico e il sacro dal Cinquecento a Racine2 (mais il faudrait mentionner également le colloque organisé par le CEFI en novembre de la même année à Turin et Chambéry sur Les Noces de Thétis et Pelée3), au colloque de juin 2001 sur Il convitato

1 Je rappelle, parmi les collègues qui ont présenté une communication, Manuela

Bertone, Gabriella Bosco, Dario Cecchetti, Marco Cerruti, Jean–Louis Darcel, Giuditta Isotti Rosowski, Giuseppe Riconda, Lionello Sozzi et Paolo Tortonese.

2 Cf. Il tragico e il sacro dal Cinquecento a Racine. Atti del convegno inter-nazionale di Torino e Vercelli (14–16 ottobre 1999), a cura di D. Cecchetti e D. Dalla Valle, Florence, Olschki, 2001.

3 Cf. Les Noces de Thétis et Pelée (Venise, 1639 – Paris, 1654), Actes du colloque du CEFI, Turin et Chambéry 3–7 novembre 1999, textes recueillis et publiés par M.–Th. Bouquet–Boyer, Bern, Peter Lang, 2001.

Présentation

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di pietra4 et à plusieurs volumes de la collection de Drammaturgia Gal-licana inedita et rara5, qu’ils dirigent aux Edizioni dell’Orso. Ici, à côté de l’analyse du traitement et des transformations des mythes classiques aux XVe et XVIe siècles (voir les travaux de M. Mastroianni sur l’Antigone de Garnier et de M. Livera sur la relecture du modèle de Phèdre dans le théâtre des jésuites), nous pouvons lire une étude sur la fortune du mythe de Jason et Médée au Moyen Age (A. Ballor) et deux recherches sur les mythes modernes de don Juan et de Pamela (D. Dalla Valle et L. Comparini).

Sur les rapports entre littérature et philosophie nous avons organisé deux rencontres consacrées respectivement au XIXe et au XXe siècles, en France et en Italie6. Mais sur les quatre textes que nous présentons ici, deux sortent de ce cadre chronologique: l’étude de Pierre Tordjman, qui interroge le rap-port entre ces termes à partir de “l’invention de la philosophie” chez Platon et mon travail sur la représentation du philosophe dans la nouvelle italienne du Moyen Age. Au XXe siècle nous ramènent en revanche les deux études qui suivent, consacrées respectivement au futurisme (à propos duquel B. Meazzi et V. Martini, en travaillant sur le concept de “elasticità” entre Bergson et Boccioni, ouvrent, au delà de la littérature, aux arts figuratifs) et à Moravia lecteur de Wittgenstein (M. Maigron).

C’est encore à partir de la Grèce antique que P. Tordjman nous propose une réflexion sur les liens entre littérature et politique. Mais à côté des auteurs grecs (et surtout, encore une fois, de Platon) il évoque tout naturel-lement Sartre ou Compagnon, jusqu’à interpeller un écrivain d’aujourd’hui en la personne de Dario Voltolini, effectivement présent à notre séminaire. C’est ainsi que, après une ouverture sur la littérature politique de la Fronde (A. Amatuzzi) et des études sur Necker, Constant et Tocqueville (G. Paoletti et S. Brugnolo), la section se conclut par l’interrogation de D. Voltolini sur la fonction politique de l’écrivain et de l’écriture et, plus particulièrement, sur le rapport entre l’écriture et la politique dans notre société occidentale d’aujourd’hui, caractérisée par la diffusion de technologies de l’information de plus en plus performantes.

4 Cf. Il convitato di pietra. Don Giovanni e il sacro dalle origini al Roman-

ticismo, a cura di M. Pavesio, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2002. 5 Cf. notamment CALVYI DE LA FONTAINE, L’Antigone de Sophoclés, edizione

critica a cura di M. Mastroianni, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2000; J. PRÉVOST, Hercule. Tragédie, a cura di M. Pavesio, ibid., 2001; J. PRÉVOST, Edipe. Tragédie, a cura di S. Sandrone, ibid., 2001, etc.

6 Sur littérature et philosophie en Italie au XXe siècle cf. déjà Philosophie et littérature en Italie au XXe siècle, Actes du colloque organisé par la Société des Italianistes de l’Enseignement Supérieur (SIES) et le Département d’Italien de

l’Université Marc Bloch (Strasbourg, 30 septembre – 1er

octobre 1999), études réunies et publiées par L. Badini Confalonieri, Paris, Champion (CEFI, “Biblioteca Franco Simone”, n° 32), 2002.

Présentation

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Sur le XVIe et le XVIIe siècles se concentre en revanche la section consacrée à “Littérature et religion”, qui présente la méditation de Vittoria Colonna sur l’épisode de la femme adultère, confiée à deux lettres à fra Bernardino Ochino (C. Pisacane) et les réflexions du traducteur de la Bible Antonio Brucioli sur le rôle de la langue vulgaire (F. Pierno), avant de se pencher sur l’utilisation de la source biblique dans les Tragédies Sainctes du calviniste Louis des Masures (L. Pallagrosi) et dans le Mepris de la vie et consolation contre la mort de J.–B. Chassignet (M. Mastroianni). Cette partie se conclut enfin par une étude sur la thématique religieuse dans l’Hercule et dans la Clotilde de Jean Prévost (M. Pavesio) et une recherche sur la représentation du conflit religieux dans le roman moresque français du XVIIe siècle (S. Munari).

Spécialistes de littérature italienne et de littérature française alternent dans ces pages, comme alternent les deux langues “officielles” de nos rencontres, le français et l’italien, mais ce qui a caractérisé ces séminaires, et dont on peut retrouver les traces dans les textes publiés ici, c’est l’écoute attentive de l’autre, la conviction qu’il est utile de croiser les compétences, non seulement en montrant comment un mythe ancien est repris dans une littérature moderne, comment les idées et les images des philosophes ainsi que les récits bibliques ou les conflits religieux deviennent œuvre de création artistique, ou comment le littéraire s’entrelace au politique, mais encore en observant comment des problèmes analogues sont abordés d’une côté et de l’autre des Alpes, dans ces deux cultures si proches et pourtant justement jalouses de leurs spécificités que sont les cultures française et italienne.

LETTERATURA E MITO

LITTÉRATURE ET MYTHE

L. BADINI CONFALONIERI (éd.), Perspectives franco-italiennes—Prospettive italo-francesi, 9 Séminaires du CEFI 2000–2002, Roma, Aracne, 2005, pp. 9-13.

JASON ET MÉDÉE AU MOYEN AGE EN FRANCE

Alessandro Ballor

Grande a été la fortune littéraire du mythe de Jason et de Médée au Moyen–Age en France. A partir du XIIème siècle — aux environs de 1165, date à laquelle on situe la composition du Roman de Troie de Benoît de Sainte–Maure — jusqu’à la fin du XVème siècle, on a pu reconstruire un parcours ininterrompu à travers les textes, sans solution de continuité. Les textes appartiennent, pour la plupart, aux domaines narratif et lyrique, à l’exception du commentaire par Nicolas Trevet de la tragédie de Sénèque Médée. Cependant la persistance de la fable ancienne ne témoigne pas seulement de la reprise d’une situation ou d’un thème déjà exploités et explorés, mais aussi du développement d’événements et finalités nouveaux que les divers auteurs du Moyen–Age ont proposé des siècles durant à l’égard de cette matière mythologique.

D’une part, le mythe des Argonautes prend place dans la matière de Troie. Celle–ci a connu une immense fortune tout au long du Moyen–Age. D’autre part, un deuxième élan nous est témoigné par la reprise, du côté des auteurs français, des œuvres d’Ovide, notamment des Métamorphoses et des Héroïdes, surtout dès la fin du XIIIème siècle et le début du XIVème siècle. Sur un plan historique, le récit des Argonautes est connu en tant que prélude à la matière de Troie. Sur un plan moral, surtout sur les traces des œuvres d’Ovide, le mythe de Jason et Médée est utilisé comme exemple para-digmatique d’un amour malheureux. Du point de vue chronologique on a pu repérer une césure entre les XIIème–XIVème siècles et le XVème siècle. Les premiers sont des siècles d’exploration, à savoir le développement des événements et la diffusion des différentes lectures; le XVème siècle est par contre une époque très riche en témoignages mais celle–ci, apparemment, ne fait que reprendre les images qui se sont déjà imposées tout au long des siècles précédents.

Le Roman de Troie par Benoît de Sainte–Maure est le premier ouvrage en France qui nous relate le récit classique et qui a influencé toute une longue série de textes. De toutes façons, le mythe s’achève au retour des héros grecs dans leur patrie. Dans ce roman fondateur, la fable des Argonautes est utilisée comme un prologue à la guerre qui opposa Grecs et Troyens. La confluence de ce récit à l’intérieur de la matière de Troie, variante du mythe classique connu, est due au De Excidio Trojae Historia, ouvrage de Darès le Phrygien, que Benoît utilise comme source digne de foi pour son roman. D’après une lecture évhémeriste, le mythe des Argonautes

Alessandro Ballor

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est reçu comme un épisode réellement arrivé. L’auteur français a traité l’histoire de Troie et, par conséquent, le récit des Argonautes dans le but essentiel de lui attribuer une vérité historique en supposant une continuité entre l’ère classique et le Moyen–Age. Cet objectif restera une constante tout au long de la période qu’il parcourt. A l’intérieur de l’histoire d’amour entre Jason et Médée, l’intérêt de l’auteur se porte essentiellement sur deux éléments: l’aspect psychologique de la passion qui tourmente la femme et les éléments qui appartiennent au domaine des mirabilia. Les auteurs de la triade classique, et Benoît aussi, voient plus souvent dans l’amour une force tragique et funeste, une sombre fatalité, qu’une source de joie. Cet amour génèrera donc la folie de Médée, qui va abandonner sa terre et sa famille pour suivre le héros grec. Quant au deuxième aspect, les mirabilia, une particularité suffira d’exemple: la description des objets magiques que Médée offre à Jason pour conquérir la Toison d’or n’apparaît nulle part dans le mythe classique connu; elle a été ajoutée arbitrairement par Benoît afin de combler la curiosité d’esprits désireux de mesurer l’immensité et de pénétrer les mystères de la création.

Sous le nom de Légende de Troie on désigne l’ensemble de textes médiévaux, réunis et catalogués par M.–R. Jung, qui ont comme matière l’histoire de la ville de Troie. On peut identifier trois filières, liées au texte de Benoît: les cinq mises en prose du Roman de Troie; les traductions et adaptations de la Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne, ouvrage qui traduit en latin le roman de Benoît, et enfin les adaptations du roman français contenues dans les compilations d’histoire universelle, surtout du XVème siècle, dans la section consacrée à l’histoire de Troie et, par conséquent, au mythe des Argonautes. Les ouvrages postérieurs au roman de Benoît ont apporté des modifications et des ajouts à la fable de Jason et de Médée; ils ne se sont pas arrêtés au retour des Argonautes dans leur patrie, mais se sont aussi intéressés à la seconde partie du mythe: la trahison de Jason et la vengeance de Médée. Cependant, les textes réduisent au minimum les considérations à caractère moral sur ce qui concerne la conduite des personnages.

Les figures de Jason et de Médée prennent place à l’intérieur de nombreux textes de nature différente. Les noms du héros grec et de la sorcière de la Colchide nous sont révélés par toute une longue série d’ouvrages qui comprennent plusieurs romans, certaines chansons de geste, un poème allégorique — tel l’Ovide Moralisé — et, enfin, dans le genre lyrique on retrouve plusieurs traces du mythe dans les poèmes des grands maîtres du XIVème siècle, notamment de Guillaume de Machaut, Jean Froissart et Eustache Deschamps. Parmi ces textes deux sont particu-lièrement significatifs: le Roman de la Rose et l’Ovide Moralisé.

Dans le texte de Jean de Meung, les fables classiques sont utilisées comme exempla: événements exemplaires relatés pour confirmer une thèse. L’auteur français cite une soixantaine d’exemples et 80 auctores. Ce sont en

Jason et Médée au Moyen Age en France

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majorité des “fables” antiques, matériau type de l’integumentum. Il utilise deux fois le mythe des Argonautes: Ami, un personnage allégorique, développe sa vision d’une humanité bienheureuse des origines mais évoque, par la suite, la rupture de cet ordre, causée par le voyage des Argonautes lesquels, pour la première fois, ouvrirent les routes de la navigation et du commerce. Afin de démontrer que les hommes en amour sont tous faux et menteurs, Jean de Meung, par l’intermédiaire d’un autre personnage allégorique tel la Vieille, n’hésite pas à reprendre la fable classique de Jason et de Médée, comme exemple paradigmatique. Dans l’histoire d’amour entre Jason et Médée, on repère des éléments de nouveauté, qui sont dus principalement à l’influence d’Ovide: Jean de Meung enrichit parfois le texte, en évoquant le rajeunissement du père de Jason et la terrible vengeance de Médée; mais par contre il n’explique pas pourquoi Jason a trahi sa femme.

L’Ovide Moralisé a été composé probablement dans la première moitié du XIVème siècle; avec ce texte on plonge dans ce qu’on appelle l’“Age mythologique”. L’intérêt du texte porte essentiellement sur l’histoire: l’écrivain médiéval, qui repropose le texte latin des Métamorphoses d’Ovide en langue française, nous apparaît comme un compilateur attentif et expert. Il ne se contente pas des histoires et des références parfois sommaires d’Ovide; il ajoute, au contraire, des digressions et des événements collatéraux qui enrichissent les fables présentes dans son modèle. Il contamine ainsi les Métamorphoses aussi bien avec d’autres ouvrages du poète latin qu’avec celles d’autres auteurs. Pour la première fois en France, un texte nous présente le récit des Argonautes dans sa totalité: l’auteur part des préambules du mythe, l’histoire de la Toison d’or, et achève sa narration par la fuite de Médée après un séjour chez le roi d’Athènes, Egée. On a donné au texte, très riche de détails, le nom d’Argonautiques françaises. Sur un plan moral, comme on a déjà vu pour le Roman de la Rose, l’auteur de l’Ovide Moralisé, à travers les discours de Médée, condamne lui aussi l’attitude de Jason. En deuxième lieu, il ne faut pas oublier que l’Ovide Moralisé se propose comme but la démonstration des sacrements de l’Evangile en les Métamorphoses d’Ovide. C’est–à–dire qu’il cherche dans le texte des explications chrétiennes aux événements qu’il relate. Dans le cas de la fable de Jason et de Médée, chaque épisode devient un moment de la vie du Christ sur terre.

Dans la seconde moitié du XIVème siècle les auteurs de cette période ont reçu les messages de deux œuvres citées: d’une part, la finalité morale — fable comme modèle universel — qui est tirée de Jean de Meung, et, d’autre part, les nouveaux éléments, du point de vue de l’intrigue, que l’Ovide Moralisé a fait connaître à tous. Guillaume de Machaut, dans le Jugement du roy de Navarre, utilise un nouvel élément dans la narration: ce sont les “exemples”, c’est–à–dire des récits, empruntés de préférence à la Bible ou à la littérature gréco–romaine, destinés à servir de preuves aux assertions du

Alessandro Ballor

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poète. A travers cette technique l’auteur cherche des arguments capables de démontrer la justesse de ses opinions ou de celles de ses adversaires. Mais il s’agit pour lui d’intéresser et d’instruire ses lecteurs, en leur offrant des récits amusants et inédits. A nouveau, d’après ce qu’on a formulé pour le Roman de la Rose, Machaut utilise le mythe de Jason et de Médée pour prouver que les hommes en amour sont tous faux et menteurs. Du point de vue de l’intrigue Machaut doit beaucoup à l’Ovide Moralisé: il arrive jusqu’à en reprendre pas à pas certains vers.

Jean Froissart, lui aussi, est un témoin de la “mode” mythologique du XIVème siècle et, en particulier, de la fortune du mythe de Jason et de Médée. Cependant, on remarque chez lui une sorte de “maniérisme”: si d’une part on connaît très bien sa grande liberté créatrice à l’égard de la mythologie classique — il invente de nouvelles histoires et de nouveaux personnages à partir des modèles classiques — d’autre part, dans le cas du mythe des Argonautes, il ne fait que reprendre presque exclusivement le thème de la conquête de la Toison d’Or, en présentant le héros Jason, vaillant et preux, qui arrive à atteindre son but grâce à l’aide et à l’amour de Médée, la belle et noble femme étrangère. Par contre, Eustache Deschamps, “disciple” de Machaut bien plus que Froissart, semble être le bon héritier de la leçon de son maître. Dans les poèmes de cet auteur polyvalent, la mythologie atteste son triomphe: les personnages deviennent des images, des symboles, et accroient ainsi les éventuelles caractéristiques qu’on peut leur associer. Jason est, à la fois, un héros courageux, un tendre amoureux et un parjure. Pour sa part, Médée est loyale, fidèle et amoureuse, mais elle est aussi l’exemple de la femme flattée et abandonnée.

Comme on l’a déjà signalé, le XVème siècle multiplie les témoignages. Tous ces textes nous démontrent simplement que le mythe des Argonautes est désormais connu, exploité et exploré sous toutes ses facettes. Du point de vue de leur signification, ces ouvrages ont fort bien hérité de la leçon de la deuxième moitié du XIVème siècle: la fable classique est reprise, dans la plupart des cas, comme modèle pour révéler l’inconstance du héros grec et la triste situation d’une femme abandonnée.

Parmi ces écrits, cependant, il n’est pas sans raison d’en tirer trois exemples particulièrement significatifs. Dans la balade de Fougères, pièce attribuée à Alain Chartier, datant du début du XVème siècle, le héros grec est âprement et ouvertement blâmé à cause de sa trahison envers sa femme Médée. Deuxièmement, dans les textes de Christine de Pisan — on cite entre autres la Mutation de Fortune, liée à la matière de Troie, et l’Epître d’Othea — l’intérêt se porte essentiellement sur la misérable situation de la femme flattée et abandonnée. Un nouvel élan à l’égard de cette matière mytho-logique nous est témoigné par la création de l’Ordre de chevalerie de la Toison d’or. Institué par Philippe de Bourgogne vers la moitié du XVème siècle, à l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, l’Ordre se met, au début, sous le signe du héros grec. A ce propos Raoul Lefèvre composa,

Jason et Médée au Moyen Age en France

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vers 1460, l’Histoire de Jason. Le texte est une longue biographie, consi-dérablement romancée, qui parcourt les principales étapes de la vie du preux héros grec: de la conquête de la Toison d’Or à une réconciliation entre Jason et sa femme Médée, aussi improbable que bizarre, dictée dans le but de réhabiliter un protagoniste que certaines lectures précédentes avaient discrédité. Comme nous l’avons vu, Jason était un personnage ambigu, n’ayant pas maintenu la promesse donnée, c’est pourquoi, en tant que patron de l’Ordre, il fut remplacé par Gédéon, le personnage biblique, lui aussi porteur d’une toison.

En conclusion, nous pouvons affirmer, avec raison, que la fortune rencontrée par l’intrigue de Jason et Médée, au cours du Moyen–Age français, est profondément liée à son extraordinaire richesse sémantique: le mythe peut être utilisé comme modèle de grande aventure militaire et héroïque — la conquête de la Toison d’or — ou bien peut être interprété comme exemple de l’expression de certaines passions amoureuses ou, dans d’autres cas encore, utilisé pour démontrer l’infidélité des hommes à l’égard de leurs amantes. Par conséquent, en ce qui concerne la valeur du mythe, deux clefs de lecture sont prépondérantes dans la littérature française: une interprétation historique et une interprétation morale. Dans la littérature historiographique l’intérêt des auteurs s’adresse principalement à l’aventure militaire, en évoquant la valeur et le courage du héros. D’un point de vue moral, l’interprétation du mythe s’est développée sur deux plans bien distincts. Dans la majeure partie des cas l’intrigue met en scène un homme coupable de trahison provoquant la mésaventure de son amante. Paral-lèlement à cette filière, la fable antique est évoquée pour critiquer les gestes insensés, dictés par un amour passionnel, comme celui de Jason et Médée. Nous proposons, comme suit, un schéma qui permettra d’éclaircir au mieux les passages que le mythe de Jason et Médée, comme beaucoup d’autres fables classiques, a subi tout au long du Moyen–Age.

Première étape: interprétation historique

Vulgarisation des thèmes dans un but historique Exemple: roman antique (Roman de Troie)

Deuxième étape: interprétation allégorique

Intégration des thèmes dans le goût médiéval Exemple: poèmes allégoriques (Roman de la Rose et Ovide Moralisé)

Troisième étape: âge mythologique

Utilisation de la matière dans un but didactique Exemple: poèmes des grands maîtres du XIV siècle (Machaut – Froissart –

Deschamps)

TRIOMPHE DE LA MYTHOLOGIE