Paolo Gioli. Superficie Della Sorgente Relu EG MS
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Superficie vasta della sorgente
Triptyque composé de deux éléments huile sur toile et un élément au crayon et fusain sur papier,
1970
Superficie vasta della sorgente est un triptyque polychrome qui consiste en une toile rectangulaire
et en deux panneaux trapézoïdaux. Une fois installé, l’assemblage qui se forme semble
effectivement représenter un faisceau lumineux de rayons qui, comme s’il sortait d’un projecteur
cinématographique, s’élargit et va se déposer sur l’écran, voire sur la toile rectangulaire, en y
composant une sorte de spectre chromatique. Chaque élément du triptyque est différent de l’autre et
conserve une indépendance visuelle bien que lié aux deux autres, soit figurativement par le flux
chromatique, soit physiquement par des charnières qui forment de véritables points d’articulation
entre les panneaux. La toile rectangulaire semble représenter les photogrammes immobiles d’une
pellicule, dont on reconnaît la silhouette dentelée, à l’intérieur de laquelle se place une sorte de
spectre lumineux, contourné de plusieurs lignes et encadré par un bord noir ; on retrouve un spectre
semblable parmi les lignes colorées et les signes d’apparence « techniques » sur le panneau
trapézoïdal plus loin. Au contraire, le panneau central, réalisé sur papier au fusain et aux crayons de
couleur, décrit le cône lumineux sortant du projecteur grâce à de petits signes quasi illisibles,
comme si la peinture (raréfiée et devenue dessin) avait été effacée par un éblouissant excès de
lumière. A l’intérieur de cette oeuvre complexe et hybride de Paolo Gioli, un tableau peint tel que
Superficie vasta della sorgente joue, pour diverses raisons, un rôle emblématique. L’abstraction à
laquelle il a recours n’est pas du tout du même ordre que l’abstraction typiquement moderniste : il
ne s’agit pas, ici, de se détacher de la représentation d’un phénomène reconnaissable, mais de
représenter un phénomène en soi abstrait et non-reconnaissable, telle que la projection d’une
pellicule cinématographique. Pourtant, bien que ce triptyque témoigne de la fascination de son
auteur pour le cinéma, il n’est pas une représentation mimétique du dispositif cinématographique, et
ne se réduit pas à une description visuelle « métaphorique » du mécanisme de la projection. La
forme trapézoïdale des panneaux rappelle plutôt les diagrammes d’un rayon de lumière décomposé
que l’on voit dans les tables des traités d’optique de Goethe et Newton ; mais ce caractère
« diagrammatique » du tableau, loin d’être un simple effet collatéral, provoque un écart mental, et
produit un véritable passage à la métonymie. Comme, en effet, l’indique déjà le titre, Superficie
vasta della sorgente est une « métonymie » soit de l’« ample surface » de l’écran du cinéma, soit de
sa « source », le projecteur lumineux. La dislocation même de l’installation des trois tableaux
déclenche un dynamisme cinématique qui, métonymiquement, met « en mouvement » chaque
élément, aussi petit qu’il soit, de la surface peinte. Ainsi, les points cinématisés deviennent lignes,
ou rayures vives ; les lignes s’épanouissent dans des surfaces allongées, et enfin les trois surfaces de
l’assemblage s’organisent dans l’espace en donnant lieu à une véritable « ambiance »
tridimensionnelle. Finalement, la disposition des panneaux et de la toile oblige le regard de
l’observateur à suivre le faisceau des rayons vers la polychromie du tableau-écran, en accomplissant
une (sorte d’) « expérience visuelle cinématographique » obtenue grâce à la peinture. Superficie
vasta della sorgente « fonctionne » donc comme un cinéma-sans-cinéma : pas un « cinéma peint »,
mais une « peinture cinématique », un cinéma im Stillstand.