“L'évolution des modes de contrôle de l'autorité parentale...

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Renée JOYAL Département des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal (1994) “L'évolution des modes de contrôle de l'autorité parentale et son impact sur les relations entre parents et enfants dans la société québécoise.” LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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Renée JOYALDépartement des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal

(1994)

“L'évolution des modes de contrôlede l'autorité parentale et son impact

sur les relations entre parents et enfantsdans la société québécoise.”

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

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Renée JOYAL,

“L'évolution des modes de contrôle de l'autorité parentale et son impact sur les relations entre parents et enfants dans la société québécoise.”

In ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993, pp. 245-258. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1994, 574 pp.

La présidente de l’ACSALF, Mme Marguerite Soulière, nous a accordé le 20 août 2018 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Clas-siques des sciences sociales.

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Renée JOYALDépartement des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal

“L'évolution des modes de contrôlede l'autorité parentale et son impact sur les relationsentre parents et enfants dans la société québécoise.”

In ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993, pp. 245-258. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1994, 574 pp.

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Entre tradition et universalisme.Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme

tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993.DEUXIÈME PARTIE

A. LA FILIATION

15“L’évolution des modes de contrôlede l’autorité parentale et son impact

sur les relations entre parents et enfantsdans la société québécoise.” *

Par Renée JOYALSociologie, Cégep Lionel-Groulx

L'autorité parentale est un concept relativement nouveau en droit québécois. Jusqu'en 1977, en effet, c'est autour de la notion de puis-sance paternelle que s'organisaient les rapports entre parents et en-fants. Les modifications législatives alors effectuées 1 n'ont cependant pas entraîné qu'un changement de terminologie. L'autorité parentale est depuis lors définie par le Code civil comme un ensemble de droits et de devoirs exercés conjointement par les parents à l'égard de leurs enfants, alors que l'ancienne puissance paternelle affirmait les droits du père sur ses enfants, la mère n'exerçant qu'un rôle supplétif. C'est également en 1977 qu'apparaissent de nouvelles mesures de contrôle de l'autorité parentale. L'Assemblée nationale adopte une nouvelle Loi

* Une version remaniée de ce texte paraîtra dans un prochain numéro de la Revue internationale d'études canadiennes.

1 Loi modifiant le Code civil, L.Q., 1977, c. 72.

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sur la protection de la jeunesse 2, en vue d'assurer la protection par l'État des enfants maltraités, abandonnés ou négligés. Des dispositions prévoyant la déchéance de l'autorité parentale, pour motifs graves et dans l'intérêt de l'enfant, sont par ailleurs intégrées au Code civil 3. Cette décennie voit également l'avènement de l'enfant comme sujet de droits, la notion d'intérêt de l'enfant étant alors jugée insuffisante, voire dangereuse d'utilisation dans les décisions concernant des per-sonnes mineures (Joyal, 1991, p. 787).

[246]Ces changements législatifs marquent une étape importante d'une

longue évolution dont on peut situer le point de départ dans la seconde moitié du XIXe siècle, plus précisément en 1869. Avant cette date, en effet, il faut chercher ailleurs que dans des dispositions légales les principaux modes de régulation des comportements familiaux. La fa-mille élargie, le voisinage et la communauté villageoise jouent alors, à cet égard, un rôle primordial, le tout sous l'œil attentif de l'Église et du clergé (Voisine, Beaulieu et Hamelin, 1971, p. 57 ; Roy, 1976, pp. 44-45). Sauf quelques exceptions visant des problèmes spécifiques 4, les rapports entre parents et enfants ne sont touchés que par les lois géné-rales de police et d'assistance. En 1869, toutefois, la Législature du Québec adopte l’Acte concernant les écoles d'industrie 5. Première véritable intervention législative en la matière, cette loi inaugure une évolution qui, s'étendant sur plus d'un siècle, assurera une place ac-crue à l'État dans la vie familiale.

Nous distinguerons deux périodes dans l'étude de cette évolution : la première se caractérise par la présence massive de l'Église et de ses institutions dans le secteur de l'aide à l'enfance, tandis que la seconde marque le retrait de celle-ci au profit des organismes et appareils d'État. Parallèlement à ce transfert de responsabilités, qui ne va 2 Loi sur la protection de la jeunesse, L.Q., 1977, c. 20. Cette loi n'est entrée

en vigueur dans sa totalité que le 15 janvier 1979.3 Loi modifiant le Code civil, précitée, note 1.4 Voir, par exemple, en matière de vagabondage : Acte pour remédier plus

efficacement à divers abus préjudiciables à l'amélioration de l’agriculture, et à l’industrie dans cette province, et pour d'autres objets, Statuts provinciaux du Bas-Canada, 1824, c. 33, art. 30 ; en matière de délinquance juvénile : Acte concernant les prisons pour les jeunes délinquants, Statuts du Canada, 1858, c. 88.

5 Acte concernant les écoles d'industrie, S.Q., 1869, c. 17.

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d'ailleurs pas sans résistance, les textes législatifs connaissent une évolution, assez lente au départ, qui s'accélère sous la pression des changements sociaux liés à la Révolution tranquille des années 1960.

SOUS L'OEIL VIGILANT DE L'ÉGLISE (1869-1945)

Durant la période qui s'étend de 1869 à la Deuxième Guerre mon-diale, l'intervention des pouvoirs publics en faveur de l'enfance mal-heureuse évolue somme toute assez peu. L'Acte concernant les écoles d'industrie est modifié à quelques reprises sans toutefois que les mé-canismes qui en assurent l'application ne soient touchés par ces chan-gements. Les institutions chargées de recueillir les enfants visés par la loi demeurent sous le contrôle du clergé et des communautés reli-gieuses. Une tentative de réforme, amorcée dans les années 1940, tourne court, mais n'en est pas moins annonciatrice d'un virage ma-jeur.

Le caractère limité de l'intervention étatique

On peut se demander, d'abord, pourquoi la Législature du Québec sent le besoin d'adopter, en 1869, l’Acte concernant les écoles d'in-dustrie. Cette initiative ne peut certes pas être dissociée des grands changements socio-économiques qui caractérisent l'époque. Bien qu'on ne puisse parler d'industrialisation [247] massive pour le Qué-bec avant le XXe siècle (Poulin, 1955, p. 38), une économie capitaliste y est cependant en formation, fondée sur l'établissement de manufac-tures locales et l'afflux d'une main-d'œuvre immigrante en provenance notamment de l'Irlande (Ryerson, 1972, p. 235). La population est en-core rurale à plus de 75% (Poulin, 1955, p. 38), mais Montréal et Qué-bec sont devenues des agglomérations importantes. Des conditions de travail pénibles comme le « sweating System » s'y développent, alors que les saisons mortes et les crises économiques amènent chômage et misère (Hamelin et Roby, 1971, p. 307). Il n'existe aucune mesure sociale pour soulager ces maux. Hôpitaux, hospices et crèches re-cueillent les orphelins, ainsi que les malades et les vieillards indigents.

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Pour le reste, il faut s'en remettre à la charité privée, aux œuvres pa-roissiales et aux sociétés de bienveillance et de secours (Hamelin et Roby, 1971, p. 302).

Toutes ces mutations et la désorganisation sociale qui s'ensuit ont des répercussions sur la vie familiale. Le nombre des enfants errants ou abandonnés augmente, surtout en milieu urbain. L'Acte concernant les écoles d'industrie 6 assurera la prise en charge de ces enfants per-çus comme des délinquants potentiels et, donc, comme une menace à l'ordre social.

C'est à la suite de plusieurs pétitions émanant surtout de personna-lités ecclésiastiques tant de Montréal que de Québec 7, que l'Assem-blée adopte cette loi. En réponse aux questions qui lui sont adressées par des membres de la Législature, l'honorable Pierre-Joseph-Olivier Chauveau explique que le but du « bill » est de protéger les enfants et de leur éviter les dangers conduisant à une vie immorale 8. Au moment de la présentation de celui-ci, il avait indiqué qu'il avait pour objet de permettre, comme en Angleterre 9, l'envoi des jeunes délinquants dans des maisons de réforme privées établies par des personnes charitables. Il convient de remarquer ici que l'Acte concernant les écoles d'indus-trie fut présenté et adopté au même moment que l’Acte concernant les écoles de réforme 10, ce qui illustre l'étroite association que les parle-mentaires faisaient entre le placement en école de réforme, qui visait le redressement des jeunes délinquants et le placement en école d'in-dustrie, dont le but était de prévenir la délinquance chez les enfants errants ou abandonnés.

L'Acte concernant les écoles d'industrie s'applique aux enfants de moins de 14 ans trouvés errants ou en compagnie de voleurs, les or-phelins ou les enfants dont le père a été condamné à une peine de pri-6 Précitée, note 5. [Voir note précédente. JMT.]7 Débats de l'Assemblée législative, 1867-1870 (reconstitution), pp. 171, 192,

204 et 211.8 Idem, p. 218.9 Idem, p. 176.10 Acte concernant les écoles de réforme, S.Q., 1869, c. 18. L'Angleterre

s'était en effet dotée, durant les années 1850, d'un système d'éducation cor-rectionnelle pour les personnes mineures délinquantes ou sujettes à le deve-nir. Voir, à ce sujet, Mario Provost, « Le mauvais traitement de l'enfant : Perspectives historiques et comparatives de la législation sur la protection de la jeunesse ». Revue de Droit, 1991, 22, p. 1.

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son ou de travaux forcés. Toute personne peut conduire un enfant se trouvant dans une telle situation devant un magistrat qui, après une enquête sommaire, peut ordonner son placement en école d'industrie. Un père de famille ou le directeur d'une institution de charité peut éga-lement se prévaloir de ce mécanisme dans le cas d'un enfant « incon-trôlable » ou « réfractaire ».

[248]Les écoles d'industrie sont approuvées par le lieutenant-gouverneur

en conseil après inspection. Elles sont tenues d'instruire et d'élever l'enfant ainsi que de pourvoir à sa subsistance. L'ordonnance de place-ment constitue un ordre de détention pour une durée déterminée et le fait de quitter l'école sans autorisation est considéré comme une éva-sion et, dans certains cas, puni comme tel. Après une certaine période d'hébergement, l'enfant peut être autorisé à loger à l'extérieur ou être placé en apprentissage, le tout sous la supervision des autorités de l'école. Le financement de ces institutions est en partie à la charge de la Législature et en partie à la charge des municipalités concernées. Dans certains cas, les parents seront tenus à une contribution.

La nomenclature des enfants visés par la loi de 1869 témoigne du fait que le souci du législateur d'alors en était d'abord un de sécurité publique. Il s'agissait de combattre l'oisiveté, les mauvais compa-gnons, l'esprit de révolte et de pourvoir au redressement de l'enfant par l'imposition d'un cadre de vie rigide et l'apprentissage d'un métier.

Cette approche ne sera sérieusement remise en cause que dans les années 1940. Toutefois, dans l'intervalle, l'on verra s'ajouter à la liste des enfants concernés par la loi de nouvelles catégories qui té-moignent de l'apparition d'une certaine compassion à l'égard de l'en-fant. Ainsi, à partir de 1884 11, les enfants « en besoin » de protection à cause de la maladie continuelle, de l'extrême pauvreté, de l'ivrognerie ou des « habitudes vicieuses » de leurs parents seront-ils couverts par

11 Voir, à ce sujet, l'Acte pour amender l'Acte 32 Victoria, c. 17, concernant les écoles d’industrie, S.Q., 1884, c. 23. Cette loi avait également pour objet d'abaisser l'âge des enfants visés de quatorze à douze ans. L'âge de quatorze ans a été rétabli en 1894.

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la loi. En 1912 12, on y ajoutera les enfants « habituellement battus ou traités cruellement » par leurs parents ou gardiens.

L'Acte concernant les écoles d'industrie, malgré quelques ajouts traduisant une préoccupation nouvelle pour l'enfant, ne peut être vu comme un mécanisme de contrôle de la puissance paternelle. À l'ex-ception de cas d'une extrême gravité, ce texte législatif vient au contraire renforcer l'exercice de la puissance paternelle à l'égard d'en-fants jugés « incontrôlables » ou « récalcitrants ». On ne peut donc relever aucune tentative sérieuse des pouvoirs publics de percer une brèche dans cette « institution » avant la Deuxième Guerre mondiale.

L'émergence d'une volonté de réforme

Les années 1940 constituent en effet un moment significatif de l'histoire de la protection de l'enfance et de la jeunesse au Québec. L'année 1944 voit même l'adoption de la Loi de la protection de l'en-fance 13, qui se démarque radicalement de la législation applicable jus-qu'alors.

[249]C'est dans la foulée du rapport de la Commission d'assurance-ma-

ladie de Québec 14, instituée par l'Assemblée législative en 1943, que ce texte législatif prend forme. À la suite de seize décès survenus par-mi les jeunes enfants fréquentant des garderies privées de la région de Montréal, cette Commission est invitée à faire enquête sur le pro-blème des garderies et de la protection de l'enfance. Après avoir tenu quinze auditions publiques au cours desquelles ils entendent soixante et onze personnes représentant plus de cent dix communautés reli-gieuses et organismes de charité 15, les commissaires déposent un rap-port qui reconnaît l'existence des besoins affectifs de l'enfant et traduit 12 Voir, à ce sujet. Loi amendant les Statuts refondus, 1909, concernant les

jeunes délinquants, S.Q., 1912, c. 39. Le titre de cette loi illustre une fois de plus l'association qui est encore faite à cette époque entre les jeunes délin-quants et les jeunes placés en école d'industrie.

13 Loi concernant la protection de l'enfance, S.Q., 1944, c. 33.14 Commission d'assurance-maladie de Québec, 1er rapport. Cette commission

est issue de la Loi instituant une Commission d'assurance-maladie, S.Q., 1943, c. 32.

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une volonté marquée de responsabiliser les pouvoirs publics face au bien-être de l'enfance.

Dans une société devenue urbaine à plus de 65% (Poulin, 1955, p. 38), fortement industrialisée et qui demeure marquée par la grande dépression des années 1930 et son cortège de misères, nombreux sont ceux, politiciens, clercs et membres de diverses professions, qui croient en la nécessité d'une prise en charge accrue par l'État de cer-tains problèmes sociaux (Joyal et Chatillon, 1993). Faisant siennes les positions soutenues par les tenants de ce courant moderniste, le rap-port de la Commission d'assurance-maladie de Québec propose un avant-projet de loi de protection de l'enfance qui est présenté comme projet de loi à l'Assemblée législative le 10 mai 1944.

La nomenclature des enfants concernés par ce texte législatif re-joint sensiblement celle que l'on retrouve à l'époque dans la Loi des écoles d'industrie 16 telle que modifiée au fil du temps. Mais c'est sur-tout au plan des structures proposées que le projet de loi se démarque de la législation antérieure. Celui-ci prévoit, au plan local, la création de sociétés de protection de l'enfance ayant pour fonction de conduire devant un juge tout enfant visé par la loi et, le cas échéant, de voir à l'exécution de l'ordonnance rendue par le tribunal. Ces sociétés sont supervisées par un Conseil supérieur de la protection de l'enfance, composé de douze membres, dont dix de religion catholique romaine et deux de religion protestante. L'ensemble du système est sous la res-ponsabilité d'un directeur de la protection de l'enfance agissant sous l'autorité d'un ministre.

Les décisions rendues par le tribunal à l'égard d'un enfant peuvent être de plusieurs ordres : remise de l'enfant à ses parents sous la sur-veillance d'une société de protection de l'enfance, attribution tempo-raire ou permanente de la garde de l'enfant à une telle société, qui en devient alors la tutrice et peut le placer dans un foyer nourricier, dans une institution ou encore en apprentissage ou en service domestique.

[250]

15 Les commissaires reçoivent en outre les mémoires de dix-neuf autres per-sonnes ou organismes qui préfèrent ne pas témoigner devant la Commis-sion : Commission d'assurance-maladie de Québec, 1er rapport, p. 3.

16 Loi concernant les écoles d’industrie, S.R.Q., 1941, c. 39.

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Ce projet législatif, qui conférait de larges pouvoirs à des sociétés de protection de l'enfance placées sous le contrôle de l'État, élargissait l'éventail des mesures applicables à un enfant touché par la loi et limi-tait l'exercice de la puissance paternelle, n'allait pas manquer de soule-ver de vives protestations. Au moment de la présentation de ce projet de loi, la plupart des institutions recevant des enfants étaient dirigées par le clergé ou des communautés religieuses (Bourgeois, 1947, p. 240). Plusieurs représentants du milieu clérical et les politiciens conservateurs qui y étaient associés ne pouvaient manquer de voir l'adoption de cette loi comme une menace pour les institutions reli-gieuses. La composition « mixte » du Conseil supérieur de la protec-tion de l'enfance était également loin d'emporter leur assentiment (Joyal et Chatillon, 1993). Malgré ce fort courant d opposition, la Loi de la protection de l'enfance est adoptée par l'Assemblée, le 3 juin 1944, sous le gouvernement libéral et réformiste d'Adélard Godbout. Toutefois, quelques mois plus tard, ce gouvernement est défait et le retour au pouvoir de Maurice Duplessis, en août 1944 (Linteau, et al., 1986, p. 143), suspend à jamais la mise en application de ce texte lé-gislatif.

Dans le domaine de la protection de l'enfance, on en est donc au statu quo. L'idéologie conservatrice triomphe et la Loi des écoles d'in-dustrie continue de s'appliquer. Il faut toutefois se garder de croire que la réflexion sociale entreprise autour de la loi de 1944 n'aura eu au-cune retombée. Il est vrai qu'à court terme, le seul changement à inter-venir en la matière est la création, en 1946, du ministère du Bien-Être social et de la Jeunesse 17, dont le rôle, au départ, semble avoir été li-mité à la gestion des allocations sociales (Vaillancourt, 1988, p. 132). Cependant, une nouvelle loi et surtout de nouvelles pratiques devaient bientôt voir le jour en la matière et contribuer à l'effacement progres-sif des institutions religieuses au profit de l'État dans ce domaine né-vralgique.

17 Loi constituant le département de bien-être social et de la jeunesse, S.Q., 1946, c. 22.

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L'INÉLUCTABLE AVANCÉE DE L'ÉTAT(1945-1977)

C'est en 1950 qu'est adoptée une nouvelle législation qui, à défaut de s'inspirer du courant moderniste à l'origine de la Loi de la protec-tion de l'enfance de 1944, pave cependant la voie à des changements notables. Dans les années qui suivent, le cadre social traditionnel éclate en même temps que s'affirment les nouveaux professionnels de l'intervention sociale. Cette effervescence atteint son paroxysme dans les années 1960 ; c'est également à ce moment que se développe la théorie des droits. La Loi sur la protection de la jeunesse de 1977 sera le fruit de ces profondes mutations.

[251]

Une législation de type paternaliste

La Loi relative aux écoles de protection de la jeunesse 18, adoptée en 1950, étend la protection de l'État à tout enfant de plus de six ans et de moins de dix-huit ans « particulièrement exposé à des dangers mo-raux ou physiques, en raison de son milieu ou d'autres circonstances spéciales ». Les termes très généraux de cette formulation ouvrent la porte à un contrôle accru, et potentiellement arbitraire, de la puissance paternelle, jusque-là peu menacée par les pouvoirs publics. Le nou-veau texte législatif ménage cependant les appréhensions des gens d'Église, puisqu'il demeure centré sur le placement des enfants concer-nés dans les écoles spéciales qu'ils dirigent. Le magistrat qui préside l'enquête doit, s'il est satisfait de la preuve qui lui est présentée, adres-ser au ministre du Bien-Être social et de la jeunesse un rapport recom-mandant le placement de l'enfant. C'est au ministre qu'il revient d'or-donner ce placement, de le prolonger et, le cas échéant, de donner son congé à l'enfant. La Loi des tribunaux judiciaires est modifiée la même année par la Loi instituant la Cour de bien-être social 19. À par-tir de cette date, les magistrats appelés à présider les enquêtes relatives

18 Loi relative aux écoles de protection de la jeunesse, S.Q., 1950, c. 11.19 Loi instituant la Cour de bien-être social, S.Q., 1950, c. 10.

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aux cas de protection appartiendront progressivement à ce tribunal spécialisé.

L'année suivante, la Loi des écoles de protection de la jeunesse est modifiée de manière à s'appliquer à tous les enfants de moins de dix-huit ans ; l'éventail des mesures applicables à ceux-ci est en outre élar-gi. « Le magistrat peut alors, suivant les circonstances et après consul-tation, s'il y a lieu, avec une agence sociale reconnue par le ministre, laisser l'enfant en liberté surveillée, le confier à toute agence sociale, société, institution, recommander son placement dans une école, ou prendre toute autre décision dans le meilleur intérêt de l'enfant. » 20 Ce changement n'est pas négligeable, puisqu'il entraîne la reconnaissance légale des divers organismes œuvrant dans le domaine de la protection de l'enfance. Ces organismes sont cependant pour la plupart organisés sur une base diocésaine et assujettis à l'autorité ecclésiastique, du moins en milieu canadien-français (D'Amours, 1982, p. 22). L'ouver-ture législative ainsi effectuée ne heurte donc pas de front les intérêts du milieu clérical.

Sans établir un véritable système intégré de protection de l'enfance, les lois de 1950 et de 1951 assurent la diversification des mesures sus-ceptibles d'être recommandées ou ordonnées à l'égard des enfants vi-sés par la loi et font une place officielle aux organismes de protection de l'enfance. La Cour de bien-être social est créée, quoique, dans bien des cas, ce tribunal n'ait qu'un pouvoir de recommandation au mi-nistre. Le cadre procédural dans lequel il intervient manque de forma-lisme et de rigueur ; les droits de l'enfant et de ses parents ne sont nulle part explicitement énoncés. Les agences sociales, reconnues par le texte législatif à partir de 1951, seront [252] toutefois le ferment d'une approche renouvelée de la protection de l'enfance.

20 Loi modifiant la Loi des écoles de protection de la jeunesse, S.Q., 1950-1951, c. 56.

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La conjonction de nombreux facteurs de changement

À la forte croissance économique de l'après-guerre s'ajoute, pour le Québec, une importante poussée démographique. En 1961, la popula-tion atteint cinq millions d'habitants et est urbaine à près de 75% (Lin-teau, et al, 1986, p. 187 et 256). Malgré le conservatisme politique qui caractérise le gouvernement de Maurice Duplessis, au pouvoir de 1944 à 1959, de puissants courants réformistes se manifestent, sou-vent véhiculés par les nouvelles élites que sont les professeurs, journa-listes, économistes et spécialistes en sciences humaines (Linteau, et al, 1986, p. 280). La vague d'immigration de l'après-guerre, l'ouver-ture sur le monde que favorisent les médias, notamment la télévision, contribuent à l'effondrement des valeurs toutes faites de la société québécoise traditionnelle.

En 1960, le Parti libéral de Jean Lesage arrache le pouvoir à l'Union nationale de Maurice Duplessis, décédé en 1959. Le Québec est mûr pour un grand changement : ce sera la Révolution tranquille. Cette expression désigne aussi bien le bouleversement des valeurs et des mentalités qui se fait jour à cette époque que les grandes réformes politiques et structurelles entreprises à partir de 1960 par le gouverne-ment de Jean Lesage et ceux qui lui ont succédé. Les secteurs de l'édu-cation, de la santé et des affaires sociales sont prioritairement visés par ce processus qui implique la prise en charge par l'État d'institu-tions jusqu'alors dominées par des groupes privés, notamment l'Église catholique (Linteau, et al, 1986, p. 394).

Dans le domaine de la protection de l'enfance, le milieu franco-phone a diversifié ses modes d'intervention, puisque, à partir de 1950, des agences diocésaines de services sociaux sont rapidement mises sur pied dans l'ensemble du territoire du Québec (D'Amours, 1982, p. 22). En plus d'assurer la distribution de certaines allocations sociales, ces agences visent la protection de l'enfance et la solution des problèmes de la famille. En 1963, elles se regroupent pour former la Fédération des services sociaux à la famille du Québec. Elles recrutent en partie leur personnel parmi les diplômés des Écoles de service social fondées à l'Université de Montréal et à l'Université Laval dans les années 1940 (Joyal et Chatillon, 1993). Ces nouveaux professionnels contribuent sans conteste à renouveler l'approche des problèmes sociaux et sont

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partie prenante aux réformes entreprises à cet égard dans la foulée de la Révolution tranquille.

C'est également durant les années 1960 que s'accentue l'affirmation collective des femmes et que sont mis sur pied d'importants groupes de [253] pression. La Fédération des femmes du Québec et l'Associa-tion féminine pour l'éducation et l'action sociale voient respectivement le jour en 1965 et en 1966 (Dumont, et al., 1982, p. 449 et ss.). Ce mouvement d'émancipation aura des répercussions au plan législatif. On assiste d'abord, en 1964, à l'adoption par l'Assemblée législative du bill 16 21, qui consacre l'égalité juridique des époux ; puis, en 1969, est adopté le bill 10 22, qui fait de la société d'acquêts le régime matri-monial légal, en lieu et place de l'ancienne communauté de meubles et acquêts, laquelle, dirigée par le mari, était difficilement compatible avec le principe d'égalité consacré en 1964.

La transformation des rapports hommes-femmes, l'avènement du pluralisme, l'émergence de nouvelles élites comptent parmi les élé-ments déterminants qui rendent nécessaire la révision des lois alors en vigueur en matière de protection de l'enfance et qui contribuent à fa-çonner le nouvel ensemble législatif qui prend corps durant les années 1970.

L'enfant, les parents et l'État :une nouvelle dynamique

L'une des premières préoccupations de l'État à l'époque consiste en l'élaboration d'un cadre permettant une meilleure planification et une coordination plus efficace des services sociaux. La diversification eth-nique et religieuse de la population s'accommode par ailleurs difficile-ment d'un système relevant en grande partie des autorités ecclésias-tiques. À la suite du rapport de la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social, l'Assemblée nationale adopte la Loi sur les ser-vices de santé et les services sociaux 23 : celle-ci a pour effet de créer

21 Loi sur la capacité juridique de la femme mariée, L.Q., 1964, c. 66.22 Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q., 1969, c. 77.23 Loi sur les services de santé et les services sociaux L.Q., 1971, c. 48.

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des Centres de services sociaux régionaux, qui assument alors les fonctions des anciennes agences. Le réseau est désormais étatisé.

Au même moment, la Loi de la protection de la jeunesse est vive-ment critiquée. On lui reproche notamment de recourir au système judiciaire exclusivement, alors que plusieurs interventions sur une base volontaire auprès de l'enfant et de sa famille pourraient relever des services sociaux. Plusieurs personnes et groupes déplorent aussi l'absence de reconnaissance explicite des droits de l'enfant dans la lé-gislation alors applicable. C'est dans ce contexte que s'ouvre un débat social de cinq ans autour d'une réforme législative en la matière. Le processus, qui s'amorce en 1972, voit le dépôt successif à l'Assemblée nationale de trois propositions législatives qui font l'objet d'autant de commissions parlementaires au cours desquelles citoyens et orga-nismes s'expriment abondamment sur la question (Joyal et Provost, 1993).

Dès 1974, l'Assemblée nationale décide de légiférer sur un aspect particulier de cette problématique et adopte la Loi concernant la pro-tection des [254] enfants soumis à des mauvais traitements 24. Il s'agit d'une solution d'urgence destinée à calmer une opinion publique en alerte à la suite de la médiatisation de plusieurs cas d'enfants battus. Le système mis en place par cette loi sert en même temps de projet-pi-lote pour la réforme globale en cours. Celle-ci aboutit à l'adoption, en 1977, d'une nouvelle Loi sur la protection de la jeunesse 25 qui favo-rise le règlement volontaire des situations de protection et le respect des droits des enfants concernés, tout en établissant de nouvelles structures d'intervention dans le domaine (Joyal et Provost, 1993).

Désormais, chaque Centre de services sociaux 26 est doté d'un D.P.J., fonctionnaire responsable de services de réception et d'orienta-tion des situations de protection énumérées par la Loi. 27 Des mesures volontaires peuvent être proposées à l'enfant et à ses parents en vue de

24 Loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements, L.Q., 1974, c. 59.

25 Loi sur la protection de la jeunesse, L.Q., 1979, c. 20.26 Depuis la récente réforme des services de santé et des services sociaux, ces

centres n'existent plus. Une grande partie de leur mission est maintenant exercée par les Centres de protection de l'enfance et de la jeunesse.

27 Les articles 38 et 38.1 de la loi actuelle énumèrent de façon limitative les situations pouvant donner lieu à l'intervention publique.

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mettre fin à la situation constatée ; cependant, seul le tribunal est habi-lité à trancher les conflits susceptibles de survenir entre l'enfant, ses parents et le D.P.J. C'est à celui-ci qu'est par ailleurs confiée l'exécu-tion des décisions rendues par le tribunal. Un organisme provincial, le Comité de la protection de la jeunesse 28, est chargé d'assurer le respect des droits des enfants reconnus à la Loi et dispose de divers moyens d'action à cet égard.

La même année, cette réforme trouve son écho dans le Code civil, où la puissance paternelle est remplacée par l'autorité parentale ; celle-ci comporte le droit et le devoir de garde, de surveillance et d'éduca-tion 29. Ces responsabilités sont désormais exercées conjointement par le père et la mère, le législateur consacrant ainsi le principe d'égalité reconnu par ailleurs dans les rapports entre époux. L'autorité parentale peut faire l'objet d'une déchéance, pour motifs graves et dans l'intérêt de l'enfant. Ce mode de contrôle de l'autorité parentale s'ajoute à ceux prévus à la Loi sur la protection de la jeunesse. Produisant des effets majeurs sur la relation parents-enfant et pouvant même conduire dans certains cas à l'adoption de celui-ci par des tiers, la déchéance ne sera prononcée qu'en dernier ressort.

À partir de la Révolution tranquille se dessinent donc des rapports différents entre les citoyens et l'État. Une nouvelle culture laïque et bureaucratique s'impose. La famille se replie sur elle-même dans l'anonymat des grandes villes. La communauté environnante n'existe plus comme instance de régulation des comportements et structure de soutien dans les épreuves. L'État a pris le relais de l'Église dans les secteurs de l'éducation, de la santé et des services sociaux. La théorie des droits connaît un développement sans précédent qui marque toutes les nouvelles législations : droit des femmes à l'égalité, droit des en-fants à la sécurité et au développement ainsi qu'à des services adé-quats et droit de tous les citoyens à la protection contre les interven-tions arbitraires ou abusives de l'État.

28 Le nom de cet organisme a été modifié en 1989 pour celui de Commission de protection des droits de la jeunesse.

29 Loi modifiant le Code civil, L.Q., 1977, c. 72.

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[255]La puissance paternelle pouvait jadis compter sur l'appui de l'État

et du système judiciaire ; désormais l'autorité parentale passe au crible des nouvelles normes sociales et les parents exercent leurs responsabi-lités sous l'œil de l'administration autant que de la justice. Autrefois centrées sur l'autorité des parents, notamment celle du père de famille, les politiques législatives sont maintenant axées sur la protection de l'enfant. L'émergence de la théorie des droits a fait de tous les membres de la famille des égaux face à l'État et à ses instances de ré-gulation (Durant-Brault, 1991, p. 136). Elle devient périlleuse, la fonction parentale, dans un tel contexte, d'autant plus que les pouvoirs publics, en prenant le relais des anciennes instances normatives, n'ont pas su jusqu'à maintenant remplacer les structures de soutien d'antan.

[256]

NOTES

Les notes en fin de texte ont toute été converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page afin d’en faciliter la consultation. JMT.

[257][258]

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