Eduardo Blasco Ferrer, Paleosardo. Le radici linguistiche della Sardegna neolitica

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400b Besprechungen Eduardo Blasco Ferrer, Paleosardo. Le radici linguistiche della Sardegna neoli- tica (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, vol. 361), Berlin / New York, De Gruyter, 2010, XIV + 243 p. Le spe ´ cialiste de la langue sarde qu’est E. Blasco Ferrer nous offre, a ` peine un an apre ` s la parution de son livre sur l’histoire de cette langue (Storia della lingua sarda, Cagliari, CUEC, 2009) un bel ouvrage sur le pale ´ osarde dans lequel il e ´ tudie plus spe ´ cialement les noms de lieux et leur distribution. En effet ce sont eux qui, tre ` s souvent, vont nous re ´ve ´ ler l’existence d’une langue substratique. En l’occurrence il s’agit du substrat linguistique ante ´rieur a ` la romanisation de la Sardaigne, langue a ` priori morte et inconnue mais dont la pre ´ sence avait de ´ja `e ´te ´ suppute ´ e par un nombre respectable de linguistes. Cependant, personne jusqu’a ` pre ´ sent n’avait e ´ tudie ´ la toponymie et surtout la microtoponymie pale ´ osarde de manie ` re aussi comple `te et de ´ taille ´e. DOI 10.1515/zrp-2012-0038 Brought to you by | Boston College O'Neill Library Authenticated | 10.248.254.158 Download Date | 8/20/14 9:34 AM

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Eduardo Blasco Ferrer, Paleosardo. Le radici linguistiche della Sardegna neoli-

tica (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, vol. 361), Berlin /New York,De Gruyter, 2010, XIV + 243 p.

Le specialiste de la langue sarde qu’est E. Blasco Ferrer nous offre, a peine unan apres la parution de son livre sur l’histoire de cette langue (Storia della

lingua sarda, Cagliari, CUEC, 2009) un bel ouvrage sur le paleosarde dans lequelil etudie plus specialement les noms de lieux et leur distribution. En effet ce sonteux qui, tres souvent, vont nous reveler l’existence d’une langue substratique. Enl’occurrence il s’agit du substrat linguistique anterieur a la romanisation de laSardaigne, langue a priori morte et inconnue mais dont la presence avait deja etesupputee par un nombre respectable de linguistes. Cependant, personne jusqu’apresent n’avait etudie la toponymie et surtout la microtoponymie paleosarde demaniere aussi complete et detaillee.

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L’auteur debute son livre en rappelant, ce qui n’est pas inutile, ce qu’est unsubstrat linguistique [1]: une ancienne langue qui a ete recouverte par une autreplus recente et qui peut soit avoir totalement disparu soit avoir laisse des tracesdans la nouvelle langue ou dans la toponymie. Le but poursuivi par l’auteurconsiste a mettre en evidence ces traces residuelles. D’entree de jeu il donne unexemple d’influence substratique d’une langue sur une autre: le cas du latinficus ‘figuier’ Ð qui devient higo en castillan avec perte de l’initiale Ð seraitprobablement du a l’influence phonetique du basque [3]. Le phenomene senomme lenition (c’est-a-dire affaiblissement, adoucissement). L’auteur auraitpeut-etre pu alors citer des maintenant le cas du gascon, dialecte de l’occitanqui est le seul a connaıtre aussi cette lenition F > H aspire, ce qu’il fera plusloin. On en arrive rapidement a l’onomastique et l’auteur considere, a juste titre,que l’etude des toponymes sardes a un caractere «urgent» car la plupart destoponymes derivent d’un nom commun qui etait en usage dans la langue cou-rante [6]. Il cite le cas des nombreuses formes Villeneuve, Villanova, Neapolis,etc., ce qui lui permet d’introduire dans cette serie le cas de l’ibero-basqueIliberri de sens identique (ili ‘ville, domaine’ et berri ‘nouveau’). J’en profitepour rappeler que la presence de formes Iliberri jusque dans le sud de l’Espagnea donne lieu a d’importants debats quant a la parente eventuelle entre le basqueet l’ibere (hypothese du basco-iberisme). Pour ce qui concerne les champs se-mantiques, E. Blasco Ferrer reprend l’un des exemples qui avaient frappe sespredecesseurs, celui du sarde golosti, olostri ‘houx’, car il semble bien cor-respondre au basque gorosti ‘id.’ [7]. Il est certain que les noms de plantes sontinteressants dans le cadre des etudes toponymiques, presque autant que les oro-nymes ou les hydronymes que l’auteur aborde maintenant [8]. Bien vite il appa-raıt que des elements de certains toponymes sardes ressemblent beaucoup acertaines formes basques, comme par exemple aran ‘vallee’ [9]. L’auteur evoqueensuite les rapports entre le substrat et les donnees non-linguistiques ou extra-linguistiques telles que l’histoire, l’archeologie ou la genetique [13] en rappelantles travaux de C. Renfrew, M. Gimbutas [18], L. L. Cavalli-Sforza [20] et l’impor-tance des recherches actuelles modernes sur l’ADN. Il rappelle qu’on a aussietudie la repartition des groupes sanguins A, B, 0. Les chercheurs avaient etefrappes par la forte proportion de sang du groupe 0 ches les Basques, ainsi quepar leur taux tres eleve de rhesus negatif. Personnellement je pense que le forttaux de 0 est uniquement du a l’isolement ou a la derive genetique (genetic drift)et que ce n’est pas specifique aux seuls Basques. L’isolement a tendance a elimi-ner les groupes A et B comme chez les Amerindiens par exemple ou ils ontquasiment completement disparu. L’auteur mentionne aussi le travail (contro-verse) du chercheur allemand Th. Vennemann qui s’appuie sur la presence del’haplogroupe V dans toute l’Europe centrale pour en conclure que toute cettezone etait de langue basque [21].

Le chapitre 2 traite du substrat et de la methode historico-comparative [25],puis de l’opposition entre les tenants de la toponymie de type paleo-indoeuro-peen (ou alteuropäisch) en Europe de l’ouest (H. Krahe, F. Villar notamment)et ceux du substrat peri-indoeuropeen ou mediterraneen en mentionnant lesimportants travaux de l’ecole italienne dans ce domaine [27]. L’auteur aurait puopposer egalement ici la theorie de H. Krahe a celle de Th. Vennemann evoqueeau chapitre precedent. Suivent un petit paragraphe sur le substrat et la methode

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bilingue et un autre sur le substrat et la methode combinatoire et typologique[30]. Du point de vue de la typologie l’auteur range le paleosarde dans la catego-rie des langues agglutinantes [33] et considere que les racines de cette languesubstratique non-indoeuropeenne sont du type CVC (consonne-voyelle-consonne)[35] au meme titre que les racines basques (par exemple *BEL ‘noir’). Selonl’auteur la connaissance de la structure est indispensable et la methode structu-relle doit etre appliquee au paleosarde etant donne l’absence de corpus epi-graphique pour cette langue [35]. On ne peut evidemment qu’etre d’accord avecce principe de bon sens.

Le chapitre 3 est consacre a l’historique de la recherche sur le paleosarde[37], depuis la mythologie jusqu’aux donnees modernes: archeologie [39], geneti-que [45] et linguistique [48]. Le nom de Max Leopold Wagner est evidemmentcite ainsi que celui de Johannes Hubschmid [51]. Certaines faiblesses de cesauteurs sont neanmoins signalees. L’auteur considere qu’il y a une distinction afaire entre l’epoque de Wagner et celle qu’il nomme «post-wagnerienne» [53].C’est la qu’apparaissent de nouveaux noms importants, ceux de M. Pittau etG. Paulis. L’auteur se montre assez critique. Il voit par exemple dans le fait queG. Paulis a rectifie le second element du toponyme Funtana Gorru en *goru

issu de cor une erreur. Pour lui il s’agit du meme element que le basque gorri

‘rouge’. C’est en effet tres interessant. De plus la finale -u est un element suffixalen sarde et il en va de meme en basque pour l’element final qualifiant en -i quin’appartient pas a la racine. Le seul terme qui pourrait faire hesiter est le sardecorru ‘coin’, mais s’il y a sonorisation une forme basco-sarde *gorr- est sansdoute preferable.

Le chapitre 4 nous renseigne sur la typologie du paleosarde et la maniered’analyser les microtoponymes [63]. Il convient en effet d’etudier la structuredes microtoponymes et d’isoler les morphemes en prefixes, racines et suffixesd’apres leur regularite recurrente. A partir de la l’auteur donne des exemples desegmentations [67], puis de racines et bases [69]. Certaines des bases semblentcorrespondre au basque, d’autres non. On y trouvera des bases bien connuescomme KUK [71] largement repandues sur toute l’Europe meridionale et au-delaet d’autres qui paraissent limitees au basco-sarde comme LUR [73] dont l’auteurpense qu’il existe une variante DUR, selon lui anterieure. Une autre base OTZsemble correspondre au basque (h)otz ‘froid’. L’auteur insiste sur le fait qu’ilexiste encore dans la langue sarde actuelle un terme ospile ‘lieu frais et ombragepour le betail’. Ce terme correspondrait au basque ozpil ‘lieu frais’ [78]. Sousreserve que le mot sarde ne soit pas un derive du latin hospis, cette correspon-dance de signifiant et de signifie est remarquable.

Le chapitre 5 confronte le paleosarde, le paleobasque et l’ibere [89]. Pour E.Blasco Ferrer cette confrontation est justifiee par le fait que la Sardaigne a etecolonisee a partir de l’Iberie au neolithique. S’ensuit une breve presentation typo-logique du paleobasque et des exemples. L’auteur rappelle l’importance des tra-vaux de Luis Michelena sur le proto-basque et signale ceux plus recents de J. A.Lakarra [94] qui ne sont pas sans poser quelques serieux problemes, notammentses reconstructions a partir de la regle (non systematique a mon avis) de lachute du -n- intervocalique dont il se sert pour extrapoler ensuite des formesproto-basques a redoublement comme par exemple *ninitz a partir de *initz >ihitz «jonchaie» [95]. Il existe certes comme dans beaucoup de langues des

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formes a redoublement en basque comme par exemple gogor ‘dur, fort’ issu degor ‘dur, sourd’ (cf. fr. dur d’oreille = sourd), mais les systematiser (ohol ‘plan-che’ < *onol < *nonol) risque de donner au proto-basque une allure quelque peuinfantile. On sera egalement tres sceptique sur sa reconstruction du basque ibai

‘fleuve, riviere’ < hibai < *hibani < *u(r)ban-i [96] car c’est oublier que dansl’onomastique basque ancienne on ne trouve que bai et non ibai (Baigorri ‘ri-viere rouge’ des la periode de l’aquitain, Bayonne, etc.). Apres une breve presen-tation typologique de l’ibere, l’auteur confronte le paleosarde avec le paleobas-que [99]. Les racines sont reprises de facon plus detaillee cette fois avec leursequivalents basques probables ou supposes, puis quelques suffixes egalementcomme -ake qui est compare au morpheme de pluriel basque -ak [115]. Ensuitec’est le paleoarde et l’ibere qui font l’objet d’une confrontation [117]. Parmi lesracines etudiees, l’une d’elles presente un interet tout particulier. Il s’agit de laforme ibere BEL(E)S/MELES [119] qui doit etre rapprochee du basque bel(tz)‘noir’. L’auteur pense que ces formes correspondent au paleosarde mele, nele tresfrequent comme suffixe dans les toponymes. Sont ensuite etudiees les racinesd’origine incertaine ou obscure [124]. L’auteur classe dans cette serie des basesbien connues comme KAR ou KUK dites «peri-mediterraneennes» dont l’aires’etend en realite beaucoup plus loin (j’ai retrouve cette derniere jusqu’en Ex-treme-Orient) et d’autres moins claires comme DONN de sens enigmatique [126].L’auteur revient ensuite sur la semantique du paleosarde et notamment sur lecas de mele, nele [131].

Le chapitre 6 etudie la stratigraphie du paleosarde [137] en comparant a nou-veau paleosarde et paleobasque, paleosarde et ibere. Si certains rapprochementsme posent quelques questions comme par exemple le cas de (h)iri, uri ‘domaine’qui deriverait de *nur (la racine qui a donne nuraghe), en revanche j’approuvecompletement le fait de refuser que la forme obi soit un emprunt au latin fovea,car elle est doublee par gobi [140]. Il s’agit en realite d’une tres ancienne formeeurasienne de type alternant *GVB-/KVP- ‘forme concave’ dont la voyelle estvariable et qui est a l’origine d’un nombre impressionnant de derives dans denombreuses langues. L’auteur etudie ensuite les rapports entre le paleosarde, leperi-indoeuropeen et le paleo-indoeuropeen [145] tout en reconnaissant que c’estune question epineuse. On y retrouve la theorie hydronymique de H. Krahe etde ses partisans (F. Villar, W.P. Schmid, J. Untermann, J. Udolph) ainsi que lescritiques dont elle est l’objet. Certaines bases sont controversees quant a leurintegration dans l’un ou l’autre substrat [149] comme *NAVA, *PAL-, *SALA,*SIL-, *IS.

Le chapitre 7 est consacre au paleosarde en relation avec le substrat ethnique[153]. Il s’agit pour l’auteur de montrer que dans certaines regions montagneusesde Sardaigne comme la Barbagia ou la resistance a la romanisation a ete forte,des traits substratiques ont subsiste. Un de ces traits phonetiques est l’aspirationet la perte du /f/ initial que l’auteur a deja evoquees au debut de son livre [154].J’ajouterai, en ce qui concerne la zone castillano-basque et gasconne, qu’on pour-rait objecter que le dialecte aragonais voisin a conserve le /f/ initial comme lefaisait G. Rohlfs (Le Gascon, Tübingen /Pau, Niemeyer / Marrimpouey Jeune,1970, 146) tout en reconnaissant que cela est surprenant. Mais une etude atten-tive montre que le substrat basque y a produit aussi le meme effet. A proximitede la ville aragonaise de Linas existe par exemple un toponyme Ongotituero qui

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n’est autre que l’evolution d’une forme romane fonte guttatoriu. D’autre part ontrouve des prononciations telles que juente pour fuente ‘source’, jorca pour forca

‘fourche’, jarina pour farina ‘farine’, jabla pour fabla ‘langue’ dans certaineszones locales castillano-aragonaises, comme d’ailleurs de l’autre cote, a l’ouest,vers les Asturies qui ont aussi un substrat toponymique basque: Arangas dearan ‘vallee’, riviere Ibias de ibi ‘gue’, etc. Le meme G. Rohlfs (ib., n. 205) faiten outre remarquer que le phenomene du passage de /f/ a /h/ est connu aussidans certaines regions d’Italie continentale comme la Lombardie ou la Calabre.

Le chapitre 8 qui constitue la conclusion est intitule «Conclusioni e deside-rata» [159]. L’auteur fait le bilan de la recherche effectuee et conclut qu’il existeune couche importante d’origine ibere / hispanique et basque dans la partie cen-tre-orientale de la Sardaigne, substrat anterieur a la couche semitique dont cer-taines racines peuvent meme remonter jusqu’au mesolithique, voire au-dela (ta-bleau) [162]. Quant aux desiderata, l’auteur souligne la necessite d’une recoltesystematique et rigoureuse de tous les microtoponymes sardes ainsi que celled’une collaboration internationale entre specialistes du domaine sarde et du do-maine ibero-basque qui doit evidemment inclure la Catalogne [163]. Il convientdu reste de faire remarquer au passage que les travaux sur l’ibere progressentlentement mais surement.

L’ouvrage se termine par une tres riche bibliographie de 24 pages suivie denombreux index tres utiles et de quelques cartes et photos. Au final un ouvragetres erudit conjuguant l’esprit scientifique traditionnel et l’esprit pionnier, unouvrage de reference desormais incontournable pour qui voudra s’interesser ala question des substrats pre-romans de la Sardaigne.

Les Clayes-sous-Bois MICHEL MORVAN

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