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Théâtral magazine L’actualité du théâtre mai - juin 2018 Théâtral magazine n°71 www.theatral-magazine.com Yasmina Reza Pierre Palmade Stéphane Guillon Philippe Caubère Marina Hands Céline Sallette Anne Alvaro Amira Casar Charlotte de Turckheim Romane Bohringer Jonathan Capdevielle Vincent MA- CAIGNE :HIKMOD=YUY[UV:?k@k@h@b@a" M 02434 - 71 - F: 4,60 E - RD Marisa Berenson Krzysztof Warlikowski Tiago Rodrigues Coline Serreau Alain Françon Célie Pauthe Judith Magre Laurent Poitrenaux Mohamed El Khatib Benjamin Bellecour DOSSIER FOOT & Théâtre la rencontre Denis Podalydès

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Théâtralmagazine

L’actualité du théâtre mai - juin 2018

Théâtral magazine n°71 www.theatral-magazine.com

Yasmina Reza

Pierre Palmade

Stéphane Guillon

Philippe Caubère

Marina Hands

Céline Sallette

Anne Alvaro

Amira Casar

Charlotte de Turckheim

Romane Bohringer

Jonathan Capdevielle

Vincent MA-CAIGNE

’:HIKMOD=YUY[UV:?k@k@h@b@a"M 02434 - 71 - F: 4,60 E - RD

Marisa Berenson

Krzysztof Warlikowski

Tiago Rodrigues

Coline Serreau

Alain Françon

Célie Pauthe

Judith Magre

Laurent Poitrenaux

Mohamed El Khatib

Benjamin Bellecour

DOSSIER

FOOT & Théâtrela rencontre

DenisPodalydès

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04 AGENDA Mai - Juin 2018

06 ACTUALITÉS07. Edito de Gilles Costaz08. 30e Nuit des Molières

10 UNE10. Denis Podalydès

14 A L’AFFICHE14. Judith Magre16. Julie Dessaivre18. Anne-Cécile Vandalem20. Célie Pauthe + Eclairage Bérénice22. Jeanne Frenkel & Cosme Castro26. Karim Bel Kacem28. Virginie Aimone30. Laurent Pelly, Clara Hédouin32. Benoit Faivre 34. David Lescot, Marisa Berenson36. Alain Françon38. Gaëlle Bourges, Recirquel 40. Tiago Rodrigues42. Serge Merlin, Radu Mihaileanu44. Laurent Poitrenaux 48. Guy-Pierre Couleau50. Chris Nietvelt52. Krzysztof Warlikowski

46 TÊTES D’AFFICHE54 DOSSIER : Foot & théâtreavec Mohamed El Khatib, Denis Podalydès, Alain Françon,Massimo Furlan, Gongle, Jean-Louis Benoit, Jean-PhilippeDaguerre, François Bégaudeau

66 PORTRAITS : Coline Serreau, Jean-Marie Gurné

68 MAI 68, 50 ans :avec Gwenaël Morin, Sanja Mitrovic, Linda Blanchet,Massimo Furlan, Cyril Cotinaut

72 ZOOM : Théâtre en Mai, Festival de Caves, Mises en Capsules, Occupation2, Festival Passages

80 FAMILLE : Claudine Galea, Magie Nouvelle

84 PAGES CRITIQUES90 LE GRAIN DE SEL

de Jacques Nerson

SommaireThéâtralmagazine

N° 71 - MAI / JUIN 2018

Théâtral magazine est édité par :

Coulisses Editions7 rue de l’Eperon 75006 Paris FranceTél : + 33 1 43 27 07 03

Email : [email protected] Internet : www.theatral-magazine.com

Directeur de la publication : Hélène ChevrierDirecteur de la rédaction : Enric Dausset

Rédactrice en chef : Hélène [email protected]

Rédaction :Hélène ChevrierVincent BouquetGilles CostazEnric DaussetIgor Hansen-LoveJean-François Mondot Jacques NersonNathalie SimonPatrice TrapierFrançois Varlin

Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03

Fabrication impression :SIB Imprimerie - Imprimé en France

Tirage : 10 000 exemplaires

Distribution : PresstalisDépôt légal : date de parutionCommission paritaire du journal : 0319 G 89789Commission paritaire du site : 1122 W 90648

Publicité : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03

Gestion Flashcodesinfotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00

Photo couverture : Denis Podalydès© EPA Ian Langsdon

Le prochain numéro sortira en kiosques le 21 juin 2018

ABONNEMENT1 an = 25 € p.89

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 3www.theatral-magazine.com

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Agenda

@ François Berthier

@ Elisabeth Carecchio

@ Pologarat

Spectacles recommandés

4 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

1-maiMondes Possibles. Nanterre-Amandiers, dont Re-Para-dise de Gwenaël Morin, My Revolution de Sanja Mitrovic

p.68

2-maiFestival Magie Nouvelle, Théâtre du Rond-Point, 75006 Paris, du 2 au 31/05

p.82

2-maiFestival de caves, une centaine de villes, 24 spectacles,festivaldecaves.fr, 03 63 35 71 04, du 2/05 au 30/06

p.74

5-maiTristesses, un spectacle d’Anne-Cécile VandalemThéâtre de l’Odéon, 75006 Paris, du 5 au 27/05

p.18

11-maiBérénice, de Racine, mise en scène Célie PautheOdéon Ateliers Berthier, 75017 Paris, du 11/05 au 10/06

p.20

15-maiLe bal, de Jeanne Frenkel et Cosme CastroLe Monfort, 75015 Paris, du 15/05 au 9/06

p.22

15-mai23 rue Couperin, de Karim Bel KacemAthénée, 75009 Paris, du 15 au 19/05

p.26

16-maiLa domination masculine, du Collectif Manifeste Rien Théâtre Liberté, Toulon, du 16 au 17/05 et tournée

p.28

16-maiL’Oiseau Vert, de Carlo Gozzi, mise en scène Laurent PellyPorte Saint-Martin, 75010 Paris, à partir du 16/05

p.30

18-maiLes Trois Mousquetaires, par le Collectif 49701Le Monfort, 75015 Paris, du 18 au 20/05

p.31

18-maiVoyage en ascenseur, de Sophie Forte, avec CorinneTouzet. Rive Gauche, 75014 Paris, à partir du 18/05

p.86

21-maiMises en capsules, festival des formes courtesCiné 13 Théâtre, 75018 Paris, du 21/05 au 9/06

p.75

22-maiVies de papier, réalisation Benoit Faivre. Le Carreau(Festival Perspectives), 57600 Forbach, 22 et 23/05

p.32

23-maiOccupation 2, par le collectif L’Avantage du douteThéâtre de la Bastille, 75011 Paris, du 23/05 au 16/06

p.76

23-maiLes Ondes magnétiques, texte, mise en scène David LescotVieux-Colombier, 75006 Paris, du 23/05 au 01/07

p.34

24-maiBerlin Kabarett, avec Marisa Berenson...Poche-Montparnasse, 75006 Paris, du 24/05 au 15/07

p.35

25-maiKing Kong Théorie, avec Anne Azoulay, Marie Denar-daud et Valérie de Dietrich. L’ Atelier, 75018 Paris

p.84

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Théâtral magazine Mai - Juin 2018 5

@ Michel Corbou

@ EPA Ian Langsdon

- J u i na iM@ Jan Versweyveld

25-maiUtopies Culturelles : mai’68/mai’18Théâtre National de Nice, du 25 au 27/05

p.68

25-maiThéâtre en mai, par le Théâtre Dijon-Bourgognewww.tdb-cdn.com, du 25/05 au 03/06

p.72

26-maiLa Locandiera, de Carlo Goldoni, mise en scène AlainFrançon. Comédie-Française, du 26/05 au 24/07

p.36

29-maiL’assiette d’Hubert, performance de Gaëlle BourgesComédie de Valence, du 29/05 au 01/06

p.38

1-juinFestival Passages, Les Ecoles de Passages, 03 87 17 07 06, du 1er au 9/06

p.78

1-juinNuits de Fourvières, Lyon, du 1er/06 au 28/07dont Les naufragés, mise en scène Emmanuel Meirieu

22-maiLe triomphe de l’amour, mise en scène Denis Podalydès,MC Amiens, Printemps des Comédiens, Bouffes du Nord

p.10

8-juinNight Circus, mise en scène de Bence VagiLe 13e Art, 75013 Paris, du 8 au 30/06

p.38

11-juinFestival d’Anjou, du 11 au 30/06, avec Le Canard àl’orange, 18-28/06 et Depardieu chante Barbara, le 30/06

13-juinÇa ne se passe jamais comme prévu, de Tiago Rodriguesà Vidy-Lausanne et au Printemps des Comédiens

p.40

14-juinLe faiseur d'histoires, de Thomas Bernhard, avec SergeMerlin, au Printemps des Comédiens, du 14 au 16/06

p.42

15-juinFestival de Marseille, festivaldemarseille.com, 04 91 99 02 50, du 15/06 au 8/07

15-juinCarmen, de Bizet, mise en scène Radu MihaileanuOpéras en plein Air, du 15/6 au 8/09

p.43

19-juinDéjà la nuit tombait, d’après Homère, de Daniel JeanneteauT2G, Gennevilliers, du 19 au 23/06

p.44

22-juinLa Conférence des oiseaux, mise en scène de Guy-PierreCouleau, au Printemps des Comédiens, du 22 au 30/06

p.48

29-juinTragédies romaines, d’après Shakespeare, mise en scèneIvo van Hove, Chaillot, 75016 Paris, du 29/06 au 05/07

p.50

29-juinOn s’en va, d’après Hanokh Levin, mise en scène Krzysz-tof Warlikowski, Printemps des Comédiens, 29 et 30/06

p.52

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JEAN ROBERT-CHARRIERDIRECTEUR ARTISTIQUEDU FESTIVAL D’ANJOUDirecteur artistique du festivald’Anjou depuis 2004, le comé-dien et metteur en scène NicolasBriançon terminera sa missionen 2019 pour la 70e édition. En-suite, c’est Jean Robert-Charrierle talentueux directeur duThéâtre de la Porte Saint-Martin qui prendra la suite. A34 ans, Jean Robert-Charrierfait figure de modèle dans lemilieu du théâtre parisien.Nommé directeur de la PorteSaint-Martin par Jean-ClaudeCamus à 20 et quelques an-nées, il s’y est vite distinguéavec une programmation ambi-tieuse : Le songe d’une nuit d’étémis en scène par Nicolas Brian-çon façon Barbarella avec Méla-nie Doutey, Le Tartuffe deMolière avec Michel Bouquet etMichel Fau face à face, Le Bour-geois Gentilhomme, Les Femmessavantes ou Le Jeu de l’amour et

du hasard tous mis en scène parCatherine Hiegel, ou encore lesreprises de Cendrillon de JoëlPommerat et L’oiseau Vert deCarlo Gozzi dans la version deLaurent Pelly…

COLINE SERREAUDIRECTRICE ARTISTIQUEDU THÉÂTRE MUNICIPALDE NEVERSLa réalisatrice de Trois hommeset un couffin vient d’être choisiepour diriger le théâtre municipalde Nevers. Actuellement en res-tauration, le bâtiment qui abriteun théâtre à l’italienne de 320places réouvrira ses portes pourla rentrée de septembre. (Voir in-terview de Coline Serreau p. 66)

PIERRE ARDITIENCHAÎNE LES PIÈCES Actuellement à l’affiche deQuelque part dans cette vie,Pierre Arditi sera dans Le Tar-

tuffemis en scène par CatherineHiegel à la rentrée à la PorteSaint-Martin, puis dans Compro-mis de Philippe Claudel auxcôtés de Michel Leeb au Théâtredes Nouveautés en janvier 2019.

JEAN-MICHEL RIBESINVENTE LES PRIX DEL'INATTENDU Il n’y a que Jean-Michel Ribespour avoir une idée aussi folle :inventer les Prix de l’inattendu.Les TOPOR, nouveaux prix quevient de lancer le directeur duThéâtre du Rond-Point ont ré-compensé les artistes qui oeu-vrent en marge du bon goût, quiosent faire ce qu’ils veulent, quin’ont peur de rien… Evidem-ment, il faut flirter avec l’extrava-gance, l’imprévisibilité et/oul’innovation. Lundi 9 avril au théâtre du Rond-Point, on a pu découvrir les lau-réats de ces profils dans unecérémonie animée par Jean-Mi-chel Ribes et scénographiée parSophie Perez.

La liste des lauréats : AgnèsHurstel, Chantal Ladesou, Vuille-min, Bertrand Mandico, Jacques

Actualités

Dans ce numéro de THÉÂTRAL MAGAZINE, vous trouve-rez un certain nombre de flash codes que vous pouvez scanner avec votresmartphone. Ils vous permettent d’aller directement sur les sites des théâ-tres et de visualiser les bandes-annonces des pièces dont nous parlonsdans le journal.

FLASHCODES

@ dr

6 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

@ Brigitte Enguerand

@ dr

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UN AIR DE PRINTEMPS

Le printemps n'a pas bonne ré-putation dans la sphère du spectaclevivant. Le public se fait plus rare, ilpréfère folâtrer dans les champs.Mais non, le printemps n'est pas en-tièrement néfaste pour le théâtre. Ilvide les salles mais remplit les festi-vals – pour paraphraser la fameusedéfinition de l'entracte (“Vide lesbaignoires mais remplit les lavabos”)attribuée à tort à Tristan Bernard etdont la paternité revient à l'auteurede mots-croisés Renée David. Doncles manifestations pointent leur nez :l'excellent Théâtre en mai que Be-noît Lambert mène avec une sorted'autorité politique à Dijon, le massifPrintemps des Comédiens dirigé àMontpellier par Jean Varela, lemoins copieux mais prestigieux Fes-tival d'Anjou à Angers et autour dela ville, dont la direction est passéede Nicolas Briançon à Jean Robert-Charrier, et tant d'autres. Tant pis s'ilpleut, tous les spectacles ne sont pasen plein air, et il y a souvent un en-droit où acteurs et spectateurs peu-vent toujours courir se mettre àl'abri, dans les oubliettes ou sous lepont-levis quand la soirée se passedans les ténèbres d'un château. L'im-portant est qu'il y ait partout, chezles responsables comme dans la têtedes artistes, un sentiment de prin-temps. Tant de spectacles respirentl'automne en toute saison. Fes-toyons plutôt avec une série desonges d'une nuit de printemps. Lessonges des nuits d'été finiront tou-jours par arriver, et ils sont plus offi-ciels, plus attendus.

A Bertrand, Yves-Noël Genod,Gwenaël Morin, Noël Godin, Phi-lippe Katerine, Steven Cohen,Elzbieta Jeznach, Jacques Du-tronc, Pierre Guillois, JonathanCapdevielle.

KING KONG THÉORIE :REPRISE AU THÉÂTREDE L’ATELIERAprès avoir été annoncé auThéâtre Dejazet dont le direc-teur Jean Bouquin a confié laprogrammation de la saison àJean-Louis Martinelli, le specta-cle King Kong Théorie sera fina-lement repris au théâtre del’Atelier à partir du 25 mai. Crééeen 2014, cette adaptation théâ-trale de l’essai de Virginie Des-pentes sur la place des femmesdans notre société (publié en2006 aux éditions Grasset) estreprise avec deux des actrices dela création, Valérie de Dietrich,et Anne Azoulay, mais sans Bar-bara Schulz à l’affiche de soncôté dans La Perruche aux côtésd’Arié Elmaleh au théâtre deParis et remplacée par Marie De-nardaux. Adapté par VanessaLarré et Valérie de Dietrich etmis en scène par Vanessa Larré,King Kong Théorie résonne en-

core plus fortement au regard del’actualité avec tous les soulève-ments contre le harcèlementsexuel depuis la rentrée. Réser-vation : 01 46 06 49 24

UNE CHAMBRE EN INDE :DERNIÈRES REPRÉSEN-TATIONSEN FRANCELa dernière création d’ArianeMnouchkine, Une Chambre enInde, donnera sa dernière repré-sentation en France le 20 mai.Ensuite il faudra aller en Suisse,à Lausanne (du 24 octobre au 18novembre 2018) pour la voir…

CLAP DE FIN POUR LESFEUX DE LA RAMPEL’aventure n’aura pas duré 10ans pour Karine Marchi et Frédé-ric Yana. Ouvert en 2009, lethéâtre des Feux de la Rampe estcontraint par les difficultés defermer. La faute principalementaux événements de ces dernièresannées, les attentats, comme lesinondations qui ont rendu leurplus grande salle inutilisable.

DIEUDONNÉ LOUE UNESALLE EN DOUCEL’humoriste controversé Dieu-donné, condamné pour ses pro-pos antisémites et racistes, aloué le 15 février dernier à Saint-Etienne la salle Jeanne d’Arc parl’intermédiaire de sa société lesproductions de la Plume. Le di-recteur du théâtre, Marc Javelle,n’y a vu que du feu et n’a pas pufaire annuler la convention si-gnée dans les règles de l’art… EtDieudonné a fait salle comble...

L’ÉDITde Gilles COSTAZ

O

@ dr

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 7

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Théâtral magazine : Etre la ma-gicienne de la soirée, c’estcomme mettre en scène unepièce de théâtre ?Zabou Breitman : Pour moi oui. Il ya des temps forts et des temps fai-bles – comme en magie – pour quecela roule bien. Il faut trouver legenre de la soirée, qu’il se passequelque chose globalement mêmesi tout ne se ressemble pas, être dansun thème, soit d’humour ou pas. Onn’est pas obligé d’être tout le tempsrigolo pour intéresser les gens. J’aipensé à quelques amis qui vontpeut-être réjouir tout le monde etpeut-être secouer un peu les choses.Depuis plusieurs années, onétait dans une sorte de one-man-show avec des maîtres de céré-monies comiques…Parce que l’on pense que ça vaplaire. Mais on démontre en per-manence que ce n’est pas vrai, quedes pièces ou des films sont vuspour bien d’autres raisons, leur co-hérence ou leur engagement…Bien sûr que ce sera drôle, car lethéâtre est drôle, mais on n’est paspour autant dans le comique. La

comédie permet de raconter deschoses que le drame n’oserait paset c’est pour cela qu’on l’aime. Maisdans la comédie, j’aime aussi l’au-todérision, que l’on se moque desoi-même ce qui n’est pas forcé-ment le plus commun des rires enFrance où l’on se moque plus volon-tiers de l’autre. Cette cérémonie de récompensesest-elle un passage obligé danstoutes les disciplines ?C’est célébrer quelqu’un. Ce n’estpas une compétition. Et c’est enmême temps corporatif : notre mé-tier est content de se retrouver,nous en sommes fiers. Moins les cli-vages existent, plus cela devient in-téressant. J’ai travaillé dans lethéâtre public et privé en faisantmes preuves sans arrêt, mais j’ai re-fusé de me laisser enfermer dansun univers. Les genres doivent se

confondre. Croyez-vous aux retombées éco-nomiques des Molières sur lesspectacles ?La retombée économique n’est pasimmédiatement sur une pièce maisplus largement sur le théâtre. Toutà coup, le grand public découvredes comédiens qu’il ne connaît paset qui sont des gens éblouissants.Je me ferai fort d’avoir des jeunesdu Conservatoire et de leur fairefaire des trucs. Ils sont la relève ! Que dire à ceux qui pensent que“C’est truqué d’avance” ?C’est la théorie du complot, il y atoujours de la paranoïa mais celan’a aucune importance. Ce sont desgens qui n’y croient pas comme ilsne croient pas au geste de l’acteur.Quel dommage pour eux !

Propos recueillis par François Varlin

Le 28 mai prochain sera le 30e anniversaire de la Nuit des Molières. Un anniversaire en fanfare à la Salle Pleyel que promet de président de l’association, le producteur Jean-Marc Dumontet, qui s’est félicité de voir les membres de l’Académie voteren masse – 70% des électeurs ont votés au premier tour. Zabou Breitman sera la maitressede cérémonie et grande organisatrice. Elle se présente comme la magicienne de la soirée.

30e Nuit des MolièresZabou Breitman à la baguette

Molières

@ dr

J’ai pensé à quelquesamis qui vont peut-

être réjouir tout le mondeet peut-être secouer unpeu les choses...

8 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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L’amour agit comme une maladie

Une

@ EPA Ian Langsdon

Denis Podalydès

10 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Théâtral magazine : Le titreévoque le triomphe de l’amour.De quoi l’amour triomphe-t-il ? Denis Podalydès : À l’origine et àla fin de l’histoire, il y a l’amour.C’est la grande affaire de tout lethéâtre de Marivaux, qui lui prêteune attention obsessionnelle etpresque scientifique. L’amour àl’origine, dans cette histoire, esttrouble : il est brièvement racontépar la princesse au début : un Roi ajadis été détrôné par son générald’armée parce qu’il avait séduit samaîtresse. Le général prend le pou-voir, fonde une dynastie, aboutis-sant à la Princesse Léonide, entranten scène sous les traits d’unhomme : Phocion. De son côté, enprison, le roi détrôné a un enfant,le Prince Agis, dont la princesseveut se faire aimer pour réconcilierles deux branches et créer une légi-timité nouvelle. L’amour, arrivé à ce

point de reconnaissance et d’aveu,est peut-être enfin raisonnable, oudisons plutôt rationnel, en ce qu’ilouvre sur la vie, crée un avenir.Mais il ne peut y arriver qu’après lesdétours les plus fous, les plus dou-loureux, les plus cruels, détruisantpresque autant qu’il construit. C’estle paradoxe. L’amour doit l’empor-ter avant tout sur l’amour-propre,ou amour de soi-même, qui aveu-gle chacun des protagonistes.L’amour est donc conçu commeune entreprise de réparation. Sé-duire Agis et manigancer un ma-riage avec lui, c’est pour Léonideune façon intelligente de lui ren-dre le pouvoir tout en se préser-vant de sa vengeance…Léonide répare les torts de sononcle Léonidas qui avait usurpé letrône. Son projet est tout à fait bé-néfique. En revanche, du fait mêmequ’il ait toutes les allures de la gé-

nérosité politique, elle s’autorisetous les moyens pour y parvenir, ycompris ceux qui avaient au départengendré les multiples désordres,la tromperie, le mensonge, la vio-lence, etc. Elle va détruire les pau-vres Hermocrate et Léontine, quilui font obstacle sur sa route lumi-neuse. Après, le fait-elle consciem-ment, en héroïne rouée etmanipulatrice ? Rien n’est moinssûr. Elle-même avoue ne rienconnaître à l’amour. Son innocencen’est pas moins destructrice que leserait un libertinage cynique.S’agit-il plus du triomphe del’amour que de celui de la mani-pulation ? Et n’est-ce pas cruel demettre de l’amour dans des cœursqui l’ont fui toute leur vie ?Ce que dit Marivaux, c’est quel’amour est un sentiment si intense,si mystérieux, si violent, avec sa viepropre, son énergie propre, qu’il

ans Le triomphe de l’amour, la princesse Léonideentreprend de réparer la faute commise par son oncle Léo-

nidas en décidant d’épouser le fils de celui à qui il a usurpé le trône : Agis.Or cet héritier légitime vit à l’abri des dangers de l’amour sous la coupedu philosophe Hermocrate et de sa sœur Léontine. Pour parvenir à sesfins, Léonide se travestit en homme, devient Phocion, et séduit tantôt enfemme tantôt en homme tous les protagonistes. Dans ce projet politique,l’amour est une arme irrésistible face à toutes les résistances. Denis Po-dalydès, qui met en scène la pièce hors de la Comédie-Française, parlede maladie, de contagion si puissante qu’elle détruit même les institu-tions élevées pour s’en protéger. Et pourtant, l’amour est un révélateurdes contradictions de chacun des personnages et un activateur de la vieen chacun de nous.

LE TRIOMPHE DE L’AMOUR

DPrintemps des Comédiens - Montpellier

Bouffes du Nord - Paris

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agit comme une maladie, unecontagion. Et Marivaux suit, scèneaprès scène, les progrès de cettemaladie, jusqu’à la crise : l’aveu, lareconnaissance, le consentement.Il tord la bouche, broie le cœur,brise le corps à ce moment-là. Jepense à Jane Birkin dans la miseen scène si mémorable de Ché-reau de La Fausse Suivante ; ou àLoïc Corbery dans Le Petit-MaîtreCorrigé monté par Clément Her-vieu-Léger, c’était exactement ça.Et l’Amour est à l’opposé de l’inté-rêt, il va toujours contre. C’estpourquoi il faut s’en méfier, voirele chasser, s’organiser de façon àne pas en subir l’assaut, ce quefont généralement tous les per-sonnages de Marivaux : ilsconstruisent d’épaisses digues quela marée de l’amour renverse, pournotre plus grand plaisir, avec uneimmense cruauté, dont nous nesommes pas exempts. La violencede la maladie amoureuse est tellequ’on comprend parfaitement quecertains, comme Hermocrate,veuillent vivre à part de cette pas-sion. Mais nous savons qu’ils n’yéchapperont pas. Je pense, pourma part, que cette cruauté n’estpas tant dans les personnages eux-mêmes, comme si c’était leur fondscruel, mauvais (ce que Marivauxpar certains aspects est parfois en-clin à penser : dans ses textes enprose, il est d’un grand pessimismesur l’humanité, qu’il juge fonda-mentalement haineuse, malveil-lante), que dans la relation entreles caractères ; la puissance irré-pressible du désir crée nécessaire-ment de la cruauté, une cruautéobjective, indépendante des volon-tés des personnages, qui ne sontpas toujours conscients de la vio-lence qu’ils exercent ou qu’ils subis-

sent, ce qui les rend fragiles, incons-tants, distraits, à la fois insupporta-bles et innocents, bourreaux etvictimes tour à tour. C’est ce jeu derenverse, le spectacle de cette vio-lence impitoyable, que personnen’a fondamentalement cherchée,qui intéresse Marivaux. Tantôtnous prenons en pitié Léontine,tantôt nous en rions, tantôt nousrejetons Hermocrate, tantôt nousle rachetons, idem avec les uns etles autres. Phocion est à la foisange et démon. Quant à Agis, il estparfaitement vierge, il ne seconnaît ni comme homme, ni vrai-ment comme Prince, ayant grandidans le savoir philosophique,comme créature d’Hermocrate quePhocion vient révéler.

Léonide qui agit masquée, estdonc porteuse d’une forme de ma-ladie, avec laquelle elle va conta-miner une société qui fonctionnebien.C’est cela : l’Amour est une maladiequi détruit la société. Le mariage,la famille, les institutions, lesclasses sociales, sont conçues poury résister, mais si l’Amour se met entravers, ou contre ces instances,elles ne résisteront pas. Il faudradonc inventer l’amour bourgeois,au XIXe siècle, pour domestiquercette passion dont Marivaux per-çoit excellemment la donnée sen-sible, la vérité charnelle, lapuissance subversive.Entre ses mains, l’amour estpresque une arme…

Je pense qu’il y a un double danger: faire de Phocion/Léonide un angeexterminateur conscient, stratège,accomplissant sa triple séductionavec une rouerie consommée. Et del’autre côté, n’en faire qu’une jeunefille "gaffeuse" qui ne se rendraitpas compte de ses charmes, et sé-duirait comme malgré elle. Elle neconnaît rien à l’Amour, dit-elle ; fai-sons lui crédit. Elle est tombée surAgis lisant dans la forêt, et l’amourimmédiatement a envahi son cœur.Elle aime Agis, ce qu’elle n’avaitpas forcément prévu en concevantson plan politique. Dès lors, elle estautant manupulatrice que manipu-lée, étant elle aussi le jouet d’unepassion. Il est vrai que son planavance, d’acte en acte : elle sentbien qu’elle se fait aimer d’Agis ;que si Léontine et Hermocrate ré-sistent désespérément à son attrac-tion, ils finissent par succomber ; etelle dit elle-même qu’elle est àdeux doigts de réussir (se faireaimer sans se faire reconnaître.)Mais sans doute ne se rend-elle pascompte qu’elle est dévorée de l’in-térieur par ces multiples scènes oùelle y laisse à chaque fois son hon-neur, quelque chose de son corpssans doute, son innocence en toutcas. Celle qui gagne à la fin a-t-elleencore quelque chose à voir aveccelle qui a entrepris le stratagème ?Faire l’apprentissage du désir del’autre, ce n’est pas rien, surtoutquand on le fait simultanémentavec trois personnes. Elle est natu-rellement écartelée, quoiqu’elle-même prétende dominerparfaitement la situation. Il fautl’imaginer très haut marchant surun fil.La société dans laquelle vivent lephilosophe Hermocrate, sa sœurLéontine et Agis n’est-elle pas

DENIS PODALYDÈS

12 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

Ils construisent desdigues que la marée

de l’Amour renverse, pournotre plus grand plaisir,avec cruauté...

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n Le triomphe de l’amour, de Marivaux, mise enscène Denis Podalydès (sociétaire de la Comédie-Française), direction musicale Christophe Coin, scénographie Eric Ruf, costumes Christian Lacroix,avec Edwige Baily, Jean-Noël Broute, ChristopheCoin, Philippe Duclos, Stéphane Excoffier, LeslieMenu, Dominique Parent, Thibault Vincon > 22 au 25/05 Création à la Maison de la Cultured’Amiens, 2 place Léon Gontier 80000 Amiens, 03 22 97 79 79> 7 au 9/06 Printemps des Comédiens, Amphithéâtred’O 34000 Montpellier, 04 67 63 66 67> 15/06 au 13/07 Bouffes du Nord, 37 bis boule-vard de la Chapelle 75010 Paris, 01 46 07 34 50

une société stérile, du fait qu’ellese maintient à l’abri des dangersvéhiculés par le désir ? Léonide enlui injectant de l’amour ne lui re-donne-t-elle pas de la vie ?Incontestablement. Par l’Amour,Agis et Léonide-Phocion se libèrentde tout ce qui a pesé sur eux, qu’ilsn’avaient pas demandé, qu’ilsn’avaient fait que subir comme unefatalité ou une malédiction.L’amour est le moyen de se réap-proprier la vie, d’être libre.Il y a chez Marivaux une dimensionpolitique et métaphysique del’amour, dont il attend les effets en-chanteurs et libérateurs, même s’ilen redoute les violences. Si on prend la pièce au 1er degré,ne peut-on pas dire que le person-nage de Léonide est manipula-teur, détestable et représenteune certaine idée de la femme quivient mettre la pagaille dans unesociété parfaitement réglée ?Si on voit dans Phocion un portraitde "la femme", il est certain qu’onpeut accuser Marivaux ou la piècede misogynie. Mais il faut distin-guer la femme que nous, specta-teurs, nous voyons, de celle que lespersonnages considèrent : il est cer-tain qu’Hermocrate voit un démon,la quintessence de ce que la femmea pour lui de naturellement per-vers, dès lors qu’elle est présente auregard de celui qui fuit le désir.Mais Léontine voit, elle, un jeunehomme exigeant, passionné, pos-sessif. Et Agis y voit un alter ego enpureté et sensibilité. Marivaux nepeint pas "la femme". Il est commeles romanciers et les grands drama-turges : il peint une femme, justeune femme, dans une situationdonnée. Mais il est clair qu’il n’estpas du côté du puritanisme d’Her-mocrate.

Je pense même que le simple faitde créer des rôles féminins de cetteenvergure montre combien Mari-vaux était sensible à la cause fémi-nine : lire La vie de Marianne, songrand roman, le prouve. Le travesti,chez lui, n’est pas seulement unprétexte comique, c’est aussi unefaçon de mieux montrer la femme,et de la montrer mathématique-ment. Mais comment éviter cette lec-ture dans la mise en scène ?En soignant les contradictions pro-fondes de chacun des personnages.En montrant qu’ils sont parfois ab-solument lucides, parfois absolu-ment aveugles. En alternantviolemment les états à l’intérieurd’une même scène. En faisant quele dominant soit dominé et inverse-ment… Il faut beaucoup travailler. Vous êtes entouré de votreéquipe habituelle : Eric Ruf à lascénographie, Christophe Coin àla direction musicale, ChristianLacroix aux costumes. Commentchacun d’eux intervient-il dans lespectacle ? Je les sollicite d’abord indépendam-ment. Christophe Coin, c’est parceque je voulais un musicien qui soitun personnage en plus. A certainsmoments, la communauté d’Her-mocrate, disciplinée et mélanco-lique, se réunit et écoute de lamusique. À Éric, j’ai simplementparlé d’abord d’un parc immense,les jardins d’Hermocrate, dont ledécor ne montrerait que lesconfins, comme au parc de Ver-sailles la ferme de Gally ferme etcommue les jardins en paysage decampagne. C’est là que le philo-sophe aime à se recueillir dans unepetite cabane dont Éric a eu l’idée.À Christian, j’ai parlé de deuxépoques qui se feraient front : un

XVIIIe ancien, celui d’Hermocrate,dont j’ai pensé un moment qu’ilpouvait être encore un personnagedu XVIIe, une sorte d’Alceste au dé-sert. N’oublions pas que Marivauxavait vingt-cinq ans à la mort deLouis XIV. Et un XVIIIe plus prèsdes Lumières pour Léonide-Pho-cion. Puis nous avons souhaité êtremoins explicites, et les costumesont pris un tour plus libre.

Propos recueillis parHélène Chevrier

LE TRIOMPHE DE L’AMOUR

Mises en scène2006 Cyrano de Bergerac, d'Edmond Rostand(Molière de la mise en scène)2014 Lucrèce Borgia, de Victor Hugo2015 Le Bourgeois gentilhomme, de Molière2017 Les Fourberies de Scapin, de Molière

Repères artistiques

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 13

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Théâtral magazine : Vous ne sou-haitiez pas une pièce sur vous ?Judith Magre : Non, ça ne me plaitpas du tout ! Je n’aime pas parlerde moi. Les seules choses intéres-santes dans une vie sont celles quel’on ne dit jamais à personne. Néanmoins le spectacle existe…Philippe Minyana avait merveilleu-sement écrit pour moi, il y a des an-nées, un petit monologue d’un quartd’heure. Il a récemment écrit un dia-logue que j’ai avec Pierre Notte à lamanière d’une interview à la suitede ce monologue, mais ce que l’ondit de moi reste très superficiel. J’aiconnu beaucoup d’artistes, depoètes, d’écrivains, de peintres maison ne rentre pas vraiment dans lavie privée des gens en racontant lesrencontres que l’on a eues...Une vraie fausse interview ensomme ?

Je ne raconte que des mensongesau cours de l’interview de la pièce.Je n’arrête pas de dire : “Ça ne vousregarde pas”, “Je ne vous donneraipas de détails”, “Ça ne regarde per-sonne”... C’est vrai qu’il y a des pe-tites choses qui correspondent àma vie, mais ce n’est pas impor-tant. Il y a surtout dans ce dialoguedes passages qui sont sur le théâ-tre, ce que c’est que jouer, d’entreren scène, etc...Pierre Notte a fait également lamise en scène ?Il est au piano et je suis debout àcôté de lui. Dans la seconde partie,il est sur un banc avec moi et c’esttrès simple. J’ai pour lui une ten-dresse et une admiration infinies. Jele trouve merveilleux.Vous avez souvent été mise enscène par des hommes. Vous pré-férez travailler avec les hommes ?Ça dépend quels hommes etquelles femmes ! Il n’y a pas LESgens, il y a des gens comme ci etdes gens comme ça. Mais oui, j’aiplus travaillé avec des hommes.C’est que je n’inspire pas les

femmes ! Vous n’avez jamais cessé dejouer. Est-ce par amour du public,par amour des auteurs ?C’est plutôt l’amour de moi-même.Si le public vous aime tant mieux,s’il ne vous aime pas, on est bienemmerdé. Je n’ai jamais joué despièces ou des auteurs qui ne meplaisaient pas. Je ne sais rien faired’autre : je ne sais pas coudre, fairela cuisine ou dessiner... Je n’ai pasfait de “carrière“ –je déteste cemot– et peut être que si j’y avaispensé davantage, j’aurais fait plusde choses. Mais je ne peux guèrefaire plus que de jouer tout le temps.Je m’ennuie si je ne joue pas...

Propos recueillis par François Varlin

n Une actrice, de Philippe Minyana,mise en scène Pierre Notte, avecJudith Magre, Pierre Notte, MarieNotte. Poche-Montparnasse, 75 bddu Montparnasse 75006 Paris, 01 45 44 50 21, jusqu’au 20/05

depuis le

20Mars

“Surtout pas !” C’est ce que Judith Magre arépondu à Philippe Minyana lorsqu’il lui a dit son intention d’écrire un texte sur elle. Ce sera donc unevraie fausse pièce à la manière d’une interviewmenée par Pierre Notte et accompagnée de chansons par Marie Notte. Depuis le 20 mars, Ilssont tous les trois réunis sur la scène du théâtre de Poche-Montparnasse. @

Augustin Rebete

Les seules chosesintéressantes dans

une vie sont celles quel’on ne dit à personne...

JudithMagren’aime pas parler d‘elle

UNE ACTRICEPoche-Montparnasse – Paris

14 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Théâtral magazine : C'est une his-toire vraie incroyable…Julie Dessaivre : Quand on la ra-conte, on a l'impression que ce n'estjamais fini : il a déserté pour se ca-cher, il s'est déguisé en femme et çaa marché pendant 10 ans, il a béné-ficié de l’amnistie des déserteurs, ila repris ses habits d'homme mais ilne s’y est pas habitué, il est devenude plus en plus violent avec sonépouse, de plus en plus alcoolique,il la battait, elle s’est défendue, ellel’a tué et a été acquittée.Il réussit à échapper à la guerre,retrouve sa femme et tout fonc-tionne. Alors qu’est-ce qui fait quecela dérape ?C’est un traumatisé de guerre. J'aifait des recherches sur les troublesde guerre et parmi tous les symp-tômes il y en a beaucoup qui res-semblent à ceux de Paul : latentative de suicide, les troubles del'identité, la violence, l’alcoolisme.Cette double identité n’est pas fa-cile à porter pour lui. Il trouve certesune liberté en se déguisant enfemme et en même temps il ahonte de jouer une femme. Et cequ'on lui a appris, que pour être unhomme il faut maîtriser sa femme,revient d'autant plus fortement. Cequi m'intéresse aussi dans cette his-toire c'est la notion de genre : êtreun homme ou une femme, est-cebiologiquement différent ou est-cele résultat d’une construction so-ciale ?Vous commencez la pièce par lemariage en rappelant qu’àl’époque les personnes privées de

droits juridiques sont les mineurs,les criminels, les femmes mariéeset les débiles mentaux. PourtantLouise sera acquittée du meurtrede son mari…Oui mais elle est acquittée plusparce que son mari n'était pas unhomme comme il faut que parcequ’il était violent avec elle. Encoreaujourd'hui les violences conju-gales sont davantage considéréescomme des histoires d'amour qui sefinissent mal que comme des pro-blèmes de société. On sait qu'il y a120 femmes qui meurent chaqueannée des coups de leur conjoint,soit une femme qui meurt tous lestrois jours. J'ai découvert l'histoirepar le livre de Fabrice Virgili et Da-nièle Voldman, La garçonne et l'as-sassin. Mais je ne l’ai pas reprise,parce que je voulais orienter lapièce sur les violences faites auxfemmes. Vous avez aussi ajouté un person-nage qui n’a pas existé, Lucie…C’est un personnage qui parle aupublic. Elle porte un petit peu monpoint de vue, elle parle du procès etd'autres procès de l'époque. L’idéeest de montrer que la violence nevient pas que d’un milieu, maisémane de tout le monde.

Propos recueillis parHélène Chevrier

Requiem contre les violences faites aux femmesJulie Dessaivre

@ dr

SUZANNE, LA VIE ÉTRANGE DE PAUL GRAPPELucernaire – Paris

à partir du

4Mai

L’histoire de Paul Grappe,déserteur de Verdun en 1915 qui avécu travesti pour échapper à l’exécution, inspire toujours. AprèsFabrice Virgili et Danièle Voldmanqui en ont tiré le livre La garçonne etl'assassin en 2011, Chloé Cruchaudet la bande dessinée Mauvais genre en 2013 et AndréTéchiné le film Nos Années Folles en2017, Julie Dessaivre porte cedrame au théâtre dans Suzanne, lavie étrange de Paul Grappe.

Etre un homme ouune femme, est-ce

une construction sociale...n Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe,texte et mise en scène Julie Dessaivre. Lucernaire, 53 rue N-D des Champs 75006Paris, 01 45 44 57 34, du 4/04 au 2/06

16 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Théâtral magazine : Diriez-vous,qu’avec Tristesses, vous êtes en-trée de plain-pied dans le théâtrepolitique ?Anne-Cécile Vandalem : Pourmoi, faire du théâtre est déjà, ensoi, un acte politique. Tristessestrouve, il est vrai, une résonnanceparticulière avec la violence ac-tuelle des rapports sociaux et lamontée des mouvements popu-listes. En écrivant ce texte à uneépoque où la N-VA avait le venten poupe en Belgique, je souhai-tais montrer comment le popu-lisme se nourrit de l’attristementdes peuples, de leur sentimentd’impuissance. Lorsqu’elle revient sur Tristessepour rapatrier le corps de sa mèredéfunte, Martha Heiger, la diri-geante du Parti du Réveil Popu-laire, n’a presque rien à faire pourtirer profit de la situation. Toutesles failles sont déjà là, dans cetteîle désemparée par la situationéconomique et sociale désas-treuse dans laquelle elle est. Il nelui reste plus qu’à allumer lamèche pour tout faire exploser.

Tristesses est aussi un polar nor-dique. Pourquoi avoir choisi cegenre si rare au théâtre ?Depuis toujours, je travaille sur lapeur. Cette émotion m’intéressecar elle est peu travaillée au théâ-tre. J’ai aussi la volonté constanted’écrire des comédies et, en dépitde son titre, Tristesses en est une,même si, dans son contexte, elle atout du polar nordique.La pièce regorge effectivementde pointes d’humour noir. C’estun spectacle où l’on rit beaucoup.L’humour est, pour moi, une ma-nière de concevoir la vie. J’ai be-soin de ce recul pour pouvoiraborder la réalité. Les personnagesde Tristesses sont des perdants quiratent et échouent constamment.Ces hommes et ces femmes ne sesupportent plus. Pour eux, la mar-mite est pleine. Cette situation estune métaphore de la société telleque je la vois à l’échelle d’une ville

ou d’un pays. J’ai l’impression queles gens ont de plus de plus de dif-ficultés à vivre les uns avec les au-tres, que progressivement lasolidarité s’étiole, que chacun s’en-ferme, individuellement et collec-tivement, dans une impassepolitique et mentale. Pour racon-ter, et recevoir, ce terrible constat,l’humour agit comme une soupapede décompression essentielle.Votre travail théâtral fait la partbelle à la vidéo. Que vous apportecet œil cinématographique ?Les images me permettent d’allerau-delà des limites du théâtre carelles cadrent le regard des specta-teurs. Souvent, on observe celui quis’exprime, mais grâce à la caméra,j’invite à surveiller celui qui écoute,dont l’attitude en dit parfois pluslong que les mots. Prenez le person-nage de Martha. Grâce à la caméraposée sur son épaule, le spectateurpeut voir la scène telle qu’elle laperçoit et se rendre compte que saseule présence suffit pour influen-cer le cours des choses.

Propos recueillis par Vincent Bouquet

TRISTESSES Théâtre de l’Odéon - Paris

à partir du

5Mai

Succès du Festival d’Avignon 2016grâce à ses intrigues humaines glaçantes et ses pointes d’humour piquantes, le polar nordique, insulaireet politique de l’auteur et metteuseen scène liégeoise s’installe en maiau Théâtre de l’Odéon.

Anne-Cécile Vandalem Tristesses et misère du populisme

@ Christophe Engels

n Tristesses, un spectacle d’Anne-Cécile Vandalem,Das Fräulein (Kompanie).Théâtre de l’Odéon,Place de l’Odéon 75006 Paris, 01 44 85 40 40, du 5 au 27/05

La peur est uneémotion peu tra-

vaillée au théâtre...

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Théâtral magazine : Vous ditesque c'est Marguerite Duras quivous a amenée à Bérénice. Com-ment ?Célie Pauthe : Il y a trois ans, j'aimis en scène deux pièces deDuras, La Bête dans la jungle et LaMaladie de la mort. Et en me re-plongeant dans son œuvre, j'ai dé-couvert que Bérénice avaitbeaucoup compté pour elle. Elleen a même fait un court-métrage,Césarée, tourné en 1979 et un filmDialogue de Rome, en 1982. Etc’est vrai qu’en m’intéressant à Ca-therine Bertram, l’héroïne de LaBête dans la jungle et à tant d'au-tres femmes de l'œuvre de Durasqui vouent leur vie à l'amour, j'aicompris qu'en effet Bérénice étaitpeut-être un palimpseste pourelle. Ce qui m’a passionnée aussi,c’est qu’elle rappelle les circons-tances de la rencontre de Béréniceavec Titus : Bérénice est la reinedes Juifs, et Titus le criminel dutemple parce qu'il est envoyé enJudée par son père Vespasienpour y abattre la révolte. Ils se ren-

contrent donc sur une forme descandale et vont passer les cinqans de leur vie commune à com-battre leurs propres camps : Titusespère convaincre le Sénat et l'en-semble des Romains d’abandon-ner la loi interdisant à unempereur d'épouser une reineétrangère. Et Bérénice quitte ab-solument tout, sa terre, les siens,son Dieu pour suivre Titus.C'est-à-dire qu'elle aime le crimi-nel, le conquérant.Oui elle aime le conquérant. Maisils forment un projet pour régnerensemble, qui est tourné vers l’hu-manité. Titus insiste plusieurs foisdans la pièce pour dire qu'avantde rencontrer Bérénice il allaitprendre le plus mauvais des che-mins et que leur rencontre lui aouvert les yeux et l'a initié à uneforme de bonté, de gloire,d'éthique. Racine le décrit commeun empereur soucieux avant toutdu bien de ses sujets et dans lesannées 70 le critique marxiste Lu-cien Goldmann dit que s'il avaitvécu, il aurait peut-être incarné

comme aucun autre une formed'humanisme éclairé. Et s’il quitteBérénice à la mort de son père,c’est parce qu’il comprend qu'iln'arrivera pas à transformer les es-prits romains mais ce qu'il s'ap-prête à mettre en œuvre commeempereur s'est formé en lui dansce creuset de l'amour. Donc oui,c'est un amour qui prend racinesur une forme d'antagonisme cul-turel et politique très puissant,avec un dominant et une domi-née, qui ressurgira violemmentpendant la scène de séparation,mais c’est à la fois dans cet anta-gonisme qu’ils se sont construits etaimés.Le troisième personnage Anti-ochus, chargé par Titus d’annon-cer à Bérénice qu’elle estrépudiée, est aussi amoureuxd’elle. Mais curieusement sa pré-sence n’influe pas sur l’intrigue…A l’époque, beaucoup de piècesétaient chargées de crimes, de re-tournements de situation… AvecBérénice, Racine prouve que cen’est pas nécessaire. Il invente

BÉRÉNICEOdéon - Paris

à partir du

11Mai

Si l’on en croit Suétone, l’histoire de Bérénice est des plus banales :"Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu'on croyait, luiavait promis de l'épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès lespremiers jours de son règne". Racine a pourtant fait une pièce de cette rupturesans heurt. Une histoire qui a passionné Marguerite Duras. Et c’est par elle quela metteuse en scène Célie Pauthe s’est intéressée à la passion entre l’empereurromain et la reine juive.

Célie Pauthe Un amour impossible…

20 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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même ce personnage d’Antiochus,lui donne le premier et le derniermots, la plus grande partition tex-tuelle, mais sans qu’il n'envenimel'intrigue d'aucune forme de coupbas. Antiochus, n'est-ce pas Racinelui-même ?C'est le témoin. Celui qui devrapouvoir témoigner devant l'His-toire des hommes que Titus et Bé-rénice se sont aimés. Dans ladernière scène, alors qu’ils sont to-talement au bord du gouffre, Titusappelle Antiochus pour assister àson dernier déchirement avec Bé-rénice. Il y a aussi cette chose in-croyable, c'est qu’en lui confiantun rôle aussi important, Racineinscrit tout dans une triangulationamoureuse. Bien avant Freud, ilnous raconte à quel point, mêmequand on croit qu'on est deux, onest trois. Je pense à ces œuvres oùdes couples fuient le monde surdes îles désertes et que ça ne tientpas. Parce que l'amour se nourritdu désir qu'il provoque en retour.Marguerite Duras dit que "l'amourse fait toujours à trois, un œil quiregarde pendant que le désir cir-cule de l'un à l'autre".Pour retranscrire cette histoiresur scène, vous faites évoluer lespersonnages dans du sable. Est-ce parce que le sable rappelleque leur projet politique n'a pasréussi à se construire ?Le sable n'est pas là pour figurerl'échec d'un projet politique maisje comprends que cela puissel'évoquer. Le film Césarée, qu'onprojette en intégralité mais defaçon fragmentée comme s’il ac-compagnait chacun des trois per-sonnages, apporte quelque chosequi échappe au temps et qu’onpourrait résumer par ce que Mar-

guerite Duras dit de Bérénice : "ellea 18 ans, elle a 30 ans, elle a 2000ans". Quand elle tourne ce film en1979, elle filme Paris, comme s'ily avait une sorte de résurgence deBérénice partout dans la ville oudes traces de ces destins, de cettedouleur. Et avec ce sable dont elleparle beaucoup dans le film, onest à la fois à Rome et sur les ri-vages de Césarée. Parce que cesable qui les a rassemblés contientautant l'enlisement que la sensua-lité.Mélodie Richard en Bérénice,cela s’imposait-il ?Oui. Ce projet est né à la fois decette rencontre avec Duras quim'y a invitée mais aussi de celle

avec Mélodie qui jouait la jeunefemme dans La maladie de lamort. Je savais que Bérénicec'était elle.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Bérénice, de Jean Racine, mise enscène Célie Pauthe, avec Mélodie Richard, Clément Bresson, MounirMargoum, Marie Fortuit, MahshadMokhberi, Hakim RomatifOdéon Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès (angle du BdBerthier) 75017 Paris, 01 44 85 40 40, du 11/05 au 10/06

ÉCLAIRAGE

@ Elisabeth Carecchio

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 21

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e n'est point une né-cessité qu'il y ait dusang et des mortsdans une tragédie ;il suffit que l'actionen soit grande, que

les acteurs en soient héroïques, queles passions y soient excitées, et quetout s'y ressente de cette tristessemajestueuse qui fait tout le plaisirde la tragédie",écrit Racine dans sapréface à Bérénice. En effet, lesmises en scène de la pièce seronttoujours mélancoliques, mais par-fois moins majestueuses que l'avaitpensé l'auteur. Deux mises enscène de Bérénice marquent ladeuxième moitié du XXe siècle : lapremière est celle de Roger Plan-chon, au TNP de Villeurbanne, en1966, puis en tournée. La secondeest celle de Klaus Michael Grüber,à la Comédie-Française, en 1984.Entre-temps se place celle d’An-toine Vitez, historique aussi maissans doute plus cérébrale.

Planchon met fin (provisoire-ment) à la solennité de la tragé-die. Il voit là une rencontre dejeunes gens, à peine adultes. C'estpour cela qu'il engage deux ac-teurs déjà très connus au cinéma,mais peu âgés : Francine Bergé etSami Frey. Il les dirige dans laconception d’une séparation iné-luctable où les chances de sauve-garder l'amour à l'intérieur duconflit personnel et politique sontnulles. Planchon confie à la journa-liste des Lettres françaises, BettyDuhamel : "Je crois que ce qui dé-termine l'âge de ces personnages,

c'est la psychologie et leur compor-tement... En définitive, la pièce sejoue autour de trois menaces de sui-cide. C'est un genre de comporte-ment que l'on peut avoir au sortirde l'adolescence. Il me paraît impos-sible que Titus ait quarante ans, oualors il est complètement infantile...Plus tard, on n'a pas le droit de faireça à une femme." Il dit aussi à JeanMambrino : "Quand on lit le texte àla lettre, on s'aperçoit avec stupeurque, pas une seconde, Titus ne meten doute le fait qu'il va quitter Bé-rénice. La politique devient pour luiun alibi : il y a un faux conflit entreRome et l'amour. Si bien qu'à la fin,avec tout le sublime qu'il y a dansRacine, tout cela reste néanmoinsune sorte d'aventure où, avantmême que la pièce ne commence,Titus a choisi d'abandonner Béré-nice. Ensuite, il y a ce que j’appelleun travail de deuil".

On retrouvera cette idéed'une indifférence relative deTitus dans la mise en scène d'An-toine Vitez qui, à Chaillot, en1980, privilégie Antiochus, qu'iljoue lui-même, par rapport à Titus(Pierre Romans), et face à Bérénice(Madeleine Marion). Anne-Fran-çoise Benhamou en donne cettedescription dans Hal-Archives ou-vertes : "l'Histoire forclose, le tra-gique peut a tout instant tomberdans le non-sens ; les personnages,parfois, se laissent tomber commedes marionnettes aux fils rompus, etBerenice, à l'ouverture du qua-trième acte, apparaît assise parterre, jambes écarteées, bras bal-

lants : une poupée de chiffons. Lafatalité est aussi une mécanique quiagite des jouets ; le ressort de la tra-gédie rejoint celui de la farce ; la"tristesse majestueuse" souhaitéepar Racine cohabite ici étrange-ment avec le rire, dans le désespoir.”

Un peu plus tard, la mise enscène de Klaus Michael Grübersurprend, divise, mais constitueun événement considérable. In-terprète de Bérénice, Ludmila Mi-kaël a raconté à Guy Boquet :"Klaus Michael Grüber est parti del'idée que Bérénice amenait l'Orient,la chaleur, le désert, les étoiles dansle ciel, une autre culture, et qu'il yavait un choc entre la froideur ro-maine, le monde politique, et lemonde du désert assez sauvage,pas au sens féroce, mais au sens af-fectif... Grüber est quelqu'un quisuggère des images, pas des expli-cations de texte, on n'en a pas be-soin ; c'est quelqu'un de très à part,c'est un poète : je n'ai jamais tra-vaillé comme cela, ni avant, ni de-puis. Il m'a montré desreproductions égyptiennes... Moncostume, un fourreau très moulant,était très égyptien et j'étais très en-travée... Il y avait une contrainte,tout était à l'intérieur".

Comme toujours chez Grüber,les acteurs ne bougeaient pasbeaucoup. Et là, encore moins.C’est une tragédie où tout est im-mobile, le désastre est accompli.C’est comme un feu déjà éteintmais dans lequel il reste desbraises. C’est en définitive peut-être plus le décor que les acteurs

par Gilles CostazÉCLAIRAGE

Bérénice, de Francine Bergé à Marie-Sophie Ferdane

C

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qui apportait le mouvement avecla fenêtre ouverte et le rideau quis’agitait. Dans ce décor plutôt mi-néral où se détachait une pierre enforme de grand œuf, Bérénice mur-murait, Richard Fontana (Titus) etMarcel Bozonnet (Antiochus) aussi.Dans L'Humanité, Jean-Pierre Léo-nardini parla d'un "éblouissementchuchoté". Grüber lui-même ré-suma sa mise en scène à une for-mule : "Il faut que le théâtre passepar les larmes".

En 1990, la mise en scène deJacques Lassalle, au Théâtre na-tional de Strasbourg, est moinsmémorable. Elle entend parler enpriorité du pouvoir et du combatpolitique mais l'on admire avanttout la présence de Nathalie Nelldans le rôle titre.

Un peu plus tard, c'est Lam-bert Wilson qui se passionne pourla pièce et la met en scène deuxfois !Une première version au fes-tival d'Avignon 2001 n’est pas trèsréussie, avec Kristin Scott-Thomas(pas très à l'aise avec l'alexandrin)et Didier Sandre : la transpositiondans le monde moderne sonnefaux. Lambert Wilson réussit defaçon brillante sa seconde tenta-tive, aux Bouffes du Nord en 2006,en confiant le rôle de la reine deJudée à Carole Bouquet (qui avaittenu le rôle dans le film de Jean-Daniel Verhaeghe, adapté parJean-Claude Carrière, au côté deGérard Depardieu) et en jouant lui-même Titus, tandis que Fabrice Mi-chel incarne Antiochus : une rondesouffrante et aimante à mots mou-chetés avec quelques éclats,quelques rares moments où le tonmonte et avec une sensualité quise libère dans les étreintes passion-nées des héros. Le dépouillementdes Bouffes du Nord convient par-ticulièrement bien au parti pris deretour à une Antiquité sans faste,et Lambert Wilson a eu la belleidée de confier à son père Georges

le rôle d’Arsace, le confident d’An-tiochus.

Autre belle mise en scène, lamême année, à Nanterre-Aman-diers, en 2006, celle de Jean-Louis Martinelli. Le parti pris dupatron de Nanterre-Amandiers a lamodestie des entreprises ambi-tieuses qui refusent l’effet. "Il fautconsidérer que les protagonistessont entièrement dans ce qu’ils di-sent au moment où ils le disent", dit-il simplement. Et il fait confiance àdes comédiens qui n’ont pas étéhappés par le star-system. Pourcasser la solennité, Martinelli ins-talle un dispositif bi-frontal. Lesspectateurs sont ainsi dans laproximité sans être dans la familia-rité. La scène est un des lieux depassage indéfinis d’un palais. Lespersonnages ne sont pas dans l’ap-parat antique. Bérénice se drapedans une robe fuchsia d’une élé-gance intemporelle. Titus, dansune veste blanche posée sur unbuste nu, a l’air d’un berger qui au-rait pris le pouvoir avec douceur.D’une voix claire et non pas mur-murée, contenant leurs émotionsdans une présence faussementcalme et des déplacements mesu-rés, les héros se battent avec cettefolie amoureuse qui rend l’être hu-main si incrédule devant la réalitésociale et politique.

Marie-Sophie Ferdane est uneBérénice dont la beauté est tou-jours délicatement fiévreuse ; l’ac-trice sait exprimer en même tempsune grande clairvoyance et unepoignante candeur. Elle donne à

son jeu la pureté blessée desgrandes plaintes. Patrick Cataliforenouvelle l’interprétation de Titusen laissant la pompe de l’empereuren arrière-plan. Son Titus est inno-cent, comme étonné de la décisionde la rupture, comme pris dans unrêve où il ne perçoit pas tout à faitla violence de ce qu’il commet. An-tiochus, l’amoureux délaissé, quiest un personnage parfois laissédans l’ombre, a ici un grand reliefgrâce à l’interprétation d’HammouGraïa, au jeu douloureux, à vif,comme s’il était, lui, la première vic-time de la tragédie qui se noue.Prodigieuse, cette perfection oùchante la souffrance !

On pourrait évoquer égale-ment les mises en scène de Mu-riel Mayette – une mise en formetrès classique à la Comédie-Fran-çaise, défendue par Martine Che-vallier et Aurélien Recoing, en2011 –, de Gwenaël Morin, quitable sur la rapidité de la diction,ou de Jean-Luc Jenner, grand raci-nien qui fit jouer le rôle-titre na-guère à Elisabeth Tamaris puis,récemment, à Louise LemoineTorres.

En résumé, le choix se faitentre une vision purement amou-reuse et une perception plus poli-tique où se déroule, sous lelangage du sentiment, un véritablejeu de dupes. Mais une mise enscène manque, reste fictive. C'estcelle que rêva de faire Margue-rite Duras, qui aimait tant Béré-nice. Il y eut même un contactentre Jean-Pierre Vincent, alorsAdministrateur général du Fran-çais, et elle. Mais le projet n'aboutitpas. Pour cette raison, il paraît bienapproprié que, pour sa mise enscène créée à Besançon et repriseà l'Odéon, Célie Pauthe ait pensé àfaire figurer au cours de la repré-sentation un film peu connu deDuras, Césarée. Toute sa vie, Mar-guerite Duras a rêvé de Bérénice.

Le choix se fait entre une vision purement amoureuse et une perception plus politiqueoù se déroule, sous lelangage du sentiment, unvéritable jeu de dupes...

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LE BALLe Monfort - Paris

à partir du

15Mai

Jeanne Frenkel et Cosme Cas-tro font du méta cinéma avec leurcompagnie la Comète.Un conceptoriginal qui consiste à retransmettreen direct la fiction qu’ils sont en trainde tourner. Le plus souvent, les his-toires qu’ils racontent se passentdans l’univers du théâtre et mon-trent des artistes en train de fabri-quer des décors et des scènes.Comme dansHuit et demi de Fellini,leur film culte référence. Et leur sallede spectateurs c’est, comme ils di-sent, internet. "Il n'y a que sur Inter-net qu'on diffuse nos fictions". PourLe Bal, leur dernière création, le pu-blic n’est plus derrière un écran,mais face à eux. Le spectacle qu’ilsprésentent au Monfort, se joue vrai-ment sur un plateau de théâtre. Ins-pirée du film culte de JeromeRobbins et Robert Wise, West Side

Story, cette comédie musicale ra-conte la rivalité qui oppose deuxbandes de jeunes. "Cela se passe aumoment du bal de promo de leurécole". Et au milieu des deux campsadverses, il y a une histoire d’amour."West Side Story, c’est un Roméo etJuliettemoderne transposé dans lequartier de Upper West Side deManhattan dans les années 50 surfond de racisme", Maria la Juliettede l’histoire étant porto ricaine etson Roméo, Tony, un gringo puresouche.

Chantée et dansée, l’histoired’amour entre Tony et Maria setermine pourtant très mal, commecelle de Roméo et Juliette. Jeanneet Cosme ont opté, eux, pour queleur pièce se termine “merveilleuse-ment bien”. Leurs personnages ti-rant les leçons de ceux du film. Mais

aussi sans doute parce que leur désirde créer ce Bal leur est apparu aprèsles attentats. "On s’est demandé ceque les gens auraient envie de voiraprès ça. Et la première idée qui nousest venue c’est celle d’un bal. Un balde retrouvailles, de fin d’année, debilan. C’est là qu’on a pensé à WestSide Story, parce que c’est un grandfilm, avec une esthétique, unegouaille. Cela parle aussi d’une jeu-nesse qui a envie de passer à l’âgeadulte. Un peu comme nous". Et puiscela correspond au projet du Mon-fort qui est de créer des spectaclesavec très peu de moyens.

Hélène Chevrier

n Le bal, de Jeanne Frenkel etCosme CastroLe Monfort, 106 rue Brancion75015 Paris, 01 56 08 33 88du 15/05 au 9/06

Un bal enchanteur

Jeanne Frenkel& Cosme Castro

I like to be in America, Okay byme in America… les airs cultes et lavitalité du film de Jerome Robbins etRobert Wise, West Side Story, ontinspiré Jeanne Frenkel et Cosme Castro, les cofondateurs de la Compagnie de la Comète. Leur Bal, qui regroupe une quinzained’acteurs-chanteurs-danseurs, est un hommage à cette époque, à cefilm, à cette histoire dont ils ont cependant éprouvé le besoin dechanger la fin…

@ dr

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Théâtral magazine : 23 rue Cou-perin a quelque chose de trèsspectaculaire…Karim Bel Kacem : Parler des ban-lieues passe par quelque chose devisuel ; quand on décide de tournerdes films dans les banlieues, cen'est pas juste pour des questionssociales mais c'est aussi parce quecela a une puissance symboliqueet visuelle assez folle. Curieusement, ces barres d’im-meubles deviennent belles surscène…C’est dû à la relation entre la fragi-lité de l'édifice et l'évocation puis-sante qu'elle suscite. Ce qui toucheles gens, ce n'est pas tant la beautédu décor, que le fait qu’on ait re-construit le quartier à l'échelle avecdes kaplas : quand la première tours'effondre, les gens comprennentqu'on a monté 10 barres d'immeu-bles de 10 mètres sur 4 en kaplas.On met quatre heures à six per-sonnes à monter la première et elletient à peine une minute dans lespectacle. Cette instabilité a mar-qué tout le projet. Au milieu de ces

kaplas, il y a un questionnementqui se fait très vite sur l'architecturedes banlieues. Est-ce la destruction de la barreMozart en 2019 qui vous a ins-piré le spectacle ?C'est ce qui me permet en tout casde faire cette introspection surmon quartier. Mais c’est aussi laune de Libération avec une série deportraits au lendemain des atten-tats du 13 novembre. Tous les ter-roristes ont grandi dans les citésHLM à Bordeaux, Saint-Etienne,Nice et en Belgique. Mais on décided'aller attaquer la Syrie le lende-main. Comment est-ce qu'on peutpenser que la solution est en Syrie ?C’est comme le maire de Nice quicrée des terrains de foot dans lescités pour que les jeunes ne vien-nent pas dans les centres-villes. Ilrègle son problème le temps de lapériode électorale, mais pas à longterme. La mixité c'est très impor-tant. Évidemment on ne peut pasforcer les bobos à aller vivre dansles banlieues mais on peut aumoins autoriser les gens des ban-

lieues à venir en centre-ville.Comment se déroule le spectacle ?En trois parties. Une première trèsvisuelle avec la chute de la barreMozart. Une seconde beaucoupplus musicale liée au fait que lesbâtiments portent des noms decompositeurs comme Mozart,Ravel, Couperin. J’ai demandé àun musicien d’écrire cinq mor-ceaux à partir d’oeuvres de Mozartou de Ravel. Et pour la troisièmepartie, j’ai créé une bande sonavec plein de voix et de bruitscontradictoires. En 1984, un anavant ma naissance, un couple dePicards a décidé de filmer ce qui sepassait dans les barres pour ali-menter leur télé associative. La vi-site de Jacques Chirac en 96 estpar exemple filmée. J'ai récupérépas mal d’archives et j'ai fait unesorte d'interaction sonore un peucomme dans la première scènedes Ailes du désir quand on en-tend ce qui se passe dans les bâti-ments de Berlin…

Propos recueillis par Hélène Chevrier

23 RUE COUPERINAthénée – Paris

à partir du

15Mai

Karim Bel Kacem a grandi dansun HLM du quartier du Pigeonnier à Amiens-Nord. Cesont les 17 années qu’il a passéesdans la barre Couperin de 1985 à 2002 qu’il raconte dans sonspectacle dans une sorte d’hommage à cette banlieueavant la destruction à partir de2019 de trois de ces immeublesbaptisés de noms de compositeurs.

Karim Bel Kacem

Souvenirs d’un HLM

@ Isabelle Meister

n 23 rue Couperin, de Karim Bel KacemAthénée, 7 rue Boudreau 75009 Paris,01 53 05 19 19, du 15 au 19/05

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Théâtral magazine: Comment représen-ter au théâtre un texte théorique aussidifficile que La domination masculine dePierre Bourdieu ? Virginie Aimone :C'est un vrai défi ! La do-mination masculine est un livre court, maisdense, riche, complexe : c'est une mon-tagne... Avec mon metteur en scène Je-remy Beschon, nous avons tenté de lerendre accessible en utilisant un montagede textes de Bourdieu qui intègre égale-ment des mythes kabyles analysés par l'an-thropologue Tassadit Yacine, qui ad'ailleurs suivi tout notre travail. Le spec-tacle s'ouvre sur un mythe kabyle, le mythede Tala, qui raconte la rencontre du pre-mier homme et de la première femme, prèsd'une fontaine, le premier acte sexuel et larépartition des rôles qui en découle : à lafontaine c'est la femme qui commande, àla maison c'est l'homme.Par ailleurs, pour rendre ce texte compré-hensible par tout le monde, nous avons em-prunté à certaines traditions anciennes(celle de la commedia dell'arte) et à cer-taines formes d'aujourd'hui, celle notam-ment du stand-up. La légèreté, l'humour,permettent de faire passer toutes ceschoses auprès du public. Quelle idée centrale du texte de PierreBourdieu voulez-vous que les gens retien-nent ? Nous essayons de montrer, à la suite deBourdieu, que ce qui semble apparemment

naturel, la domination de l'homme sur lafemme, est en fait culturel, et s'inscrit dansune série d'oppositions qui se renforcent lesunes les autres : l'intérieur et l'extérieur,l'apparent et le caché, le honteux et le glo-rieux... Et nous essayons aussi de montrer,sur un plan plus concret, comment la vio-lence symbolique peut s'exercer au sein ducouple, ou d'une structure collectivecomme une entreprise. Pour les spectateurs, quelles sont lesidées les plus difficiles à accepter ? Pour les femmes, il est parfois difficile d'ad-mettre qu'elles participent elles aussi àcette domination masculine, et qu'elles luipermettent de se pérenniser. Quant auxhommes, ils doivent affronter l'idée que cer-tains comportements qu'ils pensaient"sympathiques" ou "amusants" sont en faitteintés de violence symbolique plus oumoins importante. Nous essayons aussi dedévelopper cette notion que les hommessont les premières victimes de leur violencesymbolique, lorsqu'ils en viennent à s'auto-interdire certaines manifestations de sen-sibilité pour ne pas être exclus du groupe. Toutes les représentations sont suivies dedébats. Nous nous sommes aperçus que cetexte suscite énormément de questions, dedemandes de précisions de la part des spec-tateurs.

Propos recueillis par Jean-François Mondot

LA DOMINATION MASCULINEThéâtre Liberté – ToulonEt en tournée

à partir du

16Mai

VirginieAimone La domination masculine, c’est culturel !

Virginie Aimone est membre du Collectif Manifeste Rien, baséau Théâtre de l'Oeuvre à Marseille, qui s'est signalé depuisquelques années par plusieurs spectacles autour des questionsles plus brûlantes d'aujourd'hui, souvent en lien avec de grandesfigures intellectuelles (Gérard Noiriel, Benjamin Stora). Aujourd'hui, Virginie Aimone et son metteur en scène JeremyBeschon explorent les rapports hommes-femmes à partir du textemagistral de Pierre Bourdieu : La domination masculine.

n La domination masculine, unspectacle du Collectif ManifesteRien, textes de Pierre Bourdieuet Tassadit Yacine, mise enscène Jeremy Beschon, avec Virginie Aimone> 16-17/05 au Théâtre Liberté,place de la liberté, Toulon 04 98 00 56 76> 18/05 à Paris, Centre ParisAnim', 2-4 rue des Lilas 75019Paris, 01 40 18 76 45> 25-26/05 au Théâtre del'Oeuvre 1 rue Mission de FranceMarseille

28 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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n L’Oiseau Vert, de Carlo Gozzi, tra-duction Agathe Mélinand, mise enscène, décors et costumes Laurent PellyThéâtre de la Porte Saint-Martin, 18boulevard Saint-Martin 75010 Paris,01 42 08 00 32, à partir du 16/05

L’OISEAU VERTPorte-Saint-Martin – Paris

à partir du

16Mai

Théâtral magazine : Cet OiseauVert est-il tellement rocambo-lesque ?Laurent Pelly : Plus que rocambo-lesque, c’est une folie absolue. A lafois théâtre burlesque, féeriquecomparable à un grand film fantas-tique mêlé d’humour ravageur. Il ya des personnages truculents, d’au-tres qui mettent en jeu tous les tra-vers de l’humanité. Un plaidoyerqui défend l’imaginaire et la poésie.Vous avez travaillé sur uneadaptation du texte ?Agathe Mélinand a transposé leslazzi – ces canevas d’improvisa-tions – en dialogues, en répliques.Un travail très fidèle et proche dela langue de Carlo Gozzi. Ce n’estpas un travail archéologique. Lapièce est écrite à la fois en vers eten prose ; Agathe a travaillé surles sonorités pour conserver lerythme et le comique. C’est trucu-lent, trivial, ahurissant et comique.Une fable philosophique.Comment porter à la scène un

tel conte de fées ?Je cherche toujours des solutionsthéâtrales simples et poétiques.C’est une pièce à machinerie, avecdes personnages qui se transfor-ment et des palais qui apparais-sent en une seconde. La vidéoaurait été une facilité mais n’au-rait pas correspondue. Il y a 12 ac-teurs, plus de 10 techniciens quimanipulent la scénographie à vue.Je passe ma vie à faire fonctionnerdes machines de théâtres ; on peutfaire des choses hollywoodiennesmais ce qui est beau c’est d’épurer,d’inventer des solutions pour inter-préter avec nos goûts d’au-jourd’hui. Ce sont des choixesthétiques. Gozzi a mélangé plu-sieurs contes d’un recueil du XVIesiècle mettant en scène des per-sonnages ruraux ; il faut cepen-dant une certaine finesse et unetenue pour garder un spectacletrès graphique.C’est de la commedia dell’arte ?C’est avant tout un travail d’acteur

sur du burlesque. Les comédiensne jouent pas masqués, la piècedépasse ce côté reconstitution. Ily a quelque chose de flamboyantdans ce théâtre, d’antipsycholo-gique. Georges Bigot – qui joue ungourmand, voleur, avare et miso-gyne suscitant l’empathie – etNanou Garcia sont habitués à cegenre. Marilù Marini, dans un rôledémesuré, très difficile à interpré-ter, de méchante reine, idiote etnymphomane, a cette folie etcette grâce. C'est finalement unevision très burlesque de l’huma-nité avec ses plus laids et plusbêtes caractères.

Propos recueillis par François Varlin

Il n’a jamais travaillé dans un théâtre privé. Au termede son contrat à la direction du Théâtre National deToulouse avec Agathe Mélinand, Laurent Pelly a sou-haité continuer d’exploiter certaines productions surd’autres scènes. C’est au théâtre de la Porte Saint-Martinque sa mise en scène de L’Oiseau Vert, créé en 2015, vapoursuivre son vol dès le 16 mai, tandis qu’il créera lelendemain 17 mai à l’Opéra Bastille, toujours dans cetunivers de cocasserie et de burlesque qui lui est cher,L’heure espagnole de Ravel et Gianni Schicchi de Puccini.

Laurent Pelly

@ Pologarat

Je défends la narration onirique

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n Les Trois Mousquetaires - saison 5, par le Collectif49701, écriture et mise en scène Clara Hédouin, Jade Herbulot et Romain De Becdelièvre. Le Monfort, 106 rueBrancion 75015 Paris, 01 56 08 33 88, du 18 au 20/05n Festival Paris l’Eté, les Saisons 4, 5 et 6 au Lycée JacquesDecour, 12 avenue Trudaine 75009 Paris, les 31/07, 2 et 4/08

LES TROIS MOUSQUETAIRESLe Monfort - Paris

à partir du

18Mai

Théâtral magazine : Vous rêviezd’un théâtre de rue ?Clara Hedouin : Non, juste le désirde faire du théâtre dehors, dans deslieux improbables. J’avais envie degrands espaces. Les Trois Mousque-taires nous est apparu comme leroman qui allait nous permettred’inventer le théâtre dont on rêvait.Le roman est une œuvre fleuve !Je voulais me lancer dans un pro-jet et non un spectacle, traiter desparties du roman sous forme d’unesérie. Nous écrivons à trois avecJade Herbulot et Romain de Bec-delièvre. Il y a un grand fil narratif,un seul et même long récit et nousfaisons une adaptation. Nous gar-dons la langue de Dumas tout entruffant le roman de scènes trèscontemporaines. Nous avons dé-coupé le roman en six saisons detrois ou quatre épisodes chacun.Nous créons la saison 5 au Mon-fort et la saison 6 en juillet pour lefestival Paris l’été. Au Monfort vous serez dans unthéâtre…Non, nous jouerons dans les exté-rieurs. Le public se déplace àchaque épisode après le génériquede fin que les comédiens chantent.

La forme est déambulatoire.Est-ce une reconstitution ?Il ne faut pas s’attendre à une adap-tation historique avec plumes, cha-peaux et casaques. On voit desjeunes mousquetaires habillés encuir comme surgis de l’univers deSergio Leone, leurs ennemis – lesgardes du Cardinal – portent lesuniformes de la police nationale.Ces deux forces politiques s’affron-tent. Les alliés de Richelieu ministrede l’intérieur sont des flics d’au-jourd’hui, incarnant les valeurs mo-dernes du pouvoir, face à eux lesmousquetaires incarnent des va-leurs plus anciennes, une sorte depetite mafia bâtie autour de vertushéroïques, d’honneur, de loyauté…Une lutte entre un ordre ancien etun ordre nouveau. Les probléma-tiques très contemporaines surgis-sent à travers ce vieux roman.Le public suit-il ?Cela fait partie de la beauté et de laraison d’être du projet. Il y a unecommunauté qui se crée autour durécit. Les gens viennent et revien-nent. La saison 5 est très attenduesur les réseaux sociaux. C’est unroman libre d’accès, que l’on peutlire très jeune ou très vieux, particu-

lièrement riche, un roman sur l’ami-tié. Tous peuvent venir, les enfants,les adultes, un public pointu dethéâtre ou de lettres, et se retrouverautour d’une même histoire.

Propos recueillis parFrançois Varlin

49 701. Original comme nom… “C’était le code de la porte duStudio Théâtre d’Asnières. C’est devenu le nom de notre compagnie en 2010”.Clara Hédouin a commencé le théâtre à l’Ecole Normale Supérieure. Elle y rencontre Jade Herbulot qui la mène au Studio Théâtre d’Asnières : “Un tournant de ma vie. Je voulais me placer devant un idéal impossible à atteindre ;me vient alors le désir de monter un roman du XIXe en plusieurs étapes selon leprincipe d’une série en investissant l’espace public”. Ce sera Les Trois Mousque-taires sous forme d’une série qui dure depuis six ans déjà !

Clara Hédouin

@dr

Des mousquetaires en séries !

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n Vies de papier, écriture, réalisation Benoit Faivre, Kathleen Fortin, Pauline Jardel, Tommy Laszlo, Le Carreau (dans le cadre du Festival Perspectives www.festival-perspectives.de),avenue Saint-Rémy 57600 Forbach,00 49 681 501 1370, 22 et 23/05

C’est Tommy Laszlo qui enchinant tombe sur l’album. Parcuriosité, presque malgré lui, il entourne les premières pages.Album banal relatant les pre-mières années dans la vie d’unepetite fille comme on en faisaittous avant que la photo ne de-vienne virtuelle. Des photos, desdessins, des documents illustrentl’histoire de la vie de cette per-sonne. Sans grand intérêt. Et puisune image fige son regard : uneimage de vacances au bord del’eau, en l’occurrence la Mer Bal-tique, du sable, et au milieu undrapeau nazi qui flotte. Le regardde Tommy se fige parce que sagrand-mère est hongroise et sa viea été bouleversée par la guerre. Etil sait aussi que la grand-mère pa-ternelle de Benoit est allemandeet a bien connu cette époque. Ilsacquièrent l’objet et décident

d’enquêter sur cette petite filledont un faire-part révèle qu’elleest née en 1933.

"Moi ma grand-mère est néeen 1931 à Berlin et quand j'étaispetit elle me racontait les bombar-dements, elle me racontait sa vied'enfant quand j'avais le mêmeâge. Alors quel choc de voir cettemultitude de photos d'une enfantdu même âge que ma grand-mèreà la même époque à Berlin d’au-tant plus que je n'ai jamais eu ni vude photo de ma grand-mère. Maisà l'époque je ne m'étais jamaisrendu compte qu'il y avait un dé-faut d'image vis-à-vis de l'histoirede ma famille. Si la découverte decet album nous provoque une telleexcitation à Tommy et à moi, c'estaussi dû au fait qu’on n’en avaitpas fini avec cette ville, avec cettehistoire-là. L’idée du documentaireest peut-être issue de ça, du fait de

pouvoir vivre la vie de quelqu'und'autre à travers un témoignage".

Commence alors un travaild’historien, “sans la méthode scien-tifique”, pour comprendre la vie decette jeune femme, l’album s’arrê-tant avec les images de son ma-riage.

“Il n’y avait rien d’écrit, au-cune légende, aucune date, excep-tée la première sur le faire-part”. Ilscomprennent alors qu’ils vont de-voir décoller les images pour trou-ver peut-être des informations audos de chacune d’elle. "Il y a 580images. Et une des toutes pre-mières choses qu'on a faites, c'estde faire reproduire l'album en stu-dio par un photographe. Cela nousa permis de travailler sereinementparce que dans tous les cas notreprojet nécessitait de faire le sacri-lège de consommer ou de consu-mer un objet pour en créer unautre".

Cette autre chose prend laforme toute simple d’un récit. Unécran géant projette en continules images de l’avancée de leur en-quête dans la vie de cette incon-nue et parallèlement dans leurpropre passé. Un amoncellementde papiers qui donne forme à desvies…

Hélène Chevrier

VIES DE PAPIER Festival Perspectives - Allemagne

à partir du

22Mai

Benoit Faivre

Si Benoit Faivre et Tommy Laszlo n’avaient paseu un compte à régler avec l’histoire de leursgrand-mères respectives, sans doute n’auraient-ils jamais acheter cet album photo sur une brocante à Bruxelles pour en faire le sujet de leurnouveau spectacle, Vies de papier.

@Thomas Faverjon

Vivre la vie de quelqu’un d’autre

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n Les Ondes magnétiques, texte et mise enscène David Lescot, avec Sylvia Bergé, Alexandre Pavloff, Elsa Lepoivre, ChristianHecq, Nâzim Boudjenah, Jennifer Decker,Claire De La Rüe Du Can, Yoan Gasiorowski. Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du VieuxColombier 75006 Paris, 01 44 39 87 00du 23/05 au 01/07

Théâtral magazine : Commentavez-vous eu l’idée du sujet desradios libres ?David Lescot : Il y avait l’envie detravailler sur cette période, l’arri-vée de la gauche au pouvoir enmai 81 maintenant qu’on nous an-nonce une éclipse longue, voire dé-finitive. J’aime ce momentd’euphorie, d’exaltation, d’utopiequ’il y a eu dans la société fran-çaise avec de l’espoir, puis un ren-versement, une attente, quelquechose qui ressemblait à une ré-création. L’idée n’était pas tant deparler des radios libres que d’unecertaine qualité de période, de per-ception d’une époque.Vous souvenez-vous de l’électionde François Mitterrand ?Oui, on habitait à la campagne,dans l’Essonne. Je me souviensd’une espèce de joie. J’avais une di-zaine d’années. Jusque-là, il y avaitun portrait de Giscard d’Estaingdans l’école, celui de Mitterrand l’aremplacé. J’ai compilé dans unesorte de litanie, poème et docu-mentaire, les mesures que le gou-vernement a prises les premiersmois. On n’y croit pas ! Allez-vous créer une radio surscène ?Je vais en créer deux différentesqui finiront par se marier, héri-tières des mouvances de 68.Quelqu’un a dit que la radio libreétait la seule application réelle demai 68. J’ai écrit le spectacle surmesure pour les comédiens, maisje n’ai pas voulu leur donner unepièce finie. J’ai de quoi en écriredeux. Je leur ai donné des bribesen commençant par le début. Leshuit comédiens joueront chacunplusieurs personnages. Il y a suffi-

samment de matière pourconstruire une intrigue. Il y a unlangage aussi. Vous voulez qu’ils construisent lapièce avec vous dans l’esprit desradios libres ?Exactement, parce qu’arriver avecune pièce aboutie, ça ne corres-pondrait pas à ce que ça raconte.J’ai été intéressé par ce désordrecomplètement anarchique qui aexisté pendant quelques moisquand le pouvoir ne s’en occupaitpas. Par la liberté qui régnaitcomme après la Révolution russe,toutes proportions gardées. Vous accompagnez souvent vosmises en scène de musiques. Je suis d’abord nourri par ma ma-tière, la musique de cette périodedans laquelle on plonge avec An-thony Capelli, un fou furieux duson. On a inventé de la musiquedes années 80 avec des synthés.J’ai aussi pensé à des spectacles in-classables comme ceux de Chris-toph Marthaler, Phia Ménard,… Jene veux pas que ce soit hermé-tique. J’aime quand les plus jeunescomprennent le spectacle. Pen-dant deux heures, il y a une mon-tée de folie et de nombreuxpersonnages pour relancer l’atten-tion et créer la surprise.

Propos recueillis par Nathalie Simon

LES ONDES MAGNÉTIQUESVieux-Colombier – Paris

à partir du

23Mai

Dans Les Ondes magnétiques, DavidLescot entend raconter l’exis-tence des radios libres de 1981à 1984, de l’élection de François Mit-terrand jusqu’au “tournant de la ri-gueur”, précise-t-il. Dans lacontinuité du travail de sa compa-gnie du Kaïros, il exploite une nou-velle fois diverses formes pourrépondre aux “questions qui sont lesnôtres”, traiter de sujets qui nous“inspirent” et “tourmentent” à tra-vers un biais poétique, historique oudocumentaire.

David Lescot en ondes libres

@ Vincent Pontet

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Théâtral magazine : Sous cou-vert d’une forme légère, BerlinKabarett aborde une époque trèsdure, celle de l'entre-deux-guerres à Berlin.Marisa Berenson : Oui c'était uneépoque très dure. La pièce se dé-roule sous la République de Wei-mar en pleine ascension des nazis.Les gens vivaient dans un état dedésespoir et de danger perma-nent. Et à Berlin, ces cabaretsétaient considérés comme deslieux très décadents parce quetout y était permis, c'était une es-pèce d'exutoire pour les artistes etpour tous ceux qui les fréquen-taient notamment les nazis.Quand on traverse des périodescomme ça, on vit au jour le jour eton est prêt à tout pour survivre, etc'est un peu le cas du personnageque je joue.Justement cette femme, Kirsten,dit ne vivre que pour son caba-ret. Elle n’est pas tendre…Il y a une humanité chez elle. C'estquelqu'un qui cache une fragilitéderrière une apparente dureté. Ellele laisse entrevoir à un moment àtravers une chanson très tou-chante. Mais en même temps, ilfaut sauver sa peau et elle se pros-

titue, elle couche avec des nazis etelle fait des choses encore plus ter-ribles… Avec son fils et ses amis, ilsvivent dans une petite bulle donton ne sait pas quand elle va éclater.Ils entretiennent entre eux des rap-ports très violents. Et particulièrement avec son fils ;elle dit tout le temps qu'elle nel'aime pas.Elle aimerait l’aimer mais à causede ce qu'il est devenu, homo, com-plètement pervers, elle le regardeavec dégoût. Elle dit même qu’elleaimerait avoir "un fils normal", quilui donne des petits-enfants. Et enmême temps ce fils qu’elle détestelui fait gagner sa vie parce qu’ellel’a mis sur scène.C’est un spectacle très noir…Oui mais réaliste. Aujourd’hui, onvit dans un monde très dangereux,mais on ne s’en rend pas compteparce qu’on ne voit pas d’ennemien face. Tandis qu’à cette époque,c’était des guerres atroces, des mil-liers de morts, des privations...C’était un retour à l’état sauvage. Le spectacle raconte tout celamais sous la forme d’un véritablecabaret. Oui, il y a du texte mais surtout deschansons reprises de l'époque. Les

spectateurs seront assis à des tableset nous jouerons au milieu d’euxdans la salle. Ça se passera dans lasalle du bas du théâtre de Poche.Vous n’avez jamais joué enFrance mais beaucoup à l’étran-ger. Que représente pour vous lethéâtre ?C’est essentiel à la vie humaine.Comme toute forme d'art. C’est unlangage universel entre leshommes. Imaginez un monde sansart ; il n’y aurait plus de connais-sance, plus de rêve... C'est primor-dial et cela doit commencer dèsl’école. Je travaille pour l’Unescodepuis 25 ans sur ces questions età travers Artist for Peace un pro-gramme conçu pour les enfantsdéfavorisés, on a constaté que l’artguérissait les traumatismes et per-mettait de s'insérer dans la société.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Berlin Kabarett, de StéphanDruet, avec Marisa Berenson…Poche-Montparnasse, 75 boulevardMontparnasse 75006 Paris, 01 45 44 50 21, du 24/05 au 15/07

BERLIN KABARETTPoche-Montparnasse – Paris

à partir du

24Mai

C’est l’événement de cette fin de saison.Marisa Berenson, l’actrice de Barry Lyndon, de Mortà Venise ou encore de Cabaret, habituée de lascène londonienne (elle a joué dans Romeo and Juliet à Londres avec Kenneth Branagh en 2016) etde Broadway, joue pour la première fois en Franceau théâtre dans une comédie musicale. Dans BerlinKabarett, elle est Kirsten, la patronne impitoyabled’un cabaret au début des années trente.

@Ludovic Baron

Marisa Berenson

L’art essentiel à la vie humaine

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Théâtral magazine : Jacques Las-salle avait monté La Locandieraen 1983 au Français. Sa mise enscène est-elle un modèle pourvous ?Alain Françon : Le vrai modèle deLa Locandiera, c'est Visconti avecMastroianni dans le rôle du cheva-lier. Il l’a créée en 1952 avant devenir la présenter en 1958 enFrance et c’était en rupture totaleavec la tradition de représenta-tion de Goldoni un peu sautillante,dans l’esprit de la commediadell'arte : il en avait fait un spec-tacle dans lequel il prenait leschoses très au sérieux, en ajoutantmême des temps. La Locandieran'était plus cette espèce de sou-brette devenue patronne d'au-berge un peu délurée, c'étaitvraiment une femme au travail.Elle représentait la bourgeoisiecommerçante vénitienne, même sila pièce se passe à Florence. Gol-doni avait une confiance absoluedans tous les gens qui faisaient dunégoce. C’était une classe pros-père, qui allait au théâtre. Et puisil s'est rendu compte qu'ils amas-saient l'argent, achetaient desgrandes propriétés dans lesquellesils ne faisaient qu'imiter l'aristo-cratie. C’est ce qu’il raconte dans

La trilogie de la villégiature. La clédes émotions, de la psychologie,des conduites, des relations, est icid’abord sociale. On a tendance à voir la Locan-diera comme une séductrice quifait tourner son auberge grâce àl’ambiguïté des rapports qu’elleentretient avec les clients.Elle n'est pas séductrice mais ellesait comment préserver l'écono-mie de son auberge pour resterlibre et indépendante. Elle em-ploie d’ailleurs souvent le mot “li-berté”. Elle représente une classeopposée à toute cette noblessedécadente sur laquelle on ne peutplus du tout compter : c'est unefemme au travail qui défend sonauberge. C'est un personnaged’une intelligence supérieure parrapport à tous les mecs qui sont là.Goldoni l'a créé pour une comé-dienne qui d'habitude jouait lessoubrettes et à laquelle il a donnéle premier rôle. Quel rapport entretient-elle aufond avec le chevalier qu’elle en-treprend de séduire ?Lui, c’est une espèce de misogynequi déclare qu'il ne peut pas sup-porter les femmes, que quand il envoit une, il prend le large. Je pensequ'il l’a humiliée au départ sur ses

compétences d’aubergiste et elledécide de se venger. Mais ce n'estpas sans risque : elle pourraitéprouver un sentiment pour lui. Orelle sait très bien que si elle luicède, il ne pourra pas l’épouser. Ily a deux versions de la pièce etdans l’une d’elles, il y a deux outrois répliques où il devient trèsprécis sexuellement parlant. Clai-rement, il la veut. Et pour se pré-munir de ça, parce qu’elle a uneconscience aiguë de sa positionsociale, elle préfère garder sa li-berté, son entreprise et effective-ment céder à la loi paternellec'est-à-dire épouser peut-être Fa-brizio qui est lui-même un étran-ger en Italie. Elle sait très bien qu’illui sera toujours dévoué juste-ment parce qu'il appartient à uneclasse légèrement inférieure à lasienne. Il y a aussi le Marquis, le Comte,les comédiennes ; la pièce montretout un panel de personnages...Oui. En italien l’auberge, qui se ditLocanda, est considérée commeun terrain d'expérience, un espaced’observation des conduites hu-maines.

Propos recueillis parHélène Chevrier

LA LOCANDIERA Comédie-Française - Paris

à partir du

26Mai

Alain Françon

Dans La Locandiera, Goldoni dépeint une aubergiste,Mirandolina, appartenant à une nouvelle bourgeoisiecommerçante prospère. Intelligente, elle entretient desrelations ambiguës avec ses clients dans l’unique pers-pective de préserver son entreprise. C’est cet aspect so-cial qui passionne Alain Françon.

Une petite entreprise

@ Michel Corbou

n La Locandiera, de CarloGoldoni, mise en scène AlainFrançon. Comédie-Française,place Colette 75001 Paris,01 44 58 15 15, du 26/05 au 24/07

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Théâtral magazine : L'artconstitue souvent le point dedépart de vos performancesles plus récentes. En quoi sol-licite-t-il votre imagination? Gaëlle Bourges : Je ne suis pashistorienne de l'art, mais il estvrai que les musées et les oeu-vres m'inspirent. J'aime travail-ler à partir de l'art. Ce quim'intérèsse particulièrement,c'est de rendre visibles les liensque je fabrique dans ma propreperception des oeuvres d'art.Cela m'oblige à trouver desmoyens visuels pour faire par-tager mes interprétations. J'ail'impression d'entrer à la foisdans l'oeuvre d'art, et dans l'es-prit d'autrui...Comment en êtes-vous venue àvous intéresser à Hubert Robert,pour votre nouveau projet dans lecadre du musée de Valence ?Mon récent travail sur Fragonardm'a conduite à apprécier cettepeinture du XVIIIe siècle qui audépart ne m'était pas familière. Jeme suis alors intéressée à HubertRobert, contemporain et ami deFragonard, connu pour ses pein-

tures de ruines romantiques. Or lemusée de Valence qui m'avait in-vitée pour une performance, com-portait plusieurs oeuvres de cepeintre, notamment une magni-fique assiette peinte qui repré-sente deux personnages prèsd'une cascade, avec en arrièreplan une de ces ruines qui était saspécialité. Pourquoi peignait-il surdes assiettes ? Parce qu'il n'avait

rien d'autre sous la main. Empri-sonné sous la Terreur, il ne dispo-sait d'aucun autre support pourexercer son art...Comment allez-vous utilisercette oeuvre pour votre perfor-mance au musée de Valence ? Je vais guider les spectateurs dumusée, les faire passer par un par-cours qui les mènera à cette as-siette peinte par Hubert Robert. Jevoudrais les amener à partagerun certain nombre de questionsque me pose cette peinture:pourquoi peindre des ruines ?Quelles traces le passé nouslaisse-t-il ? Et quelles traces al-lons-nous laisser nous-mêmes ? Vous êtes chorégraphe... Oùse situent la chorégraphie etla danse dans cette nouvelleperformance ?Elle est discrète mais elle existe !Quand on visite un musée, onperforme soi-même sans le sa-voir. Les corps, en particulierdans un groupe, sont dans unétat particulier. On assiste sou-vent à une sorte de danse degroupe qui s'invente spontané-ment, et sur laquelle je comptebien jouer...

Propos recueillis parJean-François Mondot

n L’assiette d’Hubert, performancede Gaëlle Bourges. Musée de Valence (Comédie de Valence), 4 place des Ormeaux 26000 Valence, 04 75 79 20 80,du 29/05 au 01/06

L’ASSIETTE D’HUBERTLa Comédie de Valence

à partir du

29Mai

La chorégraphe Gaëlle Bourges avait signéun remarquable travail autour des nus dans la peinture occidentale (Vider Vénus). Le troisièmevolet de ce tryptique était consacré à la célèbrepeinture de Fragonard, Le Verrou. Dans le cadre dumusée de Valence récemment rénové, elle prépareun nouveau projet autour d'une oeuvre d'un autrepeintre du XVIIIe siècle, Hubert Robert.

Gaëlle BourgesVisite-performance au Musée

@dr

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NIGHT CIRCUS Le 13e Art - Paris

à partir du

8Juin

Théâtral magazine : Quelle estl’originalité de votre Night Circus ? Bence Vági : Recirquel fait entrerle public dans un monde imagi-naire. Notre projet commun étaitde créer un nouveau langage,pour exprimer quelque chose denouveau sur le cirque en respec-tant les traditions circassienneshongroises. On peut appeler cettenouvelle façon de faire, le langagedu cirque hongrois contemporain.Quelle est votre histoire person-nelle ?Je viens de deux disciplines artis-tiques, la danse et le théâtre. J’aicommencé comme danseur puisj’ai poursuivi mes études pour de-venir chorégraphe et metteur enscène de théâtre musical. Mon his-toire a deux interprétations possi-bles, l’une simple et l’autre moins.La simple c’est que, bien sûr, en-fant, j’ai passé beaucoup de tempsau cirque, ma grand mère m’em-menait au Cirque National de Bu-dapest. Déjà à cette époque j’étaissubjugué par la magie des acro-bates et des numéros avec des ani-maux. La version plus complexe dema rencontre avec le cirque, c’estqu’au travers de mon travail pourle cabaret, j’ai croisé les disciplinesdu cirque de nombreuses fois.C’était inspirant de voir le cirque

hors de son environne-ment traditionnel avecde la musique et duthéâtre. Avec La légendedu cerf d’or, joué par plusde 200 circassiens etdanseurs, j’ai créé du“cirque-danse” ou du“cirque-ballet”, puisque dans cespectacle, nous avons fait dispa-raitre la frontière entre cirque etballet. Au répertoire de Recirquel,nous avons trois productions àgrande échelle qui tournent dansle monde. L’une d’elle Night Circussera à Paris en juin.Quelles sont vos grandes réfé-rences ?Je suis un grand admirateur detous les arts qui parlent à l’âmehumaine. Quand je crée, la pein-ture et la musique sont mes prin-cipales sources d’inspiration, jedépends de ces arts.Que pouvez-vous dire de NightCircus ?Le personnage principal de NightCircus en train de voler racontequelque chose d’intérieur, l’his-toire de son voyage pour trouverun moyen de s’envoler par l’esprit,de voler en abandonnant ses ailes.Bien sûr quand on parle de voler,on pense au mythe d’Icare... Avecson langage poétique, Night Cir-

cus représente le but de notrecompagnie en général, faire pas-ser le cirque hongrois de la nuitvers la lumière. J’aime travailleravec des artistes qui sont des pen-seurs, qui laissent leur esprit en-trer dans le personnage. Pourchacune de nos tournées, nousadaptons nos spectacles au paysoù nous allons et intégrons destraductions. En France nousjouons en français. C’est importantpour moi car s’il y a peu de textesdans nos spectacles, ils sont indis-pensables pour être bien comprisdu public.

Propos recueillis parGilles Costaz

n Night Circus, mise en scène deBence Vági. Le 13e Art, Place d’Italie75013 Paris, 01 53 31 13 13, du 8 au 30/06

Les circassiens hongrois du Recirqueldirigés par Bence Vági sont rarement venusen France. Ils sont en juin au 13e Art, avecNight Circus qui allie une esthétique du rêveet une recherche de l’exploit physique.

Bence VágiL’envol intérieur

@ Francesca Torracchi

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n Ça ne se passe jamais comme prévu, un spectacle de Tiago Rodrigues avec les étudiantsde l’Ecole de la Manufacture de Lausanne, 13 au 16/06 Théâtre de Vidy à Lausanne Suisse21 au 24/06 Festival des Ecoles Paris26 et 27/06 Théâtre du Loup Genève, Suisse29 et 30/06 Printemps des Comédiens, Théâtre d’O 34000 Montpellier, 04 67 63 66 672 et 3/07 Nuits de Fourvière, Lyon

Théâtral magazine : Ça ne sepasse jamais comme prévu, c’est lespectacle de sortie des élèves del’Ecole de la Manufacture… Tiago Rodrigues :Oui, c'est la pre-mière fois que je fais un spectaclede sortie d’école. Et c’est aussi untravail singulier parce qu’on vacréer le spectacle à Lisbonne. Pourque les élèves soient plongés nonseulement dans le processus detravail d'un artiste mais aussi dansson habitat. L’idée étant qu’ils cô-toient pendant ce séjour des genstrès différents dans la ville. Ce quim'intéresse ce sont les couches detemps qui constituent un quartier,mais qu’on ne voit pas immédiate-ment, et qui permettent de com-prendre comment on est arrivé àla ville actuelle. Le spectacle retranscrira-t-il lesrencontres qu’ils auront faites ?Ce sont les rencontres qu’ils vontfaire qui vont dicter ce qui va sepasser dans le spectacle et qu'ilsvont partager avec le public. Il fautdonc créer de l'espace pour cet im-prévu. C’est fondateur pour desétudiants qui sortent d'une écolede théâtre et qui vont devenir des

professionnels avec ce spectacle.Parce que le théâtre nous imposede l'imprévu tout le temps. Vous allez parler de l’imprévu.Mais comment reproduit-on l’im-prévu chaque soir sur scène ?Il s’agit de se préparer pour ne pasreproduire justement la prépara-tion mais juste être là et disponi-ble pour ce qui va se passer. Il fautrester ouvert à la possibilité del'erreur. Mieux, il faut désirer lapossibilité de l'erreur, parce qu’unartiste en a besoin pour seconstruire. Quelle part souhaitez-vous qu’ilsprennent dans l'écriture ?Je vais leur proposer d'écrire poureux à partir du travail et des dé-bats qu'on fera ensemble. Ce n'estpas une écriture collective, c’estdavantage une écriture collabora-tive. Parce que tous les comédiensne s’expriment pas de la mêmefaçon, certains ne parlent pas. Etc’est à moi de percevoir leur pen-sée et leurs besoins. Leur laisserez-vous une marged’improvisation ?Il y a toujours une marge de li-berté très explicite dans mes

pièces. Mais pas nécessairementsur le texte. Cela passe aussi pardes façons de faire, des scènes quine sont pas fixées.Est-ce que la pièce va tourner ?Elle sera créée à Lisbonne puis re-prise à Vidy, Paris, Montpellier auPrintemps des Comédiens... C’estimportant ce suivi, car on sait bienque quand on travaille avec desélèves, on trouve toujours des fu-turs complices. Moi-même quandj’étais encore étudiant, j'ai croiséles TG Stan dans un workshop en1997 et je travaille avec eux de-puis 20 ans.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

ÇA NE SE PASSE JAMAIS COMME PRÉVU Tournée

à partir du

13Mars

Tiago Rodrigues

En quête d’imprévu

Le metteur en scène Tiago Rodrigues, égalementdirecteur du théâtre National de Lisbonne, présentera au Printemps des Comédiens le spectacle de sortie des 16 étudiants de l’Ecole dela Manufacture de Lausanne. Une création quis’appuiera sur tout un travail autour de l’imprévu,comme fondement du théâtre.

@ Magda Bizzaro

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LE FAISEUR D'HISTOIRESPrintemps des Comédiens - Montpellier

à partir du

14Juin

Théâtral magazine : Le faiseurd'histoires, c'est l'histoire d'unmetteur en scène odieux, tyran-nique, méprisant, en tournéedans une petite ville d'Autriche,où "un jour sur deux, c'est le jourde la saucisse". Comment allez-vous jouer ce metteur en scène ?Allez-vous chercher à le rendreplus sympathique ? Serge Merlin (indigné) : Ah, maispas question de ça ! Jamais ! Ren-dre sympathique ? Mais qu'est-ceque cela veut dire ? Il faut jouer lepersonnage dans ce qu'il est. Ilfaut être habité par la vérité quiest dans le texte. Et après, ça sortcomme ça sort...Est-ce difficile de dire les mots deThomas Bernhard ? Que ressen-tez-vous quand vous le jouez ? Ah, c'est une jouissance pure...c'est une joie sauvage ! Son texteest très construit, très élaboré,avec dans le rythme quelque chosede très musical. Il faut entrer dans

cette langue et y trouver sa vérité.Quand j'ai commencé à travaillerles oeuvres de Thomas Bernhard,j'ai trouvé immédiatement la mu-sique et le phrasé de cette voix.J'étais comme une eau courant surdes cailloux et des diamants.Il y a dans cette pièce unegrande violence...Oui, c'est une violence quin'épargne rien. Elle casse tout : labêtise, le mièvre, le faux. Et enmême temps, elle est comme unappel à saisir une main tendue. Ily a une incroyable force d'amourdans cette violence...Le metteur en scène dit à un cer-tain moment : "le grand art oul'alcoolisme....j'ai choisi le grandart". L'humour, dans cette pièce,n'est jamais très loin...Ce n'est pas de l'humour, c'est ducomique ! Mais un comique trèssingulier, avec des noirceurs, etaussi des choses belles, lumi-neuses, poétiques. Thomas Bern-

hard était d'abord un poète...Vous avez souvent joué ThomasBernhard. Mais l'avez-vous ren-contré ? Non. Je ne le voulais pas. Je croisque je l'aurais mal rencontré. J'au-rais pris des attitudes, et des pru-dences fausses. Mais à la fin de savie, alors qu'il avait formellementinterdit qu'on le joue en Autriche,il a fait une petite exception pourmoi. J'ai pu le jouer à Vienne :mais seulement dans le cadre del'ambassade de France...

Propos recueillis par Jean-François Mondot

n Le faiseur d'histoires, de ThomasBernhard, mise en scène d'AndréEngel, avec Serge Merlin, au Domained'O, 178 rue de la carrièrasse, 34000 Montpellier, dans le cadredu Printemps des Comédiens, 04 67 63 66 67, du 14 au 16/06

@ Dunnara Meas

Jouer Thomas Bernhard, c'est une joie sauvage!

Serge Merlin jouera Le faiseur de théâtre de Thomas Bernhard (rebaptisé Le faiseur d'histoires,dans une mise en scène d'André Engel) qui sera undes événements du Printemps des Comédiens enjuin à Montpellier. Serge Merlin nous reçoit chezlui, en plein travail sur le texte. Il a cette voix devioloncelle, reconnaissable entre toutes, mais c'estun violoncelle timide, qui soupèse les questionsavec méfiance, et s'exprime par métaphores poétiques surprenantes et souvent très belles.

SergeMerlin

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n Carmen, de Georges Bizet, mise en scène Radu Mihaileanu, direction musicale Yannis PouspourikasOpéra en plein Air, 0892 68 36 22www.operaenpleinair.comDomaine départemental de Sceaux, 15-16/06Château du Champ-de-Bataille, 22-23/06Château de Vincennes, 29-30/06Domaine de Saint-Germain-en-Laye, 6-7/07Château de Haroué - 31/08 et 01/09Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides, 5-8/09

CARMENOpéra en plein air - Tournée

à partir du

15Juin

Théâtral magazine : Dans vosfilms vous parlez de forts tempé-raments féminins. Que repré-sente Carmen ?Radu Mihaileanu : Elle n’est pasjuste une séductrice tombantamoureuse de tous les hommes etqui finit dans le sang. Pour moi Car-men est un personnage féministerévolutionnaire qui teste la capa-cité d’amour de la société. Une bo-hémienne, issue d’un peuple malaimé et pas intégrée à la société sé-villane ; elle affronte sa conditionde femme et cette société qui sepense supérieure aux bohémiens.Femme assoiffée de liberté qui saitdepuis le début qu’elle risque detrouver la mort, sa relation à DonJosé est un espoir de briser leschaînes qui l’emprisonnent. Ellesera déçue qu’entre le clairon etson amour, le clairon gagne.

Comment mettre en scène cela ànotre époque ?Je vais élargir le monde des bohé-miens au monde des émigrés d’au-jourd’hui. Il y a le monde d’en hautet le monde d’en bas. Au début,seule Carmen ose aller dans celuid’en haut et les autres viennentdans le monde d’en bas pour serrerdes mains et se montrer. A la fin lesgitans viennent vendre des souve-nirs comme le font les émigrés aupied de la tour Eiffel. Je crée uneSéville comme une île, comme l’Eu-rope et le monde occidental, entou-rée par la mer et les bateauxfracassés. Il n’y a pas des contreban-diers cherchant de la marchandise,mais des passeurs qui viennentchercher des gens qui arrivent.Quelles sont les contraintes quevous impose le plein air ?Nous n’avons pas les structuresd’un opéra ou d’un théâtre, pas detringles, de machinerie, de change-ment de décors possibles entre lesactes. Les changements de sitesfont que l’on ne s’appuie jamais surle même type de décor. Parfoisj’utilise l’intérieur des châteaux et

je fais évoluer le chœur aux fenê-tres ; ce n’est pas toujours possible.Et il y a aussi les aléas liés aux cou-chers de soleils : en septembre ilfera nuit dès le début du spectacle,en juin il fera encore jour. Celachange les éclairages. Et il y a aussile vent ; je sais que cela ne va passonner comme dans un opéra. Oncraint toujours les musiciens et lesmusicologues. L’art c’est aussicette aventure-là : être exposé àl’échec comme à l’appréciation.

Propos recueillis parFrançois Varlin

Ce sera sa première mise en scène d’opéra, et sa première mise en scène en plein air. Le réalisateurRadu Mihaileanu a été choisi pour mettre en scènele célèbre opéra de Bizet Carmen cet été dans cescadres exceptionnels qu’offrent les grands monumentsà la tombée de la nuit. Passionné d’art lyrique, il souhaite le faire découvrir à ceux qui n’entrent ordinairement pas dans nos maisons d’opéras.

Radu MihaileanuOiseau rebelle en plein air !

@ Teresa Suarez

Carmen est un per-sonnage féministe

révolutionnaire qui testela capacité d’amour de lasociété...

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n Déjà la nuit tombait (fragments deL’Iliade), un spectacle de Daniel Jeanneteau d’après Homère, avec ThibaultLac et la voix de Laurent Poitrenaux,T2G 41 rue des Grésillons 92230 Gennevilliers, du 19 au 23/06n L’Avare, de Molière, mise en scène deLudovic Lagarde, avec Laurent Poitrenaux. Odéon Théâtre de l’Europe75006 Paris, du 2 au 30/06

DÉJÀ LA NUIT TOMBAITT2G - Gennevilliers

à partir du

19Juin

Théâtral magazine : Vous n’êtesque la voix du nouveau spectaclede Daniel Jeanneteau, Déjà lanuit tombait. Mais la soirée re-pose beaucoup sur vous.Laurent Poitrenaux : C’est unspectacle que nous avons donné ily a trois ans et demi aux Subsis-tances, à Lyon, dans le cadre de laBiennale de la danse. Jeanneteauavait distingué dans L’Iliade unchapitre particulièrement sensible.Achille a défié Hector en combatsingulier, il l’a tué et a porté soncorps hors des murs de Troie. Levieux Priam vient chercher lecorps. Entre Priam et Achille il y aun moment de compréhension etd’apaisement. Achille donne àmanger au vieillard arrivé avec sonâne. C’était un moment avec beau-coup de silence, d’obscurité, de re-lation avec le public. GilbertCaillat, qui arrivait avec un âne, est

mort depuis. Il sera présent dansnos pensées. Le danseur ThibaultLac reprendra son rôle d’Achille.Vous-même ne serez plus qu’unepartition sonore.On ne voulait pas reprendre le spec-tacle tel quel. Daniel Jeanneteau apréparé cette nouvelle version avecl’IRCAM, dans le cadre du festivalManifeste. Nous avons fait des en-registrements pendant trois se-maines, travaillé la voix, les timbres,les chuchotements. Les gens de l’IR-CAM vont mixer cette voix avec dessons et définir la spatialisation. Cen’est pas comme au cinéma. Jedonne là une vraie matière. Je suisla voix d’Homère, qui se déplace demanière flottante. Je m’attacheaussi à une langue très précise,d’une grande connaissance médi-cale de l’individu.Et L’Avare dans la mise en scènede Ludovic Lagarde ? C’est la première fois que je joueun “tube”, une pièce qui appar-tient à l’imaginaire collectif. Mêmeen Chine où nous l’avons donnédans plusieurs villes et où les ma-riages sont arrangés, la passion de

l’argent et la place de l’enfant sontdes thèmes familiers. C’est unemise en scène contemporaine.L’idée géniale de Ludovic Lagardeest qu’Harpagon n’a pas d’argentchez lui. Tout est virtuel ! L’appar-tement est plein de cartons et devalises. Harpagon est un usuriervraiment méchant, en colère etsournois. Quand j’ai relu la pièce,en la reliant au monde écono-mique, j’ai vu qu’il y a dedans unevéritable mécanique de guerre. Lespectacle est violent, avec des al-lers retours entre le déchaînementet le jeu froid.

Propos recueillis par Gilles Costaz

Il reprendra Le Colonel des zouaves et tous lesmonologues d’Olivier Cadiot l’an prochainmais, pour l’instant, Laurent Poitrenaux secontente d’être responsable pédagogique del’école du TNP à Rennes, de jouer L’Avare àl’Odéon et d’être la voix d’Homère dans Déjàla nuit tombait à Gennevilliers !

@ Pologarat

La voix d’HomèreLaurent Poitrenaux

Les gens de l’IRCAMvont mixer ma voix

avec des sons et définir laspatialisation...

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Yvan Attal joue Le Fils de Florian Zeller, à la Comédie des Champs-Elysées -> p. 86

Serge Merlin joue dans Le Faiseur d’histoiresau Printemps des Comédiens -> p. 42

Emmanuelle Devos et Pierre Arditi jouent dans Quelque part dans cette vie au théâtre Edouard VII -> p. 86

Radu Mihaileanu met en scène Carmen à Opéra en plein air -> p. 43

Judith Magre joue dans Une actriceau Poche-Montparnasse -> p. 14

Denis Podalydès met en scène Le Triomphe de l’amour auPrintemps des Comédiens puis aux Bouffes du Nord -> p. 10

Vincent Macaigne reprend Je suis un pays à la Colline -> p. 88

Marisa Berenson joue dans Berlin Kabarett au Poche-Montparnasse -> p. 35

Zabou Breitman anime la 30e Nuit des Molières -> p. 8

Têtes d’affiche

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François Berléand et Eric Elmosnino reprennent Ramsès IIaux Bouffes Parisiens-> p. 84

Laurent Poitrenaux joue dans Déjà la nuit tom-bait au T2G et dans L’Avare à l’Odéon -> p. 44

Barbara Schulz reprend avec Arié ElmalehLa Perruche au Théâtre de Paris

Georgia Scalliett joue dans L'Eveil du printemps à la Comédie-Française -> p. 88

Laurent Stocker joue dans La Locandieramis en scène par Alain Françon à laComédie-Française -> p. 36

Nicolas Briançon met en scène Le Canard àl’Orange du 18 au 28/06 au Festival d’Anjou

Gérard Depardieu chante Barbaraau Festival d’Anjou le 30 juin

Krzysztof Warlikowski met en scène On s’en vaau Printemps des Comédiens -> p. 52

Corinne Touzet joue dansVoyage en ascenseur au Rive Gauche -> p. 86

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n La Conférence des oiseaux, de Jean-ClaudeCarrière d’après Farîd-Ud-Dîn Attar, mise enscène de Guy-Pierre Couleau. Printemps des Comédiens, Domaine d’O, 34000 Montpellier, 04 67 63 66 67, du 22 au 30/06

Théâtral magazine : Pourquoi vousintéressez-vous à ce texte quePeter Brook a monté en 1979 ?Guy-Pierre Couleau : Après LeSonge d’une nuit d’été, je ne voulaisplus d’une grande dramaturgie,plutôt un chemin de traverse, unsentier inconnu par rapport auxgrandes routes. J’ai lu 45 pièces,qui ne correspondaient pas à cedésir, puis je suis tombé sur cetexte dont, lycéen, j’avais vu lacréation par Peter Brook mais dontj’avais peu de souvenirs. C’est unepièce qui parle si bien de laconnaissance des autres et de soi-même ! J’en ai parlé à Jean Varela,qui dirige le Printemps des Comé-

diens et qui voulait que je vienneà son festival. Il m’a programmésur huit soirs. Et j’ai rencontré Jean-Claude Carrière, qui a adapté letexte et avec qui je corresponds ré-gulièrement tout au long de cettepréparation. Qu’est-ce que cette Conférencedes oiseaux, tirée par Jean-Claude Carrière d’un texte soufidu XIIe siècle ? Tous les oiseaux du monde, d’es-pèces connues ou inconnues, seréunissent à la demande de laHuppe. Pour elle, la situation ac-tuelle de guerre et de divisions nepeut plus durer. Il faut partir à ladécouverte de la planète. Un petit

groupe d’oiseaux part avec laHuppe à la recherche du roi Si-morg, mais, au-delà de cela, à la re-cherche de la souveraineté de leurâme. Cela pose des questions es-sentielles : que cherche-t-on ?qu’est-ce que l’essentiel ? C’est uneplongée dans l’invisible. La piècede Carrière est très concrète, avecdes scènes de théâtre à l’intérieurd’un récit de théâtre, des tragédiesen pleine drôlerie. C’est un voyageinitiatique.Comment le mettez-vous enscène ?Il y a dix comédiens pour 30 rôles,rien que des acteurs qui ont unegrande personnalité et avec qui jerèglerai la place des masques (queles acteurs ne porteront pas tout letemps) et les mouvements. Car il yaura des masques de Kuno Schle-gelmich. Camille Penager fera descostumes simples mais très particu-liers. Delphine Brouard a conçu unplateau rouge et carré. Il y aura destables de maquillage et des miroirs.Tout se fera à vue, tout sera avoué.Rien de caché. Tout sera montrépour accéder au sens. Le vraivoyage, c’est le voyage de l’esprit,depuis le poète persan et Jean-Claude Carrière jusqu’au specta-teur en passant par nous-mêmes.Ce qui est difficile, c’est de resterdans la narration, l’incarnation etl’adresse, de ne pas perdre le mou-vement des moments joués et desparties racontées au public.

Propos recueillis par Gilles Costaz

LA CONFÉRENCE DES OISEAUXPrintemps des Comédiens – Montpellier

à partir du

22Juin

Excellent directeur de la Comédie de l’Est, à Colmar, Guy-Pierre Couleau arrivera en fin de mandat à lafin de l’année. Il rêve d’un autre lieu mais, dans l’immédiat,met en scène l’un des événements du Printemps des Comédiens, La Conférence des oiseaux, à Montpellier,spectacle qui sera repris à Colmar à la rentrée et fera une longue tournée.

Guy-Pierre Couleau

Du visible à l’invisible

@ Serena-Carone

48 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Théâtral magazine : Dix ans après sapremière venue en France, commentappréhendez-vous la reprise des Tra-gédies romaines ? Chris Nietvelt : Depuis sa création, lespectacle a évolué. Beaucoup de co-médiens ont changé, ce qui crée denouvelles formes de jeu et de tension.L’an passé, lors de sa présentation àLondres, nous avons été pris d’undoute. Fonctionnait-il encore ? Disait-il toujours quelque chose de notretemps ? La réaction très enthousiastedu public nous a prouvé qu’il était plusque jamais d’actualité. Il y a 11 ans, ilracontait la naissance de la démocra-tie ; aujourd’hui, il fait écho à la mon-tée des populismes. Ce nouveau climatpolitique nous donne toutes les raisonsde le jouer à nouveau.Cette évolution, la percevez-vousaussi dans le couple mythique, An-toine et Cléopâtre, que vous formezavec Hans Kesting ?Nous aussi, nous avons vieilli ! Le vieil-lissement des corps impose une autredynamique à notre duo, mais je croisqu’il fonctionne encore. Il montre tou-

jours la puissance d’un amour universel,plus fort que la politique, pour lequelune personne est prête à sacrifier sa vie.Notre jeu est aussi influencé par les in-teractions avec le public, invité à mon-ter sur scène. En 2007, nous avionsinstallé un endroit réservé à Internet.Les spectateurs pouvaient y laisser desmessages qui étaient projetés sur unécran. Mais, maintenant, avec lessmartphones, chacun tape lui-mêmeses messages, prend des photos ou desfilms. C’est à la fois étrange et exaltant.Vous avez incarné de nombreusesfemmes shakespeariennes. Qu’ont-elles de si particulier ?Je les trouve toutes extraordinaires etai développé des histoires avec cha-cune d’elles. En Cléopâtre qui veutmourir pour son amant, en Juliette quiconnait son premier amour, en Ger-trude, la mère d’Hamlet, qui veut resterreine alors que son fils peut devenir roi,je retrouve une partie de moi. Je croisque nous jouons toujours les pièces deShakespeare grâce à ces histoires uni-verselles.Vous avez passé toute votre carrière

au sein d’une troupe. Pourquoi avoirfait ce choix ?Cela me donne une sécurité. Lors desrépétitions, 95% des choses que l’ontente sont ridicules. Pour oser ce ridi-cule, il faut être en confiance. Pourmoi, les membres du ToneelgroepAmsterdam sont comme une famille.Ils me réclament de nouvelles choseset m’encouragent à me dépasser. C’estaussi la conception d’Ivo van Hove,avec qui je travaille depuis 30 ans. Ildemande constamment à ses acteursde jouer à la frontière entre l’imagi-naire et le réel, de rendre le plus réa-liste possible ce qui n’est jamais vrai.Pour moi, c’est l’acmé du théâtre.

Propos recueillis par Vincent Bouquet

TRAGÉDIES ROMAINESThéâtre national de Chaillot – Paris

à partir du

29Juin

Fidèle parmi les fidèles d’Ivovan Hove, la comédienne réendosse le rôle de la plus célèbre des reines d’Egypte àl’occasion de la reprise des Tragédies romaines au Théâtrede Chaillot. Fresque politiqueshakespearienne rassemblantCoriolan, Jules César et Antoineet Cléopâtre, ce spectacle-fleuve a su se réinventer au gréde ses onze années de tournée.

Chris Nietvelt

n Tragédies romaines, d’après Coriolan,Jules César et Antoine et Cléopâtre deWilliam Shakespeare, mise en scène d’Ivovan Hove, Théâtre national de Chaillot, 1 place du Trocadéro, 75016 Paris, 01 53 65 30 00, du 29/06 au 05/07

une Cléopâtre d’anthologie

50 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Théâtral magazine : Vous mon-tez On s’en va comme une suitede Krum ?Krzysztof Warlikowski : Ce sontdeux pièces qui se ressemblentbeaucoup. Dans Krum il y a deuxmorts et dans la seconde huit.C’est un peu les mêmes person-nages quinze ans après. Cela sepasse toujours dans la même pro-vince, mais c'est beaucoup plusdéveloppé, avec plus de familles,et toute la communauté qui se re-trouve au moment des enterre-ments. On peut établir desparallèles entre des couples desdeux pièces. Il y a aussi un person-nage extérieur : dans Krum, c'étaitune femme qui avait réussi à vivreavec un étranger et dans On s’enva, c’est une touriste américainequi arrive par hasard au momentde l'enterrement de quelqu'un.Le point commun de tous cespersonnages, c’est qu’ils veulents’en aller…Parce que quinze ans après, rienn’a changé. Dans Krum, on pou-vait reconnaître des familles polo-naises. Hanokh Levin, l’auteur, estjuif, mais sa famille venait de Po-logne et il y a beaucoup de res-semblances dans la pièce entre laPologne et Israël. Krum lui-même,cet homme sans qualité, c'était un

peu moi. Et les jeunes, qui se ma-riaient et rêvaient de belles car-rières se retrouvent quinze ansaprès avec des enfants dans unesituation qui a empiré. Au pointqu’ils ne peuvent plus vivre dansce pays. C’est pourquoi ils parlentautant de partir. Mais on ne peut pas toujourspartir…Pour certains, ce n'est pas possi-ble, et d'ailleurs on sait bien quemême si on partait, ce serait pouraller où ? C’est le monde entier quitraverse une crise très grave : le re-tour de Berlusconi en Italie, Pou-tine toujours au pouvoir, l'échecabsolu après le premier présidentnoir des Etats-Unis, les gangstersau pouvoir avec Trump, le libéra-lisme français avec Macron, lesidées vieillottes de l'Europe entre-tenues par l'Allemagne et laFrance… On n'est pas dans unmoment très inspirant. Vous-même, vous êtes parti dePologne ?Je suis né dans un pays commu-niste et ma force venait de lahaine que j'avais pour ce pays queje voulais quitter. En 1989, cela achangé, la Pologne allait versl'avenir, la démocratie, l'Europe. Et

on a participé à construire ce nou-veau pays. Et puis cet avenir qu’onespérait s'est écroulé et la Po-logne a basculé dans le popu-lisme, le patriotisme et dans undélire religieux intenable. Finale-ment 25 ans après, l’Est est re-tombé dans la folie et l'Europe estencore plus partagée qu'avant… Quelle est la place des artistesdans ce contexte ?Je n’ai pas l’ambition de parler dessystèmes ; ma façon de faire de lapolitique c’est de raconter des his-toires d’êtres humains. Au fond,l'art nous donne un chez nous, unespace où on peut se questionner,s'ouvrir, se fragiliser. Mais il n’y aplus d’autre paradis.Vous n'en voyez vraiment aucun ?Si chez moi. Dans ma tête (rires),où il y a toujours de l'espoir tantqu’elle résiste. Or vous pouvezconstater qu’elle est perturbéeaussi (rires).

Propos recueillis par Hélène Chevrier

ON S'EN VAPrintemps des Comédiens – Montpellier

à partir du

29Juin

@ Bartek Barzecha

Quinze ans après Krum, Krzysztof Warlikowskimonte une autre comédie grinçante de Hanokh Levin,Sur les valises (sous-titrée Comédie en huit enterrements),qu’il a rebaptisée On s’en va et dont les personnagespourraient très bien être ceux de Krum quinze ansaprès, cassés dans leur enthousiasme pour une viemeilleure. En filigrane, le metteur en scène polonais yvoit les effets de la politique ultra-conservatrice de sonpays tombé en plein fantasme patriotique.

Où sont les paradis ?

KrzysztofWarlikowski

52 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

n On s’en va, d’après Sur les valises, d’HanokhLevin, mise en scène Krzysztof WarlikowskiPrintemps des Comédiens, Théâtre JC CarrièreMontpellier, 04 67 63 66 67, 29 et 30/06

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Dossier

Marie Nicolle et Jérôme Kircher dans Le Mental de l’équipe, d’EmmanuelBourdieu et Frédéric Bélier-Garcia, photo Philippe Delacroix54 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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e peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains defootball et les scènes de théâtre qui resteront mes vraiesuniversités”, expliqua Albert Camus, assumant ainsi sa tra-jectoire populaire. Longtemps, l’intelligentsia française aéprouvé un lourd mépris pour ce sport qui sentait la crassedes usines et la sueur des vestiaires.

Le football, aujourd’hui, a pris des atours plus brillants,diamants à gogo, bolides et mannequins dernier cri. Il est devenu lebras armé des soirées people, des réseaux mondiaux connectés et deleurs écrans publicitaires à prix d’or. Il faut la force de conviction d’uneVirginie Despentes pour s’amuser de voir l’argent passer dans d’autresmains, même si les nouveaux riches ne lui paraissent pas moins ab-jects que les anciens.

Il n’est pas certain que les amateurs de foot soient plus nombreuxqu’autrefois dans les milieux théâtraux mais la nouveauté, c’est qu’ilsne se cachent plus et que le football peut monter sur les planches, duMental de l’équipe d’Emmanuel Bourdieu et Frédéric Bélier-Garcia àStadium de Mohamed El Khatib.

Camus avait raison, on apprend beaucoup de l’existence avec unjeu “où le ballon n’arrive jamais où l’on croit”, où l’intensité peut at-teindre des sommets dans une même unité de lieu et de temps (queltragédien oserait imaginer des finals aussi haletants que ceux propo-sés par certains matches ?), où la solitude et la solidarité se conju-guent suivant autant de conceptions du monde. Le célèbre managerde Liverpool, Bill Shankly, aurait dit un jour : “Le football n’est pas unequestion de vie ou de mort, c’est quelque chose de plus important.” Cemystérieux aphorisme ferait un merveilleux sujet de pièce.

Patrice Trapier

Avec les interviews de : Mohamed El Khatib, Denis Podalydès, Alain Françon, Massimo Furlan, Gongle, Jean-Louis Benoit, Jean-Philippe Daguerre, François Bégaudeau

Lfoot et théâtre

à l’occasion de la Coupe du monde de football

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 55

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DOSSIER

Ahmed et “le football commu-niste”Comme nombre de Marocains, lepère de Mohamed El Khatib, Ahmed,suit avant tout le football espagnol.Avec une admiration maximale pourl’équipe “la plus communiste”, cellede FC Barcelone. Ouvrier dans unefonderie proche d’Orléans qui fabri-quait des bombes pour l’armée fran-çaise, Ahmed El Khatib a toujoursprôné des valeurs de solidarité. C’estpourquoi il préfère le football collectif

et offensif du Barça à celui plus indi-vidualiste du Real Madrid (sans doutemoins depuis que Zidane en est l’en-traîneur). En France, le “foot communiste” a étélongtemps représenté par le FCNantes et son beau jeu tout en mou-vements solidaires mais aussi par lesprincipes humbles et rigoureux del’AS Saint-Etienne et du RC Lens, lesclubs des anciens bassins miniers.Communiste mais pas sectaire,Ahmed El Khatib a pu aussi s’enthou-

siasmer pour des moments d’incan-descence comme ceux du “grand OM”de Jean-Pierre Papin, Enzo Frances-coli, Abedi Pelé et Chris Waddle. Le sport, comme la guerre, étant unecontinuation de la politique par d’au-tres moyens, l’épopée de l’OM expri-mait la revanche de ces “Sudistes”méprisés et peu fréquentables, à lamanière du Napoli de Maradona.Comme la victoire de la sélection ar-gentine sur les Anglais, lors de laCoupe du Monde 1986, réponse étin-celante à la défaite militaire subieaux îles Malouines face aux troupesde Margaret Thatcher.

Mohamed, le “numéro 7” Dans de nombreuses familles popu-laires, on travaille d’abord, on discuteensuite, quand on a le temps, c’est-à-dire pas souvent. Mohamed El Khatiba vite compris que le football était lebien commun des sans-voix, un bonmoyen de partager sans forcément separler. Dans la famille El Khatib, il yeut quatre filles et un seul fils qui dé-veloppa de belles qualités avec unnuméro 7 sur le dos, un sacré numéro,celui de George Best, Eric Cantona,Cristiano Ronaldo et… François Hol-lande. Mohamed El Khatib aurait pu inté-grer l’Institut national du football deClairefontaine ou les centres de for-mation de Strasbourg, Angers,Auxerre ou même du PSG. A chaquefois, des blessures aux genoux contra-

L’automne dernier, Stadium a transformé pendantdeux semaines le théâtre de la Colline en tribune de football et baraque à frites. La pièce a déclenché un tourbillon de réactions, le plus souvent enthousiastes, parfois critiques. Après avoir mis en scène la mort de sa mère (Finir enbeauté) ou le destin dansant d’une femme de ménage (Moi,Corinne Dadat), Mohamed El Khatib poursuivait ainsi sontravail de théâtre documentaire en mettant en scène l’expression d’une cinquantaine de supporters du RC Lens.La pièce tourne désormais un peu partout en France, bientôt en Europe et en Amérique. Mohamed El Khatibaime le foot qu’il a failli pratiquer au plus haut niveau et lethéâtre qu’il pousse loin du champ des préceptes classiques.Lors d’une longue conversation à bâtons rompus, il nous aparlé de ses deux passions et de leurs interactions.

Mohamed El Khatib

Le foot dansle Sang

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FOOT ET THEATRE

rièrent sa progression mais c’est sur-tout la question des études qui seposa. A 15 ans, Mohamed était en se-conde, il avait été sélectionné pourdeux matches de l’équipe de Francede sa catégorie d’âge. Son père exi-gea un certificat du professeur princi-pal acceptant les deux semainesd’absence. Et quand l’AJ Auxerre pro-posa un joli chèque pour enrôler lejeune garçon, Ahmed refusa. Le foot,c’est bien gentil, pensait-il, maisl’école est un moyen plus certain pouréviter l’usine.Mohamed El Khatib a continué à pra-tiquer le footballeur en amateur, à unbon niveau, il a même joué un 32e definale de Coupe de France mais rapi-dement l’hypokhâgne et la khâgne àOrléans, Sciences Po à Rennes, sondoctorat de sociologie l’ont porté versd’autres horizons… Ahmed El Khatibn’a pas compris que son fils choisisseune vie d’artiste plutôt que devenir“docteur en quelque chose”, avocat,ingénieur ou médecin… Il n’est ja-mais venu voir une pièce de son fils etpas souvent l’un de ses matches defoot. Quand il était présent, c’étaitpour ne lui parler que de son seulgeste raté. Dans les familles ou-vrières, on s’aime sans se faire decompliments.

La passion des supportersAu foot, Mohamed El Khatib avaitplusieurs qualités qui toutes plai-saient au public et sont des voies decompréhension de son travail scé-nique : il adorait multiplier les drib-bles (le spectacle) ; il courait vite etlongtemps, il “mouillait le maillot”,avait le sang chaud et prenait beau-coup de cartons rouges (l’engage-ment) ; il organisait le jeu de l’équipe(la mise en scène).“Quand je réussissais un petit pont, je

ressentais la vibration des specta-teurs. J’ai retrouvé cette communionau stade Bollaert de Lens pour la pré-paration de Stadium. Je me souviensd’un match, un lundi soir d’hiver,contre Bourg-en-Bresse. Sur le terrain,c’était très triste mais les tribunes deBollaert étaient pleines. J’ai ressenti lachair de poule pendant les chants,quand vous sautez dans les bras dequelqu’un que vous ne connaissez pas.J’aime ces passions généreuses et dés-intéressées.”

La scène et le stadeL’ascenseur scolaire s’étant durable-ment bloqué, le stand-up et le foot-ball sont devenus des horizons pourles jeunesses défavorisées. “Je pré-pare en ce moment un travail avec desenfants de différents milieux sociaux.C’est terrifiant. A 8 ans, tout est jouéou presque. Dans des établissementsfavorisés parisiens, l’aisance des en-fants frisent l’arrogance. A l’inverse,dans certains territoires abandonnés,il y a bien encore quelques profs mili-tants mais plus cette présence descommunistes qui prenaient en chargel’éducation populaire. Avec le CE del’usine de mon père, je suis allé au Fu-turoscope, au château de Versailles, ily avait les enfants d’ouvriers et les en-fants de cadres. Il n’y a plus que les tri-bunes de foot qui offrent cette mixitésociale.”

Le football et le territoireSi l’on évoque 1998 avec les suppor-ters lensois, ils ne penseront pasd’abord à la victoire des Bleus enCoupe du monde mais au seul titre dechampion de France de l’histoire duRC Lens. Leur viendront à l’espritmille souvenirs, la rudesse du patronde la défense, le barbu Jean-Guy Wal-lemmes, les chevauchées de l’ailier

vif-argent, Tony Vairelles, et son in-vraisemblable coupe de cheveux…Le foot rythme leur vie au même titreque les chansons populaires. Depuisle club végète en L2, la dégradationsportive accompagne la casse socialeet culturelle de la région. Dans Sta-dium, Yvette raconte qu’elle est alléeconsulter une voyante, elle voulait sa-voir combien d’années il lui restait àvivre. A la place, elle a demandéquand le RC Lens remonterait en L1.

Foot-enfance “Le foot fascine par sa simplicité, soncaractère universel. Une boule de chif-fon, deux sweats pour faire les buts, lapartie peut commencer. J’aime cettepart de magie liée à l’enfance. Autantje trouve un peu dur de payer 80euros pour aller à l’Opéra, autant jetrouve cela naturel pour aller voirjouer Hatem Ben Arfa. C’est un magi-cien ; jeune, il était plus fort que tousles autres, c’est mentalement que celan’a pas suivi. C’est un gamin cabossé,il a été seul ou mal accompagné.” Il y a un parallèle intéressant entreles joueurs et les acteurs. “L’ancien sé-lectionneur de handball, ClaudeOnesta, explique que le joueur seplanque en permanence et donc quele coach est obligé d’aller le traquerpour qu’il donne le meilleur de lui-même, qu’il cesse de s’appuyer sur satechnique. Avec les comédiens, c’estun peu pareil, il faut les forcer à sortirde leur zone de confort, les débusquerpour qu’ils se mettent en danger afinde donner de la vérité, de l’authenti-cité. Finalement, Onesta ou l’entraî-neur italien du FC Nantes, ClaudioRanieri, je suis certain qu’ils pour-raient faire de la direction d’acteur,animer les causeries avant les repré-sentations, trouver les bons mots. Au foot comme au théâtre, il faut veil-

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DOSSIER

ler à jouer collectif, que chacun sachemettre ses partenaires dans de bonnesconditions. Pour ma première pièce,j’avais sept comédiens professionnels,ça a été un fiasco. Les amateurs, eux,ils ne cherchent pas à se planquer, ilsn’ont pas la technique pour ça.”

Cavalier, Giotto et le PSG“Le football est peut-être devenu à lamode pour les “people” qui fréquen-tent la corbeille du Parc des Princesmais dans le théâtre, en dehors dequelques vrais amateurs (Julien Gos-selin, Denis Podalydès ou Eric Elmos-nino) qui n’ont pas peur de s’afficheravec L’Equipe, cela reste quand mêmetrès limité. En revanche, pour ceux quiaiment, c’est vraiment incondition-nel.” Quand Alain Cavalier et Mohamed ElKhatib se retrouvent sur scène pourleurs conversations régulières, ilstremblent que les dates des représen-tations puissent coïncider avec unmatch important. Pendant la Coupedu monde 2006, Alain Cavalier étaità la campagne, sans télé. Des copainsavaient oublié de venir le chercherpour un match de l’équipe de France.Cavalier s’est morfondu quelques ins-tants avant de partir à pied pour levillage distant de cinq kilomètres.Quand il est entré dans le café, pourla deuxième mi-temps, les clients ontcru à une apparition divine. Ilsavaient confondu le cinéaste avecAimé Jacquet.La première fois où Cavalier et El Kha-tib se sont vraiment parlés, c’était lorsd’un déjeuner à Orléans. Il y eut unlong silence puis la conversation s’estfocalisée sur Zlatan Ibrahimovic.Alain Cavalier s’est alors exclamé :“Mais pourquoi avons-nous tant at-tendu pour parler de choses essen-tielles ?” Une autre fois, Cavalier

laissa plusieurs messages sur le ré-pondeur d’El Khatib, inquiet de son si-lence puis il finit par comprendre qu’ily avait un match à la télé, ce qui luisuggéra ces quelques phrases qui for-ment l’exergue de Stadium. “Giottod’accord, Vézelay, on est d’accord, lessuites de Bach OK, la Chapelle Sixtine,si on veut mais franchement, à côtéd’un PSG-Chelsea, c’est la rigolade…”

L’opium du peuple“En travaillant sur Stadium, j’ai com-pris l’erreur fondamentale de la thèsedu sociologue Jean-Marie Brohm sur“le football, peste émotionnelle” quiconsidère comme intrinsèques les dé-rives de ce sport. Il y a bien entendudes supporters violents, racistes, ho-mophobes mais bien moins qu’on nele croit. De la même manière que monpère considérait qu’il était indécentqu’un joueur gagne cinquante fois lesmic, bien des supporters ont du reculpar rapport à la marchandisation li-bérale du foot. A Lens, j’ai découvertdes caisses de solidarité pour aider lesplus pauvres alors que la moyenne dessupporters n’a déjà pas grand-chosepour vivre. J’ai découvert aussi que,malgré tout ce qu’on sait de la pous-sée du FN dans cette région, certainssupporters allaient aider des clandes-tins cachés dans une forêt. Les supporters ne sont pas que desskinheads fachos, loin de là. Il y a desjeunes gens hyper-brillants qui se bat-tent avec des avocats contre les inter-

dictions préventives de stades ou lespartages de fichiers entre la police, lesclubs et les stades qui sont en train dedevenir des entreprises privées. Le footest un laboratoire d’expérimentationsécuritaire. Après une représentationde Stadium, le défenseur des droits,Jacques Toubon, m’a dit qu’il trouvaittrès juste cette partie du spectacle :quand il met en garde les policiers quienfreignent des lois fondamentales,ceux-ci répondent que c’est déjà lanorme dans le football.”

Gérard Philipe, le “numéro 9”“J’ai fait Stadium pour montrer surscène de nouveaux visages et de nou-velles questions. L’un des effets colla-téraux bienheureux, c’est que dessupporters de Lens soient maintenantà l’aise dans les festivals, ils vont voirdes pièces de théâtre sans moi. Quandje vois Nelson, 8 ans, qui pleure à la find’une tournée parce qu’il veut conti-nuer à faire du théâtre, je me dis quetout est possible à condition que larencontre soit mutuelle et que nos mi-lieux privilégiés s’interrogent sur le re-tour des interdits sociaux. A l’époquedu grand théâtre populaire, GérardPhilipe n’aurait pas imaginé Avignonsans les parties de foot qui s’organi-saient entre les représentations, il por-tait le numéro 9 de l’avant-centre.Quand Denis Podalydès se précipiteen coulisses pour s’informer sur le ré-sultat d’un match avant de retournersur scène donner sa réplique, je trouvecela réjouissant. Cela met le théâtre àsa juste place, celle d’une pratique cul-turelle parmi d’autres.”

Patrice Trapier

Quand Denis Podalydèsse précipite en

coulisses pour s’informerd’un match, cela met lethéâtre à sa juste place,celle d’une pratique culturelle parmi d’autres...

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FOOT ET THEATRE

Qu’est-ce qui vous a amené àl’époque à monter ce projet co-écritpar Emmanuel Bourdieu et FrédéricBélier-Garcia ?Denis Podalydès : Emmanuel et Fré-déric avaient imaginé cette fantaisiedans le cadre d’une manifestationthéâtrale qu’organisait PhilippeAdrien au Théâtre de la Tempête, paramusement, goût du football et désird’expérimenter ce rapprochemententre un plateau et un terrain de foot.Ce fut un vrai et beau succès. Le sujetvéritable était ce qui peut se passerdans la tête d’un joueur en fin de car-rière, le jour de son dernier match.Frédéric et Emmanuel s’étaient beau-coup intéressés aux théories, aux mé-thodes psychologiques, aux façons depenser qu’on rencontre dans le foot-ball, le sport en général, cette notionparticulière de "mental". Toute lapièce se concentrait sur un moment :le joueur en question (Jérôme Kir-cher) était fauché, et réclamait à sonentraîneur le droit de tirer le coup-franc. C’était dans ce moment dilatéque se déroulait la pièce. L’entraîneuret le préparateur psychologiquevoyait tout le mental de l’équipe s’ef-friter. Existe-t-il des liens entre le foot etle théâtre ?Ce sont deux scènes sur lesquelles sejouent drames, comédies, parfois tra-gédies, parfois farces. Et c’est si pré-

sent dans notre monde — la présencedu foot dans les médias — que tout lemonde, amateurs ou non, s’y retrouve,investit ces terrains, s’identifie ou secontre-identifie. C’est une agora surlaquelle on peut jouer des situationsemblématiques. Les fantasmes guer-riers notamment s’y déploient à loisir.La symbolique militaire, les valeurspatriotiques, y sont à la fois circons-crites, plus ou moins contenues — il ya des règles strictes — et suractivées.Qu’est-ce que le théâtre peut tirercomme enseignement du foot ?Des notions de rythme, le sens du col-lectif, la charge émotionnelle, la tech-nique poussée jusqu’à l’Art, tout cequi est aujourd’hui si important dansle football que nous voyons, même sinous ne le regardons pas toujours.Si le foot attire autant, est-ce àcause de ce qui se passe sur le ter-rain ou dans les tribunes avec lessupporters ?C’est sans doute malheureux à dire :mais l’afflux d’argent dans le foot, at-tirant investisseurs, médias, grandsjoueurs, entretient une surenchèrepermanente qui suscite un gigan-tesque déploiement d’énergie, phy-sique, technique, artistique,dramatique, etc, si bien que le footballest aujourd’hui à la fois une immensemétaphore et un grand miroir, à la foisnarcissique et aux alouettes, où l’en-semble du monde social se reflète et

se leurre. Et curieusement, du côté dessupporters, le peuple est de moins enmoins représenté, les places étanttoujours de plus en plus chères et lesmatches de plus en plus retransmis etdiffusés sur de multiples supports ; cequi provoque une immense amer-tume des supporters historiques, uneviolence à peine sublimée — avec lesdébordements que l’on enregistre se-maine après semaine, ou une déser-tion, voire une certaine indifférence.L’ambiance des stades anglais ressem-ble parfois à l’ambiance paisible, dis-tanciée, voire guindée d’un public dethéâtre ou d’opéra. Il est encore, jecrois, quelques stades qui maintien-nent fermement leur assise populaire,comme Lens, Guingamp. Paris s’y em-ploie. Mais c’est comme si la notion desport populaire était devenue vir-tuelle, alors que le football s’est pla-nétarisé, qu’un match au Parc desPrinces peut enflammer le public chi-nois.

Propos recueillis parHélène Chevrier

En 2006, Denis Podalydès mettait en scène avec Frédéric Bélier-Garcia Le Mental de l’équipe, une pièce qui propulsaitles spectateurs dans la tête d’un joueur à deux minutes de la fin d’un match…

Drames et comédies dans le foot

@ Philippe Delacroix

Denis Podalydès

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HORS-JEUQuand un joueur est hors-jeu, le jeus'arrête. L'arbitre siffle parce qu’engénéral un des avants d'une équipe adépassé la ligne arrière de l'autre. Authéâtre, il y a des acteurs qui sonthors-jeu, qui franchissent parfois leslimites mais pas dans le bon sens, etdéséquilibrent la représentation.

SURFACE DE RÉPARATIONC’est la surface qui est devant la cagedu gardien et la scène peut aussi êtreune surface de réparation dans lesens où à travers des fictions, on peutmettre en évidence des processus so-ciaux ou d’autres natures qui ne vontpas forcément dans le sens de la jus-tice. La tragédie antique servait aussià ça ; elle examinait la justesse de laloi et ses conséquences sur la démo-cratie athénienne.

JOUER BÉTONIl y a longtemps, on disait que lesjoueurs de l'équipe d'Italie jouaient“béton”. C'est à dire que les lignes ar-rière jouaient pour fermer le jeu desorte que les avants de l'équipe ad-

verse avaient énormément de mal àpénétrer la surface de réparation decette équipe-là et à marquer des buts.Il y a des acteurs aussi qui n'ont pasenvie de s'aventurer dans des formesplus complexes et qui jouent béton,c’est à dire qu’ils se mettent un petitpeu en réserve.

JEU À UNE PASSESouvent on parle de jeu à une passequand c’est un jeu assez génialcomme celui que pratique l’équipe duBarça ou celle d'Espagne. Et c'est tou-jours très beau quand au théâtre lejeu des répliques est très fluide, queles acteurs dialoguent vraiment. Letemps passe très vite.

JOUER PERSOJouer perso, c'est quand les joueursdribblent sans arrêt, oublient les au-tres et finalement mettent leuréquipe en échec. Jouer perso au théâ-tre c'est pareil. Même si un acteur estbon, s'il n'est pas dedans, on dira qu'ilest bien mais qu'il ne joue pas forcé-ment la pièce.

L’ENTRAÎNEURL’entraîneur d’une équipe, c’est unpeu comme le metteur en scène d’unepièce. Quand on fait de la directiond'acteurs, on a l’impression d’accom-pagner les acteurs. C’est la mêmechose pour l’entraîneur de foot avecses joueurs.

L’ÉQUIPEComme sur un terrain de foot,l'équipe sur un plateau est impor-tante. Il y a des vraies combinaisonsde jeu qu'on travaille et qui sont res-pectées, ce qui fait que tout le mondeest vraiment à sa place. La différencec’est qu’au théâtre il n’y a pasd’équipe adverse.

LES SPECTATEURSAu foot, quand les spectateurs ou lessupporters font consensus et se met-tent à avoir des réactions identiques,il n'y a plus d'individualité à l'intérieurde l'ensemble. Le philosophe Tous-saint de Santi disait : "nous ne voitrien". C'est-à-dire que dès qu'on faitconsensus, on fait masse et on ne voitrien. Cela peut s'appliquer aux sup-porters. Au théâtre, les spectateurseux conservent leur individualité etleur esprit critique.

MARQUER UN BUT Marquer un but au théâtre, cela pour-rait vouloir dire faire passer le mes-sage mais tout en restantinterrogatif. Tandis que dans le foot,c'est définitif ; on marque un point.

Propos recueillis parHélène Chevrier

DOSSIER

Alain Françon Vocabulaire commun

Il n’y a pas de hasard ; le metteur en scène etancien directeur de la Colline Alain Françon est né àSaint-Etienne, haut-lieu du football français et il est fande foot. Mais s’il n’a pas poussé la passion jusqu’à mon-ter un spectacle sur le ballon, il s’est toutefois interrogésur les liens entre théâtre et foot. Particulièrement surun vocabulaire commun aux deux disciplines.

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FOOT ET THEATRE

Pourquoi ce match est-il si mythique ?Massimo Furlan : S’il a autant mar-qué les esprits, c'est d’abord parce quec’est un match formidable, d'une qua-lité et d'une tension absolument ex-traordinaires et puis il y a cetteinjustice, l'agression du gardien alle-mand sur Battiston. Mais les grandsmatches sont souvent source d’injus-tice ou de mauvais arbitrage. Et puisc'est peut-être aussi en termes defoot, le sommet d'un football roman-tique. Pourquoi romantique ?Parce que c'était vraiment un beaufootball, avec une construction de jeuoffensive, des joueurs techniciens in-ventifs. Et quand je dis que c'est lesommet, c'est parce que c'est le der-nier avant la chute ; après ce match,le foot français change.À cause de quoi ?À cause justement de ce foot idéalisteet romantique qui a mené à la plusbelle défaite de l'histoire. Mais quandmême à une défaite. Donc, on va fairemûrir le foot français en termes detactique, de professionnalisation,pour faire de la France championne

d'Europe et ensuite championne dumonde. Avec un foot spectacle vivantauquel on peut aller assister. Et c'estfilmé comme de la fiction. On fic-tionne même les joueurs,on leur prête des émo-tions. Mais technique-ment et sportivement,c'est du très haut niveau. Pour vous, c'est uneforme théâtrale ?Évidemment, un match defoot c'est une histoirecréée en direct. On joued’ailleurs la fameusedemi-finale comme sic'était une pièce de théâ-tre écrite. Avec Numéro10, j'ai joué un des ac-teurs, Michel Platini. Etc’est inépuisable. On enredemande comme les en-fants qui veulent réenten-dre l’histoire qu’ilsconnaissent par cœur duPetit Chaperon Rouge.Parce qu'il y a des mo-ments où ils ont peur, desmoments où ils sont heu-

reux, que ça va leur provoquer desémotions et des sentiments très forts. Comment rejouez-vous le match : y-a-t-il une part romancée, improvisée ?Il n'y a aucune nécessité de romancerou de modifier. Il faut prendre lematch tel quel. L'interruption de jeupar exemple quand Battiston estblessé et évacué dure 10 minutes ; onjoue ces minutes intégralement. Enrevanche, il n’y a qu’une équipe,l’équipe française. Donc pas d’adver-saire ni de ballon. On est vraimentdans la chorégraphie. Et puis il y a deux commentateurs deCanal+ qui commentent les imagesd'archives pendant toute la durée dumatch tout en faisant des allers re-tours avec ce qui se passe sur le ter-rain pour voir si ça colle et mettre unpeu d'humour, de tendresse.

Propos recueillis parHélène Chevrier

Massimo Furlan

Au cours de la demi-finale de la coupe du monde de 1982à Séville, le gardien de but allemand, Schumacher, envoiele joueur français Battiston dans le coma. L’arbitre ne voitrien. Le match se termine aux tirs aux buts et l’Allemagnel’emporte. L’artiste Massimo Furlan en a d’abord fait uneperformance en 2006, Numéro 10, dans laquelle il rejouaitau Parc des Princes seul tout le match dans la peau de Platini (le numéro 10). A l’occasion de la coupe du monde, ilprésente une reconstitution du match au stade de Colombes.

n Le Cauchemar de Séville, de Massimo Furlan,avec 14 volontaires et Stéphane Guy et HervéMathoux. Stade Yves-du-Manoir à Colombes,01 56 05 00 76, 2/06 à 20h45

Le Cauchemar de Séville

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DOSSIER

L’une est tombée petite dans lechaudron du foot au stade de l’AbbéDeschamps d’Auxerre. L’autre n’atoujours pas compris les subtilitésde la règle du hors-jeu. Il n’em-pêche, la dramaturge Virginie Ber-thier et Nil Dinç, la directriceartistique du groupe Gongle, tra-vaillent depuis plusieurs années surle lien entre football et théâtre.

Nil Dinç a très vite été convain-cue que l’art et le social pouvaient for-mer un couple fécond. Après sesétudes (Paris VIII et Sciences Po), elleavait entamé une carrière classiquede comédienne de théâtre qui la frus-tra rapidement, surtout à cause del’impossibilité de nouer des liens delong terme avec le public. C’est pour-quoi elle s’est investie à partir de2006 dans un collectif qui inventeraitdes écritures collectives nouvelles.Lors d’un travail pour un spectacle“jeune public”, l’une des artistes com-mit un lapsus, confondant “gong” et“gongle”, le collectif s’empressa de sebaptiser ainsi, sous les auspices da-daïstes du Cabaret Voltaire qui, à Zu-rich en 1916, cultivait les trouvaillesdu hasard et de l’inconscient.

La deuxième étape intervint en2010 quand un ami de Nil Dinç, sup-porter du PSG, décéda. Un hommagelui fut rendu au Parc des Princes : “Jeme suis dit que s’il m’arrivait quelquechose, jamais le monde du spectaclene songerait à un tel hommage. J’airéalisé que les supporters étaient ca-

pables d’inventer un espace de repré-sentation esthétique et politique trèsintéressant. Cela a changé mon re-gard sur eux mais aussi sur mon tra-vail.”

C’est ainsi que Gongle s’est lancé,il y sept ans, dans des projets artis-tiques divers ayant pour fil rouge lefootball amateur et les supporters.Des comédiens, des footballeurs etdes supporters nourrissent les his-toires de deux équipes fictives, lesGonleg et les Genolg, qui se sont dé-ployées en 2011 entre Istanbul etMontreuil, avec notamment des sup-porters du PSG et des clubs stambou-liotes de Galatasaray, de Fenerbahçeet de Besiktas puis en 2014, dans lequartier berlinois de Kreuzberg.

A chaque fois, Nil Dinç, VirginieBerthier et d’autres se posent delongues semaines pour trouver desvolontaires qui acceptent de jouer lejeu puis des expressions artistiquesselon des protocoles précis. A la diffé-rence du théâtre documentaire qui seconstruit sur les récits de la vie desgens, les pièces de Gongle s’élaborentà partir de jeux qui font surgir la placedes individus dans des collectifs. His-toires de derbys, d’occupation des ter-rains, rencontres entre les ambitions

sportives et les luttes sociales nourris-sent les différents récits qui conju-guent écriture et improvisation.

Pendant l’euro 2016, Gongle amultiplié les interventions de tous or-dres sur le thème du Terrain des Né-gociations. Refusant d’investir un lieuprécis le temps de la compétition, lesartistes ont préféré se balader dans“un bus pourri” semblable à ceux decertains groupes de supporters, éta-blissant des navettes entre différentslieux d’intervention (Le CentQuatre,le Carreau du Temple, etc) et le CDNde Montreuil où plusieurs matchesétaient retransmis en direct. VirginieBerthier, un footballeur amateur Ga-briel devenu DJ Deschamps, l’entraî-neur Oumar, le musicien Joe, lesupporter Hakim y ont joué “lechamp des tribuns” et “le stadeamoureux”, fragments de déclara-tions d’amour de supporters à leursclubs. Le jeu d’improvisation choré-graphique, “to but or not to but”,consistait à mimer des gestes defootball au ralenti, “image parimage”. Un autre jeu, Prédiction, in-vitait un joueur à raconter une actionque d’autres devraient suivre à la let-tre. Il y eut aussi des ateliers de com-mentaires de matches pasuniquement sportifs, l’élaboration debâches (Tifo ti amo) avec des slogansd’un nouveau genre (“Zlatan, s’il teplaît, finance ma retraite” par exem-ple) ou l’histoire de l’occupation pardes sans-papiers du terrain de Mon-treuil où jouait l’AS Cantonniers.

marie l’art, le sport et la politiqueGongle

Des comédiens, desfootballeurs et des supportersnourrissent les histoires dedeux équipes fictives, lesGonleg et les Genolg...

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FOOT ET THEATRE

Cette année, à l’occasion du Mon-dial, Gongle se pose à Saint-Denis oùle groupe a entamé un travail au longcours, “Le terrain, le joueur et le consul-tant”, autour des transformations ur-baines liées aux JO de 2024. Lesamedi 23 juin, onze équipes repré-sentant des micro-quartiers se rencon-treront pour un tournoi, carrefourPleyel. Depuis des semaines, ellespeaufinent leurs hymnes et leursmaillots illustrant la façon dont ellessont impactées par les projets de2024. “Notre idée, explique Nil Dinç,c’est de faire jouer les jeunes des quar-tiers avec des promoteurs, des urba-nistes et des salariés. Les pouvoirspublics sont obsédés par l’idée de fairetravailler des artistes avec les popula-tions défavorisées mais nous sommespersuadés qu’il faut élargir l’horizon.Nous avons d’ailleurs l’ambition d’ici2024 de fédérer un réseau européenautour de l’art et du sport.”

En attendant, il n’y a pas que lefoot dans la vie. En lien avec le Théâ-tre Jeune Public de Strasbourg, Gon-gle travaille sur La cosmologie ducochonnetmêlant artistes, joueurs depétanque et astronomes pour unesérie d’expériences qui culmineronten octobre prochain, pour la Fête dela Science. Encore une histoire desphères en mouvement suscitant deshistoires et des liens entre individus.

Patrice Trapier

n Gongle, 10 rue Edouard Vaillant,93100 Montreuil, gongle.fr

Le samedi 23 juin, onzeéquipes représentant desmicro-quartiers se rencon-treront pour un tournoi,carrefour Pleyel...

@ dr

@ dr

@ dr

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Jouer juste (2003) est le premierroman de François Bégaudeau. Celuiqui n'était auparavant qu'un chanteuret parolier d'un groupe de punk-rockfait son entrée en littérature par lefoot ! Un entraîneur s'y exprime justeavant la fin d’un match. Nous sommesen finale de coupe d’Europe. Le tempsréglementaire est terminé. Les prolon-gations restent à jouer, aux termesdesquelles le score sera enfin sansappel. L’entraîneur s’adresse à sesjoueurs. Savez-vous vraiment ce quesignifie “jouer juste” ? leur demande-t-il et leur explique-t-il. “Vous ne savezrien, dit-il. Même jouer au foot, vouscroyez savoir mais vous ne savez pas.Vous ne savez pas comment aimer nonplus. On ne vous a rien appris. C’estmaintenant que tout commence.” Lesport est la métaphore de la vie, lemonologue bifurque. L’entraîneur

DOSSIER

François Bégaudeau

Y a-t-il eu vraiment un accord entrele Théâtre national de la Criée etl’Olympique de Marseille en 2001 ?Jean-Louis Benoit : Oui. Peut-êtreétait-ce la première fois au mondequ’un club de foot et un théâtre déci-daient de faire une action commune.La démarche est venue de l’OM. Jecrois que c’était une demande de Ro-bert-Louis Dreyfus. L’OM proposait unbillet commun qui permettait devenir voir à la Criée le Dom Juan deMolière mis en scène par Jacques Las-salle, joué par la Comédie-Française,avec Andrzej Seweryn et Roland Ber-tin dans les rôles principaux. Nousavons mis cela sur pied avec les res-ponsables du club. J’ai prévenuJacques Lassalle, qui a paru affolé. Jelui ai répondu : “Mais c’est ça, le publicpopulaire”.

Les supporters de l’OM sont-ilsvenus ?Dès le premier jour de l’ouverture desbillets, il y avait des queues de 50 mè-tres devant la Criée, à 10 heures dumatin. On n’en revenait pas, on étaitsuffoqué.Ces spectateurs sont-ils vraimentvenus, ou y a-t-il eu des défections ?Il y a eu très peu d’annulations. Nousavons eu des salles extraordinaires,avec des familles, des enfants. Cesgens ne connaissaient pas la pièce, ilsn’étaient jamais entrés dans un théâ-tre. Ils étaient très curieux et très im-pressionnés. Avec eux, le théâtre aété plein tout le temps.L’expérience s’est-elle poursuivie ?Non, j’aurais aimé le faire, en l’appro-fondissant. Que peut-on proposerd’autre qu’une pièce de Molière ? Et,là, c’était la Comédie-Française ! Il ya eu des changements à l’OM. On n’ena plus reparlé. Je le regrette. C’étaitune très belle ambiance.En contrepartie vous êtes allé voirjouer l’OM ?Oui, j’ai assisté à un match Marseille-Bastia. Mais ce n’est pas ma passion.Je ne suis pas fou de foot commeFrançois Berléand ou Eric Elmosnino.

Propos recueillis parGilles Costaz

main dans la main

Une seule fois, pendant quelques semaines, la Criée etl’Olympique de Marseilleont entrepris une actioncommune. Le directeur dela Criée d’alors, Jean-LouisBenoit, se souvient.

la cérébralité du foot

@ Ninon Bretecher

@ dr

Jean-LouisBenoit

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FOOT ET THEATRE

parle de ses propres amours. Le livre aété plusieurs fois porté au théâtre, no-tamment par Fabrice Michel qui aconfié le rôle unique à Erik Deshors.Derrière le comédien surgissaient desimages qui reflètent le monde et nonle sport. L’homme, précise Fabrice Mi-chel, a “peur de sa violence”. De cettepeur naissait la tension d'un spectacleaussi cérébral que physique.

Bégaudeau accorde l'autorisationd'adaptation de son premier livre,mais il n'en aime guère le principe. Ilaime, au théâtre, les œuvres origi-nales. Et il est devenu un auteur dethéâtre qui compte, travaillant sou-vent avec Benoît Lambert. Il a fini parécrire deux pièces où il est questiondu foot : en 2011 La Revanche sur laCoupe d'Europe perdue par Saint-Etienne face au Bayern de Munich et,en 2014, Non-réconciliés où il a jouélui-même avec Pierre Maillet, dansune mise en scène de Matthieu Cru-ciani, au théâtre des Célestins, à Lyon,et à la Comédie de Saint-Etienne. Acette occasion il disait à Théatral ma-gazine : “J'ai trouvé amusant de parlerdu foot à travers la rivalité de Lyon etSaint-Etienne... On peut parler pen-dant des heures et des heures de foot,et indifféremment avant ou aprèsl'événement. C'est une parole quitourne à vide, purement spéculative.”

Gilles Costaz

Quelle parenté voyez-vous entre lethéâtre et le fooball ?Jean-Philippe Daguerre : Le stade estun lieu de théâtre. Toute ma jeunesse,je ne suis jamais allé au théâtre, maisau stade. Ah, les vibrations au parc Les-cure devenu Chaban-Delmas ! Quandje suis entré dans le milieu du théâtre,j’ai voulu que ce soit comme du foot. Jedemande souvent de grandes logespour que l’on soit comme dans des ves-tiaires. Les portants, les chemises pen-dues sur des cordes à linge, ce sont desrelents de foot. Le théâtre que j’aime,c’est le dépassement de soi au servicedes autres, pour enflammer les specta-teurs. Il y a, dans les deux domaines, lespremiers et les seconds rôles. J’aime lethéâtre qui transpire ! Je ne m’inté-resse pas particulièrement au milieudu foot professionnel. C’est le jeu quime passionne : la simplicité et les mo-ments d’injustice amènent de la tragé-die. Je dirige des acteurs, maisj’adorerais mener une équipe de pre-mière Division !

Y a-t-il une pièce qui pourrait se mon-ter comme un match ?Oui, Cyrano de Bergerac de Rostand.Cyrano, c’est un capitaine qui se pré-pare, avec la volonté de gagner sonmatch, et dans la pratique d’un sportheureux. Le Grenier de Babouckha ajoué la pièce avec onze acteurs. Onze,comme une équipe de foot. Je dois pro-chainement diriger un stade de théâ-tre : j’ai demandé que les participantssoient au nombre de onze ! Le stade peut-il devenir un lieu despectacle ?Le stade peut être un lieu de spectacle,mais ce n’est pas toujours là qu’on peutéprouver de grandes émotions théâ-trales. Le chanteur Prince, c’était mieuxau Parc des princes qu’au Zénith. Etes-vous tenté d’écrire une pièce surle football ?Je préfère voir des matches, plutôt qued’en décrire un. Mais pourquoi pas ?Plus tard, pour ma dernière pièce ! Ilfaudrait qu’on soit dans un contextehistorique : un village, sa communauté,le mélange de riches et de pauvres. Lefoot permet à des pauvres de devenirmillionnaires. C’est surtout un sport po-pulaire qui ressemble au théâtre popu-laire auquel je travaille depuis que jefais du théâtre.

Propos recueillis parGilles Costaz

Le chiffre onzeJean-Philippe Daguerre

@ Hervé Haine

Ecrivain et metteur en scène,chef de la compagnie le Gre-nier de Babouchka, Jean-Phi-lippe Daguerre adore le footet, né dans le Sud-Ouest, sou-tient les Girondins de Bor-deaux. Son grand succès,Adieu Monsieur Haffmann, neparle pas de sport mais sonauteur relève avec jubilationdes similitudes entre les deuxpratiques.

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Portraits

Qu'est-ce qui vous a donné envie deprendre la direction d'un théâtre etd'un théâtre à Nevers ?Coline Serreau : Pour pouvoir faireune politique théâtrale telle que jel’imagine. J'attendais que l'occasion seprésente, ce qu'on me proposait necorrespondant pas forcément à ce queje désirais. Et là ce qui m'a séduite,c'est l'architecture du lieu, le fait quece soit un théâtre à l'italienne. Lajauge (320 places) est très bonne et larénovation va en faire un outil trèsperformant notamment pour faire descaptations. Et puis il y a cette idée departiciper à une politique culturellequi vise à redynamiser des villesmoyennes. Les conditions de vie àParis étant difficiles, beaucoup dejeunes partent s’installer ailleurs. Cequi fait qu’il y a un potentiel extraor-dinaire dans les villes moyennes. Il y aaussi beaucoup de délocalisationsd'entreprises qui permettent de tra-vailler à distance. Cela nous oblige à

mettre en place une offre culturelleextrêmement liée au territoire en te-nant compte des populations pouraussi renouveler les publics et toucherceux qui ne vont pas au théâtre. Est-ce que cela implique de faire unthéâtre différent ?Non seulement de proposer une pro-grammation différente, mais aussi ex-trêmement transversale en mêlant lesarts. Le fait que l'argent public soitmassivement utilisé pour la culturemais que le public n'y aille pas, pousseles gens vers le Front National. Il fautfaire attention à ce qu'on redonne aupublic son argent. C'est ce que j'ai tou-jours essayé de faire au cinéma. Onpeut considérer que Trois hommes etun couffin est une farce mais on peutaussi considérer que c'est le premierfilm qui remet vraiment en question lepatriarcat. Je fais une œuvre éminem-ment politique et philosophique avecdes outils qui font que les gens vien-nent. Et ceux qui pensent que faire rire

c'est facile, j'ai des nouvelles pour eux. Vous allez donc vous-même présen-ter des choses... ?Bien sûr. Il y a toujours eu beaucoupde demandes d’adaptations de mesfilms au théâtre. C’est le moment de lefaire. Et donc il y aura Trois hommes etun couffin, La crise, La Belle Verte. Jevoudrais aussi monter certains textesde Musset qui sont très beaux commeComédies et proverbes, mêlés à sesgrandes pièces, et à de la musique. Jesuis musicienne moi-même. Depuis dixans, je suis moins sur les plateaux maisje suis tout le temps en concert avec laChorale du Delta, j'improvise, je parledes œuvres. Et donc il y a tout un ré-seau de musiciens extraordinaires queje voudrais amener à Nevers. Je diraides textes pour accompagner et expli-quer la musique. Je vais être très pré-sente sur le plateau. Il y aura aussibeaucoup de choses pour les enfants.La mairie vous donne 350.000euros. On sait que ce n’est pas suffi-sant pour faire tourner un théâtre.Comment allez-vous faire ?On peut coproduire mais pas produire.Pour l'instant, il y a beaucoup de co-pains, des vedettes qui viennent paramitié. Il faut que ça monte en puis-sance et en notoriété. On est en trainde se battre sur tous les plans pouravoir des sous.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Théâtre de Nevers, Place des Reines dePologne 58000 Nevers, 03 86 68 46 46

Coline Serreau

En mars on apprenait que Coline Serreau allait prendre la direction du théâtre municipal de Nevers. Réalisatrice de l’un des plus grands succès du cinéma français, Trois hommeset un couffin, mais aussi écrivain, metteuse en scène, comédienne, musicienne, elle dispose de bien des atoutspour faire vivre ce lieu encore en pleine restaurationjusqu’à sa réouverture en septembre prochain dans uneville déjà bien active sur le plan culturel avec la Maison dela culture, le festival Tandem, ou les Zaccros d’ma Rue…

Prend en main le théâtre de Nevers @

dr

66 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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On s’attend à entrer dans un restau-rant avec une scène de théâtrequelque part dans la salle. Or lasalle de spectacle est à part...Jean-Marie Gurné : Mélanger théâtreet restaurant ne permet pas aux ac-teurs de se concentrer de façon opti-male pour jouer. Et puis cela donneune grande liberté : les clients du res-taurant ne sont pas obligés de voir duthéâtre et les spectateurs ne sont pasobligés non plus de consommer. Doncon commence la soirée par du théâtreà 19h et on ouvre les portes du res-taurant à 19h30 pour ne pas déran-ger le spectacle. Ensuite le public a lapossibilité de rester manger ; nousavons une formule à 85 euros permet-tant de voir la pièce et de dîner en-suite. Et le théâtre est transformableen restaurant en 15 minutes, ce quinous permet quand nous avons dumonde de rajouter 25 couverts aux30 du restaurant. En mode théâtre, lasalle compte 50 places. Jacques Weber, Laurent Sauvage,Valérie Dréville… Vous proposezune programmation de haute volée.Or vous ne venez pas du monde du

théâtre. Comment appro-chez-vous les artistes ?J'ai la chance d'avoir deuxmarraines qui me recom-mandent des spectaclesqu'elles ont vus : HortenseArchambault qui est direc-trice de la MC 93 et que j'aiconnue par l’intermédiairede son père qui travaillait avec moichez Nestlé, et Valérie Dréville.Quand à Jacques Weber, le premiercontact que j'ai eu avec lui, c’étaitdans un restaurant ; je lui ai laissé unpetit message en lui disant toute monadmiration et en l'invitant à déjeuner.Il est venu, il est tombé sous lecharme de ce lieu qui est l’unique res-taurant avec théâtre étoilé au monde(rires). Comment financez-vous le théâtre ?L’objectif c’est que les revenus du res-taurant subventionnent les specta-cles. Mais pour mettre en place unrestaurant gastronomique de qualitéil faut investir et pour l’instant, nousne sommes pas encore à l’équilibre.Côté billetterie, la place coûte 26euros avec un tarif réduit à 16 euros.

Côté restaurant, pour 85 euros, onpeut voir le spectacle et dîner dans unrestaurant gastronomique. Vous allez ouvrir un second lieu ruede Charonne en juin. Y ferez-vousaussi du théâtre ?Non, ce sera un espace où on pourramanger tout en écoutant desconcerts. Ce sera plus abordable qu’iciparce que nous y ferons une cuisinebistrotière et non pas gastronomique.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n La Scène Thélème, 18 rue Troyon75017 Paris, 01 77 37 60 99

Jean-Marie Gurné

Ce n’est pas l’Abbaye de Thélèmeimaginée par Rabelais dans Gargantuamais on yfait à peu près la même chose : jouer, boire et man-ger. Jean-Marie Gurné s’est offert pour sa retraiteun rêve : ouvrir un restaurant étoilé où on fait duthéâtre, et vice versa.

Théâtre et cuisine gastronomique

@dr

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 67

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50 ans Mai 68

Une dizaine de philosophes et anthro-pologues, parmi lesquels Philippe Ar-tières, Pierre-Olivier Dittmar, ouChristophe Kihm sont annoncés auprogramme de ce marathon intellec-tuel commémorant mai 68. Ils se suc-cèderont dans le monde étrangeimaginé par les artistes suisses. Undécor de circonstances pour parler"d’un monde après les idéaux. Cela vase présenter sous forme d'un abécé-daire dans un hommage au fond à

Massimo Furlan

Il pourrait être ironique quand ilévoque les utopies de mai 68 : le théâ-tre gratuit pour tous, un festival d’Avi-gnon Off engagé et contestataire"alors que c’est exactement le contraireaujourd’hui, un vaste supermarché"...Cyril Cotinaut est né en 1977 et estentré dans le théâtre quand il ne fai-sait rêver plus personne. Son époque,c’est celle de la réglementation, de l’in-termittence et de la réalité du terrain.On ne rêve plus comme en mai 68, oncompte, on évalue, on affronte le réel.Et pourtant, il croit au pouvoir du théâ-tre, il est le premier à jouer ses specta-cles pour les collégiens et lycéens. As’interroger sans cesse sur ce qu’il fautleur transmettre et comment.

Alors il s’est emparé de cette com-mande d’Irina Brook pour le week-endautour des Utopies Culturelles qu’elle

programme au théâtre National deNice. Sur scène, ils seront deux comé-diens, à jouer les experts en art drama-tique, à s’interroger eux-mêmes sur cesquestions dans un dialogue très impro-visé et à faire participer aussi le public.L’un très inquiet, l’autre beaucoup pluspragmatique.

La réalité, c’est qu’"il ne s’est paspassé grand-chose au théâtre en mai68, à part l’occupation de l’Odéon" etquelques coups d’éclat à Avignoncomme celui du Living Theater avecParadise Now. "Cela n'a pas eu ungrand impact sauf au niveau des écri-tures et des dramaturgies. On s’est misà déstructurer la langue, la forme. Maisce sont plutôt des avancées esthétiquesque culturelles".

La faute au contexte économique.En 1968, on pouvait arrêter de travail-ler, on était sûr de retrouver du boulot.Aujourd’hui, c’est impossible. "Heureu-sement la bourgeoisie a inventé une so-lution qui est le chômage pourempêcher le théâtre révolutionnaired'avoir lieu".

Hélène Chevrier

n Que sera le théâtre en 2018 ?, deCyril Cotinaut. Théâtre National deNice (dans le cadre des Utopies Culturelles du 25 au 27/05), Promenade des Arts 06300 Nice, 04 93 13 90 90, le 25/05

Que sera lethéâtre en2018 ?

Se souvenir de ce que les ar-tistes en mai 68 pouvaientimaginer du théâtre 50 ansplus tard, c’est se demandersi les utopies de l’époquesont toujours à l’ordre dujour. Cyril Cotinaut célèbre àsa façon mai 68, de sonpoint de vue d’artiste né dixans après les événements.

Les héros de la pensée

Cyril Cotinaut

@ dr

50

68 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

@ Matthieu Dussol

Entre deux performances surdes terrains de foot, MassimoFurlan squatte le village Hoo-doo installé par les frères Cha-puisat sur la grande scène deNanterre-Amandiers pour 26heures de réflexion non-stopsur la possibilité d’un autremonde.

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Mai 68

Gilles Deleuze où on va réfléchir, réin-venter, se raconter des histoires pen-dant 26 heures. Ce sont des gens quiont non seulement une pensée singu-lière forte mais aussi une capacité ma-gnifique à raconter des histoires et ànous faire voir le monde comme on nele voit plus." Massimo Furlan lui ani-mera l’événement pendant toute sadurée, en le mettant en scène et enlançant les thèmes de réflexion pardes petites chansons grinçantes. "Laparole sera toujours vivante même sipar moment les gens dormiront".

Hélène Chevrier

n Les héros de la pensée, performance deMassimo Furlan et Claire de Ribaupierredans le cadre des Mondes PossiblesNanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo-Picasso 92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, 12 et 13/05

Par rapport à Paradise Now, que re-présente Re-Paradise ?Gwenaël Morin : On essaie de faire lamême chose que ce que Julian Beck etJudith Malina du Living Theateravaient fait. On suit la partition qu’ilsont écrite a posteriori pour permettreà d'autres de rejouer leur spectacle eton s’inspire des photos et des vidéos del’époque. On va essayer de refaire l'ex-périence de cette chose-là pour savoirce qu'elle peut produire chez nous etaprès ce qu'elle peut produire chez lespectateur.Les acteurs vont-ils jouer eux aussinus ?Non car les acteurs de 1968 n’étaientpas nus contrairement à ce qui estresté dans les esprits. Le spectacle dé-nonce toute une série d'aliénationsdont l’interdiction d'enlever ses vête-ments et pour manifester cette aliéna-tion ils s’étaient dénudés mais jusqu'àla limite légale c’est à dire sans rendrevisibles leurs appareils génitaux. Laplupart du temps les gens qui étaientnus, c'étaient les spectateurs qui se joi-gnaient à eux et manifestaient leuradhésion en se dénudant. Cela poseplus de problème dans l’espace public.Ils sont sortis torses nus dans la rue etc'est là qu'ils se sont faits épingler. Le

sujet du spectacle c'est “la belle révo-lution anarchiste non-violente”. C'estJulian Beck qui la nomme comme ça eten ce sens là c'est un spectacle qui seconjugue avec la tragédie grecque.Comment exorciser nos instincts deviolence autrement que par la guerre? Il essaie non pas de dénoncer la vio-lence qui nous traverse tous mais pré-sente une espèce de mise en place derituels simples qui nous permettraientde l'exorciser. Est-ce que ce qu’ils ont fait vous ins-pire de l’admiration ?Disons que c’était pour eux le fruit d'untravail communautaire où le projet dethéâtre dépassait largement le projetde faire un spectacle. Mais c'est aussiparce qu'ils n'avaient pas le choix ;dans les années 60 aux Etats-Unisdans la mesure où ce que vous faisiezne rapportait pas d'argent, vous deviezcréer les conditions qui vous permet-taient de le faire avec une détermina-tion incroyable. Donc la communautépour eux, c'était d’abord une nécessité.Et qui dit communauté dit tout ce quistructure la vie en commun et donc parextension la non-violence. Ils le fontsans propagande, simplement en nousinvitant à participer aux rituels qu'eux-mêmes ont mis au point pour pouvoirtraverser les risques auxquels ils s'ex-posent en tant que communauté artis-tique.

Propos recueillis parHélène Chevrier

n Re-Paradise, conception GwenaëlMorin d’après le Living Theater dans lecadre des Mondes PossiblesNanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo-Picasso 92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, 4 au 26/05

Re-Paradise Gwenaël Morin

En juillet 68, le Living Thea-ter défrayait la chroniqueavec leur spectacle ParadiseNow. Gwenaël Morin re-prend leur partition pour re-créer cet événement àNanterre-Amandiers.

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 69

@ dr

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50 ans

Pourquoi ce titre de Maintenant oujamais ?Linda Blanchet : C'était un des slo-gans qui était donné pendant les ma-nifestations de mai 68 et je trouvaisqu'il avait quelque chose d'assezcontemporain. On a toujours l'impres-sion que c'est maintenant ou jamaisqu'il faut faire les choses. Et cette jeu-nesse là résonne beaucoup avec lajeunesse contemporaine. On a la sen-sation qu'il y a une nécessité d’agirmaintenant parce que ce ne sera plusjamais possible après. Mais c’est aussiune réalité liée à la jeunesse ; quandon est jeune, on est dans l'espoir queles choses peuvent changer. Et enmême temps, les générations d’aprèset particulièrement celle des comé-diens qui jouent dans le spectacle,n’ont pas ressenti ce besoin de se ré-approprier le monde comme la jeu-nesse de mai 68. Sans doute parceque l’enjeu de mai 68, c’était de ren-verser l’ordre établi qui ne convenaitplus. C’était tellement important qu’ilsont sacrifié leur année d’études pourcela. Moi qui suis extérieure à mai 68,mes parents n’ayant pas participé àcette révolution, j'ai essayé de trouverl'endroit où cela me faisait un peu vi-brer et cela correspond à ce désir devouloir influer sur l'Histoire.

Cela correspond à une sorte de prisede pouvoir de la société par la jeu-nesse…Effectivement c'est un renversementdu pouvoir par une réappropriationdu courant de l'Histoire par les jeunesqui n’avaient pas la parole avant. Cequi m'intéresse, c'est justement cetteprise de parole et ce mouvement qui

devient très collectif. Sur scène, il yaura trois comédiens, de la vidéoparce que je suis allée interviewer desgens qui ont fait mai 68 et puis sur-tout j'aimerais qu'il y ait une am-biance d'assemblée générale, avecdes spectateurs invités à s’asseoir surle plateau. L’idée c’est de les impliquerdans nos réflexions et de leur donnerenvie de parler même si au fond on neleur donnera pas la parole. Si votre génération devait changerdes choses aujourd’hui, agirait-ellecomme celle de mai 68 ?Je ne pense pas. Il suffit de voir la ten-tative avortée de Nuit debout. On estdavantage dans des actions locales,voire intimes. Je crois beaucoup à larévolution de la proximité, à la possi-bilité de changer les choses autour desoi. Et paradoxalement, on accepteplus des situations internationales in-tenables tellement on est habitué à laviolence des images. Mais les jeunesqui croient à la possibilité de changerles choses par le collectif existent en-core ; pour le spectacle, on en a ren-contrés.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Maintenant ou jamais, de LindaBlanchet, avec Calypso Baquey, CyrilTexier, Angélique ZainiThéâtre National de Nice (dans lecadre des Utopies Culturelles du 25 au27/05), Promenade des Arts 06300Nice, 04 93 13 90 90, 26/05

Dans Maintenant ou jamais de Linda Blanchet, trois trente-naires s’interrogent sur l’urgence de leurs aînés à révolution-ner la société de 1968 et sur leur propre nécessité à changerleur monde. Or ce n’est pas changer ou pas le monde qui esten cause mais comment le changer.

Linda Blanchet

@ dr

Maintenant ou jamais

Mai 68

70 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Pourquoi avoir appelé votre specta-cle “Ma révolution est meilleure quela vôtre“ ?Sanja Mitrović :Au début je souhaitaiscomparer les mouvements révolution-naires de 1968 à l’Est et à l’Ouest del’Europe. Et au final, c’est devenu un pro-jet plus global sur ce qu’est une révolu-tion, sur l’héritage de mai 68 et en quoic’est un miroir de la situation actuelle.Comment analysez vous les mouve-ments de mai 1968 qui ont éclos unpeu partout dans le monde ? C’est le premier phénomène global dece type, avec bien entendu des diffé-rences selon le contexte local. Sché-matiquement, dans les pays de l’Eston luttait contre un pouvoir autori-taire pour une démocratie libérale,alors qu’à l’Ouest on luttait pour unesociété plus ouverte et plus juste. Lepoint commun c’est essentiellementque le mouvement était porté par unejeunesse qui ne voulait plus du statuquo, et à laquelle se sont ralliés lesmédias qui promouvaient et mon-traient ce qui se passait.Quel est l’héritage aujourd’hui demai 1968 ?Les opinions sont très divisées à ce

sujet ; certains en ont une vision ro-mantique et nostalgique, d’autressont plus sceptiques. C’est ce que jevoulais questionner en prenant desperformers venant de quatre pays dif-férents : Russie, Espagne, Serbie,France, et en les confrontant à un ma-tériau historique d’une révolutionqu’ils n’ont pas connue. Quel est ce matériau historique quevous avez collecté ?Les performers puisent leur inspira-tion dans trois niveaux de matériau :il y a bien évidemment une re-cherche et des documents histo-riques, il y a aussi les histoirespersonnelles de chacun qui parlentde ce qu’est l’Europe de nos jours, etpuis il y a le film de Louis Malle, VivaMaria, avec Brigitte Bardot etJeanne Moreau. Les deux person-nages s’appellent Maria et montrentdeux versants de la révolution, l’uneest plus théorique et marxiste, l’au-tre représente l’anarchie et la pas-sion ; c’est une distinction que l’onretrouve en 68 entre ceux qui pen-sent que la théorie permet de fairele pas suivant, et ceux qui privilé-gient l’action…

Comment avez vous construit lespectacle à partir de ces éléments ?Cela commence comme une reconsti-tution humoristique de certainesscènes du film puis cela devientcomme un montage éclectique desdifférentes stratégies utilisées pourreprésenter la révolution. C’est à lafois du théâtre, du documentaire etune chorégraphie qui explore la ges-tuelle de la protestation, de la mani-festation. Cela commence comme duthéâtre et cela finit dans la réalité,mais je ne voudrais pas dévoiler la fin.J’observe juste que 1968 a parfois dé-marré dans les théâtres, à Belgradeen Yougoslavie comme à l’Odéon àParis, c’est au théâtre que peuventnaître les révolutions…

Propos recueillis par Enric Dausset

n My Revolution Is Better Than Yours,mise en scène Sanja Mitrović, avec Vladimir Aleksić, Jonathan Drillet, MariaStamenkovic Herranz, Olga TsvetkovaNanterre-Amandiers centre dramatiquenational, 7 avenue Pablo-Picasso, 92022Nanterre, les 4, 5, 11, 12 et 13/05

Entre théâtre documentaire,art visuel et performance, la metteuse enscène Sanja Mitrovic nous propose unmontage éclectique pour réfléchir sur lestemps à venir à partir des évènements demai 1968.

My Revolution Is Better Than Yours

SanjaMitrović

@ Mirjam Devriendt

Mai 68

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 71

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Zoom

Après Matthias Langhoff, PierreDebauche, Jean-Pierre Vincent,Maguy Marin et Alain Françon,c’est au tour du Théâtre du Ra-deau d’être l’invité d’honneur deThéâtre en mai. Pourquoi avoirfait ce choix ?Benoît Lambert : Tous les artistesque nous invitons sont importantspour moi et font partie de ceux quiont formé mon regard théâtral.Mais, outre cette part de subjecti-vité qui reste anecdotique, l’his-toire du Théâtre du Radeau estintimement liée à celle du festival.Il y a bientôt 30 ans, alors que Théâ-tre en mai vivait ses premières édi-tions, la compagnie de FrançoisTanguy était déjà présente. Je crois aussi qu’après avoir conviédes chorégraphes et metteurs enscène, il était important d’inviter uncollectif. Comme nous pouvons le voiravec Caroline Guiela Nguyen, SylvainCreuzevault, Jeanne Candel ou JulieDuclos, les collectifs jouent un vrairôle dans l’émergence de nouveauxartistes. Or, cela correspond bien à laraison d’être de Théâtre en mai.Pourtant, le travail du Théâtre duRadeau est assez différent de celuides collectifs que vous venez deciter…

Il est vrai que, à l’opposé de FrançoisTanguy, la jeune génération est trèsmarquée par les outils technolo-giques qui influencent ses pratiques,notamment au niveau du son et del’image. Le Radeau déploie un théâ-tre plus archaïque dans ses outils, enutilisant le bois ou la toile par exem-ple. Dans ses spectacles, FrançoisTanguy accomplit le vieux pro-gramme d’Antonin Artaud et fa-brique un univers propre quis’approche du rite ou du rêve. Les col-lectifs d’aujourd’hui sont, aucontraire, dans une représentationassez mimétique du monde. Mais jecrois que ce télescopage peut être in-téressant.

Quels sont, cette année, les grandsthèmes de votre programmation ?Avec Sophie Chesne, nous n’avonsaucun calcul préalable. Nous souhai-tons simplement faire découvrir l’étatle plus brûlant de la scène théâtraleaux spectateurs et faire se rencontrerdes artistes. Nous ne concevons lefestival ni comme une tête cher-cheuse, ni comme un lanceur deproduits.Pour autant, plusieurs tendancesse dégagent. D’abord, la place desfemmes. Avec Céline Champinot,Adeline Rosenstein, Pauline Rin-geade, Marie Molliens, MaëllePoésy, Julie Deliquet, Mathilde De-lahaye et le collectif Marthe, ellessont cette année très bien repré-sentées. Au fil des éditions, la pro-portion de jeunes autrices oumetteuses en scène bascule pro-gressivement. Là encore, il n’y aaucun calcul de notre part, mais jeremarque que depuis cinq ou six

ans, les rencontres marquantes quej’ai pu faire ont régulièrement étéavec des jeunes femmes. Avec LaBible, En route-Kaddish et Décris-Ra-vage, on voit bien, aussi, que les ques-tions autour des religions du livre, del’exil et des conflits seront très pré-sentes.

Propos recueillis par Vincent Bouquet

n Théâtre en mai, organisé par leThéâtre Dijon-Bourgogne dans plu-sieurs lieux de la ville de Dijon, 03 80 30 12 12, du 25/05 au 03/06Renseignements et réservation surwww.tdb-cdn.com

Directeur du Théâtre Dijon-Bourgogne,Benoît Lambert co-pilote, avec Sophie Chesne, le festival Théâtre en mai qui se tiendra, à Dijon, du 25 mai au 3 juin.Avec le Théâtre du Radeau pour parrain, cette nouvelle édition fera la part belle aux jeunes metteuses en scène.

Benoît Lambert

@ V.Arbelet

Joli théâtre du mois de mai

Théâtre en Maicdn Dijon Bourgognedu 25 mai au 3 juin

72 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Zoom

C’est Guillaume Dujardin doncqui a eu cette idée de créer un festi-val dans des caves à Besançon avectout ce que cela implique dans l’ima-ginaire collectif : le côté inquiétantdu lieu entretenu en ne donnant pasl’adresse aux spectateurs conduits engrand secret par le metteur en scènele soir même de la représentation.L’inconfort avec des endroits hu-mides, en terre battue, bourrés detoiles d’araignées même si parfois ilsjouent dans des caves beaucoup plusluxueuses, bétonnées, ou même car-relées… L’aspect sommaire avec peud’équipement en lumières, sono etdécors. Mais le principe du théâtrec’est aussi d’activer l’imaginaire dupublic...

A côté de cela, il y a beaucoupd’aspects positifs : l’intimité très re-cherchée au théâtre avec des jaugeslimitées à 19 personnes, des espacesqui exigent de créer des spectaclessur mesure, une complicité avec lesartistes qui ont coutume de partagerun verre avec les spectateurs aprèsla représentation… Dès sa création,le festival de caves a fait fureur au-près de la profession. Tout le monde

y a vu un réseau parallèle à celui trèscoûteux des structures officielles etparfois un moyen supplémentairepour obtenir des subventions. "Cer-tains demandaient à tourner dans leréseau pour faire les quelques datesqui leur manquaient pour décrocherune subvention..." regrette SimonVincent.

Autre rançon du succès, de mul-tiples caves rejoignent le réseau par-tout en France. L’édition 2018compte ainsi une centaine de com-munes participantes où sont repré-sentées les 10 créations de l’annéeavec les neuf comédiens permanents

du festival. 8 autres créations parte-naires tournent avec les troupes(parmi lesquelles celle de Flore Le-febvre des Noëttes, Juliette et les an-nées 70) et des travaux d’écoles sontaussi présentés.

Simon Vincent y présente sapièce Comme je suis terrain vague,qui raconte l’histoire d’une métamor-phose. "Mais à la différence de Kafka,cette métamorphose est voulue". Lapièce montre une créature "dont onne sait pas trop quel animal c'est.Elle-même ne sait pas ce qu’elle est etelle se réfugie sur un immense terrainvague où elle va croiser un vieilhomme et un chien qui sont aussi desexclus comme elle. Elle ne sait pastrès bien si elle a vraiment choisi cettetransformation ou si elle lui convientpar rapport à l'existence humainequ'elle menait. Ça traite de la questionde la personnalité, en hérite-t-on ? Lasubit-on ? et comment être soi-même."

Hélène Chevrier

n Festival des caves, une centaine devilles, 24 spectacles, festivaldecaves.fr,03 63 35 71 04, du 2/05 au 30/06n Comme je suis terrain vague, texte etmise en scène Simon Vincent, avecAnaïs Marty, 5/05 au 27/06

13e édition pour le Festival de Caves qui dé-marre le 2 mai à Besançon avant de tourner dans une centainede communes en France jusqu’au 30 juin. Simon Vincent, quiy crée un texte qu’il a écrit, Comme je suis terrain vague, y afait ses premières armes, d’abord comme régisseur stagiairepuis comme assistant de Guillaume Dujardin l’inventeur decette idée géniale de faire du théâtre dans des caves, puis au-jourd’hui comme artiste.

Simon Vincent

@ Anais Marty

Un réseau secret

Festival de Caves100 communesdu 2 mai au 30 juin

74 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Pouvez-vous rappeler le principe deMises en capsules ?Benjamin Bellecour : Cette année, ily aura 17 créations. Elles durent unedemi-heure ou un peu moins, il y acinq spectacles par soir. Il faut compo-ser avec la contrainte du temps, dulieu et du plateau. Des thématiques se dégagent-ellesde cette 12e édition ?Oui, cette année, on a eu beaucoupde propositions autour de la questionde la femme. On a par exemple unspectacle sur le procès pour avorte-ment de Bobigny. Ces deux dernièresannées, je constate que les auteursessaient de traiter plus de sujets poli-tiques. Il y a notamment un spectacle,Mon pays, une île, une projection dece que seraient les Etats-Unis selonTrump. Comment est né ce festival ? Avec Salomé Lelouch du Ciné 13Théâtre, nous nous étions dit qu’il n’yavait pas d’endroit d’essai pour lesjeunes compagnies et les metteurs enscène. Le cinéma existait en courts-mé-

trages et la littérature en nouvelles. Jevoyais des jeunes auteurs avec desformes d’une heure et demie parfois unpeu brinquebalantes. J’ai pensé que cefestival serait un bon moyen de com-mencer un travail théâtral. La pre-mière année, je devais supplier lesgens d’y participer. Aujourd’hui je re-çois 250, 300 projets pour chaque édi-tion. C’est essentiel d’avoir un galopd’essai, de se rendre compte que letexte et la distribution fonctionnent etque les thèmes parlent aux gens. C’estun vrai public, pas seulement une lec-ture avec des producteurs et des direc-teurs de salle. On sent quelque chose.C’est intéressant de confronter uneébauche aux spectateurs. Pour ces der-niers, c’est très ludique.Depuis le début, votre festival estun révélateur de talents.Oui, comme Alexis Michalik... Je trouveque c’est très vivifiant pour un produc-teur, de rester alerte, à l’écoute, ce sontsouvent des premiers pas d’auteurs. Jetrouve qu’on ne leur donne pas uneplace suffisante en France. Un garçon

comme Alexis Michalik a eu besoin dece festival, il aurait mis plus de temps àfaire Le Porteur d’histoire. C’est un ac-célérateur et un enjeu d’accueillir desauteurs même avec un budget minime. Vous êtes également producteur ?Oui, je prends plaisir à assister auxbalbutiements d’élèves qui ne sortentpas forcément d’écoles de théâtre etpar ailleurs, à produire un film en cos-tumes d’époque. Ce grand écart esttrès intéressant, j’ai la chance de pou-voir faire les deux. Au début, je pro-duisais sur mes fonds propres et j’ai eula chance que les spectacles fonction-nent. J’aime créer des possibles.Comme Arthur Jugnot. On était unegénération incertaine, on sentait qu’ilne fallait pas mettre tous nos œufsdans le même panier.

Propos recueillis par Nathalie Simon

n Mises en capsules, Ciné 13 Théâtre, 1 avenue Junot 75018 Paris, 01 42 54 15 12, du 21/05 au 9/06www.cine13-theatre.com

Il y a douze ans, Benjamin Bellecour a lancé lefestival Mises en capsules. Comédien, auteur et metteuren scène, il y fait la part belle aux formes courtes, au-tant de créations variées proposées chaque soir. Au fildes ans, ce rendez-vous a révélé des talents commeAlexis Michalik avec sa pièce Le Porteur d’histoire tou-jours en tournée. Benjamin Bellecour veut continuer à“tendre la main” aux auteurs prometteurs..

Le festival des formes courtes

Mises en capsulesCiné 13 Théâtredu 21 mai au 9 juin

Benjamin Bellecour

@ jplphotograph

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 75

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Zoom

Occupation 2, c’est un festival devotre collectif ?Claire Dumas : Non ! Il s’agit d’uneproposition du Théâtre de la Bastillequi voulait poursuivre un temps deprogrammation qui nous était consa-cré. Le théâtre s’approprie les ques-tions actuelles des artistes dans unspectacle, Grande Traversée, le rap-port des jeunes et des adolescents auvirtuel dans un spectacle tout public,La Caverne, il y a des actions pédago-giques pour les enfants comme cesSemaines sans écrans. Il y aura éga-lement des ateliers d’art brut avecune plasticienne pour réaliser uneoeuvre collective, des ateliers autourdu thème de l’image. En un mot, nousoccupons le théâtre avec des projetsspectaculaires et participatifs. Déjàdepuis mars dernier, nous proposonsau public un Laboratoire social pourpartager des questions comme cellesl’accueil de l’autre, ou de l’identité…Il y aura aussi des veillées ?Oui il y en a trois : la Veillée sans

écrans, protéiforme et pédagogiquesur les médias, la Veillée des orangs-outangs, sur le thème du travail et dePôle Emploi, et la Veillée de mai, surl’engagement politique et l’obéis-sance. A chaque fois, une forme spec-taculaire, des débats partagés et destémoignages.Aujourd’hui, tout le monde veutfaire un collectif !Pour nous, cela signifie un rythme deproduction assez lent ; nous fonction-nons – ce qui est rare et techniquementpas très efficace ! – à tous les niveauxcomme tel. Nous sommes tous ensem-ble tout le temps. Collectifs dans le pro-cessus de réalisation, de production, decréation… Avec le temps, nous avonsdéveloppé des goûts et des aptitudeset nous poursuivrons en affirmant nossingularités. Nous sommes cinq : SimonBakhouche, Mélanie Bestel, Nadir Le-grand, Judith Davis et moi-même.Quel est votre cœur de réflexion ?Nous ne voulons pas faire un constatcatastrophique sur notre monde, mais

montrer comment les thématiques denos spectacles précédents sont tou-jours d’actualité. Comme si nous vou-lions prendre le temps de réfléchir etde partager des expériences. On estd’accord que tout ne va pas très biendans le monde et que bien des ques-tions ne sont pas résolues ! Nous vou-lons être constructifs, tirer la sonnetted’alarme sur bien des sujets de santépublique, d’écologie, de politique, etaussi un peu drôles… Nous sommeshabités de ce doute philosophique, dudésaccord, de dissensus. Nous faisonsen sorte que ce ne soit pas grave de nepas être d’accord, en essayant de pous-ser les projets de chacun au maximum.

Propos recueillis par François Varlin

n Occupation 2, par le collectif L’Avantage du doute. Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette 75011Paris, 01 43 57 42 14, du 23/05 au16/06. www.theatre-bastille.com www.lavantagedudoute.com

Au Théâtre de la Bastille, le principede l’Occupation a été initié en 2016.Là, Tiago Rodrigues inaugurait un prin-cipe créatif et de réflexion que le col-lectif L’Avantage du doute reprend à safaçon du 13 mai au 16 juin pour Occu-pation Bastille 2. Claire Dumas, mem-bre dudit collectif en parle, s’emballeet nous emporte avec elle !

L’Avantage du doute

@ dr

La Bastille prise et occupée !

Occupation 2Théâtre de la Bastilledu 13 mai au 16 juin

76 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Zoom

Quelle est la raison d’être du festi-val Passages ?Hocine Chabira : C’est la question del'étranger, de l'identité, de la doubleculture. Quand Charles Tordjman m’aproposé la direction en 2013, le slo-gan de l’édition en cours était : Y a-t-il trop d'étrangers dans le monde ?C’est ce qui m’a plu. Dans cette régionde brassage culturel qu’est la Lor-raine, dans un pays et une Europe oùl'extrême droite prend de plus en plusde place, où des murs s'érigent, jetrouve que le festival Passages a vrai-ment sa place. Moi-même étant issude parents algériens qui sont venusdans les années 60 après l'indépen-dance pour travailler ici en France,l'identité au pluriel m’intéresse.Et aussi l’émergence, puisque vouscréez les années où le festival n’apas lieu, des rencontres entre desécoles…On a eu l'idée avec Charles Tordjmanet Jean-Pierre Thibaudat d’accueillirdes écoles de théâtre. Le grand Est enabrite trois grandes : l’Ecole du Théâ-tre National de Strasbourg, l'Ecole Su-périeure des Arts de la Marionnettede Charleville-Mézières et celle duCentre National des Arts du Cirque deChalon. Cela nous intéressait de les

inviter et de les mettre en relationavec des troupes étrangères commecelle de L’Ecole de l’Acteur du ThéâtreNational de Tunis, L’Ecole Supérieurede Théâtre Jean-Pierre Guingané duCentre de Formation et Recherche enArts Vivants (CFRAV) de Ouagadou-gou et L’Ecole de Dramaturgie de Ni-kolaï Kolyada de Ekaterinbourg enRussie. Comment avez-vous choisi cesécoles ?Le choix se fait plus par rapport à laconstruction du festival de l'annéesuivante. Les théâtres de Ougadou-gou et Tunis seront présents l’annéeprochaine. En revanche, pour celled’Ekaterinbourg, c’est parce que Niko-laï Kolyada est venu l'année dernièreque je me suis dit que ce serait biende l'inviter. Pour Tunis, ce qui nous in-téressait c'était de voir ce qui se pas-sait dans un pays post-révolutionarabe avec le directeur du théâtre na-tional de Tunis, Fadhel Jaïbi, qui acréé cette école en 2014 pour déve-lopper justement le théâtre dans cepays. Ouagadougou, c'est une écoleouverte sur tous les pays Africains etje voulais anticiper sur l’édition 2019qui sera très orientée vers l’Afrique. Etpuis Ekaterinbourg, c'est très lié au

fantasme que suscite toujours la Rus-sie dans nos pays avec ses grands maî-tres qui ont forgé toute unephilosophie du théâtre. Que présentent les écoles ?Chaque école vient avec un spectacled'études qui sera joué deux fois. Et ona mis en place des cartes blanches detrois heures tous les matins ; ce sontdes moments de rencontre où chacundoit inventer un espace de travail col-lectif avec les acteurs présents.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Festival Passages, les Ecoles de Pas-sages, 03 87 17 07 06, 1er au 9/06

En 2015, Hocine Chabira succédait à Charles Tordjman à ladirection artistique du festival Passages dont la vocationest de faire volet en éclats toutes les questions qui divisent au-tour de l’identité. Le festival ayant lieu tous les deux ans, il dé-cide d’inviter des écoles les années intermédiaires. Ladeuxième édition de ces rencontres aura lieu du 1er au 9 juin.

Hocine Chabira

@ dr

"Y a-t-il trop d'étrangers dans le monde ?"

Festival Passagesles Ecoles de Passages

du 1er au 9 juin

78 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Famille

Théâtral magazine : Comment avez-vous eu l'idée de réécrire Le PetitChaperon rouge ?Claudine Galea : C'est venu d'un tra-vail que j'ai entamé autour descontes. Le conte nous met à l'épreuveet nous conduit vers nous-mêmes.Peurs, tabous, jubilation, conquête denotre liberté. Ce qui nous a frappédans un conte qu'on a entendu enfantressort toujours. Pour Au Bois, c'estparti de la mère et de la fille, les pa-rents refilent aux enfants les corvéesqu'ils n'ont pas envie de faire eux-mêmes.Dans Le Petit Chaperon rouge, onsait que la mère envoie sa fille por-ter la galette à la grand-mère maiselle n’est pas très présente… On l'évacue complètement. Or il y ades choses à raconter ; ce n'est passimplement une mère mais aussi unefemme avec tout ce que cela impliquede désir, de jalousie, d'envie d'êtreaimée et de connaître l'aventure. Atous les âges, on a du désir et le goûtdu danger. Très vite le bois s'est mis à parler etcela a libéré la parole. Et comme nuln’est vraiment ce qu'on croit qu'il est,j’ai décidé de ne pas distribuer com-plètement la parole et de ne pas fer-mer la partition ; je pense qu'on esttous un peu loup, un peu mère, un

peu fille, un peu chasseur… Dans ces conditions, la pièces’adresse-t-elle encore aux jeunes ?Je ne l'ai pas écrite pour eux, mais,c'est encore mieux, des collégiensl'ont choisie pour le Prix Collidram en2015. Ils ont eu des remarques saisis-santes. Je me souviens d'un garçonqui a dit "On nous parle tout le tempsdu viol mais on ne sait jamais com-ment ça se passe l'intérieur et là onsait". Et puis ils ont adoré le person-

nage de la mère, parce qu’elle aime lavie et l'amour, c’est une quadra enpleine séduction et c'est un peu leurmère, visiblement.Avec une pièce comme Au Bois, vouspensez faire bouger les choses ?Je pense que ce qui me fait écrire c'estce qui ne me convient pas, que j'aienvie de ne pas laisser en l’état,d'abandonner au silence. De là àchanger les choses...J'écris souvent sur des choses vio-lentes, dans Le Petit Chaperon rouge,il y a un viol. En l’occurrence, j'ai vouluécrire sur ce que c'est qu'être une fille,conquérir sa liberté, défendre ses opi-nions, et ne pas se laisser faire par leschasseurs. Parce que ce sont les chas-seurs qui sont les loups. On le voitavec l'affaire Weinstein. Ce qui estbien, c'est que les bouches s'ouvrent,comme dans Au Bois à la fin. GeorgesDidi-Huberman, un philosophe quim'est cher, dit "c'est la peur qui noussoumet, mais c'est le désir qui noussoulève" et défendre ce soulèvementest pour moi essentiel, en particulierauprès des adolescents. L'adoles-cence est un âge de soulèvement. Etje pense que l'art a en commun avecl'adolescence cette capacité à ne passe laisser réduire. Dans la première version, la Petite sefaisait massacrer. Quand j'ai repris lapièce, je me suis demandée commentje pouvais accepter qu'une fois encorela femme soit une victime. Alors j’airéécrit la fin, trouvé le soulèvement.

Propos recueillis parHélène Chevrier

n Au Bois, de Claudine Galea, mise enscène Benoît Bradel, avec Raoul Fernandez, Émilie lncerti Formentini,Emmanuelle Lafon, Seb Martel, SéphoraPondiLa Colline, 15 rue Malte-Brun 75020Paris, 01 44 62 52 52, du 3 au 19/05

Claudine Galea

Avec Au Bois, Claudine Galea propose une réécritureplus contemporaine et plus juste du Petit Chaperonrouge. On y retrouve la fille, on y découvre la mère et aussile loup qui n’est peut-être pas celui qu’on croit…

Promenons-nous dans les bois…

@ dr

En fin de compte, cesont les chasseurs qui sont les loups...

80 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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Pour les tout petits (à partir de 1 an)

n La ferme s’amusede la Compagnie Zébuline, avec A. Bouvier ou M. JoveneauFunambule, 53 rue des Saules 75018 Paris, 01 42 23 8883, jusqu’au 17 juin

Les produits de la ferme disparaissent mystérieusement.La farine, les œufs, les carottes, le lait sont introuvables.Aux enfants d’aider les comédiens à mener leur enquête…

Pour les plus grands (à partir de 3 ans)

n Pinocchioadaptation et mise en scène Joyce Brunet, avec MarionSaussol (ou Joyce Brunet), Franck Partaud (ou Rachid Sef-fouh), Pascal Lifschutz, Olivier Banse (ou Jean Siffermann)Essaïon, 6 rue Pierre au lard (à l'angle du 24 rue du Re-nard) 75004 Paris, 01 42 78 46 42, jusqu’au 1er juillet

L’histoire de Pinocchio un pantin en bois créé par Gepettoqui voulait devenir un vrai petit garçon. Avant d’y parve-nir, il commet un certain nombre de bêtises…

n Chut mes lunettes ont un secretde Vanessa Varon, mise en scène Eric Theobald, avec SophieGirardon, Marion Belhamou, Baptiste Juge, Clément RaffertyLucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris,01 45 44 57 34, jusqu’au 17 juin

Roxane doit se faire opérer des yeux et ne plus porter seslunettes. Elle a très peur et la veille dans sa chambre, lesjouets commencent à s’animer…

Pour encore plus grand (à partir de 6 ans)

n Peter Pande Dagory et Goldman, mise en scène Elrik Thomas, avecLéa Rulh (ou Jessica Goldman) et SImon LegendreEssaïon, 6 rue Pierre au lard (à l'angle du 24 rue du Re-nard) 75004 Paris, 01 42 78 46 42, jusqu’au 3 juin

En classe, deux écoliers rejouent Peter Pan et Clochettequand soudain apparaissent le Capitaine Crochet, le PaysImaginaire, les Enfants Perdus, les indiens, le Crocodile...

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Magie

La formule “Abracadabra”est-elle à jeter aux oubliettes ?“Il se passe quelque chose sous l'im-pulsion de jeunes artistes et de nou-velles écritures avec le théâtre, ladanse, le cirque ou la musique”, es-time Philippe Beau, magicien “om-bromane” (spécialiste des ombres).Plusieurs responsables de lieux em-blématiques parisiens ne jurent plusque par la magie nouvelle et, oucontemporaine. Jean-Michel Ribes,le directeur du Théâtre du Rond-Point a créé cette année un festivalentièrement dédié au genre (du 2 au31 mai). “Je me suis rendu comptequ’il n’y avait plus de magiciens quise contentaient de sortir un lapin deleur chapeau ou de couper unefemme en deux”, souligne-t-il.

Ce rendez-vous permettra dedécouvrir de nouveaux talents quitravaillent sur ce que Jean-MichelRibes appelle “l'illusion créative”.Ainsi, Clément Debailleul et Ra-phaël Navarro à l’origine d’un ovni“fondateur de la magie nouvelle”baptisé Wade in the water. Un spec-tacle sur le deuil inspiré des écrits dela psychiatre Elisabeth Kübler-Ross(du 3 au 13 mai). “Ces magicienss'appuient sur l'invention, la sensa-tion et cherchent à créer un mondeimaginaire. Ils découvrent des pla-nètes inexplorées et reviennent à laquintessence de la création”, estimeJean-Michel Ribes.

Au Théâtre du Rond-Point, estégalement très attendu Étienne Sa-glio, créateur de la compagnie Mons-

tre(s) et interprète des Limbes, écritavec le concours de Raphaël Navarro(17 au 31 mai). Un voyage fantoma-tique. Autre temps fort : Le Paradoxede Georges né dans la tête de YannFrisch, champion du monde de magiedepuis 2012. L’artiste fondateur dela compagnie L’Absente reçoit lessorciers en herbe dans un camion-théâtre installé dans les jardins duThéâtre du Rond-Point. Bienvenuedans le monde mystérieux de l’in-compréhensible du 2 au 30 mai.Signe des temps ? Dans la foulée,Yann Frisch sera l’invité d’honneur del’édition 2018 des Nuits de Fourvièreoù il présentera Le Paradoxe deGeorges et apparaîtra dans le caba-ret ukrainien Terabak de Kyiv (du 1erjuin au 28 juillet).

De son côté, Thierry Collet (Cie LePhalène) entend attirer un large pu-blic avec le Magic Wip, un lieu situédans le Parc de la Villette (XIXe) quipendant 3 mois en ce début d’annéea été dédié à la magie contempo-raine. “Je souhaite rassembler desforces créatives à travers une magiequi réveille plutôt qu'elle n'endort etpose des questions philosophiques etpolitiques”, explique celui qui estaussi un mentaliste de renom et un

La magie nouvellenouveau langage théâtral

Philosophes, scientifiques et

anthropologues commencent à étudier lamagie, les notions de percep-tion et la part d'inconnu

82 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

@ Christophe Manquillet

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adepte du close-up. Sa programma-tion est à l’image de la diversité desartistes dans le domaine. “Depuisquelques années, ça bouge dans tousles arts sur les plateaux de théâtre etégalement dans la recherche universi-taire. Philosophes, scientifiques et an-thropologues commencent à étudier lamagie, les notions de perception et lapart d'inconnu”, souligne Thierry Col-let qui souhaite montrer la magiedans tous ses états à travers des “mé-diateurs” issus d’horizons divers.

Dans cet esprit, il a invité DylanFoldrin et Quentin Thiollier, deuxjeunes ingénieurs du son fans demagie, Raoul Lambert, un magicien“crooner/looser excentrique” pour unconcert surréaliste ou encore le men-taliste Matthieu Villatelle qui poussel’air de rien les spectateurs à s’interro-ger sur leur moi et surmoi. Commentet faut-il croire à la magie ? Est-elleun moyen capable de manipuler au-trui ? Qu’apporte-t-elle à notre vie detous les jours ?

Autant de questions auxquellesles artistes du Magic Wip Villettetentent de répondre de façon lu-dique, philosophique donc, technolo-gique et enfin sociale et poétique.Thierry Collet a profité de l’ouverturedu lieu pour proposer son spectacle :Je clique donc je suis dans lequel il sedemande si les téléphones et les or-dinateurs sont “plus forts” que lesmentalistes. Si les artistes s'appuientsur des techniques anciennes, ils“adaptent leurs outils aux nouveauxmoyens de communication”, observe

Christophe Meilland, le producteur deMaxime Tabart, un “magicien 2.0” de19 ans qui vient de se produire avecRien n'est impossible au Point-Virgule.“Le public redécouvre une magie in-temporelle, liée à l'histoire de l'huma-nité mais qui se réinvente sans cesse”,assure Philippe Beau, conseiller artis-tique sur M comme Méliès, le specta-cle qu’Élise Vigier et Marcial Di FonzoBo ont montré en mars au théâtre na-tional de Chaillot. En s’appuyant surdes plateaux du théâtre Robert-Hou-din pour raconter comment GeorgesMéliès élaborait ses mises en scène.“On a réactualisé des procédés an-ciens, se souvient Philippe Beau. Etl’ombromane d’ajouter : “la magienous bascule dans une autre dimen-sion, c'est assez rassurant de voir quetout n'est pas explicable.”

Tous ces spectacles hors normeset initiatives inédites ne visent passeulement le divertissement pur, ni à“dépoussiérer” la magie -un mot quedétestent les prestidigitateurs et au-tres mentalistes-, mais à explorer etdévelopper ses possibilités. En paral-lèle, ils permettent de partager et detransmettre les connaissances d’une

discipline qui est en constante évolu-tion. Thierry Collet qui a étrenné la bi-bliothèque du Café des Imposteurs àla Villette et ouvert des ateliers demagie accessibles aux enfants et auxadultes le précise : “L'idée n'est pas dedévoiler un truc, mais de montrer cequi se passe dans le cerveau quand ilest face à une illusion ce qui n’enlèverien au plaisir. Le secret n'est pas leseul fondement de la magie.”

Nathalie Simon

n Festival Magie Nouvelle,Théâtre du Rond-Point, 2bis av Franklin D. Roosevelt 75008 Paris, 01 44 95 98 00, du 2 au 31/05> du 2 au 30/05, Le Paradoxe deGeorges, de et avec Yann Frisch> 3 – 13/05, Wade In The Water, unspectacle de la compagnie 14:20 > 17 – 31/05, Les limbes, un spectaclede et avec Étienne Saglio> 24- 26/05, Découverte talentsmagie nouvelle

La magie nous basculedans une autre dimen-

sion, c'est assez rassurantde voir que tout n'est pasexplicable... Festival Magie Nouvelle,

Théâtral magazine Mai - Juin 2018 83

@dr

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PAGESCRITIQUES

Ramsès II

[ Comique de cruauté ]de Sébastien Thiéry, avec Eric Elmosnino, Fran-çois Berléand, Evelyne Buyle, Elise Diamant...Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny 75002Paris, 01 42 96 92 42Il rentre d’un voyage en Egypte et rend vi-site à ses beaux-parents. Mais seul. Où estpassée son épouse, la fille tant attendue ?Il ne répond pas aux questions mais semoque férocement de son beau-père, luimet sur le dos des petits crimes qu’il n’a pascommis. Les visites se répètent. A chaquefois, la jeune femme n’arrive pas... D’une situation aussi machiavélique seulSébastien Thiéry pouvait faire une comédieaussi irrésistible. Dans le chapitre du théâ-tre de la cruauté, Thiéry est en train deprendre sa place à la rubrique Comédies.Son nouveau texte est méchant à souhait,avec cette propension vers l’absurde qui lecaractérise. On peut malgré tout avoir sapropre version d’une vérité qui est donnéecomme tronquée. A chacun d’y réfléchir ensortant de la mise en scène très égyptiennede Stéphane Hillel qui s’amuse avec des ré-férences pyramidales. Eric Elmosnino, dansla décontraction et la douceur teintéesd’étrangeté, est épatant. François Berléandse renouvelle avec jubilation. Evelyne Buyleest à son meilleur niveau de drôlerie déli-cate. Elise Diamant compose ses appari-tions avec un art du quotidien troublé. Lamalédiction des pharaons frappe à l’enversaux Bouffes Parisiens : les rires sont effer-vescents.

Gilles Costaz

King Kong Théorie

[ Tant qu'il y aura des hommes ]de Virginie Despentes, avec Anne Azoulay,Marie Denardaud et Valérie de DietrichThéâtre de l’Atelier, 1 pl. Charles Dullin 75018Paris, 01 46 06 49 24, à partir du 25/05Suite au film Baise-Moi, la sulfureuse Vir-ginie Despentes publie King Kong Théorie,un texte assez inclassable dans lequel elle"théorise" sur le viol, la pornographie, le fé-minisme… Vanessa Larré et Valérie DeDietrich ont adapté ce texte pour leconfier à trois comédiennes qui pourraientêtre trois femmes ayant connu des expé-riences similaires dont les récits s'imbri-quent et s'emboîtent. On y retrouve toutela force du pamphlet féministe de Des-pentes et ses thèmes de prédilection : l’ho-mosexualité féminine, la libérationsexuelle, la sujétion au désir masculin, laprostitution institutionnalisée, un mondeconstruit par les hommes et pour leshommes… L’explication de la théorie deKing Kong, le célèbre gorille érigé en mé-taphore d’une "sexualité d’avant la distinc-tion des genres" laisse un peu sur sa faim.Mais la mise en scène originale et le jeufluide des comédiennes permettent d’en-tendre le verbe cru et virulent de l’auteuresans pour autant tomber dans la vulgaritéou la provocation stérile. Une pièce salu-taire qui démonte les clichés et stéréo-types sous-jacents de nos comportements,et qui nous invite à la prochaine révolution :la révolution masculine !

Enric Dausset

Phèdre

[ Si humaine tragédie ]de Sénèque, traduction de Florence Dupont,mise en scène de Louise VignaudComédie-Française, Studio Théâtre, Carrou-sel du Louvre, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris,01 44 58 15 15, jusqu'au 13 maiUne Phèdre qui n'est pas un monstre, uneséductrice incestueuse, mais une jeunefemme perdue dans un palais trop grand :c'est celle de Sénèque, dans une tragédiequi s'écarte aussi de Racine par sonrythme, rapide et direct, et par son ton, dé-barrassé de la pompe des alexandrins, ma-gnifiquement restituée par la traductionde Florence Dupont et par la mise en scènesobre et tenue de Louise Vignaud. Dès la première scène, Phèdre (JenniferDecker, excellente) semble tituber sous lepoids de l'hérédité, de la souffrance, desdrogues. Elle se débarrasse de la tuniquedorée qui l'oppresse. Jennifer Decker réus-sit à rendre crédible ce mélange de vio-lence et d'ingénuité enfantine. Cettetunique dorée dans un coin de la scènefrappe Hippolyte, fils du premier mariagede Thésée. Il est troublé. Lui qui aspire à lapureté et au dénuement, aurait-il trouvéune alliée ? Phèdre se déclare à Hippolyte,son beau-fils, qui la repousse, la nourricel'accuse de viol, et tout se précipite.. Après ce spectacle, où l'émotion est trans-mise de manière si directe et si juste, l'oeu-vre de Sénèque nous apparaît dans uneincroyable et bouleversante proximité.

Jean-François Mondot

@ RDL

Chaque semaine de nouvelles critiques sur www.theatral-magazine.com

@ Celine Nieszawer

@ François Berthier

84 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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PAGESCRITIQUES

Quelque part dans cette vie

[ Vengeance tardive ]d’Israel Horowitz, avec Emmanuelle Devos etPierre ArditiThéâtre Edouard VII, 10 place Edouard VII75009 Paris, 01 47 42 59 92, jsq. 17 juinDans une petite ville américaine au bordde l’océan, une jeune femme vient se faireengager chez un vieux professeur qui, dé-clinant, ne peut plus vivre tout seul. Entreeux, les rapports semblent n’être que desrelations classiques mais la vérité se faitjour assez rapidement et la tension s’am-plifie... Les secrets enfouis éclatent peu àpeu. Les deux personnages se livrent à uneguerre douce, traversée d’armistices etd’attendrissements, mais les attitudes dechacun ne changent pas. Il s’agit pour ellede vengeance et pour lui de survie.Il y a en fait deux écritures qui s’associent :celle d’Horowitz qui appuie sur l’injusticesociale et celle de Dabadie qui fait miroiterles sentiments. La mise en scène de Ber-nard Murat humanise la férocité de la si-tuation et va plutôt vers la diversité desémotions, le flux et le reflux du besoin dehaïr et du besoin d’aimer. EmmanuelleDevos compose un jeu en lignes brisées,avec une vérité populaire qui enchante.Pierre Arditi renonce à l’image sympa-thique qu’il a généralement et creuse pro-fondément la dureté de son personnage,tout en dessinant sa complexité. Ce qui do-mine le jeu et la mise en scène, c’est un tra-vail rare et fascinant du détail, de lanuance, de la variation infime.

Gilles Costaz

Voyage en ascenseur

[ Coincés ! ]de Sophie Forte, avec Corinne Touzet...Rive Gauche, 6, rue de la Gaîté 75014Paris, 01 43 35 32 31, à partir du 18 maiUne cabine d’ascenseur qui file vers le rez-de-chaussée, à son bord une femme chic etun homme de ménage, balais, serpillères etseau en mains ; et c’est la panne ! Ils se re-trouvent bloqués la veille d’un week-end del’Ascencion au deuxième sous-sol. Elle, trèsfemme du monde, est l’épouse du PDG ; luiest à l’autre bout de l’échelle sociale. Cettesituation imaginée par Sophie Forte, quisigne le texte, met en présence deux êtresqui ne se seraient sans doute jamais croiséset qui vont vivre quatre jours ensembledans un espace réduit, sans eau potable,sans nourriture, sans toilettes. Corinne Tou-zet nous fait beaucoup rire avec son person-nage de bourgeoise angoissée. Trèsvivante, spontanée, extravertie, couverte deproduits de luxe, elle affronte l’épreuved’une toute autre manière que cet hommecalme, mesuré, au mental très fort quecampe Jean-Erns Marie-Louise. Leur duodans ce huis très très clos est équilibré bienqu'antithétique, et permet de mettre enavant des sujets riches, amusants, impor-tants comme les préjugés qu’ils ont l’un surl’autre. Enfermés dans un espace aussi ré-duit qu’un ascenseur, il faut le talent d’AnneBourgeois à la mise en scène pour rendre vi-vante et jamais ennuyeuse l’heure et demieque nous passons avec eux. On seraitpresque gagnés de panique à notre tour sile dénouement ne survenait !

François Varlin

Le Fils

[ Au bord de l’abîme ]de Florian Zeller, avec Yvan Attal...Comédie des Champs Elysées, 15 av. Mon-taigne 75008 Paris, 01 53 23 99 19Nicolas est un lycéen en crise. Il sèche lescours, se ronge les ongles, casse tout chezlui… Il est Le Fils. Celui autour duquel tousportent leurs efforts, son père et sa nou-velle compagne, sa mère. Il fait des choixentre ses parents divorcés, essaye de vivreen dépit de ses angoisses sans y parvenir,demeure une énigme pour son entourage.L’histoire de Nicolas existe dans toutes nosfamilles, mais Florian Zeller nous intéressebeaucoup avec les protagonistes de cedrame domestique et familial, que LadislasChollat traite avec un souci extrême de pré-cision et de raffinement au sein d’une scé-nographie épurée et linéaire. Il y a bien sûrun thème qui nous touche tous, ce qui étaitdéjà le cas avec les deux autres volets de satrilogie Le Père et La Mère, un texte à l’écri-ture vive et incarnée, mais il y a surtoutcette qualité d’interprétation chez YvanAttal, Anne Consigny et Elodie Navarre.Constamment justes et sincères, ils forcentnotre admiration. Face à eux, le jeune RodParadot incarne l’adolescent en mal devivre d’une manière étonnante. Sa pré-sence à la fois franche, fragile et vulnérableest bouleversante. Florian Zeller une fois deplus nous passionne, nous conduit sur lescrêtes des blessures de la vie, nous donneà nous interroger et nous renvoie à notrepropre histoire sans ménagement.

François Varlin

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@ Lisa Lesourd

@ dr

@ Emmanuel Murat

86 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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L’oiseau vert

[ La geste comique du roi Tartaglia ]de Carlo Gozzi, texte français Agathe Méli-nand, mise en scène Laurent PellyPorte St-Martin, 18 Bd Saint-Martin, 75010Paris, 01 42 08 00 32, à partir du 16/05Le scénario de L'Oiseau vert est tout à faitéchevelé. Dans la ville imaginaire de Mon-terotondo, un méchant roi du nom de Tar-taglia revient de guerre après dix-huit ansde combats, bien certain de ne revoir ni safemme ni ses enfants. Son épouse, la reine-mère l’a enterrée vivante sous l’évier descuisines du palais. Ses jumeaux, un garçonet une fille, il les a fait jeter dans un canal.C’était il y a vingt ans. Le roi a tort de secroire tranquille. Un oiseau vert et pas malde personnages malicieux entrent en jeu...Artiste complet, Laurent Pelly signe l’orga-nisation du spectacle, la direction d’ac-teurs, la scénographie et les costumes. Il aune palette de peintre et la passion dumouvement. De grands à-plats blanc,rouge, vert, violet, noir s’inscrivent sur unplateau en forme de vague. Les comédiensjouent le jeu le plus concret dans uncontexte épuré, abstrait, à géométrie va-riable et chargé de références artistiques.La distribution est dominée par de fortespersonnalités : Marilù Marini, qui joue uneméchante reine-mère d’une ahurissanteforce comique, Georges Bigot, ignoble àsouhait en charcutier, Nanou Garcia, sitouchante, Pierre Aussedat, étrange, fan-tomatique et saisissant Brighella. Le plusbeau et le pire des contes de fées !

Gilles Costaz

L’Eveil du printemps

[ Désirs sulfureux ]de Frank Wedekind, mise en scène ClémentHervieu-LégerComédie-Française, Place Colette 75001Paris, 01 44 58 15 15, jusqu'au 8/07L’Eveil du printemps, cette “insensée co-chonnerie” comme l’avaient injustementqualifiée ses détracteurs de la fin du XIXesiècle, Clément Hervieu-Léger la prend àbras-le-corps. Armé de l’impeccable maî-trise qu’on lui connait désormais, l’ancienassistant de Patrice Chéreau et nouveausociétaire du Français n’est prêt à aucuneconcession avec l’audace sulfureuse deFrank Wedekind. Du désir adolescent quele dramaturge allemand fait brûler de laplus ardente des manières, il embrassetoutes les facettes, y compris les pluscontroversées.Pièce au regard acéré sur le passage, cru etbrutal, de l’enfance à l’âge adulte, cette“tragédie enfantine” résonne encore avecune acuité désarmante. Magnifiée par legénie scénographique de Richard Peduzzi,la mise en scène de Clément Hervieu-Légeremporte ses 23 comédiens dans unesphère dramatique complexe où tous s’ensortent avec brio. Comme sur un fil dansleurs rôles d’enfants, Georgia Scalliet, Chris-tophe Montenez et Sébastien Pouderouxfont preuve d’une belle intelligence de jeu,quand Cécile Brune et Clotilde de Baysersont particulièrement justes en mères ti-raillées. Une entrée intense et brillante aurépertoire de la Comédie-Française.

Vincent Bouquet

Je suis un pays

[ Le bruit et la fureur ]texte et mise en scène Vincent MacaigneLa Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris,01 01 44 62 52 52, du 31/05 au 14/06Illustration de l’urgence créatrice qui ali-mente Vincent Macaigne, Je suis un paysest un cri d’alarme. Contre le monde telqu’il va, ou plutôt tel qu’il ne va plus, rongépar les inégalités, gangrené par le tout-fi-nance, oublieux de l’urgence écologique.En un mot : courant à sa perte. Salutairedans son essence, la fable politique qu’ilconstruit sur ce champ de ruines est tropbrouillonne pour faire mouche. Là où avecAu moins j’aurai laissé un beau cadavre etIdiot ! Parce que nous aurions dû nousaimer Macaigne pouvait s’appuyer sur lapuissance de Shakespeare et Dostoïevski -y compris pour mieux les déconstruire - ilse retrouve ici nu, seul face aux faiblessesde ce texte qu’il avait ébauché lorsqu’ilétait au Conservatoire.Avec la folle énergie de ses comédiens etla fureur scénographique qu’on lui connaît,il essaie une nouvelle fois de bousculer lesspectateurs en les immergeant dans unedébauche de moyens sonores et lumineux.Mais, cette fois, c’est peine perdue. Enfon-çant une série de portes ouvertes, sonspectacle se débat avec lui-même. Aussiréussis soient-ils, les effets scéniquesn’existent plus qu’en eux-mêmes et poureux-mêmes. Portés par un texte bien char-penté, ils auraient pu faire des ravages.Dommage.

Vincent Bouquet

@ Mathilda Olmi

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@ Pologarat

@ Brigitte Enguerand

88 Théâtral magazine Mai - Juin 2018

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MON GRAIN DE SEL

par Jacques NERSON

Lors d’un récent Masque et Plume, nous avonsdébattu de Baby, la pièce de Jane Andersonqu’Hélène Vincent venait de mettre en scène àl’Atelier, et j’ai critiqué le choix d’Isabelle Carrépour le rôle de Wanda. C’est une excellente co-médienne, je ne lui reproche rien, mais, selonmoi, c’est une erreur de distribution.

Voici l’intrigue racontée à grands traits : Wanda etAl, chômeurs, sont entassés dans une caravaneparquée en Louisiane avec leurs quatre gosses. Uncinquième s’annonce. Celui-ci est de trop. Sanscourage pour l’élever, Wanda décide de le vendreà un couple de Californiens fortunés qui n’arriventpas avoir d’enfants. Inutile de préciser que la trans-action ne marchera pas comme sur des roulettes...

Tout ça ne dit pas pourquoi le choix d’IsabelleCarré me semble inadéquat. Disons qu’elle jouitd’un avantage que la plupart d’entre nous lui en-vient : elle ne vieillit pas. Elle a conservé une fri-mousse, une voix, des contours, étonnammentjuvéniles. Malheureusement ce miracle a un re-vers. Bien qu’elle aille sur ses quarante-sept ans sil’on en croit Wikipédia, elle a toujours l’air d’unejouvencelle. Elle n’était déjà guère crédible dansDe l’influence des rayons gammas sur le comporte-ment des marguerites (à l’Atelier en 2015). Tropfraîche, trop intacte pour incarner une femmeseule avec deux ados à charge, harassée par desembarras pécuniaires inextricables. Même cause,même effet pour Baby. Là où l’on devrait voir unefemme précocement usée par une vie difficile, les

grossesses à répétition, la malbouffe dont on saitles ravages chez les Américains nécessiteux, onvoit une mignonne poupée toute pimpante qui al’air de sortir de sa boîte, intacte. Ce que j’ai fait re-marquer au cours de la discussion.

Que n’avais-je pas dit ! Mes camarades de jeu sesont aussitôt récriés. Comment pouvais-je sous-en-tendre que la pauvreté amoche ? Ils ont assuréconnaître une foule de misérables d’une beautéparfaite. Je ne leur en veux pas : la mauvaise foiest de bonne guerre au Masque et la Plume.

La suite est plus préoccupante. Le site de l’émis-sion a reçu un tombereau de commentaires indi-gnés par mon supposé mépris des pauvres gens.Encore Jérôme Garcin n’a-t-il pas lu les plus vio-lents à l’antenne. Ça m’inquiète. Je ne suis pas pa-rano, je ne me sens pas menacé. C’est le progrèsdu politiquement correct qui m’effraie. Se priver dela liberté de dire qu’au bout d’un certain temps lapauvreté se traduit dans les corps, c’est s’interdirede décrire la réalité que nous voyons autour denous. C’est comme si l’on refusait à un peintre ledroit d’étaler telle ou telle couleur sur sa toile. Dela censure. Le plus drôle, c’est que nier les réper-cussions de la pauvreté sur l’organisme est en dé-finitive furieusement réac : à quoi bon lutter contrele paupérisme s’il est sans conséquence ? Fermonsles restos du cœur s’ils sont fréquentés par des pro-fiteurs qui se gobergent aux frais de la princesse.Comme dit Gabin dans La Traversée de Paris : “Sa-lauds de pauvres !”

Si c’est moche c’est point Carré

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