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Les livres, les revues, etc. ERRICO MALATESTA L’ŒUVRE INTÉGRALE DUN MILITANT À PLEIN TEMPS Errico Malatesta, Opere complete, sous la dir. de Davide Turcato. Vol. 3, « Un la- voro lungo e paziente… » Il socialismo anarchico dell’Agitazione 1897-1898. Sag- gio introduttivo di Roberto Giulianelli. 33+356 p. Index. Vol. 4, « Verso l’anar- chia ». Malatesta in America 1899-1900. Saggio introduttivo di Nunzio Pernicone. 33+198 p. ; ill. Milano, Zero in Condotta/Ragusa, La Fiaccola, 2011 et 2012. L’anarchisme est l’enfant du miracle : il a de multiples pères et mères, et d’au- tres encore peuvent se joindre à cette procréation collective. Il n’existe pas de « classiques » : tous les fondateurs ont adopté des approches différentes et sont, avant tout, des gens non dogma- tiques. Il faut donc se réjouir lorsque l’édition nous offre non plus des thèmes apparemment compréhensifs, mais l’évolution chronologique d’une pensée. C’est ainsi que, prévue en 10 volumes, l’œuvre écrite de Errico Ma- latesta sera enfin accessible en italien. Cette impressionnante collection d’ar- ticles de presse, d’opuscules, de pro- grammes, de manifestes et de lettres permettra une analyse approfondie de ce personnage influent du mouvement anarchiste international. Sans doute faut-il s’attendre à des surprises; mais surtout, cette publication permettra de cerner un homme qui ose écrire : « Nous croyons vraiment que dans une société libre les hommes doivent pou- voir organiser leurs rapports pour le mieux, tels qu’ils le jugent, à la seule condition de ne ne pas violer les droits égaux des autres, et qu’il faut par conséquent créer des conditions dans lesquelles, à côté du communisme, il soit possible de créer aussi d’autres sys- tèmes » 1 . C’est pourtant un homme qui sait clairement ce qu’il veut, et qui a été l’un des tout premiers à s’engager dans l’anarchisme. UN PERSONNAGE ESSENTIEL En effet, selon lui, l’organisation anar- chiste italienne a commencé bien avant la formation de l’internationale anti- autoritaire de Saint-Imier 2 . Son activité incessante de propagande, d’organisa- tion, de rencontres personnelles, d’échanges étroits avec les figures les plus importantes de la mouvance, mais 1. T. 3, p. 180. Réfractions n°30:Mise en page 1 16/04/2013 19:53 Page 187

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Les livres,les revues, etc.

ERRICO MALATESTA

L’ŒUVRE INTÉGRALED’UN MILITANT À PLEIN TEMPS

Errico Malatesta, Opere complete, sous ladir. de Davide Turcato. Vol. 3, « Un la-voro lungo e paziente… » Il socialismo

anarchico dell’Agitazione 1897-1898. Sag-gio introduttivo di Roberto Giulianelli.33+356 p. Index. Vol. 4, « Verso l’anar-chia ». Malatesta in America 1899-1900.

Saggio introduttivo di Nunzio Pernicone.33+198 p. ; ill. Milano, Zero inCondotta/Ragusa, La Fiaccola,

2011 et 2012.

L’anarchisme est l’enfant dumiracle : ila de multiples pères et mères, et d’au-tres encore peuvent se joindre à cetteprocréation collective. Il n’existe pas de« classiques » : tous les fondateurs ontadopté des approches différentes etsont, avant tout, des gens non dogma-tiques. Il faut donc se réjouir lorsquel’édition nous offre non plus desthèmes apparemment compréhensifs,mais l’évolution chronologique d’unepensée. C’est ainsi que, prévue en 10volumes, l’œuvre écrite de Errico Ma-latesta sera enfin accessible en italien.Cette impressionnante collection d’ar-ticles de presse, d’opuscules, de pro-

grammes, de manifestes et de lettrespermettra une analyse approfondie dece personnage influent du mouvementanarchiste international. Sans doutefaut-il s’attendre à des surprises; maissurtout, cette publication permettra decerner un homme qui ose écrire :« Nous croyons vraiment que dans unesociété libre les hommes doivent pou-voir organiser leurs rapports pour lemieux, tels qu’ils le jugent, à la seulecondition de ne ne pas violer les droitségaux des autres, et qu’il faut parconséquent créer des conditions danslesquelles, à côté du communisme, ilsoit possible de créer aussi d’autres sys-tèmes »1. C’est pourtant un homme quisait clairement ce qu’il veut, et qui a étél’un des tout premiers à s’engager dansl’anarchisme.

UN PERSONNAGE ESSENTIEL

En effet, selon lui, l’organisation anar-chiste italienne a commencé bien avantla formation de l’internationale anti-autoritaire de Saint-Imier2. Son activitéincessante de propagande, d’organisa-tion, de rencontres personnelles,d’échanges étroits avec les figures lesplus importantes de la mouvance, mais

1. T. 3, p. 180.

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aussi ses longues années de prison, luiconfèrent une autorité morale incon-testable. Ses écrits sont diffusés par lesItaliens dans le monde entier, traduitsen plusieurs langues : au cours de saformation aux idées anarchistes, EmmaGoldman, par exemple, adoptera saconception insurrectionaliste dans savision personnelle de l’anarchisme.Plus tard, de retour au pays natal,Malateta sera parfois considéré commele Lénine italien – ce qui lui fait hor-reur ! Il sera très étroitement surveillépar la police, et même unMussolini res-tera impressionné par cet adversaire.

LA PRÉSENTATION DES OUVRAGES

L’éditeur intellectuel, Davide Turcato,inaugure chaque volume par une in-troduction spécifique. Celle-ci précisel’ensemble des choix qui ont guidé letravail, et notamment les critères d’at-tribution à Malatesta de textes parfoispubliés sans sa signature, ainsi que leséventuelles modifications qu’ils ontparfois subis dans la présentation. Il a

fallu dépouiller un nombre considéra-ble d’écrits, éviter les répétitions, résu-mer les positions des auteurscommentés ou critiqués par Malatesta.L’ordre choisi est généralement chro-nologique, ce qui permettra de mieuxsuivre à la fois la vie du personnage etl’évolution de ses idées.3

Chaque volume inclut une préface.Celle-ci, rédigée par un spécialiste del’époque et du pays, articule la périodeconsidérée par rapport à l’ensemble dela vie de Malatesta. Elle décrit les mo-ments successifs du mouvement, lesactivités de Malatesta, les controversesqui marquent les groupes et les posi-tions de celui-ci. Une chronologiedétaillée des années étudiées est pré-sentée à la fin du volume : son utilitéest incontestable. Un index des écrits,un second index des personnes et desjournaux mentionnés dans les textes,viennent en fin de volume, suivis parune page dédiée aux errata.

LE RETOUR EN ITALIELe premier tome publié est le 3e, consa-cré au retour de Malatesta en Italie,après une vingtaine d’années d’exil. Ila entretemps participé au Congrèssocialiste-révolutionnaire de Londresen 1881.

La présentation de l’éditeur rap-pelle les précautions nécessaires pourla lecture de déclarations attribuées àMalatesta quand il se touve en prison.L’ouvrage couvre les écrits des années1897-1898 mais commence par retracerquelques moments essentiels des an-nées précédentes, notamment au sein

2. En réponse à un article du même titre paru à Rome,Malatesta répond à son interlocuteur : « Il croit en faitque nous ne nous appelons anarchistes socialistes quedepuis 1897 (une erreur de 25 ans dans un mouve-ment qui a un peu plus de 30 ans d’existence ! », in« La crisi del anarchismo », La Questione Sociale (25nov. 1899), vol. 4 p. 109. Au demeurant, il convientd’attendre la publication de l’ensemble des volumespour mieux cerner les nuances de cette évolution,comme aussi l’analyse malatestienne de l’AssociationInternationale des Travailleurs.

3. Il y a d’inévitables retours en arrière et des antici-pations sur la suite, par exemple lorsqu’en 1899 unjournaliste raconte à ses lecteurs une conversation dejadis avec Malatesta, dans laquelle sont évoqués dessouvenirs de celui-ci sur Marx et sur l’Association Inter-nationale des Travailleurs. Vol. 4, p. 7-10.

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● LES LIVRES, LES REVUES, ETC.188

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dumouvement anarchiste et dans la ré-flexion de Malatesta. C’est le passagede la politique de l’attentat individuel,préconisé au congrès de Londres en1881, à une réflexion plus approfondiesur la nécessité de l’adéquation desmoyens avec la fin poursuivie. La miseen place d’une organisation destinée àsusciter une insurrection nationale dé-bouchant sur la révolution en Italierencontrera un cuisant échec. En re-vanche, le développement du courantanarchiste individualiste donnerabeaucoup de fil à retordre à Malatesta.Il sera aussi confronté au changementde cap de son camarade Saverio Mer-lino, qui se convertit au parlementa-risme, qu’il présente comme uneprotection contre l’absolutisme del’État. Bref, l’ouvrage offre vraimentmatière à réflexion sur des thèmes tou-jours actuels.

MALATESTA AUX ÉTATS-UNISLe volume 4 est consacré au séjour auxÉtats-Unis. Celui-ci fut très court : il ar-rive le 12 août 1899 à Paterson, près deNew York et repart pour Londres le 4avril 1900. Il a auparavant participé auCongrès socialiste révolutionnaire deLondres en 1881, engagé le débat avecles socialistes, et surtout, avec les ou-vriers. Il a aussi rayonné dans de nom-breux pays, et participé en Égypte àune tentative d’insurrection contre lesoccupants du pays. Il était ami de Kro-potkine et a rencontré la militanteétats-unienne Emma Goldman quandcelle-ci était en visite à Londres, en1895. Mais elle sera en Europe durant

son séjour en Amérique du Nord et ilsne se reverront donc pas à cette occa-sion.

Malatesta est déjà une légendequand il arrive aux États-Unis. Unenuée de gens vient l’accueillir au port,et il saisit l’occasion pour les haran-guer. Il sera désormais omniprésentdans la région new-yorkaise, visiteraaussi d’autres États de l’Union, et serendra jusqu’à Cuba. Parallèlement, onlui a confié la rédaction d’un journalanarchiste, La Questione sociale, publiéà Paterson, dan le New Jersey, donctout près de New York. Ce journal estlu surtout dans la côte est mais il com-prend des abonnés jusqu’en Illinois4.Sept mois durant, il sera très actif, s’ex-primant dans les milieux de l’immigra-tion italienne mais aussi devant despublics francophones et dans des ren-contres anarchistes internationales.Prises de paroles, cycles de confé-rences, débats contradictoires et dis-cours se succèdent presque sansinterruption.

La présentation de ce volume dé-taille bien les courants qui traversentles milieux italiens ; c’est particulière-ment appréciable dans le cas des États-Unis, car il s’agit d’une minoritésouvent dénigrée. On peut sans douteregretter qu’il n’y ait pas eu de regardplus large sur les collectifs anarchistesdes autres groupes linguistiques. Parexemple, les anarchistes francophonesont tenu un congrès national deux ans

4. Voir La Questione sociale (20 oct. 1898) 83, liste dessouscriptions.

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avant son arrivée : c’est un détail d’au-tant plus important que les échangespersonnels et collectifs entre lesgroupes de langues latines sont trèsfréquents à cette époque.

Dans ces textes, Malatesta abordeune grande variété de sujets, réagissantà la propagande socialiste, à l’électora-lisme, aux informations que lui donnela presse américaine, mais sa principalepréoccupation est de convaincre ses au-diteurs de la nécessité de s’organiser.En effet, il est confronté aux positionsanti organisationnelles de son prédé-cesseur à la rédaction du journal, Giu-seppe Ciancabilla. Celui-ci s’oppose àl’idée d’un anarchisme prenant laforme d’un parti, fût-il antiparlemen-taire, et il propose en revanche laconstitution de réseaux variables enfonction des objectifs. La controverseentre ces deux meneurs de l’opinionoccupera une large part dans les publi-cations et empoisonnera les rapportsau sein du mouvement. Plus tard, aucongrès international d’Amsterdam, laposition organisationnelle deMalatestarecevra plus de voix que celle soute-nue, entre autres, par Emma Goldman.Pour celle-ci, en effet, la prise deconscience individuelle est plus impor-tante que les questions d’organisation.

LA PENSÉE RÉVOLUTIONNAIRE

DE MALATESTA

Une lecture contemporaine pourrait in-duire à penser queMalatesta pèche par

excès d’optimisme quand il semblevoir dans chaque moment d’émancipa-tion une étape vers la société anar-chiste. On serait tenter de l’accuserd’adopter une conception stratégiqueou même téléologique de l’histoire.Il n’en est rien.

La manière de pensée anarchiste deMalatesta échappe à la phraséologie dela modernité que l’on trouve aussi bienchez un socialiste comme Robert Owenque chez les libéraux. Ceux-ci raison-nent en termes abstraits et universels,avec de grands mots vides et dogma-tiques, comme « Citoyen, » « Liberté, »« Droits de l’homme, » etc. Ce sont debeaux roulements de tambour, ils mo-bilisent l’attention, mais il ne reste rienjusqu’à la prochaine fanfare. Malatestan’a que faire de cette rhétorique : il nes’intéresse qu’aux libertés concrètes, etchaque fois qu’une liberté partielle estconquise, fût-ce pour la réduction de lajournée de travail, elle lui apparaîtcomme un moment potentiel d’éman-cipation anarchiste.5 Ce sens du concretde Malatesta l’amène à proposer auxpartis italiens de s’allier pour suppri-mer la monarchie, proposition touterhétorique, sans doute, car il pensebien qu’ils ne sont pas sérieusementdécidés à aller jusqu’à susciter une ré-volution ; il dialogue ainsi souvent avecles socialistes, pour leur montrer l’ina-nité de leurs promesses. Il mise sur lesmilliers de luttes intestines, de facteursnaturels et humains, sur l’infinité deconditions matérielles, de degrés dedéveloppement moral et intellectuel etsur les progrès qu’il perçoit dans la

5. « Verso l’anarchia », La Questione Sociale, 9 déc.1899.

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condition ouvrière de son temps. Il in-siste sur les limites de la propagande,sur la nécessité d’aider chaque fractiondu peuple à saisir toutes les libertéssans cesser de réclamer jusqu’à sonémancipation totale. Seul ce type depensée concrète, insérée dans le vécu,permet de sortir des structures figéesde la pensée commune, du jargon ha-bituel de la démocratie, du sens com-mun ou de l’anarchisme. Inventer aujour le jour, avec chaque vécu, c’estpeut-être la seule manière de trouver laformule qui donne la structure de laquestion et de la réponse pour ce jour-là.

L’ampleur de l’ouvrage ne permet-tait pas de développer plus largementles arguments des adversaires de Ma-latesta, ce qui aurait permis de mieuxjuger de la validité de ses réponses. Iln’était pas non plus possible de pré-senter de manière plus complète lescontextes sociaux immédiats de chaquepériode. Par ailleurs, un regard sur lesrapports des consuls d’Italie aux États-Unis donne l’impression que ces diplo-mates, comme leurs collègues français,passent tout leur temps à espionner

leurs compatriotes. Par exemple, celuide New York informe en 1900 les auto-rités italiennes que Bresci, qui vient derentrer en Italie, est un lecteur de Ma-latesta et de Ciancabilla.6

On peut souhaiter que cette collec-tion stimulera de nouvelles études, quicomplèteront celles déjà existantes. Onrêve aussi de voir ce magnifique travailparachevé par un glossaire des diverspersonnages mentionnés dans l’ensem-ble des ouvrages, et aussi d’un indexthématique. L’initiative prise par Da-vide Turcato et les deux éditeurs est àla fois érudite et très courageuse ; ellemérite d’être largement soutenue. Al’heure où tant d’intellectuels doiventmultiplier les génuflexions pour obte-nir la publication de l’un ou l’autre deleurs écrits, il est réconfortant que lesanarchistes, avec les moyens du bord,entreprennent généreusement et pour-suivent inlassablement des publica-tions d’une qualité telle que plus d’unéditeur commercial pourrait les envier.

Ronald Creagh

6. New York World (1er août 1900), p. 6, col. 3-4.

Les États partenaires

du capitalisme sécuritaire

Stephen Graham, Villes sous contrôle,

la militarisation de l’espace urbain,

trad. de l’anglais par Rémi Toulouse,

Paris, La Découverte,

2012, 253 p.

Stephen Graham aborde la militarisationde nos quotidiens et analyse les géogra-phies sécuritaires des États-Unis en Irak,d’Israël en Palestine, des États occiden-taux dans les grandes métropoles de leurpropre pays : La Nouvelle-Orléans, Lon-dres, New York, etc. Il décrit un marchésécuritaire florissant, qui associe sociétés

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●LES LIVRES, LES REVUES, ETC. 191

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privées et administrations étatiques pourla recherche et la production.

Si les frontières nationales et supra-nationales existent toujours, ce sont lesvilles, aujourd’hui, qui sont des espaces-clés : dans les pays riches comme dans lespays en développement, elles sont dé-pendantes des systèmes infrastructurels,logistiques et informationnels. Insurgéset terroristes sont susceptibles de détruireles infrastructures indispensables au ca-pitalisme mondial et urbanisé. Les États-nations préfèrent paralyser lespopulations ennemies qu’affronter direc-tement leur armée. La terreur d’États’exerce désormais via l’asphyxie des cen-tres vitaux.

La guerre urbaine, coloniale ou anti-insurrectionnelle est légitimée par la stig-matisation d’un ennemi non organisé et« antimoderne ». L’appareillage discursifconvoque des stratégies anciennes - créerla peur, désigner un ennemi, il brouilleles lignes entre fiction et réalité et s’asso-cie pour cela à la technologie – des jeuxvidéo contribuent au recrutement mili-taire, des applications militaires se mani-pulent comme des jeux vidéo. Lors deconflits, la perception des militaires enaction et celle des téléspectateurs est alté-rée. Autant de méthodes qui estompentla conscience des actes perpétrés et édul-corent la violence. La technologie crée ceque l’appareillage discursif a dit de l’en-nemi : la décomposition sociale, la désor-ganisation des quartiers urbainspaupérisés, la démodernisation des villesd’Irak ou de Palestine.

Les guerres des États peuvent être en-cadrées par le droit international et leur

visibilité les rend contestables par les po-pulations. A l’inverse, l’État de guerrepermanent, sous couvert de lutte contrele terrorisme, s’infiltre subrepticementdans nos vies, à des degrés divers, et nes’expose à aucune régulation, ni poli-tique, ni juridique : l’interaction entre lestechnologies militaires et civiles s’inten-sifie, les objectifs d’entraînement militaireet de contrôle urbain se superposent, etce sont eux qui définissent la normalitéde nos circulations dans l’espace ur-bain.Graham montre comment le brouil-lage des « binarismes traditionnels de laguerre et de la paix, du local et du global,de la sphère civile et de la sphère mili-taire, de l’intérieur et de l‘extérieur desÉtats-nations » (p. 242) permet d’instau-rer non seulement une guerre sans fin,mais aussi une « forme molle de fas-cisme » (p. 248) : « violence d’État raciali-sée, législation autoritaire », suspensionà durée indéterminée des normes légaleset juridiques.

En 1972, M. T. Klare mettait en lu-mière les desseins de guerre sans fin desÉtats-Unis (War without end: Americanplanning for the next Vietnams, New York,Vintage Books). Quatre décennies plustard, l’analyse de Graham lui donne rai-son : il n’est pas prévu de fin pour cesguerres asymétriques, car elles s’inscri-vent dans le « capitalisme du désastre »décrit par Naomi Klein (La stratégie duchoc : La montée d’un capitalisme du désas-tre, Arles, Actes Sud, 2008). Leur objectifn’est pas la victoire, mais la créationde besoins sécuritaires pour mieux yrépondre.

Annemarie Dinvaut

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● LES LIVRES, LES REVUES, ETC.192

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Nathan Jun, Anarchism and Political

Modernity, Continuum, Contemporary

Anarchist Studies, 2012. 272 p.

Un abîme sépare la pensée anarchiste dela culture environnante. Quelle est la na-ture de ce clivage ? Selon Nathan Jun, latournure d’esprit de notre époque estl’héritière du siècle des Lumières ; elle apour nom « la modernité ». Et c’est dansun domaine très précis, celui de la mo-dernité politique, qu’il repère l’opposi-tion : l’anarchisme est postmoderne, et ill’a toujours été.

Pour mieux exposer la position del’auteur, je commencerai par rappeler quela pensée anarchiste est aujourd’hui enposition flottante. Elle est devenue unpoint de référence pour un nombre crois-sant de militants de par le monde ; maisces mêmes activistes redoutent un des sesaccomplissements essentiels, l’abolitionde l’État. Ils se disent libertaires, à la ri-gueur, mais surtout pas anarchistes. Ilsrefusent d’imaginer un peuple sans réfé-rence ultime, sans arbitre suprême. Cemonde imaginaire de l’anarchie est anti-cipé comme une terre de fantastiquessauvageries, commises assurément parles gens les plus forts et les mieux armés.Autant sauter dans le vide, susciter l’ex-plosion de toute vie sociale, mettre fin àla cohabitation humaine. Ils supposentque cette barbarie a existé dans le passé,et ils la redécouvrent à chaque fois queles médias décrivent quelque catas-trophe, laquelle est censée perdurerjusqu’à l’arrivée miraculeuse des forcesde l’ordre. Les plus attentifs des militantshurlent déjà au sujet de la disparition de

l’État providentiel, de l’État si maternel,n’est-ce pas ? Bref, leur cœur généreuxmais leur esprit inquiet doivent se repo-ser sur un axiome sécuritaire. L’étatd’anarchie serait la fin de leur sérénité. Ensomme, leur recours à l’État est une sortede mécanisme de défense. Comme l’écritDavid Mitrany, cité par Jun, « la plupartdes philosophes politiques des généra-tions passées ont eu ce que les psychana-lystes pourraient appeler une ‘fixationsur l’État’ » (p. IX).Autrement dit, un atta-chement forcené à une représentation in-consciente qui les rassure.

Cette pression sociale a aussi des ef-fets sur le mouvement libertaire : elle l’aparfois figé dans la seule lutte antiéta-tique. Un très grand nombre d’auteurs duXXe siècle ont défini l’anarchisme par cetunique objectif. L’intérêt du présent ou-vrage est de rappeler, même s’il ne le ditpas, que le mouvement anarchiste s’estd’abord appelé « antiautoritaire ». C’estcontre toutes les autorités contraignantesqu’en effet il se situe. Est-il, pour autant,en rupture avec « le sens commun » ?Oui, on l’a vu sur bien des questions,comme dans les luttes contre le systèmepatriarcal, la contraception et bien d’au-tres domaines. Qu’en est-il dans le do-maine de la modernité politique ?

Ce n’est pas un sujet réservé aux spé-cialistes. Le propos est clair, les termes sa-vants mais compréhensibles, les citationsfort belles, et la démonstration se déroulecomme une excitante partie de billard.Jun, qui dans un autre écrit a rappelé l’in-térêt pour la philosophie des cercles ou-vriers anarchistes aux États-Unis, éviteavec élégance les formules tape-à-l’œil et

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obscures. La difficulté pour le tout venantvient plutôt de ce qu’il est entraîné loinde ses lieux et de ses repères familiers.

L’auteur nous rappelle d’abord la ma-nière de penser des philosophes poli-tiques de jadis. Pour Aristote et sessuccesseurs, il existe un ordre naturel, quiexplique le monde. Nul besoin de recou-rir à des causes imaginaires, transcen-dantes ; on peut repérer ces forces dansla nature : chaque être tend vers un bien,qui est sa fin. L’homme est naturellementsociable, son bien est donc de vivre dansla cité. Et d’être gouverné.

Il y a donc une téléologie de la Polis.La politique n’est pas empirique, elle nes’interroge pas sur la légitimité d’un gou-vernement ou sur les pouvoirs, elle faitpartie de l’éthique sociale, le bien est safinalité et le philosophe cherche donc lesqualités de l’homme d’État idéal.

La modernité a introduit en politiqueune tout autre vision des choses, selonJun. L’ordre naturel existe, mais elleconstate qu’il est rompu. L’homme naîtlibre, dit Rousseau, et pourtant il est par-tout enchaîné. Qui a mis ces chaînes ? Leslibéraux dénoncent l’État. Les socialistes,eux, se demandent pourquoi les sociétéshumaines se soumettent à des pouvoirséconomiques injustes, qui créent des iné-galités. Le monde n’est donc pas ce qu’ildevrait être. Il existe un divorce entre lesujet social, dont la nature est déjà consti-tuée, définie, indépendante (qu’il s’agissede « l’individu » ou du « peuple ») et lepouvoir qui agit sur lui.

La politique moderne va masquer cetabîme par des concepts universels : lesdroits, la liberté, l’égalité, le contrat social,

le droit naturel de propriété, le matéria-lisme historique, etc. Tout ce qui est mul-tiple est remplacé par l’un, tout ce qui estsingulier, particulier, est escamoté dansdes affirmations générales : le conceptd’humanité esquive celui d’individu ; leconcept d’État représente la volonté col-lective « du peuple », comme si l’Étatn’avait pas sa logique et ses intérêts pro-pres, qui le poussent à maintenir sesavantages exclusifs. On applique la géné-ralisation à tous les autres concepts : leprolétariat représente les forces coopéra-tives du travail ; le pouvoir est une arkhê,une force qui se coagule dans un centreunitaire à partir duquel elle rayonne toutautour et se soumet tout, etc. Il me vientà l’esprit la définition queMarx donne dela modernité politique : « L’abstraction del’État politique comme tel n’appartientqu’aux Tempsmodernes, parce que l’abs-traction de la vie privée n’appartientqu’aux Temps modernes... Au MoyenÂge, la vie du peuple et la vie de l’Étatsont identiques : l’homme est le principeréel de l’État... les Temps modernes sontle dualisme abstrait, l’opposition abs-traite réfléchie » (Marx, Critique de la phi-losophie de l’État de Hegel).

Les concepts universels de la moder-nité politique renvoient à la question dela représentation, c’est-à-dire à cette opé-ration mentale qui consiste à réduire àune pensée totalisante et homogène cequi est la multiplicité complexe des diffé-rences. On se croit rassuré, dans la des-cription, puisqu’on s’appuie sur « lesfaits » : pour être « un arbre » il faut avoirles caractéristiques x, y et z. Mais ces faitssont des qualités abstraites de ce qui

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● LES LIVRES, LES REVUES, ETC.194

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constitue « un arbre ». Et la descriptionchoisit dans le réel certains traits plutôtque d’autres. Elle n’est donc jamais neutreet inoffensive. Elle va conditionner notreraisonnement et nos buts. La modernité po-litique, écrit Jun, est constituée par des théo-ries et des pratiques représentationnelles quis’appuient sur des concepts universels, trans-cendants, conçus comme des solutions de pro-blèmes politiques.Même un regard rapidesur l’histoire occidentale depuis le XVIIe

siècle aumoins correspond à cette défini-tion. Elle s’exprime à chaque élection, ré-volution, guerre, mouvement social, ycompris aujourd’hui (p 105).

Si la modernité politique s’appuie surl’abstraction, qu’en est-il de la postmo-dernité ? Contrairement aux auteurs quivoient dans l’anarchisme un enfant desLumières, ou encore un croisement de lapensée libérale et du courant socialiste,Jun estime que les anarchistes n’ont jus-tement jamais été modernes. Il n’y a pasde canon anarchiste, et ce qu’on appelle« l’anarchisme classique » est un mythe :malgré leur énorme influence, Proudhon,Bakounine et Kropotkine, en dépit deleur considérable affinité philosophique,sont loin d’avoir une vision homogène etencore moins exhaustive de la penséeanarchiste (p. 111). L’anarchisme estavant tout une conception du bien, uneaxiologie. Il ne prescrit rien, ne recom-mande rien, il n’est pas normatif : il poseseulement un jugement de valeur : touteforme d’autorité fermée, coercitive, estimmorale.

Cette affirmation pourrait être res-trictive, mais Jun rappelle que sur le planpositif, les anarchistes ne défendent pas

seulement une liberté purement abstraiteni même permissive, mais une libertéconstructive, dotée de moyens concrets,une liberté pour s’émanciper, c’est-à-direpour développer sans cesse de nouvellespotentialités, une vraie liberté qui ne peutexister sans l’égalité (ce serait alors dudespotisme).

Ainsi les anarchistes seraient-ils lespremiers penseurs de la postmodernité,au sens d’être en dehors ou au-delà de lamodernité. On peut juger le mot « post »mal choisi, car il implique la temporalité,un moment postérieur. En un sens, onpourrait préférer le qualificatif que donnanaguère Nico Berti : l’anarchisme estpost-machiavélien. On peut aussi penserque le qualificatif de postmoderne ne cor-respond pas à ce qu’on entend d’ordi-naire par le terme, comme Jun d’ailleursle reconnaît (pp. 155-156). Des philo-sophes comme Foucault, Deleuze ou Der-rida ne se reconnaissent pas non plussous ce drapeau.

Si les premiers penseurs de la post-modernité sont les anarchistes – mais cen’est pas le cas de tous – ils ont complè-tement échoué à changer de façon subs-tantielle la politique moderne. C’estpourquoi nous ne sommes toujours pasdans la postmodernité, mais dans la mo-dernité. Reprenant la phrase célèbre deBruno Latour, Jun déclare : « Nousn’avons jamais été postmodernes ».

S’il est vrai que cette volonté deminerles fondements de la modernité n’auraitpas abouti, il n’en reste pas moins qu’ilexiste un fil conducteur de Proudhon etdes anarchistes jusqu’aux approches phi-losophiques où l’anarchisme est sous-

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jacent, comme c’est le cas avec Foucault,Derrida ou Deleuze. Pour notre auteur, ils’agit bien d’un postmodernisme au sensoù on le comprendrait comme profondé-ment pluraliste et non hiérarchique, sanstéléologie définie. Reprenant ainsi en par-tie la définition de Lewis Call (p. 157),l’auteur défend ce point de vue au sujetde l’approche généalogique de Foucault,de l’analyse déconstructive de Derrida etde la schizoanalyse de Deleuze. Ainsi, lapostmodernité politique, au sens de Jun,est coextensive à l’anarchie : c’est « uneéternelle révolution contre la représenta-tion, un éternel processus de création etde transformation, une pratique éternellede liberté. L’anarchie est à la fois le but dela postmodernité politique et le réseau in-fini de possibles que nous recherchonsdans notre voyage » (p.185).

Ces dernières analyses intéresserontparticulièrement les philosophes : les rap-prochements entre le trio de philosophesfrançais et les idées anarchistes avaientdéjà été entrepris par Daniel Colson1,d’ailleurs cité par l’auteur. La critique dela représentation a aussi déjà été longue-ment élaborée par Jesse Cohn2 égalementmentionné. D’autres récuseront sansdoute la position de Jun sur le rapport del’anarchisme avec les Lumières.

Si le travail se situe dans la ligne ac-tuelle de certaines discussions universi-taires, il permet au militant decomprendre où se situe la rupture entreson approche et celle du sens commun. Ilpeut s’interroger sur les influences qu’ilsubit de la société : le risque de ne voirqu’une unique domination, celle del’État ; l’autre, de s’en tenir à des concepts

généraux, qui introduisent à des affirma-tions quasi dogmatiques, au lieu d’exa-miner la situation concrète à partir dulieu où l’on se trouve.

Sur le plan politique, le décalage dudiscours libertaire par rapport à l’attentedes gens est dramatique. Mais on ne peuten dire autant de tous les aspects de lamodernité. Ainsi, dans le domaine de lapeinture, les anarchistes ont communiéavec les impressionnistes ; l’un d’entreeux, Élisée Reclus, comptait sur leur par-ticipation pour décorer le globe terrestrequ’il projetait pour l’exposition univer-selle de 1900 à Paris. A New York, le« Groupe des Huit » a suscité un chocdans les milieux de la peinture, sous le re-gard ravi des anarchistes. En revanche,comme on le voit par la lutte à mort quiexiste entre le mouvement et l’État, cerapport à la représentation a des enjeuximportants qui posent une autre ques-tion, celle des rapports de force. Ce do-maine reste à explorer.

On ne peut clore ce débat intéressantsans soulever quelques points. C’est unanachronisme d’écrire (p. VII) que les gensde la Commune de Paris étaient anar-chistes ; il suffit d’ailleurs de lire ce qu’enécrit Bakounine ou Élisée Reclus pourvoir que c’était loin d’être le cas.De même, quoi qu’en pensent les liberta-riens, les individualistes du XIXe siècleaux États-Unis n’étaient assurément pasdes libéraux au sens où on l’entend

1. Voir aussi L’anarchisme aujourd’hui de VivienGarcia, L’Harmattan, 2007, préface de Daniel Colson.2. Jesse Cohn, Anarchism and the Crisis of Representa-tion : Hermeneutics, Aesthetics, Politics, SusquehannaUniversity Press, 2006. 326 p.

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aujourd’hui. Tucker (p. 132) admettait ladistinction proudhonienne entre le droitd’usage et le droit de propriété ; il défen-dait aussi l’action syndicale. Enfin, mal-gré les affirmations de l’intéressé, il estdifficile de croire que Jean-Paul Sartre aiteu une philosophie anarchiste. Mais ces

critiques ne touchent vraiment que despoints mineurs. On peut imaginer quel’ouvrage suscitera de nouveaux débatssur les thèses soutenues. Peut-on souhai-ter meilleur compliment ?

Ronald Creagh

Léon Tolstoï,

L’esclavage moderne,

trad. du russe par Adrien Souberbielle,

Vierzon, Le pas de côté,

2012, 112 p.

Tolstoï publie en 1900 ce petit texte éton-nant de lucidité, qui range du même côtéde l’oppression le capitalisme et le socia-lisme marxiste. Constatant la duretéinhumaine des conditions de travail dupeuple et l’incohérence des classes privi-légiées qui, tout en affichant de grandssentiments humanitaires et réformistes,ne sont prêtes à lâcher aucune parcelle deleur confort, il entreprend de rechercherles causes et les moyens de remédier à larévoltante exploitation des travailleurs,qui n’a que des différences très superfi-cielles avec le servage ou l’esclavage né-grier. Il dénonce d’abord les raisonsscientifiques qui ont pris le relais des rai-sons théologiques pour justifier l’état defait et permettre aux privilégiés de jouirsans mauvaise conscience de leur brigan-dage. On invoque maintenant les « loisnécessaires qui régissent l’enchaînementdes faits économiques » ; et certains, vou-lant utiliser cette même science contre lecapitalisme, expliquent que tout aussi

inéluctablement les ouvriers vont bientôts’emparer des moyens de production, cequi suffira pour que toute leur misère dis-paraisse. Contre ceux-là, Tolstoï défendque ni la socialisation des moyens de pro-duction ni l’amélioration des conditionsde travail ne rendront aux ouvriers la vielibre, saine et variée qu’ils menaientlorsqu’ils cultivaient les champs poureux-mêmes ou exerçaient un artisanat entoute indépendance. Les recherches deMarx ont avec raison démontré quel’exode rural avait été provoqué par laconfiscation des terres, mais les marxistesont tort de n’y chercher aucun remède,du fait qu’ils s’accommodent très bien del’industrialisation, de la concentration ur-baine et du productivisme. En quoi lasocialisation empêchera-t-elle le travaildans les usines d’être pénible et mono-tone ? Comment imagine-t-on produirepour le peuple entier les mêmes objetsinutiles, voire nuisibles, qu’on produitmaintenant pour quelques-uns ? Etpuisqu’on conservera l’extrême spéciali-sation des tâches, comment peut-on pré-tendre que certains accepteront sanscontrainte les plus pénibles d’entre elles ?

Contre ces contradictions du dis-cours socialiste révolutionnaire, Tolstoï

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propose une analyse des causes de l’es-clavage actuel en trois temps : la concen-tration des terres par de multiplesspoliations, l’écrasement des petits pro-priétaires sous les impôts, les habitudesde luxe qui se sont répandues mêmeschez les ouvriers des pays industrialiséset les empêchent de se libérer du salariat.Or, cette situation a été favorisée par deslois, qui seraient soi-disant issues duconsentement général et en vue du bien-être de tous. À l’encontre de cette légiti-mation hypocrite, on constate aucontraire que la propriété individuelle dela terre ne garantit en rien que ses fruitsaillent à ceux qui la travaillent ; que lesimpôts servent en majeure partie à ceuxqui les prélèvent, et sont décidés par unparlement qui n’exprime en rien la vo-lonté du peuple ; que la loi protège lapropriété par les uns des objets produitspar les autres, sous la contrainte et l’usur-pation. Toutes les propositions de ré-forme partielle des lois ne feront quemodifier la forme de l’esclavage, et celui-ci existera aussi longtemps que deshommes s’arrogeront le droit de fairedes lois à leur avantage « en usant de laviolence organisée », c’est-à-dire de l’ar-mée, la police, la prison. La conclusions’impose : il faut détruire tous les gou-vernements.

Comment faire ? D’abord en se libé-rant des fausses craintes concernant lesbesoins sociaux et la sécurité. Toutes lesœuvres d’utilité sociale se feront aussibien, et même mieux, par les hommeslibrement associés ; on n’aura plus besoinde la protection de la police quand aurontdisparu les énormes inégalités de

propriétés ; on retrouvera « la notioninnée du véritable droit de propriété »qui commande de ne pas prendre à au-trui ce qui est nécessaire à sa subsistance.Ensuite il faut affaiblir ce qui fait la forcedes gouvernements : refuser de servirl’armée, refuser de payer les impôts et decollaborer en quoi que ce soit avec l’État,dénoncer partout la tromperie des gou-vernements qui prétendent remédier àtous les maux alors qu’ils en sont les prin-cipales causes.Puisque aucune solutionne peut venir de l’usage de la violencecontre une autre violence, il faut accepterque l’évolution viendra progressivement,à mesure que des individus renoncerontà tout ce qui alimente le maintien de laviolence, c’est-à-dire à tous les profitsdont ils jouissent de la part de l’État oude l’exploitation du travail des autres. Etmême si l’on doute de pouvoir atteindreun résultat global dans un avenir plus oumoins proche, la cohérence entre lesconvictions et les actions doit nousconvaincre à décider immédiatementd’orienter nos propres vies dans le sensqui nous paraît juste. Il n’y a pas d’autresolution, dit Tolstoï, si ce que l’on veutc’est affranchir l’humanité.

La clarté argumentative, la cohérenceet la tranquille évidence de la conclusionfont de ce texte un appel, convaincant ettoujours actuel, à l’action directe contretoutes les formes de soutien à l’oppres-sion – et si ce n’est pas suffisant, c’est dumoins un commencement indispensable.Un petit bijou d’incitation à l’anarchie, àmettre d’urgence entre toutes les mains.

Annick Stevens

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● LES LIVRES, LES REVUES, ETC.198

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David Dufresne,

Tarnac, magasin général,

Paris, Calmann-Lévy, 2012, 488 p.

Qu’est-ce que le terrorisme ?Oùcommence-t-il ? Où s’arrête-t-il ? Où commence soninstrumentalisation ? Qu’est-ce qu’uncoupable ? Comment en fabrique-t-on ?Telles sont les questions centrales quiinnervent le livre de David Dufresne– auteur de Maintien de l’ordre : l’enquêtepublié en 2007 – qui se révèle être unepassionnante enquête au cœur du pou-voir d’État.

Passionnant n’est pas le moindre desadjectifs pour qualifier cet ouvrage, ex-trêmement bien documenté, fait de mul-tiples entretiens avec l’ensemble desprotagonistes de cette affaire – les sus-pectés de sabotage de lignes TGV en no-vembre 2008 comme les policiers, juges,procureurs et autres représentants del’ordre social – et de décryptages des pro-cès-verbaux recueillis durant les trois an-nées de travail nécessaires à la rédactionde ce livre.

Le résultat est à la hauteur des inves-tigations menées par ce journaliste indé-pendant qui, « digne de ce nom, neconfond pas son rôle avec celui du poli-cier », n’hésite pas à mettre en avant uneéthique, quand bien même, au cours deson travail d’enquêteur, les doutes et in-terrogations l’assaillent.

« Journaliste c’est un sale métier quel’on peut faire proprement, m’avait en-seigné un ami de Libération. L’investiga-tion devrait être une forme dejournalisme militant. Sans conscience ilétait pure perte », ajoute t-il p. 166 pour

bien convaincre son lecteur du sérieux etde l’authenticité de sa démarche.

À cet égard l’entretien avec le Procu-reur de la République de Paris Jean-Claude M. est on ne peut plus parlant :

« Toute la question est la définitionmême du terrorisme, non ?

– C’est la difficulté de cette enquête,admit-il. Bien des éléments ne constituentpas en soi des éléments terroristes, maisils nourrissent un contexte.

– Par exemple ?– Par exemple un galopin pose un fer

à béton sur une voie, c’est de la dégrada-tion. Un syndicaliste bloque les voies,c’est une action syndicale. Mais si vousbloquez la voie pour déstabiliser le ré-seau, à des fins politiques, nous nesommes plus dans le droit commun nidans le syndicalisme. Nous sommes dansle terrorisme. Mais, pour cela, il faut bienprouver que vous avez une pensée révo-lutionnaire... » (p. 234 et suivantes).

Et pour ce faire, rien de plus aisé quede saisir quelques livres et notammentL’insurrection qui vient publié en 2007 parle Comité invisible, que l’on a d’ailleurs tôtfait, par un habile dérapage sémantique,de transformer enCellule invisible, histoirede montrer que l’on tient là du sérieux !

De la théorie – développée par lescommunicants du Ministère de l’Inté-rieur – du « groupe d’ultra-gauche de lamouvance anarcho-autonome » mettanten danger l’ordre social à la menace ter-roriste, il s’agit avant tout de rassurer lescitoyens en les persuadant que « le terro-risme ce n’est pas juste poser des bombes,c’est aussi tout le reste » (p.110), à savoirdes intentions... qui peuvent tuer !

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●LES LIVRES, LES REVUES, ETC. 199

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Nous ne sommes plus dans le terro-risme, mais bel et bien dans le préterro-risme, ce territoire incertain où l’absencemanifeste de preuves sert de leitmotiv ré-current pour précisément en fabriquer.Exactement comme dans le roman dePhilip K.Dick, Minority Report et autresrécits –dont un extrait est cité en exerguede l’ouvrage – où une brigade de police,la Précrime, devine et déjoue, à l’avance,des meurtres qui ne seront... jamaiscommis.

« Nos clients sont arrêtés la plupartdu temps avant d’être passés à l’acte etparfois tellement en amont que l’on nepeut pas être certain qu’ils auraient fina-lement fait quoi que ce soit s’ils avaientpu », explique Marc Trévidic, juge aupôle anti-terroriste (p.342).

À l’évidence, faute de preuves tangi-bles – jamais la police n’avait vu Coupatet Lévy ni acheter les tubes, ni les mon-ter, ni s’en servir, ni les démonter, ni lesranger, ni s’en débarrasser – l’enquêtepiétine, rendant même la position dujournaliste inconfortable.

Sa rencontre avec Julien C. aussirapide que le chapitre 38 qui lui est

consacré est court, témoigne à sa manièrede toute l’ombre, de tout le côté délibéré-ment invisible de cette affaire. Il trouveJulien C. « exténuant », semblant toutsimplement avoir placé la dialectique aucœur même de son souffle.

« On se quitta là-dessus, notre impos-sibilité à nous causer réellement, et surune franche poignée de main... On nes’est jamais revus... Le silence de Coupatétait à respecter, en cela qu’il était toutcomme lui : éloquent et fier » (p. 363 et364).

« Avec Tarnac, le dilemme permanentde l’antiterrorisme avait éclaté au grandjour : à force d’invoquer le préterrorisme,de pénaliser des intentions, de prévenirplutôt que de rassembler des preuves, lePolitique, pour ses intérêts, avait accéléréun événement qui n’existait pas encore. Ilavait pris ses cauchemars de préterro-risme pour des réalités de terrorisme, sesrêves pour du spectacle. Tarnac avait étéla face visible de toute l’invisibilité anti-terroriste à l’œuvre » (p. 396).

Tout commentaire serait superflu.

Bernard Hennequin

Lewis Mumford,

La cité à travers l’histoire [1961],

Marseille, Agone, 2011, 922 p.

Préface de Jean-Pierre Garnier.

Est-il possible qu’une cité traverse les siè-cles sans subir décadence et effondre-ment ? Aujourd’hui, la question est nonseulement pertinente, mais urgente. C’estpour penser cet avenir de l’existence

urbaine que Lewis Mumford a entreprisun vaste retour historique de 5000 ans.Aller voir loin dans le passé pour entre-voir l’avenir avec le plus de clairvoyancepossible.

Connu pour sa monumentale syn-thèse, Le mythe de la machine (2 tomes,1967, 1970), Mumford développe aussidans La cité à travers l’histoire une visiontrès critique du monde moderne et en

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particulier des techniques. Il voit la villecomme « un instrument pour enrégi-menter les hommes, pour maîtriser la na-ture, et pour diriger la communauté auservice des dieux » (qui aujourd’hui sontle libre-échange et la croissance). Dans celivre, il limite son propos à l’histoire desvilles occidentales, mais démarre tout demême à l’émergence des villages, puisdécrit les cités antiques, la cité grecque,Rome, l’influence du moyen âge ou dustyle baroque et enfin l’émergence desmégapoles, qu’il qualifie de « nécro-poles ».

Son humanisme se mélange ici avecun certain pessimisme, voire désespoirou frustration de constater l’absurdité dela vie dans nos cités modernes. Mais avecune foi inébranlable, il exhorte l’huma-nité à concevoir de belles cités, celles quifavoriseraient de la communauté, de lavie (autrement que simplement « écono-mique ») et finalement un véritable pro-grès humain.

L’originalité de Mumford est de pro-poser une vision organique de la tech-nique et de la ville : en pensant des« biotechniques » dont le fonctionnementimiterait les principes du vivant (auto-or-ganisation, décentralisation, etc.), envoyant la ville comme un organisme (fai-sant référence à l’entomologiste WilliamMorton Wheeler qui développa en 1910le concept de superorganisme chez lesfourmis), et surtout en faisant l’éloge dela limite (voir les chapitres sur Venise etAmsterdam).

Sur ce dernier point, il montre qu’uneville sans limite tend naturellement versla dislocation et l’autodestruction, et

ronge les territoires comme une métas-tase.

Mumford, qui préférait simplementse dire « écrivain », avait cette capacité etce goût pour la pensée horizontale et dé-cloisonnée. Se disperser, aller à contre-sens, virevolter, lancer des hameçons,fouiller sur les bas-côtés, prendre les dia-gonales et utiliser des images. Cela lui avalu, bien évidemment, un respectueuxmépris des spécialistes patentés, maiscela lui a permis de modeler une oeuvregéniale car intuitive, un livre monumen-tal et malgré tout très lu dès sa parutionen 1961, et récompensé par le NationalBook Award.

Cette nouvelle édition en français estremarquable sur plusieurs points. Elleinclut d’abord les modifications que l’au-teur a apportées en 1989, soit un an avantsa mort, tout en améliorant la premièretraduction en français de 1964. Elle béné-ficie ensuite d’un impressionnant et mi-nutieux travail éditorial (l’index, labibliographie, la traduction, la mise enpage, la préface...) qui met en avant labeauté de cette œuvre.

Je dis « beauté » car, loin de la prosesèche et froide des disciplines scienti-fiques, l’indiscipline du formidableconteur qu’est Mumford permet à un êtrehumain normalement constitué de fina-lement prendre plaisir à lire un tel bloc.Un texte érudit et exigent, mais chaleu-reux et agréable, comme savent lesconfectionner d’autres Umberto Eco,Jean-Claude Carrière, Jared Diamond ouElisée Reclus.

Pablo Servigne

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●LES LIVRES, LES REVUES, ETC. 201

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Isabelle Fremeaux & John Jordan,

Les sentiers de l’utopie,

Paris, Zones, 2011, 319 p + un film.

Ce beau livre-film est déjà paru en poche.Sa large couverture médiatique (toutesproportions gardées, on reste tout demême dans l’« alternatif ») et la tournéedes deux auteurs à travers l’Europe (sui-vez le blog !) en ont fait un succès de li-brairie. Mais il faut avouer que c’est unobjet unique. Le film n’est pas un docu-mentaire (plutôt une fiction onirique) etle livre n’est pas un essai carré (plutôt unrécit de voyage sensible, sinueux et pré-cis). Le mélange forme un parcours ini-tiatique, truffé de réflexions sur des lieuxdu futur et des expériences du passé.

On picore ou on lit d’une traite. Ons’attarde ou on passe vite, c’est selon. DuCamp action Climat en Grande-Bretagneoù la tension et l’indignation sont palpa-bles, à une expérience d’occupationd’usines en Serbie où l’empathie nous en-vahit, en passant par une parenthèse depermaculture assez froide mais tendre,on est toujours surpris par nos émotions.Tantôt la gêne, tantôt l’espoir, ou le ma-laise, l’angoisse, la joie, la sympathie oule mépris. Une lecture rationnelle est tou-jours possible, mais elle vient dans un se-cond temps. La mosaïque des villages estaussi frappante : entre une communautécatalane chaleureuse, une petite ville an-dalouse socialiste-moustachue, un villagecévenol DIY-trash, la visite à la « grand-mère des communautés soixante-hui-tardes » (Longo-Maï), et enfinl’expérience foncière et touristique deChristiania, il y a à boire et à manger...

Clairement, le livre est destiné à unlarge public, pas toujours averti. Alors enquoi le lecteur anarchiste (averti, cela vade soi) y trouve-t-il son compte ? Celuiqui les connaît toutes n’apprendra pasgrand chose.Mais pour les autres, ceux quiont tendance à rester trop longtemps calésdans un fauteuil à lire un bon bouquin encaressant un chat, il y a d’abord les images.Le récit à la première personne et lesimages du film donnent chair à des idéesqui nous excitent sur le papier. Puis, lelivre-film évite l’écueil de la naïveté. Onpourrait croire que les auteurs ont par-couru l’Europe assez rapidement et qu’ilsne font qu’effleurer l’essence des expé-riences visitées. Il n’en est rien. Ils ontcompris les enjeux et su saisir l’ambiance.Le récit est plutôt intelligent, subtil, etassez bien documenté (par exemple lapartie sur la permaculture est d’une rarefinesse). Enfin, la diversité des expé-riences. On le savait, mais revoir tout celaen deux heures, ça laisse pantois.

Les graines de l’avenir sont en place,comme un kaléidoscope du futur. Cen’est pas très ragoûtant, mais ça a le mé-rite d’exister. Face aux chocs systémiquesqui arrivent et qui bouleverseront radica-lement nos civilisations, les solutions neviendront pas des ingénieurs, mais de ladiversité des chemins tracés. Des che-mins de traverse, bien entendu. Et c’estbien le dissensus, c’est-à-dire la diversité(même si souvent contradictoire), qui estfertile et résiliente. Le nouveaumonde esten train de naître sous nos yeux, de toutesces expériences à la marge. C’est angois-sant et stimulant.

Pablo Servigne

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● LES LIVRES, LES REVUES, ETC.202

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203LES LIVRES, LES REVUES, ETC. ●

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Hellena Cavendi,

Un air de liberté,

Saintry sur Seine,

Chant d’orties, 2012, 182 p.

Paru dans la collection Graine d’orties, celivre est une fiction destinée à la jeunesse.Il en a la fraîcheur, l’enthousiasme maisaussi – et c’est sans doute ce qui en faitson charme – la naïveté, une naïveté surle sens de laquelle on ne doit cependantpas se tromper. En l’occurrence, nousvoulons parler de candeur, d’innocence,en tout cas d’une sincérité profonde pro-pre à celle ou celui qui manifeste naturel-lement ses idées et sentiments.

Pour autant je ne cacherai pas que lelecteur adulte que je suis a eu une cer-taine difficulté ou plus exactement unecertaine réticence à se lâcher pour rentrerde plain-pied dans cette histoire.

Nous voici plongés en plein XXIVe siè-cle, dans une société idéale, anarchiste,belle et douce à souhait, dont l’avéne-ment a été rendu possible grâce à la chan-son « Liberty » de John Lesmoines, sousles traits duquel nos lecteurs reconnaî-tront aisément John Lennon soi-même !Toutefois, et comme cela était prévi-sible, des nostalgiques de l’ordre ancien

veulent à tout prix revenir au systèmecapitaliste, en employant les ruses lesplus machiavéliques.

Mais fort heureusement un quatuord’adolescents débrouillards (Phil, Lluvia,Amélie et Pierrot) déjouera – à l’imagedes enfants du célèbre Club des Cinq quifit dans les années 1950-1960 le délice denos lectures juvéniles (roses ou vertes) –avec la complicité de quelques adultesbien intentionnés et d’une astucieuse ma-chine à remonter le temps, cette abomi-nable conspiration. Ouf !

Du fait de la jeunesse de son auteure(quatorze ans), l’écriture de ce roman estgaie et virevoltante, passant sans encom-bre d’une temporalité à une autre. Mêmesi la description des personnages friseparfois la caricature – surtout les mé-chants, bien entendu – nous ne pouvonsque recommander la lecture très aisée decet ouvrage, dont les péripéties ne man-queront pas de séduire les ados.

On pourra également apprécier lesillustrations de Julie Grugeaux, bien enadéquation avec le récit, même si l’onpeut regretter que l’impression en noir etblanc leur fasse perdre beaucoup de leurforce.

Bernard Hennequin

Federico Ferretti,

Élisée Reclus,

Lettres de prison et d’exil (1866-1903),

À la Frontière, 2012, 159 p.

Malgré le titre, il ne s’agit pas d’une lit-térature de témoignage sur la vie en

prison, mais d’une transcription intégralede la correspondance d’Élisée Reclusavec son éditeur, Pierre-Jules Hetzel.Une partie de cette correspondance étaitconsultable à la Bibliothèque nationale,mais n’avait pas été publiée ; maisd’autres lettres, conservées, par l’Institut

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Mémoires de l’Edition Contemporaine(IMEC), viennent maintenant d’être ou-vertes au public. Ferretti, à qui revient lemérite d’avoir mis à jour et publié cesdocuments, a introduit l’ouvrage avecun commentaire instructif, pédagogiqueet précis.

Le courrier commence en prison, carReclus a été arrêté le 4 avril 1871, pour saparticipation à la Commune de Paris, etenvoyé aux pontons de Brest. Maisl’homme est bien trop discret pour selamenter. Sa seule plainte est de ne pou-voir entreprendre convenablement sontravail scientifique. De rares phraseslui échappent : « il est des prisons oùles études et le recueillement sontabsolument impossibles. » Ou encore :« mon premier devoir est de marcher,de battre incessamment la semelle, afind’entretenir la chaleur animale. » Et iltombera malade... Bref, le lecteur contem-porain ne peut être que surpris par le tactraffiné de Reclus, qui apparaît aussiquand il aborde les questions de travail,d’illustrations et d’argent.

Après la commutation de sa peine enexil, enmars 1872, Reclus part pour la Su-isse d’où il continue sa correspondance.Lectrices et lecteurs découvrent ainsil’énorme travail de réécriture entreprispar Reclus. Et son regard novateur surles illustrations. S’il écrit que tel paysagebien précis fait partie « de son intime », ilne s’agit pas de romantisme.

Contrairement à la géographie bour-geoise, qui apprend à individu à ex-ploiter la terre, Reclus veut faire dupaysage un élément d’émancipation dupeuple.

Ferretti, qui a mis ces idées en évi-dence dans d’autres écrits, souligne icil’importance de deux livres, L’histoired’un ruisseau et L’histoire d’une montagne,qui annoncent la manière dont Reclus vatraiter des rapports entre la Terre et lescommunautés humaines dans sa futureNouvelle Géographie Universelle. Ainsi s’é-claire, par exemple, la symboliquereclusienne des reliefs, au service d’unevision unifiée des « indigènes » de laplanète Terre.

Pour le dire très vite, la montagne ap-paraît comme une ouverture vers uneplus grande liberté : réappropriation ducorps, dont elle réclame des efforts;libération sociale, dans la mesure où ellepermet d’échapper aux fumées de l’usine,mais aussi à la culture dominante et auxgriffes de l’Etat. Cette interprétation, bienremise en évidence par les travaux dupolitologue James C. Scott (qu’il s’agissede son dernier livre, Zomia ou l’art de nepas être gouverné, Seuil, 2013, ou du bel ar-ticle « La montagne et la liberté : ouPourquoi les civilisations ne savent pasgrimper », paru dans Critique en 2001),explique l’importance que les rebellesd’aujourd’hui continuent d’accorder auxrégions montagneuses, qu’il s’agisse del’Afghanistan ou du massif des Ifoghasdans le Mali, comme jadis dans leVercors.

À travers cette symbolique, et aussiles conceptions reclusiennes sur le métis-sage des populations, notre géographedessine déjà une vision unifiée des « in-digènes » de la planète Terre.

Ronald Creagh

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Réfractions

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Abdullah Öcalan,

Guerre et paix au Kurdistan

et Confédéralisme démocratique,

traduction Initiative Internationale,

Transmedia Publishing Ltd,

Londres, Duisbourg.

On peut rencontrer, parmi les sans-papiers venus chercher refuge en Franceet en attente d’hypothétiques papiers, desKurdes qui font le récit de villages incen-diés, de manifestations pacifiques dure-ment réprimées avec, à la clé, des torturesdans les locaux de la police. Ce n’est pasnouveau, les gouvernements turcs qu’ilssoient dominés par les militaires ou lesreligieux, n’ont jamais supporté qu’on ré-siste à leurs centralismes. Outre lesKurdes, les Arméniens et les Alevis enont fait l’amère expérience.

On sait aussi que des négociationssont en train de s’engager entre le pou-voir turc et le leader emprisonné du PKK,Abdullah Öcalan. C’est une raison des’intéresser à celui-ci et à deux brochuressignées de lui : Guerre et paix au Kurdistanet Confédéralisme démocratique1.

Dans la première il met l’accent sur lecaractère politique particulier du peuplekurde, lié à son histoire, à son implanta-tion géographique, à son habitat rural età sa structure économique basée essen-tiellement sur l’agriculture. Dans le passé,et encore aujourd’hui, ces éléments ontconduit à une structure politique féodaleet, en conséquence, aux soumissions di-verses aux conquérants successifs, lesKurdes n’étant considérés que commedes gages aux yeux des intérêts étrangers.Actuellement, on le sait, le peuple kurde

se répartit dans des territoires apparte-nant à quatre états : la Turquie, l’Irak, laSyrie et l’Iran. Les Kurdes n’appartien-nent à aucun des peuples dominant cesÉtats ; ils possèdent leur langue, leurstraditions, leur organisation sociale spé-cifique basée sur l’organisation commu-nautaire des villages. Leur Islam, tel quele décrit Öcalan, a aussi des caractèresspécifiques qui le distinguent du sun-nisme radical des pays du Golfe et duchiisme de l’Iran. Beaucoup plus tolérant,empreint de zoroastrisme, il réserve parexemple aux femmes, une place égale àcelle des hommes.

Au-delà du problème spécifique duKurdistan, mais en découlant, certainspassages de cette brochure ne peuventqu’attirer notre intérêt : « Il n’est pas réa-liste de penser à une abolition immédiatede l’État […] Les états institutionnels doi-vent être soumis à des changements dé-mocratiques. À la fin de ce processusdevrait se mettre en place un État faibleen tant qu’institution politique. Les élec-tions ne sont pas les seuls procédés dansce contexte […] Les peuples doivent di-rectement prendre part au processus derecherche et de prise de décision de la so-ciété. Ce projet se construit sur la base del’autogouvernement des communautéslocales et s’organise sous la forme deconseils ouverts, de conseils municipaux,de parlements locaux et de congrès pluslarges.»2 Dans la seconde brochure,Confédéralisme démocratique, Öcalan

1. On peut aussi consulter le site www.abdullah-ocalan.com sur lequel un texte d’Öcalan est traduit enanglais.2. Guerre et paix au Kurdistan, pp. 32-33.

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développe ce qu’il entend par cette no-tion, qu’il élargit au-delà du contextekurde.

Il affirme que l’histoire du peuplekurde ne le destine pas à recourir à lastructure de l’État nation, et critique aupassage la participation des Kurdes àl’État irakien. Mais il élargit cette consta-tation à la majorité des peuples duMoyen-Orient (y compris les Juifs). L’Étatest lié aux tendances totalitaires des dif-férents groupes religieux qui s’appuientsur lui et l’appuient en retour, de mêmeque le capitalisme international. Loin deréguler les conflits, il ne fait que les por-ter au paroxysme et les légitimer. Il s’op-pose à la réalité puisque, dans les faits, lesdifférents groupes sont mouvants et nepeuvent être confinés à l’intérieur defrontières. Ainsi l’État nation se révèle-t-il la « prison de la société naturelle ».

À l’opposé, le confédéralisme démo-cratique est défini comme un systèmeflexible, multiculturel, antimonopoliste etfondé sur le consensus. L’écologie et le fé-minisme comptent parmi les piliers decelui-ci. Dans le cadre de ce type d’auto-administration, il sera nécessaire de met-tre en place une économie alternativepermettant d’augmenter les ressources dela société au lieu d’exploiter celle-ci.3

Dans ce cadre, les décisions se pren-draient depuis le niveau local jusqu’auniveau global. Et le « Confédéralisme

démocratique » évoque naturellement lecommunalisme libertaire de MurrayBookchin. Et ce n’est pas un hasard.

En effet, Bookchin s’est intéressé àl’œuvre et à l’action d’Öcalan lors de l‘in-carcération de celui-ci en 1999. Il lui asemblé d’abord que leurs deux itinérairesavaient des similitudes ; d’origine mo-deste et, ayant d’abord milité dans desorganisations staliniennes, ils en connais-saient mieux que quiconque les travers.Tous deux retrouvaient également à l’ori-gine des civilisations des tendances à laliberté et à l’autogestion. Par l’intermé-diaire de l’avocat d’Öcalan, Bookchinentra en correspondance avec celui-ci etlui fit parvenir ses ouvrages majeurs.4

Mais, plus que les influences de l’un surl’autre, ce qui me semble intéressant desouligner, c’est qu’ils arrivent l’un et l’au-tre, bien qu’issus de cultures différenteset avec des exemples issus de celles-ci, àdes hypothèses et des propositions ana-logues.

De même la critique de la rigiditémortifère des frontières et de leur carac-tère artificiel s’opposant au flux naturel etaux échanges des peuples évoque le sur-régionalisme proposé par Max Cafard.5

Démocratie directe, communalisme,décisions qui remontent de la base vers lesommet, respect de la nature…Autant deprincipes qui ne peuvent que souleverl’intérêt des anarchistes… Il reste cepen-dant des points obscurs, ne serait-ce quela survivance du parti, sans doute pourune période transitoire, mais on a déjàconnu cela… De même l’État n’est pasappelé à disparaître, du moins avantlongtemps, et la coexistence des deux

3. Confédéralisme démocratique, p. 21.4. Sur les liens entre Bookchin et Öcalan, on peut serapporter, en anglais, à l’intervention de Janet Biehldans une conférence prononcée à Hambourg en février2012 : http://new-compass.net/articles/bookchin-%C3%B6calan-and-dialectics-democracy5. cf. enanglais : raforum.info/maxcafard/spip.php ?rubrique6

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systèmesme paraît également plutôt pro-blématique : en ce qui concerne les Étatsnations, républiques ou démocraties, leconfédéralisme démocratique est ouvertau compromis par rapport aux traditionsétatiques ou gouvernementales. Il privi-légie la coexistence égalitaire.6 Difficiled’imaginer qu’une telle coexistence nesoit pas conflictuelle, la preuve en étant,déjà, le maintien en détention d’Öcalan.Il n’est pas certain non plus que ces thèsessoient partagées par tous les opposantskurdes, même au sein du parti d’Öcalan,le PKK.

Mais, au-delà, cette prise de positionsoulève un aspect fondamental. De fait,au Moyen-Orient comme en Afrique,l’héritage des colonisations se traduit,

entre autres, par le tracé de frontières ar-tificielles qui ne tiennent pas compte desdifférents peuples qui les habitent et dontle territoire est le plus souvent flexible.C’est ce qu’on peut constater auMali, parexemple.

En Europe de l’Est, la fin des régimestotalitaires crée des situations inextrica-bles pour tous ceux qui ne peuvent se rat-tacher à tel ou tel État et dont un bonnombre se retrouvent ici, sans papiers,c’est-à-dire sans État. Celui-ci démontreainsi son incapacité à résoudre les situa-tions concrètes. Loin de maintenir la paixsociale, l’État ne fait le plus souvent queles entretenir, les créer ou les légitimer.Ce qui donne une nouvelle actualité à lapensée anarchiste.

Alain Thévenet6. Ibid, p.22.

Nos rédacteurs publient

Le premier ouvrage des éditions Noir etRouge est un album présenté par RonaldCreagh, Elisée Reclus et les États-Unis, suivide son Fragment d’un voyage à la NouvelleOrléans (1855) reproduit en facsimilé.

Edouard Jourdain a publié L’Anar-chisme dans la collection Repères de LaDécouverte.

Marianne Enckell et Alain Perrin-jaquet ont traduit l’ouvrage de GianpieroBottinelli, Louis Bertoni : Une figure del’anarchisme ouvrier à Genève (Entremonde,2012).

Au Coquelicot (Toulouse), l’ouvragede Nils Lätt, Milicien et ouvrier dans unecollectivité en Espagne, a été traduit dusuédois par Anita Ljungqvist et présentépar Renato Simoni et Marianne Enckell.

Table des illustrations

Anonyme, Moyen Âge, p. 9, 12, 16, 20,24, 29, 30, 37, 38, 42, 48, 52, 57, 62, 67, 70,73, 76, 81, 85, 88, 99, 102, 104, 108, 113Anonymes, La Conspiration des poudres,p. 182, 186

Gustave Doré, Pantagruel, p. 2Manuel Manilla, p. 146Leopoldo Méndez, p. 116, 123Neuzz, p. 175, 176, 177, 181Obey, p. 172José Guadalupe Posada, p. 126, 131, 134,139, 143, 151, 154, 161, 166, 170

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