Christianisme, spiritualité, religion catholique louange | mp3 · 2015. 12. 23. · 13 A....

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  • comme étant les comportements essentiels et les vertus dequiconquedésiraitétreindreleChristcrucifiéetentreprendrelechemindel’unionmystiqueenDieu.Le Christ que Bonaventure présente à son lecteur dans le

    LignumVitaeexprimedesexigencesàl’adressedelapersonne.Ilya,commelefaitremarquerL.RodriguezChilan,undoublemouvement dans chacune des scènes duLignumVitae : d’unepart, l’appel à contempler lesmerveillesque lePèrea révéléesdans leChrist et, d’autrepart, l’appel à suivre leChrist sur lechemin qui reconduit au Père

    24. Les vérités théologiques qui

    serontdéveloppéesdans ce chapitre IVconduiront le lecteur àun certain comportement moral et à la pratique des vertus.ComportementetvertusqueBonaventureexpliciteraclairementennousracontantànouveaul’histoiredeDieuquivientànousdans le Christ et du Christ qui nous reconduit « chez nous »dansl’unionavecDieu.

    1E.A.DREYER,«AffectusinSt.Bonaventure’sTheology»,FS42(1982)15.2W.H.PRINCIPE,«BroadeningtheFocus:ContextasaCorrectiveLensinReadingHitoricalWorksinSpirituality»,CBS2.1(1994)3.3Ibid.,14Ibid.,1.5B.C.LANE,«Galesville andSinai :TheResearcher asParticipant in theStudyofSprituality»,CBS2.1(1994)18-19.6Ibid.,18.7«PourlesgrandsauteurspatristiquesetmédiévauxdelafinduXIIIesiècle,l’enseignement et l’étude de la vie dans l’Esprit était inséparable de lathéologiedelamiséricordedeDieuetdel’appelàunevieselonlagrâce»;PRINCIPE,«BroadeningtheFocus»4.8 Brevil., prol. 5 : « Quia enim haec doctrina est, ut boni fiamus etsalvemur…»Toutes les citations latines deS.Bonaventura sont tirées des

  • OperaOmnia(ed.PP.CollegiiS.Bonaventurae,10vol.,AdClarasAquas,Quaracchi 1882-1902) ; pour la trad. anglaise de cet ouvrage, cf. J.DEVINCK,Breviloquium, inTheWorksofBonaventure,6vol.,FranciscanPress, Quincy, IL 1960-70) II ; pour la trad. anglaise du Prologue cf. D.MONTI,«ProloguetotheBreviloquium»inBonaventure:MysticofGod’sWord, (éd. et introd.T. JOHNSON,NewCityPress,HydePark,NY1999)31-46.9TAVARD,«St.BonaventureasMysticandTheologian»inTheHeritageofthe Early Church (éd. D. NEIMAN and M. SCHATKIN, Pont. InstitutumStudiorumOrientalium,Rome1973)296.10 Pour les trad. anglaises de cet ouvrage, cf. E. COUSINS, The Soul’sJourneyintoGod,TheTreeofLife,ThelifeofSt.Francis(TheClassicsofWesternSpirituality,PaulistPress,NY1978)53-116;ouP.BOEHNER,SaintBonaventure’s ItinerariumMentis in Deum (Works of Saint Bonaventure,TheFranciscanInstitute,NY1956)II.11 Boehner, Cousins et Pospisil sont tous d’accord pour dire que laprépositioninutiliséedansle titredecetouvrageestpleinedesignification« car le propos de l’Itinerarium n’est pas simplement de nous conduirejusqu’à Dieu ni de le toucher ou de l’atteindre intellectuellement maisd’entrer de fait en Lui par un très grand amour, d’atteindre l’unionmystique»;BOEHNER,Notes«Itinerarium»,105.PourBolderc’estlàunchoix«plusaudacieux»(muchbolder)quelaphraseadDeum(versDieu)qu’onpourraitattendredansunusageordinaireet ilestd’accordpourdireque « c’est très vraisemblablement une manière de souligner la naturemystique du but de cet itinéraire » ; COUSINS, « Introduction » inBonaventure : The Soul’s Journey into God, 21. Pospisil affirme quel’utilisationde inDeum requiert l’idéed’un«d’un ravissementmystique»(l’ascesarapimento)etaussid’une«extasequiestlaplushauteformedelacontemplation » ; C.V. POSPISIL, « La via della salvezza nell’ItinerariummentisinDeum»,Ant72(1997)67.12Cf.Itin.,premierschapitres;COUSINS,58.13 A. PIERETTI, « L’Itinerarium di S. Bonaventura come ermeneuticaontologica»,DSXXXII(1985)29.14 Dans la culture médiévale, les livres étaient, au sens platonicien, desrappels de la connaissance déjà acquise.On utilisait lamétaphore du livrepour éclairer le processus d’apprentissage ou de réapprentissage ; T.JOHNSON,«Introduction»inBonaventure:MysticofGod’sWord,20.

  • 15 N. MUSCAT, « The life of Saint Francis in the light of SaintBonaventure’s Theology on the « Verbum Crucifixum », (EdizioniAntonianum, 32, Rome 1989) 126. Dans cet ouvrage, les crochets àl’intérieurdescitationsindiquentdemapartuneaddition,unchangementouune clarification tandis que les parenthèses appartiennent au texte deréférence.16Itin., IV : 2-3 : «Necesse est igitur, si reintrare volumus ad fruitionemVeritatis tanquam ad paradisum, quod ingrediamur per fidem, spem etcaritatemmediatorisDeiethominumIesuChristi,quiesttanquamlignumvitae in medio paradisi Quibus sensibus recuperatis, dum sponsum suumvidet et audit, odoratur, gustat et amplexatur, decantare potest tanquamsponsa Canticum canticorum, quod factum fuit ad exercitiumcontemplationissucundumhuncquartumgradum»;COUSINS,88-89.J’aichoisi d’utiliser la traduction anglaise des Écrits de saint Bonaventure déjàexistanteenyapportantseulementquelqueschangementsmineurs.J’aitentéune traductionplus« inclusive»dans lamesureoù laplupartd’entreellesdatentdes années1960-1970et, de ce fait, ne reflètent pas la sensibilité aulangage « inclusif » auquel beaucoup d’auteurs s’efforcent aujourd’hui.Lemotlatin«homo»,parexemple,estsouventtraduitpar«homme»bienquecemotsoitunnomcommunfaisantréférenceà toutepersonnehumaineetpasseulementàl’homme-masculincommelatraduction«homme»peut lelaisser entendre au lecteur du XXIe siècle. Quand « vir » est utilisé parBonaventure il est plus approprié de le traduire par « homme » (au sensmasculinduterme).Cf.OLD,800.17E.COUSINS,«Bonaventure’sMysticismofLanguage»inMysticismandLanguage(ed.S.T.KATZ,OxfordUniversityPress,NewYork1992)236.18Cf.OLD,1153.19Itin.,VII : 4 : «Hoc autem estmysticum et secretissimum, quod nemonovit,nisiquiaccipit,necaccipitnisiquidesiderat,necdesideratnisiquemignisSpiritussanctimedullitusinflammat,quemChristummisit interram.Et ideo dicit Apostolus, hanc mysticam sapientiam esse per Spiritumsanctumrevelatam.»;COUSINS,113.20Cf.H.U.vonBALTHASAR,«Bonaventure»inTheGloryoftheLord:ATheologicalAesthetics(trad.A.LOUTH,F.McDONAGH,B.McNEIL,éd.J.RICHES,7vol.,T&TClark,Edinburgh1982-91)II(1984)260-362.21Ibid.,270.22Cf.OperediSansBonaventura(ed.J.G.BOUGEROL,C.DelZOTTO,et

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  • ce qu’il écrit dans son Itinerarium Mentis in Deum, c’est ledésir. Pour toute activité de prière, notamment pour lacontemplation, le chrétien a besoin d’être une personne « dedésir»,commeleprophèteDaniel:

    Aussibien,pourserendreapteàcontemplerDieuetpourparveniràl’extase,faut-ilêtrecommeDanielun«hommededésir»(Dan9,23)

    28.

    Loindeproposerunpointdedépartquiconsisteraitàserenier

    soi-même,ouuneméthodedanslaquellelesémotionsn’auraientaucune place, Bonaventure sent bien que le chrétien a besoind’avoirfaimdeDieu,demendiersaprésence,debrûlerpourlui,deledésirerdetoutsoncœur.LeLignumVitaeestunouvrageécrit précisément pour enflammer un tel désir. Dans cet écritmystique,l’intentiondeBonaventurec’estderallumerlapetiteflamme d’amour déjà présente dans « l’âme consacrée auChrist»

    29.Lebut,c’estd’explorerlesÉcrituresetdebeaucoup

    approfondirlarichessedestextesenévitantdelesparcourirenhâte.Bonaventurealapassiondetoutcequiestorganisationetsynthèse. Pour écrire les Constitutions de Narbonne, il prittouteslesloiséparsesetlesstatutsdel’Ordreetlesrésumaenun petit texte soigné, organisé en thèmes autour des douzechapitresde laRègle.Pour rédiger saLegenda deFrançois, ilprit les biographies existantes aussi bien que les témoignagesoraux circulant à l’époque et les synthétisa dans une histoirecaptivante écrite, bien sûr, à partir de son unique perspectivemystiqueetthéologique.OnpourraitconsidérerleLignumVitaecommeuneautretentative,réaliséeavecdévotion,desynthèseetd’organisationdumatérieldisponible.Cettefois,cependant, lematériel en question vient des quatre Évangiles auxquels

  • s’ajoutentd’autres textesde l’Écritureet ilestorganiséautourdel’imagedel’arbredevie.

    L’arrière-planduLignumVitaedeBonaventurePeut-être qu’une bonne façon de commencer notre étude du

    Lignum Vitae c’est de le faire avec les mots mêmes deBonaventure qui nous exhorte à étudier… seulement pour debonnesraisons!Lorsqu’il introduitsonauditoireauxfruitsdel’arbredeviedanslePrologueduLignumVitae, ilsaisitcetteopportunité pour avertir le lecteur de ne pas répéter la fauteorgueilleused’Adam:

    Je les nomme donc des fruits, parce qu’ils délectent parleur multiple suavité et réconfortent par leur efficacitél’âme qui médite sur leur objet et les parcourt avecattention, pourvu qu’elle déteste l’exemple d’Adam, lepécheurquipréféral’arbredelasciencedubienetdumalà l’arbre de la vie. Ce que l’on ne peut éviter qu’enpréférantlafoiàlaraison,ladévotionàlarecherche,lasimplicité à la curiosité, la sainte croix duChrist à toutplaisirdessensouàtouteprudencecharnelle

    30.

    Lorsqu’ilcompareladouceurduChristà ladoucenourriture

    du fruit de l’arbre, le principal souci deBonaventure c’est defaire en sorte que le croyant se mette en route à la suite duChristetdesaCroix,nonpourdevenir supérieurauxyeuxdumonde ou plus savant, mais pour grandir en simplicité et enamour. Ce n’est pas pour recevoir une information que lechrétien doit étudier mais pour recevoir la vie

    31. Ici, comme

    partout ailleurs dans ses écrits32, Bonaventure attaque ce qu’il

    appelle« la curiosité» (curiositas) pour la raisonquedans le

  • monde étudiant, les personnes étudient très souvent pour defausses raisons,pour leplaisirdeconnaîtreoupourapprendreen vue d’obtenir du pouvoir ou de devenir important. PourBonaventure, la seule raison des études c’est de parvenir àconnaître et à aimer davantage leChrist et c’est bien cela quidevraitaiderlechrétienàgrandirensimplicitéetendévotionetnondes’enflerd’orgueil.LeLignumVitaenousoffreunecourte

    33sériederéflexionssur

    la vie, la mort et la glorification de Jésus-Christ, réflexionstirées amplement des récits évangéliques, avec pour but depermettreauxpersonnesquiprientaveccetouvragederécolterles fruits de laméditation de l’Écriture et de se conformer defaçonplusparfaiteauSauveur.BonaventureconclutleProloguedecetécritendemandantauSeigneuraveclelecteur:

    Quel’ondisedoncnonsansdévotionetlarmes:Nourris-nousdeces fruits ; illuminenospensées ;Conduis-noussurdesdroitschemins,brisel’élandel’ennemi.Remplis-nous de saintes clartés, inspire-nous de pieuxsoupirs,soispourceuxquicraignentleChristunétatdevieserein

    34.

    MêmesileLignumVitaeaeuunetrèsgrandinfluencedansle

    siècle qui suivit sa parution35, il n’en reste pas moins

    qu’aujourd’hui il y a peu d’études critiques à son sujet àl’exceptiondequelquesintroductions

    36.EnEspagne,ontrouve

    le travail de L. Rodriguez Chilan (1992)37 et l’ouvrage non

    publiéd’I.C.Jimènez(1998)38.Chacundecesdeuxécritsoffre

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  • symboledulienentrelaterreetlecieletunsymboleduChristqui incarne ce lien en venant sur terre pour donner la vie enabondance

    81.Bienévidemment,leboisdel’arbresuggèrelebois

    delaCroixqui,ainsiquenousleverronsdanslechapitreIVdecette étude, ne peut pas être séparé du Christ qui, par amour,s’est laissé clouer dessus à jamais. Elizabeth A. DREYERréfléchit sur l’utilisation faite par Bonaventure de l’image del’arbredevieetsursapertinencepournousaujourd’hui:

    L’objectif de cette image c’est de nous inviter à réfléchirsur l’amourdeDieutelqu’ilnousestmontrésur lacroixmais, par-dessus tout, de révéler les relations intimes queDieuaétabliesavecnousdans leChrist.C’estuneimageverticalequis’enracinepourunepartdanslesensprofondqu’a Bonaventure de la nature hiérarchique de l’univers.Cependant, alors qu’aujourd’hui nous répugnons auxgrades et hiérarchies de toutes sortes pour décrire la viespirituelle et notre relation avecDieu, je pense que nousapprécions vraiment avec Bonaventure l’expérience plusprofondedecetteétonnantesolidaritéetdecetamour-donque Dieu partage avec nous. Transposée au XXIe siècle,l’image de l’arbre de vie peut nourrir notre faim d’unevéritablecompréhensionincarnéedelafoietdelaprésencedeDieudanslemondeetpourlemonde

    82.

    StructureduLignumVitaedeBonaventureEn tant qu’écrit mystique, LeLignum Vitae de Bonaventure

    présenteaulecteurunarbredevieconstituédedouzebranchesportant chacune un fruit. Le fruit qu’elles portent « est offertaux serviteurs de Dieu pour qu’ils le goûtent afin que, lemangeant, ils puissent toujours être satisfaits sans jamais se

  • lasserdesongoût»83.Cefruitquiestoffertaulecteuresttout

    simplementl’amourduChrist,«unetindivisibleetquipourtantnourritlesâmespieusesdeconsolationsdiversesenfonctiondeses différents états, dignités, vertus et œuvres »

    84. Ainsi,

    Bonaventure se sent à l’aise lorsqu’il divise l’unique fruit del’amourduChristendouzecatégoriesousenteursdifférentesenfonction de la consolation particulière ou de la satisfactiond’êtrenourrieéprouvéeparl’âmequiméditesurcesdouzefruitsdifférents

    85.

    Les douze fruits et, dès lors, les douze chapitres duLignum

    Vitaesontdivisésentroisgroupesdequatre,souslescatégoriessuivantes : l’origine du Christ, la Passion du Christ et laglorificationduChrist

    86.LepremiergroupeconsidèreleChrist

    danssonorigine,sonhumilité,lanoblessedesonpouvoiretlaplénitudedesapiété;ledeuxièmegroupeexaminelaconfiancedu Christ lors de son procès, sa patience dans les mauvaistraitements, sa constance sous la torture et sa victoire sur lamort ;quantau troisièmegroupe, ilméditesur laRésurrectiondu Christ, son Ascension, le jugement et le royaume

    87.

    RodriguezChilànnommecetouvrage«unpetitdrameentroisactes»écrit,nonparunmetteurenscène,maisparunartiste

    88.

    En divisant le Lignum Vitae en trois parties plus ou moins

    égales,BonaventurefaitdelasectionconcernantlaPassionduChrist le centre et le cœur de tout son ouvrage.À l’évidence,cette structure n’est pas accidentelle. En cohérence avec sesautresécrits,BonaventurerévèleunefoisdeplussaconvictionprofondémentancréequelaCroixduChristdoitêtreaucentrede toute notre activité, au centre de la vie et dans le cœur du

  • croyant. Pour Bonaventure, celui qui aime vraiment le Christdoitdésirerlacroix,ildoitdésirerêtrecrucifiéavecleSeigneuretildevraits’écrierdanslaprièreainsiqu’onlevoitauchapitreVII:

    Que se réalisedoncmaprière,queDieu répondeàmonattente, que je sois dans mon esprit et dans ma chairtranspercétoutentieretattachéaugibetdelacroixavecmonbien-aimé

    89.

    Les«fruits»duLignumVitaeontpourbutd’inviterlelecteur

    àunerencontreplusintimeavecJésus-Christ.Bonaventure,parexemple, choisit souvent des mots « chargés »,émotionnellement parlant, et des prières bien tournées quirévèlentsapropreexpériencepersonnelleduChristet,enmêmetemps, appellent le lecteur à une rencontre personnelle avec leChrist. Dans son ouvrage « The ‘Lignum Vitae’ of SaintBonaventureandtheMedievalDevotionalTradition»,PatrickO’Connell analyse leLignumVitae et nous rappelleque, pourBonaventure« lesémotionsnesontpasunbutenelles-mêmesmais elles doivent être associées à une réponse plusprofondément spirituelle »

    90. Par exemple, ce qui compte pour

    Bonaventure,cen’estpasseulementdesusciterchez le lecteurles larmes ou la joie mais de lui donner une plus grandeintelligence et expérience personnelle duChrist, de telle sortequ’il puisse ainsi parvenir à connaître l’œuvre de salut duSeigneuretqu’ilenaimeencoreplussonSauveur.

    JamaisBonaventurenerecherchedeseffetssubjectifspoureux-mêmes, mais c’est à la dimension sotériologique detoutes les actions de Jésus, depuis l’Incarnation jusqu’à

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  • implorantsonPère.DanslaRegulanonbullata, ilprie lePère avec Jésus pour ceux qui lui ont été donnés et quiviennentdumonde

    117.

    Que l’on considère les écrits de François ou ceux de

    Bonaventure,onytrouveuneforteinsistancesurl’humanitéduChrist et la présence vivante duVerbe deDieu dans l’âme deceluiquiprie.Bonaventureinvitelelecteuràparticiperàlaviede la Trinité, ainsi qu’on le voit dans la vie et les écrits deFrançois. Dans le Lignum Vitae, Bonaventure se consacra àécrire et systématiser ce que François aurait sans douteintériorisé de façonmoins structurée, notamment les prières etlesméditations sur lavie, lamortet laglorificationduChrist.Cela afin d’approfondir l’amour du lecteur pour le Crucifié,l’hommeJésus-Christ,etluipermettreainsiuncœuràcœuravecle Dieu-Trinité. C’est pour cette raison que j’ai classé cetteœuvre non simplement comme une lectio divina mais commeunelectiodivinafranciscaine.

    Fairel’expérienceduLignumVitaeEntantquelectiodivinafranciscaine,onnedoitpasaborder

    leLignumVitaecommen’importequelleœuvre.Cen’estpasuntraitéscientifiquequ’ils’agitdedisséquermaisplutôtuneprièredont il fautfaire l’expérience.LeLignumVitae estunouvragené de l’expérience même de la prière personnelle deBonaventureet,commetel,c’estunouvragequiinvitelelecteurà faire à son tour sa propre expérience. Son but, comme pourtoutes lesœuvres deBonaventure, c’est de nous conduire à lasagesseenempruntantlechemindelasainteté.«Delascienceàla sagesse il n’existe pas de passage certain, il est doncnécessairedefaireintervenirunintermédiaire,c’estprécisément

  • lasainteté118.»LeLignumVitaeestuntextespirituelclassique

    qui,unefoisencore,appellelelecteuràsemettreenroutepourlevoyageverslasainteté.

    Tous les textes spirituels sont, historiquement parlant,conditionnés.Pourtant,certainstraversentlesfrontièresdutemps et de l’espace et conservent leur popularité et leurimportancedansdescontextestrèsdifférentsdeceluidanslequelilssontnés.Cesontceuxquenouspouvonsappeler« classiques ». Ils livrent quelque chose d’irrésistible etcontinuentà«défier»leslecteursenlesamenantàentreren contact avec ce qui est permanent et essentiel dans latraditionchrétienneetquipeutleschanger…D’unefaçongénérale, la force de ces textes classiques c’est qu’ils nefont pas qu’enseigner, ils sont capables de persuader lelecteuretdel’ameneràrépondrepersonnellement

    119.

    Lestextesspirituelsclassiques,commeleLignumVitae,nous

    rappellent que théoriser et faire seulement de la théologie estlargement insuffisant quand il s’agit d’aborder les choses deDieu.Cedontnousavonsbesoin,c’estde la saintetéquipeutnous être facilitée par l’expérience profonde que nous faisonsdutexte.Écrivantàuneépoqueoù,enthéologie,lathéorieetlapratiquenepouvaientêtreséparées,lesœuvresdeBonaventuresontunestimulationpourlethéologienquiportesoucidesaviespirituelle. Charles Carpenter s’est plongé largement dans lesécrits de Bonaventure pour montrer que, pour le Docteurséraphique, faire de la théologie ne peut être séparé de larecherchedelasainteté

    120.C’estpeut-êtredansleLignumVitae

    que ce fait est le plus évident car il fournit au lecteur de

  • profondes perspectives théologiques ainsi que des invitationssans cesse renouvelées à une rencontre personnelle avec leChristetàl’imitationdesonhumbleamour.

    Enrespectantlepropredelathéologieentantqu’étudeduDieu vivant qui nous appelle personnellement dans laRévélation, et en entreprenant la théologie avec le désird’enfaireuncheminspirituelversDieu,lethéologienpeutdirectement connaître Dieu selon Dieu c’est-à-dire en enfaisant l’expérience. À l’inverse, vouloir connaître Dieuselon nos seuls critères, c’est-à-dire en dehors d’unerelation personnelle avec Lui, c’est fausser de façonintrinsèquel’objetde la théologie,sansparlerdu tortquecelapeutcauseràl’espritdel’homme

    121.

    Aumomentoùnousnousapprêtonsàentrerdans leLignum

    Vitae,ayonssoucidegarderenmémoirelesmotsdeCarpenter.Tout comme Bonaventure, entreprenons un travail théologiquedans l’espoirderencontrer leDieuvivant.Quenotre théologiesoit la servanted’un chemin théologique etmystiquequi nousrapproche le plus de ce Dieu. Dans notre tentative d’aller aucœurdesprincipesthéologiquesduLignumVitae,nousdevonsfaire l’expérience de la prière deBonaventure et lui permettred’entrer en résonnance avec nous. Dans le but de nous aiderdanscetterecherche,jevousproposequatreoutilsthéologiquesqui seront expliqués dans les deux prochains chapitres etutilisésauchapitreIVcommemoyendenousmouvoirparmilesfruits du Lignum Vitae et d’aller ainsi jusqu’aux racinesthéologiquesduvoyagemystique.

    1 J. MOORMAN, A History of the Franciscan Order (Oxford UniversityPress,NY1968)153-154.

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  • CHAPITREII

    TROISOUTILSPOURCOMPRENDRELELIGNUMVITAE

    C’estàl’évidenceenréférenceaumystèredelaTrinitéqueBonaventureconstruitchaquethèmethéologiqueprincipal.Aupleinsensdumot, laTrinitéestunprincipestructureldetoutelavisionthéologiqueduDocteurséraphique

    1.

    Ces mots de Zachary Hayes nous fournissent une clef

    essentielle de l’esprit de Bonaventure. Pour lui, c’est toute laCréation qui reflète la Trinité. Embrassant toute la Traditionthéologiquequiluiavaitététransmise,ilneluiétaitpasdifficilede découvrir et d’utiliser certains outils exprimant, eux aussi,tantlaTrinitéquecertainesméthodestripartitesquimettaientenlumière la nature du monde, l’organisation du cosmos et lemystère de Dieu. Afin d’examiner les trésors théologiques duLignum Vitae de Bonaventure, je propose d’utiliser les outilstrinitaires énumérés par ce dernier dans un autre de ses écritsmystiques,unouvragequinous fournitplusoumoinsunplanpourlevoyagemystique.Lecourttexteauqueljefaisréférences’appelleleDeTripliciVia.

  • ProloguedudetripliciviaTrèsprobablementécriten1259,entrel’ItinerariumMentisin

    Deum et leLignumVitae, leDeTriplici Via a été qualifié de« petit chef-d’œuvre de la théologie mystique » ou encored’«authentiquesummadethéologiespirituelle»

    2.Bienqueles

    éditeursdeQuaracchisesoientaccordéssurletitreDeTripliciVia,AliasIncendiumAmoris,ilsfontremarquerquecetécritdevingt-cinqpages a été enregistrédansdenombreuxmanuscritssous divers titres : Parvum Bonum, le voyage intérieur del’esprit (ou de l’âme), la source de vie, le gouvernement de laconscience,lestimulusdel’amouretlathéologiemystique

    3.

    LeDeTripliciVia(LaTripleVoie)–OnEnkindlingLove(Sur

    l’embrasementd’amour), ainsiqu’ilaété traduitenanglais4–

    est un texte essentiel pour ceux qu’intéresse le conceptbonaventurien de voyage mystique. Il convient parfaitement ànotreétudeduLignumVitaeentantqueréférenceplusancienneet du fait qu’il contient les grandes lignes des trois outils queBonaventure utilise dans sa composition du Lignum Vitae, àsavoir:satripleméthodedelectiodivina,satripledivisiondessens spirituels de l’Écriture et sa triple voie du voyage versDieu.Danslamesureoùchacund’euxestbrièvementmentionnédanslePrologueduDeTripliciVia, il seraitutile,arrivésàcepoint, de retranscrire ici le court prologue auquel je ferairéférencedanscechapitrequandnousnousapprêtonsàétudierdefaçonplusapprofondiecesoutilsthéologiques:

    Jevousécris sur la triplevoieDans lamesureoù toutesles formes de la connaissance portent lesmarques de laTrinité, ce qui est enseigné dans l’Écriture Sainte porte

  • aussi,comme tel, les tracesde laTrinité.C’estpourquoil’homme sage, lorsqu’il écrit pour vousau sujetde cettescience sacrée, la décrit d’une triple façon en raison deson sens spirituel triple ; à savoir,moral, allégorique etanagogique.Ces trois senscorrespondentaux troisacteshiérarchiquement ordonnés, à savoir, la conversion (voiepurgative), l’illumination et la perfection. La conversionconduitàlapaix,l’illuminationàlavérité,laperfectionàlacharité.Quandchacuned’elleestparfaitementacquise,l’âmeestbéatifiéeetelleestrécompenséeàlamesuredesa concentration sur ces dernières. Toute lacompréhension de la Sainte Écriture dépend de laconnaissance de ces trois sens, de même pour lesrécompenses de la vie éternelle. Dès lors, ce qu’il fautcomprendre,c’estqu’ilyaune triple façond’exercer lespouvoirs de l’âme pour atteindre ce triple but, à savoirlectureetméditation,prièreetcontemplation

    5.

    LatripleméthodedelalectiodivinaPourpermettreau lecteurdevoir lesÉcrituresprendrevie, il

    semblequecequeproposeBonaventuredansleDeTripliciVia,etquenousvoyonsdémontrédefaçonplusapprofondiedansleLignum Vitae, c’est d’aborder les Écritures selon la pratiquemonastique de la lectio divina. Traditionnellement, la lectiodivina (lecture réfléchie et méditée) est une manière de prieravec l’Écriture en quatre étapes.Cetteméthode remontemêmeavantl’èrechrétienne.Elleasonoriginedansl’ancienjudaïsmeet,bienqueleschrétiensl’aientadoptéetrèstôt,ellesetrouveàl’aisedanslemonachismeetchezceuxquisuiventlaRègledesaintBenoît(écriteentre530-540)

    6.Bonaventureaadoptécette

    méthodeenl’adaptantàsespropresbesoinsetàsonexpérience

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  • meditatio.Si l’on regardedeplusprès leDeTripliciViadanslequelBonaventuredésire séparer, aumoinsd’unpointdevuethéorique, les trois formes de prière, on constate que l’étapefinaledesesdifférenteshiérarchiesc’esttoujoursdefranchirlepasquiouvreàl’authentiquecontemplationmystiquequiestunétatdereposau-delàdesmotsetdesimages.C’estainsiquelessept étapes qu’il nous propose pour conduire l’âme à la paixfinissentparcelledurepos:

    À la septième étape, on pourra se reposer à l’ombre duChrist, un lieu où l’on demeure et où on trouveeffectivementlerepos,unlieuoùl’âmeréalisequ’elleestprotégée à l’ombre des ailes divines et qu’ainsi elle neserapasbrûléeparlefeudelapassionouparlapeurduchâtiment

    34.

    Bonaventureabeaucoupàdireausujetdelaprièreengénéral

    mais c’est ce repos en Dieu, ce passage en Dieu par lacontemplation mystique qu’il tient pour la parfaite prière. Lemodèledecontemplationmystiquequ’ilplacesouslesyeuxdulecteur c’est, naturellement, François d’Assise. À propos deFrançoisetduSéraphinàl’Alverne,Bonaventureécrit:

    Il passa enDieu dans le transport de l’extase. Il devintainsi l’exemple de la parfaite contemplation comme ilavaitd’abordétéceluidel’action…Cepassage,pourêtreparfait, doit laisser en arrière toutes les opérations del’intelligence, puis transporter et transformer enDieu lefoyerdetoutesnosaffections

    35.

  • Donc,ilestclairpourBonaventurequelavraiecontemplationestcelledudonmystiquedetransformationquivientdeDieuetnon le fruit des effortspersonnels.QuandDieu leveut, un teldon est accordé à ceux qui sont persévérants dans la prière.ThomasMerton,unautreauteurspirituelcontemporain,atentéd’en éclairer et d’en définir les implications.Merton dit de lacontemplationqu’elleestunmouvementquipartdu«fauxsoi»pourallerversle«vraisoi»etqu’onnepeutlatrouverqu’enDieu

    36.Unetelleexpérienceintérieure,quivaau-delàdesmots

    et des images de la prière discursive est décrite, selon lesrecherches deThelmaHall, commeun « repos » enDieu, une«contemplationamoureuse»deDieu,une« connaissance au-delà de toute connaissance, » ou un « ravissement del’attention» enDieu

    37. Pourtant,mêmeavec ces analogies qui

    peuvent quelque peu aider à comprendre, Hall avoue unecertainepauvretédesmotschaquefoisqu’ils’agitd’expliquerlacontemplation:

    Toute tentative pour verbaliser l’expérience [de lacontemplation] est vouée à l’échec pour la simple raisonquelacontemplationtranscendetoutcequelaméditationcomporteentermesdepenséeetderaisonnementsetilenestdemêmepour les facultésaffectives faitesd’émotionset de « sentiments » qui sont transcendées dans lacontemplation

    38.

    M.B. Pennington reconnaît que la contemplation est très

    difficileàexpliqueretilregrettequebeaucoupaitétéperdudelarichessedesonsenstraditionnel

    39.Puisquelacontemplation

    transcendelapenséeetleraisonnement,Penningtonchoisitune

  • analogie pour aider à expliquer ce phénomène. Il compare lacontemplation à l’expérience de deux amoureux qui, tout aulong des années passées, en sont arrivés à se connaître enprofondeur. Si l’amour de ce couple est authentique, l’un etl’autre finiront probablement par simplement s’asseoir l’un àcôtédel’autre,sansqu’ilsoitbesoind’échangerdesparoles,etilsgoûterontalorsceniveaudecommunicationquiestau-delàde toutes paroles échangées. Pennington rapporte uneexpériencedesonenfanceavecuncouplecommecelui-ci:

    Après le repas du soir, je sortais sous le porche etm’asseyaissurlamarcheduhaut.Aprèsunmoment,grand-pèrevenaitetallaits’asseoiràunboutdel’aileduporche.Auboutd’unmoment,grand-mèrevenaitaussi(lesfemmesfont souvent plus de travail [ménager] que les hommes).Nousétionssimplementassis,là,ensilence.Jemesentaissibien!C’estseulementbiendesannéesplustardquejecompris ce qui s’était passé. Cet homme et cette femme,qui vivaient ensemble depuis des dizaines d’années,n’avaient pas besoin de se dire quoi que ce soit. Il leursuffisait de s’asseoir ensemble comme des amoureux. Etcetamoursepropageaitaupetit-filsassissurlamarcheduhaut.C’étaitsibonquandilss’asseyaientainsitouthabitésparcetamour

    40.

    CetypederelationdePenningtonavecsesgrands-parentsest

    un paradigme de la relation du chrétien avec le Christ. Lacontemplationestunerelationd’amour.Commetelle,ellen’estpasquelquechosedanslaquelleonpeutsauterd’unseulbond.Cela demande du temps. Cela implique que celui qui croitprennedutempspourlaprièresilencieusejusqu’aumomentoù,

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  • onexaminedesrécitsparticuliersenfonctiondecequ’ilsnousdisent de notre ultime destination, alors on fait usage du sensanagogique.Ce sens anagogique est une lecture plusmystiquedu texte.«Alorsque lebutde l’allégorieestchristologiqueetecclésiologique, celui de l’anagogie vise le devenireschatologiquedechacun

    74.»

    Dans une lecture anagogique ou eschatologique de l’histoire

    dufilsprodigue,l’accentseraitmis,àn’enpasdouter,surl’idéede« retour à lamaison [duPère] ».Dans le récit, onpourraitporterattentionauxdiversélémentsserapportantàlamaisonenconsidérant que le but du croyant, sa destination ultime, estcomme«unendroit»oùtrouverlepardon,lajoieetlafête.Laconversion devient le chemin qui nous reconduit à notre vraiedemeure, là où le Père nous attend les bras ouverts, nous quisommesdevenushumbles.Approcherl’Écrituredefaçonanagogiqueserévèled’ungrand

    secours pour la lecture chrétienne de laBible hébraïque.G.R.Evansl’expliqueainsi:

    Le sens anagogique regardait de façon prophétique versl’avantdansl’histoireou,au-delàdutemps,versl’éternité.De cette manière, ce devint habituel de considérer [lePremier Testament] comme une préfiguration du [SecondTestament] avecune telle précisiondedétails que chaqueaspect[duPremierTestament]avaitsacontrepartiedansle[SecondTestament]

    75.

    PrêtezattentionàcequefaitBonaventuredansleProloguede

  • sonBreviloquium.À nouveau, il utilise la quadruple directionde l’amour duChrist que nous avons vue plus haut et qui esttiréed’Éph3,14-19.Mais,cettefois-ci,ill’abordedansunsenscomplètement différent. Les quatre directions indiquent lesquatre catégories de choses à contempler pour parvenir àl’éternité

    76.Dans notre prière, nous devons prendre en compte

    l’aspect interne, externe, inférieur et supérieur. PourBonaventure, ces quatre directions forment une croix qui étaitdéjàannoncéedanslePremierTestament.

    C’estdanscechardefeu,avecsesquatreroues,quevousvous élevez jusqu’au palais céleste en vivant unecontemplationassidueetenvousaccrochantàvotreplusfidèle ami. Ces quatre roues sont les quatre régions, àsavoirl’est,l’ouest,lenordetlesuddanslesquelles,toi,monâme,tudoistepromenerchaquejouràlarecherchede Celui que tu aimes tant afin de pouvoir dire avec lafiancéeduCantiquedesCantiques(3,1):surmacouche,la nuit, je cherchaisCelui quemon cœuraime.L’Apôtreévoque ces quatre réalités lorsqu’il dit (Éph 3, 18) :puissiez-vousavoir la forcedecomprendre,avec tous lessaints,quelleestlalargeuretlalongueur,lahauteuretlaprofondeur

    77.

    Les quatre roues du char d’Élie (un extrait de 2 R 2, 11)

    préfigurent les quatre directions de la lettre aux Éphésiens etsoulignentlefaitqu’unetelleprièrenousmetenroutepourunvoyage jusqu’au ciel. La fiancée, une image tirée duCantiquedesCantiques,estunrappeldel’amournécessaireàtouteprièreet en particulier à celle-ci. Le char comme la fiancée sont desimages du Premier Testament que Bonaventure utilise pour

  • éclairer des passages du Second dans la lettre aux Éphésiens.Chacune de ces deux images du Premier Testament révèlequelque chose du but de notre voyage. La méditation sur lesquatre«directions»queproposeBonaventure,nousconduiraàDieu comme si nous étions dans le char de feu d’Élie. Celaentraînera nos cœurs à aimer comme la fiancée jusqu’à ce quenous touchions aux rives de la félicité éternelle (felicitasaeterna)quiestla«beautéparexcellence»(pulcherrimum)etle«bientotal»(sufficientissimum)pournous,leshommes

    78.

    LesensspiritueldesÉcritures–ConclusionComme nous pouvons le voir à partir de ce bref regard sur

    l’interprétation spirituelledesÉcrituresparBonaventure, il estclairqueleDocteurséraphiqueaméditésurleVerbedeDieuetqu’ils’estappuyésurlarichessedelaTradition,uneTraditionqu’ilaaccueillieetquiconnaissaitdéjàcettetripledivisiondusensspirituel.Grobelnousretracelapopularitédelathéoriedesdifférentssensdel’Écritureàlapériodescolastique:

    Àunmomentdonné,aucoursdelapériodescolastique,oninventa un distique mnémotechnique qui eut un grandsuccès : Littera gesta docet, quid credas allegoria,moralis quid agas, quo tendas anagogia. [La lettre faitvoir l’événement, l’allégorie le croit, le sensmoral lemetenœuvre,etl’anagogieytend]« La lettre nous renseigne sur les événements, l’allégoriesur ce que nous avons à croire, le sensmoral sur ce quenous avons à faire, l’anagogie ce vers quoi nous avons àfaireporternosefforts

    79.»

    En plus de mon propre exemple de la parabole du fils

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  • descente à l’intérieur de soi et d’undévoilement toujours plusvifetconscientdesonpropreétatdepécheur.Plusonparvient,par la réflexion, à connaître sapropremisère et plusonprendconscience de la nécessité du Christ dans nos vies. Une foisl’évidencedenoslimiteshumainesmiseenlumièreparleSaint-Esprit, alors seulement sommes-nousprêts à supplier leChristdenousmanifestersamiséricordeetàprésenteràDieulePèrede justes louanges

    104. Même à l’étape de l’illumination, notre

    naturehumainepécheressedemeure,bienqueledésirduSalutsoit,lui,renforcé.

    L’unionDanscettemontéeversDieuentroisétapes,ladernièreestla

    voiepafaiteauseindelaquellel’âme,dansl’amour,devientuneavecDieu.Danscettevoieunitive,laprogressiondelapersonneesttellequ’elleaimevraimentDieuplusqu’elle-même

    105.Lafoi

    en la présence de Dieu en même temps que l’expérience decelle-cidemeurentfermesmêmequandsurviennentlesmomentsdifficiles. Souvent, cela se manifeste par une joie que lapersonne expérimente, une joie qui vient du cœur et qu’elleporteaumonde.

    Danslevoyagespirituel, lafatiguedelalonguerecherchedu Bien-Aimé laisse place à la profonde joie d’êtretoujours en présence de l’amour miséricordieux du DieuTrinitéqui, sanscesse, renouvelle et re-crée sapropreviedansleChrist

    106.

    Bien qu’il puisse sembler qu’à cette étape la personne ait

    atteint son but ou qu’elle soit sur la ligne d’arrivée, on doitcependant se rappeler qu’elle peut entrer et sortir de la voie

  • unitive de la même façon qu’elle le fit des autres étapes del’ascensionmystique.Onpeut illustrercelapar leministèredela prédication au cours duquel il peut se trouver que noussoyonsilluminésparleSaint-Espritpendantlecommentairedel’Écriturepour,peuaprès,nous retrouverdevoir faire faceauxmêmes combats qui précédaient cette lecture, avant laprédication. Bonaventure utilise la façon dont Françoiscomprenait l’Écriture ainsi que sa prédication clairvoyante et,biensûr,sessaintsstigmatescommetroisfaçonsd’incarnerceàquoil’unionavecDieupeutressembler

    107.

    CommelefaitremarquerRodriguezChiliàn,l’appelàl’union

    avec Dieu est accentué, de façon assez pertinente, dans latroisième et dernière partie duLignumVitae. Pour le Docteurséraphique,lefaitquetousdésirentlasaintetéestlapreuvequetoussontappelésàl’unionavecleChristcarpersonnenepeutatteindre le stade du vrai bonheur sinon dans une forte etdéfinitive union au Christ

    108. Bonaventure nous présente des

    images intimes tirées de l’Écriture pour décrire l’union dontjouiront les âmes dans le repos du Royaume éternel. SerappelantBernarddeClairvauxetsesréflexionssurleCantiquedesCantiques

    109,Bonaventureempruntel’imagesensuelledela

    chambre nuptiale pour décrire comment la fiancée et le fiancédeviendrontundansl’esprit.

    Alors les vierges prudentes et parées entreront avecl’époux aux noces et la porte sera fermée pour qu’ellesprennent place dans la splendeur de la paix, dans lespalais de la confiance et dans la surabondance durepos

    110.

  • Dans sa tentative de décrire la proximité dont jouiront les

    âmes avec le Christ dans la voie unitive, une proximité danslaquellelescroyantsserontunisauChristmaispasabsorbésaupoint de perdre leur individualité, Bonaventure s’appuie surl’image du vêtement. Le vêtement est très intime, il colle à lapeauetditquelquechosedelapersonnequileporte.Pourtant,lapersonnedemeuretoujoursautrequesonvêtement.L’intimitéque leChrist partagera avec ceux qu’Il aime seramarquée paruneproximitésimilaire:«Christserarevêtudetoutelabeautédeséluscommed’unetuniquedamassée

    111.»

    LevoyageversDieu–ConclusionJ’aiouvert ce secondchapitre en faisant référenceà l’undes

    aspects les plus constants de la théologie de Bonaventure, àsavoirsastructuretrinitaire.CettestructureestévidentedansunouvragetelquesonDeTripliciVia,ellel’estunpeumoinsdanssonLignumVitae.Dans leDeTripliciVia,BonaventurediviseetsubdiviselesdifférentsaspectsdelacroissancespirituelleengroupesdetroisafindefaireleparallèleaveclePère,leFilsetle Saint-Esprit. Dans le Lignum Vitae, il embarque le lecteurdansunvoyagemystiqueavecleChristetutiliselestroisoutilsiciénumérés,defaçonplussubtileetpriante.Les troisvoiesqu’uneâmepeutentreprendredanssamontée

    vers Dieu sont les voies purgative, illuminative et unitive (ouvoieparfaite),tellesqu’onlestrouvedanslalectureméditative,la prière et la contemplation. L’Écriture est au cœur de cetteascensionde retour versDieu et une intelligencede son triplesensspirituelestessentiellepourquiconquedésireallerau-delàdeslimitesdusenslittéraletappliquerlestextesàsaproprevie.

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  • On s’est souvent posé la question de savoir si Bonaventure

    était plus représentatif de la tradition aristotélicienne ou de latradition augustinienne

    8. Pour tenter de répondre à cette

    question, des auteurs ont cherché un compromis. CharlesFoshee soutient « qu’il serait plus correct de dire que saintBonaventureestunAugustinienquifaitunusageimportantdela pensée d’Aristote »

    9. Foshee poursuit en citantAugustin et

    Bonaventure de nombreuses fois et en plaçant côte à côte lesdeux œuvres de ces deux docteurs de l’Église, cela afin dedémontrer sa thèse qui soutient que Bonaventure, bienqu’empruntant beaucoup à Aristote, « était le plus grandAugustiniendelapériodemédiévale»

    10.

    Le philosophe belge, Fernand Van Steenberghen, a perçu

    également la nécessité de faire une distinction pour éclairerquelque peu le problème. Il a bien compris que, commethéologien, Bonaventure appartenait à l’école augustiniennemaisque,commephilosophe,ilétaitd’abordaristotélicien

    11.Si

    nous voulons être tout à fait précis sur cette question nousdevonscependantajouterque« laphilosophiedeBonaventureest un aristotélisme éclectique et néoplatonicien subordonné àunethéologieaugustinienne»

    12.

    En tous cas, ce qui peut être affirmé avec certitude c’est

    qu’Augustinétaitl’undesplusgrandsespritschrétiensdetousles temps et qu’il eut un profond impact sur Bonaventure,NicolasdeCuseetpratiquementchaqueauteurchrétiendepuisleVe siècle jusqu’à présent.Augustin eut un amour passionnépour leSeigneuretunremarquabledonpourpartageravecdes

  • mots tant ses sentiments que sa foi. Pourtant, à mesure qu’ils’approchaitdavantageduDieudesondésir,ilsemblaitprendredeplusenplusconsciencedeladistancequileséparaitencoredeLui.Danssavie,Augustins’estefforcédeconnaîtreDieuetde trouver les mots adéquats pour exprimer la beauté qu’ildécouvritdansleSeigneur.Danssonouvrage,LesConfessions,ilparleainsiàDieu:

    ÔéternelleVérité,ôvéritablecharité,ôchèreéternité.TuesmonDieu,jesoupireaprèsToijouretnuit.Quandjet’aiconnupourlapremièrefois,tum’assoulevéversToipourme faire voir l’existence de quelque chose que je devaisvoir,maisquejenepourraispasencorevoirmoi-même.Tuaséblouilafaiblessedemonregardparlapuissancedetonrayonnement,etjetremblaisd’amouretd’effroi

    13.

    Augustin désirait voir ce qui était au-delà de son regard. Il

    désirait parler de ce qui était au-delà des mots, ce qui étaitineffable. Le mot « ineffable » vient du latin ineffabilissignifiant « qu’on ne peut exprimer »

    14. On peut trouver les

    racinesdecemotlatindanslemotfari,«parler»15.LeCollins

    English Dictionary donne trois définitions pour le terme«ineffable»:(1)tropgrandoutropintensepourêtreexpriméenmots,inexprimable;(2) trop sacré pour être exprimé ; (3) indescriptible,

    indéfinissable16. Dans son ouvrage De doctrina christiana,

    Augustin utilise ineffabilis pour exprimer sa frustration enmatièredevocabulairequandils’agitdeparlerdudivin.AprèsavoirformulédebellesparolesdelouangeàDieu,ilcontinueenajoutant:

  • Avons-nousditetfaitentendreunseulmotdignedeDieu?Non,sansdoute,etjesensbienn’avoireuqueledésirdelefaire,carcequej’aipudiren’estpascequej’aivouludire.Si j’enai la conviction,n’est-cepasparcequeDieuestineffable?Etsicequej’aiditétaitineffable,aurais-jepu l’exprimer ? Comment même dire de Dieu qu’il estineffable,puisque touten lui appliquantcetteexpression,c’estendirequelquechose?Ilexisteainsijenesaisquellecontradiction dans les termes ; car si l’on doit regardercommeineffablecequinepeuts’exprimer,cedontonpeutdire seulement qu’il est ineffable, n’est plus ineffable.Prévenonsparlesilencecetteluttedemots,plutôtquedechercheràymettreuntermeparladiscussion

    17.

    Bien qu’Augustin affirme cette vérité deDieu complètement

    inaccessible,au-delàdesmotshumainsetqu’Ilinviteausilence,cependant, comme Bonaventure après lui, il fit de son mieuxpourparlerdeDieumalgrétout.La«coïncidencedesopposés»s’enracinedansde telles tentatives deparler deDieu avecnospauvresmots.

    Lathéologieapophatique:lePseudo-DenysJusteaprèsAugustin,auxVeetVIesiècles,l’écrivainappeléle

    Pseudo-Denyspromutl’usagedelathéologieapophatiquepourtenterdesaisirlemystèredeDieu.Lemot«apophatique»vientdugrecapophasis ou « négation/dénégation », un termequi afiniparsignifiercequiseproduitquandonnommeunechoseen prétendant, précisément, ne pas la nommer, comme dans jen’évoquerai pas les affaires financières douteuses de mesopposantsoubiencommedanscetexempleoùonpeutliresur

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  • temps, chaque jour et sans discontinuer, tous, croyonsd’une foi humble et vraie, gardons dans notre cœur,sachons aimer, honorer, adorer, servir, louer et bénir,glorifier et célébrer, magnifier et remercier le très hautsouverainDieuéternel,TrinitéetUnité,Père,FilsetSaint-Esprit,Créateurdetouteschoses,Sauveurdetousceuxquimettent en lui leur foi, leur espérance et leur amour ; luiqui est sans commencement ni fin, immuable, invisible,inénarrable, ineffable, incompréhensible, impénétrable,béni, louable, glorieux et célébré, sublime, élevé, doux,aimable, délectable, et tout désirable plus que tout autrebiendanslessiècles.Amen

    48.

    Apparemment,Françoisneconsidèrepascontradictoirelefait

    de considérer Dieu comme aimable et doux avec le fait del’appeler inénarrable. Au chapitre XIX de De la docteignorance, après avoir cité Augustin disant « dès que tucommences à compter laTrinité, tu sors de la vérité »

    49, Cuse

    poursuit:

    Avec Dieu il faut, autant que possible, anticiper lesopposés en les réunissant sous un simple concept. Parexemple,enDieunousnedevonspaspenserladistinctionet l’indistinction comme deux opposés, mais les penserdans leur existence antérieure, au moment de leurcommencement le plus élémentaire, là où la distinctionn’est pas autre que l’indistinction, alors nouscomprendronsplusclairementquelatrinitéetl’unitésontidentiques… Réunis donc ces opposés qui d’abordapparaissent tels, ainsi que je te le conseillais, ainsi tun’auraspasunettrois,outroisetun,mais«l’unitrine»ou

  • le«triun»;etc’estlàl’absoluevérité50.

    Cusesembleconseillerauthéologiendelaissersonespritaller

    au-delàdes limitesde l’espaceetdu temps.Pour lui, ce seraiterronédepenserqu’àunmomentDieuestunetunpeuplustardqu’Ilesttrois.Aussidifficileàsaisirquecelapuissel’êtrepournosesprits,l’utilisationparCusedesmots«unitrine»et«tri-un»nouspousseàtenirensemblelesconceptsdetroisetunàtoutmoment,mêmes’ilssemblentsecontredirel’unl’autre.Dans notre monde, quand une personne essaye d’unir des

    opposés,habituellementonsupprimel’unaubénéficedel’autre,comme dans espoir et désespoir, pour éviter une sorte demélange commequand noir et blanc sont unis pour former dugris. Cependant, quand nous traitons de concepts au-delà denotre monde, il devient possible, pour des opposés, de s’unirdansunevraiecoïncidencequin’opèrepasdesuppressionninese mélange. Pour Cuse, quand de tels éléments sont unis ensubstance et non simplement par accident, on l’appelle une« unité de convergences »

    51. Aucun élément n’est diminué ou

    effacé. Par égard pourBonaventure,EwertH.Cousins appellecela « une coïncidence de mutuelle complémentaritéconfirmée»

    52.C’est là le typede«coïncidencedesopposés»

    quenoustrouvonsdanslaTrinité,cellequenoustrouvonsdanslapersonnedeJésus-ChristetcelleàlaquelleCousinsconsacrela plus grande partie de son énergie dans son ouvrage,BonaventureandtheCoincidenceofOpposites.

    Bonaventureetla«coïncidencedesopposés»Depuispresquehuitcentsans,lecrucifixdeSaint-Damienest

    tenucommeunsymboledufranciscanisme.Depuisque,àpartir

  • dececrucifix,Notre-SeigneurparlaàFrançoisdansunepetitechapelleenruineàAssise ilyasi longtemps, lesfranciscains,ainsi que d’autres sympathisants du Petit Pauvre d’Assise àtravers lemonde,racontent l’histoiredecette intenserencontrequivouschangeunevieetessayentderépondreà leurfaçonàl’appelduSeigneur :«Vaet réparemamaisonqui, tu levois,tombe en ruine »

    53. Bonaventure connaissait cette histoire de

    François. Il connaissait le crucifix de cette histoire et, plusimportant,ilconnaissaitleJésus-Christdecettehistoire.Le crucifix de Saint-Damien est un symbole parfait de la

    « coïncidence des opposés ». Bien que cloué sur la croix, leChristsetientdroitetconfiant.Ilsaignedesescinqplaiesmaissonvisageestpaisible. Il estdivin et cependanthumain. Il estcrucifié et il est déjà ressuscité. Il souffre et pourtant il estmajestueux. Selon les critères du monde, il subit un profondéchec et pourtant c’est la plus grande victoire que l’humanitépouvaitjamaisconnaître.Ilestlesignedelagrandeméchancetédont sont capables lesêtreshumainset, enmême temps, il estaussi le signe du grand amour que le Père a pour tous sesenfants. Il est la« coïncidencedesopposés», la contradictiondivin/humain qui façonna les vies de François et deBonaventure,leurdonnantlajoiedanslessouffrances,dusensdansleurépreuveetdelaforcedansleursimplicité.On pense que, dans l’usage qu’il a fait des images, de la

    lumièreetdesténèbresaussibienquedessymbolesdegloireetde souffrance, l’artiste inconnu du crucifix de Saint-Damiens’estinspirédel’iconographieduXIIesiècleengrandepartieàpartir de l’Évangile de Jean

    54. Plus que dans les Évangiles

    synoptiques,c’estdansl’ÉvangiledeJeanquenoustrouvonsle

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  • conduisent à la quatrième catégorie de la « coïncidence desopposés».OnpeutlavoircommeunrefusdecombattreSatanavecsespropresarmes.Jésusrefused’opposerlemalaumal.Salogiqueestàl’opposédeSatanet,decefait,ellerestaurelavielàoùilyavaitsimplementlamort.SelonlesmotsdeCousins:

    Avec sa logique faussée, Satan a trompé l’homme et l’aconduit au péché. Christ, avec sa subtile logique de lasouffrance,détruitlalogiquedeSatanetsauvel’hommedel’enfer

    85.

    Cettequatrièmecatégorieestquelquepeudifférentedesautres

    enraisondeson insistancesur l’œuvredesalutduChrist.Lesopposés que nous trouvons dans cette quatrième catégorie nesont pas des opposés qui ont leur point de rencontre dans lapersonne du Christ, comme dans son humanité et sa divinité,maisplutôtlesopposésdubienetdumalquis’affrontentdansl’univers.C’estunaffrontementquisedérouleentrelebienetlemaletqu’ontrouvedanslemonde.Danscettequatrièmeclassede«coïncidencedesopposés»,leChristprendpartaucombatenagissantdemanièreopposéeàcelledenospremiersparentsetilsortvainqueurdupéché,deladésobéissanceetdumalparl’amour,l’obéissanceetlebien.Plus que la question de l’identité duChrist, cette quatrième

    catégorie s’intéresse à ce que le Christ fait. Le Christ agit detellemanièrequ’ilsetrouveaucentredececombatentrelebienet le mal qui culmine sur la Croix, là où l’orgueil et le malrencontrent leurs opposés, la miséricorde divine et la bonté.Théologiquementparlant,cetteinsistancesurl’œuvresalvifiqueduChristrelèvedudomainedelasotériologie[la théologiedu

  • salut].Cependant,onnepeutséparer lesactionssalvatricesduChrist de sa propre personne. C’est précisément en raison deson identité que ses actions ont un si grand sens. Hayesl’expliqueainsi:

    PourBonaventure,lasotériologien’estpasuntraitéséparéde la christologie.Dans lamesure où lemystère du salutc’estleChristlui-mêmeetnonquelquechosededistinctetséparé de Lui, la théologie de la rédemption n’est riend’autrequel’élaborationetl’explicationdelasignificationsalvifiquedumystèrepersonnelduChrist

    86.

    On trouvera beaucoup d’exemples de cette catégorie

    particulière de « coïncidence des opposés » dans le LignumVitae mais, avant cela, il est bon de jeter un autre regard auBreviloquium. Au chapitre IX du Breviloquium, il y a unparagraphe sur l’Incarnation qui comporte une réflexion sur lanature des souffrances du Christ. Ce chapitre traite de laguérisonde l’humanitépar les souffrancesduChrist et faitunbrefrésumédecethèmequeBonaventuredévelopperadefaçonbeaucoupplusprécisedansleLignumVitae.Dans la théologie de Bonaventure, le mal est complètement

    défaitparsonopposé.Parexemple,laviolencenesecombatpaspardavantagedeviolence,seulesdesactionspacifiquespeuventlacontrer.Laplusgrandeguérisondumalquisesoitproduiteparla«coïncidencedesopposés»c’estcellequiaguérinotrehumanitédéchueparlaCroixduChrist.DansleBreviloquium,Bonaventureécritceci:

    Or, ilest trèsconvenableque lescontrairessoientguéris

  • par les contraires. L’homme voulait être aussi sage queDieu.Ilpéchaenvoulantsedélecterdel’arbredéfendudesorte qu’il tomba dans la débauche et s’éleva dans laprésomption et que tout le genre humain en fut affecté,perdit l’immortalité et encourut la mort. Pour quel’homme soit racheté par un remède convenable, Dieu-fait-hommeavoulus’humilieretsouffrirsurleboisdelacroix : contre l’universelle infection, il a souffert d’unesouffranceimmense,contreladébauched’unesouffrancedure,contrelaprésomptiond’unesouffanceignominieuse,contre la mort encourue mais non voulue, il a voulusouffrirunemortnonméritéemaisvolontaire

    87.

    PatrickQuinna réfléchi sur cepassagedeBonaventuredans

    lequel la mort du Christ est vue comme réparation pour lesdommages causés par le péché originel, péché d’orgueil, dedésobéissanceetdeconvoitise.Ilécrit:

    Le Christ crucifié fournit l’antidote de ces péchés :l’orgueilestchasséparl’acceptationd’unemorthumilianteparmi les voleurs ; la désobéissance est réparée parl’obéissance de Jésus envers son Père même jusqu’à lamort de la croix ; et la convoitise est contrée parl’amertumedessouffrancesdesaPassion

    88.

    Lemal est guéri par sonopposé et laCroixduChrist est le

    lieudel’unionlaplusgrandequisoitdesopposésquelemondeaitjamaisvu.DanslamortduChristnonméritéemaislibrementofferte,nous sommesguérisde lamortquenousavonsde faitméritéeàcausedenotrepéché.DansleChrist,lepéchéd’Adamestguériet lamortestdevenueuneavenueconduisantà lavie

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  • interprétations lorsqu’il pense que celles-ci peuvent éclairer lesens de ces événements ou permettre au lecteur d’en faire uneplus profonde expérience. Les quatre paragraphes quicomposentcepremierchapitresontcentrésàlafoissurl’origineduChristéternelauseindelaTrinitéetsursonorigineterrestreaumoment de l’Incarnation. Je vaismaintenantme livrer à unexamen plus approfondi du chapitre un du Lignum Vitae enanalysantquelques-unsdestexteslespluspertinentspourcetteétude.

    «JésusengendrédeDieu»5

    TextederéférenceLorsque tu entends cemot « Jésus engendré deDieu »,prends garde qu’aux yeux de ton esprit ne se présentequelque pensée charnelle, mais crois au contrairesimplementavecleregarddelacolombeetlaperspicacitéde l’aigle, que de cette lumière éternelle, tout à la foislumineuse et très simple, fulgurante et souverainementsecrète, émane une splendeur coéternelle, coégale etconsubstantiellequiestlaforceetlasagesseduPère

    6

    AnalyseLeparagraphequiouvreleLignumVitaeinvitedéjàlelecteur

    à contempler (contemplare). Puisque la contemplation est uneattitude qui va au-delà des mots, comme nous l’avons vu auchapitre IIdecetteétude,Bonaventureutiliseuneanalogiequifait le lien entre l’action de contempler et la façon dont nousvoyons.Onpeutladécrireenutilisantlemotlatinperspicaciterquivientdeperspicax qui signifie avoir « une vue perçante…une vision mentale attentive »

    7 ou, selon la traduction de

    Cousins,unregardpénétrantcommeceluidelacolombeoude

  • l’aigle qui s’élève au-delà des confins du monde et voit nosréalitésterrestresd’en-haut.En décrivant Dieu le Père, dont il parle ici en l’appelant

    Éternelle Lumière, Bonaventure utilise deux paires d’opposéspourtenterdetranscenderleslimitesdelalangueetdécrireunDieu indescriptible. Le Père y est vu tout à la fois commeéternel et pourtant très simple, fulgurant et pourtantsouverainement secret. C’est à partir de ce Père et de la«coïncidencedesopposés»auseinmêmeduPèrequevientleFilscommepuissanceetsagesseduPère.Dès ledébutdecepremierparagraphe, le choixdesmotsde

    Bonaventure explicitent le concept implicite de « coïncidencedesopposés»àl’intérieurdelaDivinité,unecoexistencedecequiestau-delàdetoutemesureaveccequiesttrèssimple,decequi est fulgurant et évident avec ce qui est souverainementsecret.Même avant la création dumonde, avant que laTrinité« communique son dynamisme à la création »

    8, cette

    « coïncidence des opposés » est présente dans la PremièrePersonnedelaTrinitéentantquestructurefondamentaledetoutcequiprovientdelavolontédeDieu.Cousinsécrit:

    À partir du moment où Bonaventure a opté pour lacoïncidence des opposés en tant que logique de base desonsystème, ilest toutà faitcohérentquesadoctrineduPèreparticipedecettecoïncidencedesopposés.Enfait,ilseraitpréférablededirequelacoïncidencedesopposésquiest à l’œuvre dans tout son système est finalementenracinée dans son affirmation de l’innascibilité [Qualitédecequinepeutavoirdenaissanceounepeutnaître]etde

  • laféconditédanslePère9.

    DansleLignumVitae,Bonaventureouvresaréflexionparune

    considérationsurl’origineduChrist,cequileconduitàméditerl’expressionengendrédeDieu.Dansceparagraphe,leDocteurséraphiqueadans l’esprit le Jésushistoriqueet terrestreet, enmêmetemps,leFilséterneldeDieu.C’estlàuneréflexionquileramèneà la«coïncidencedesopposés»auseinduPère, lePremierPrincipe innascible qui est la source féconde de toutevie

    10.Retracer l’origineduChrist de cette façon lui permetde

    réfléchirsur lavraienatureduPèredequi leFilsestengendréparceque,pourBonaventure, leChristestune lentilleoptiqueau travers de laquelle nous voyons le Père. Delio fait lecommentairesuivant:

    C’est dans le mystère du Fils, Jésus-Christ, queBonaventurevoit lemystèredivindubienauto-diffusif etdudon total que lePère fait de lui-même.Ainsi, se tenirdanslemystèreduChristc’estsetenirdanslemystèreduPère

    11.

    Jésuspréfiguré12

    TextederéférenceAu commencement de la Création de la nature, nospremiersparentsplacésdansleparadisenfurentchassésparlasévéritédudécretdivinlorsqu’ilseurentmangédel’arbre défendu ; mais la souveraine miséricorde nedifférapas leretourde l’hommeerrantsur lavoiede lapénitence, en lui donnant l’espérance du pardon par lapromessedelavenueduSauveur.

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  • auxMagesàl’orientetlesconduisit,enlesprécédantdesalumière,verslamaisondel’HumbleRoi.Nerefuse,toinonplus,l’éclatdel’étoilevenuedel’orient.Bienplutôt,accompagne les saints rois, reconnais le témoignagerendu au Christ par les Écritures juives et repousse lamaliceduroipleindefourberie.Vénèreavecl’or,l’encensetlamyrrheleChrist-Roi,vraiDieuetvraihomme.Aveclesprémicesdesnationsappeléesàlafoi,adorel’humbleDieucouchédansleberceau;confesse-leetloue-lepourque, averti en songe de ne point suivre l’orgueilleuxHérode, tu rentres en ton pays en suivant les traces del’humbleChrist

    31.

    AnalyseBonaventure invite le lecteur à se faire disciple : adore,

    confesse,loueetsuisleChristqui,nousdit-on,acommencésavie dans l’humilité, couché dans une mangeoire. L’invitationqueBonaventure adresse au lecteurdedevenir compagnondessaintsroispeutêtreconsidéréeàlafoiscommeunappelàentrerpar l’imagination dans cette scène de l’Écriture qu’il présentedansla lectiodivina etaussi,commeunappelà se rapprocherpersonellement du Christ dans sa vie quotidienne,indépendemmentduLignumVitae.Dans ce paragraphe il nous offre une interprétation des

    Écritures qui est tout à la fois allégorique et tropologique (oumorale). Allégoriquement, l’étoile qui est à l’orient est lesymboledecette lumièrequinousguidevers leChristetdonton peut penser qu’elle est celle de l’Esprit-Saint.De plus, lesdonsdesMagesontunesignificationqui leurestpropreetenmême temps, ils nous appellent à certains comportements

  • moralementsains.Bienquecedernierparagraphesoitdiviséendeuxphrasesdanslatraductionci-dessusdeCousins,iln’enestpasdemêmedansl’originallatin.Enobservantlastructuredelaphrase latine, il est plus facile de constater que les trois donsofferts par les Mages représentent, pour Bonaventure, troisfaçons de vénérer le Christ, le Roi, ou trois comportementsmorauxqu’iljugeimportants.Onpeutadorer(adora)leChrist,symbolisé par l’or (auro) ; on peut confesser (confitere) leChrist, symbolisé par l’encens (thure) ; ou encore le louer(lauda),symboliséparlamyrrhe(myrrha).Dansceparagrapheontrouveuneanalogieentreleretourdes

    MagesdansleurproprepaysetnotreretouràDieu,l’uncommel’autreseproduisent lorsque lespersonnesconcernéesrefusentdesuivre le cheminde l’orgueil pour, à la place, emprunter larouteopposéeenmettantleurspasdansceuxduChristhumble.Ici, c’estune façondenous faire remarquerqu’il ne suffit pasd’admirer simplement ceux qui ont suivi la « coïncidence desopposés » en Jésus-Christ. Le lecteur doit aussi s’efforcer parl’humilitéetparlapratiquedesautresvertusdesuivreleChristet de retourner au Père par le chemin que le Christ nous amontré.

    «Jésus,soumisauxlois»32

    TextederéférenceIl ne suffit pas au maître de l’humilité parfaite, en toutégalauPère,desesoumettreàlaViergetrèshumble;ilsesoumitencoreàlaLoi,afinderacheterlessujetsdelaLoietdeleslibérerdelaservitudedelacorruptionpourentrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu.C’estpourquoi ilvoulutquesaMère,bienque trèspure,

  • observe la loi de la purification…Exulte donc toi aussiaveclebienheureuxvieillardetlavieilleAnne;coursaudevantdelaMèreetdel’Enfant;quel’amourchasselahonte, que l’affection chasse la crainte. Reçois toi aussil’Enfantdanstesbrasetdisavecl’épouse:Jetetiensetje ne te lâcherai point. Bondis de joie avec le saintvieillardetchante :Maintenant,ôMaître, tupeux,selontaparole,laissertonserviteurs’enallerenpaix

    33.

    AnalyseDansce troisièmeparagrapheduchapitre II, le lecteurpeutà

    nouveau goûter le fruit de la propre lectio divina deBonaventure. Bonaventure, après avoir lu et médité lesévénements de la présentation de Jésus au Temple, invite lelecteur, grâce la lectiodivina, à s’imaginer présent là, derrièreSiméon(cevielhommebéni–illobeatosene)etderrièreAnne.Le but de cet excercice c’est d’aimer. Dans notre lectio noussommes invités à dépasser notre peur en venant rencontrer lamèreetl’enfant.Àpartirdelà,l’invitationconsisteàaccueillirl’enfant dans nos bras à mesure que nous progressons plusavantdanslaméditation.Finalement,quandlectioetmeditatiocèdentlepasàl’étapedeuxquiestcelledel’oratio,alorsnotreréponse est celle de la prière du cœur. Ce que suggère iciBonaventure c’est que, dans notre oratio, et en réponse à laprésenceduChrist,nousnousimaginionsentraindedanseretde chanter en empruntant lesmots de paix de ce vieil hommebéniqui témoignaitdel’accomplissementdelaprophétie.Toutcela a le pouvoir de nous ouvrir au don de la contemplationquand la peur est chassée, la joie augmentée et l’amourapprofondi.

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  • solitude,propreségalementàlamontagne,ilssymbolisentles protections spirituelles et la tranquilité qui abondentdans la contemplation… Finalement, l’élévation de lamontagne représente la capacité du contemplatif àentreprendrel’ascensiondel’unioncontemplative

    60.

    Le point suivant, sans doute le plus important abordé par

    Bonaventure dans sa brève réflexion sur ce passage biblique,c’est que Jésus estCelui qui révèle laTrinité aux apôtres. LeVerbe incarnéest laported’entréedans laSainteTrinité,ainsique nous l’avons vu au chapitre I.Demême que son baptêmerévélalaSainteTrinité(plushautdanslepremierparagraphedecechapitre),demêmesaTransfigurationlefait-elleaussiàlafinde ce chapitre III. Le Fils conduit les disciples au Père et auSaint-Esprit dont la présence se manifeste dans la voix et lenuage(invoceetinnube).LefaitqueBonaventureaitlesoucide retenir précisément cette phrase dans ce récit abrégé de laTransfigurationestuntémoignagesupplémentairedesonamourpourla«coïncidencedesopposés».CequeHayesécritausujetdelaréflexiondeBonaventuresurlaTransfigurationdanssonCommentariusinEvangeliumLucaepeutégalements’appliqueràcerécitpouscourtduLignumVitae:

    C’estdanslenuageetdanslavoixquel’ontrouvelepointle plus important du récit [de la Transfiguration]. La viecontemplativefaitexpérimenterlemystèreetlamajesté,laproximité et l’inacessibilité, ainsi qu’on le voit dans lenuage qui couvre de son ombre les disciples. Du nuagemystérieuxse laisseentendreunevoixquivientrévéleretfaire connaître la vraie identité du Christ comme Fils deDieu que nous sommes appelés à écouter avec révérence,

  • ferveuretobéissance61.

    Le lecteur,quiad’abordétéappeléà lapurificationavec les

    disciples qui mendient la guérison (à la scène III), puis àl’illumination avec le Christ lors de son baptême (à la scèneune),estmaintenantappeléàl’unionaveclesapôtres(scèneIV)qui cheminent avec le Christ dans un moment d’intimeillumination avant de se retrouver de façon quelque peuinattenduetransportésdansl’unioncontemplativeavecDieu.LelecteurestinvitéàlamêmeattentionetaumêmezèlequePierrequifutdanslajoieàl’étapedecettecontemplation.

    Àlaracineduvoyagemystique: l’Écriturenousappelleàl’humilité,lapureté,lafoietlezèle.Tout ce troisième chapitre du Lignum Vitae reflète, comme

    dansunmiroir,lafaçondontBonaventures’appliqueàlalectiodivina.Icidanscechapitre,sinousrépondonsàl’invitationdeBonaventure, nous progressons de façon méthodique : toutd’abord,ilseproduitunerégénérationdufaitducontactavecleChrist (paragraphe 1), ensuite il y a la solitude et la réflexion(paragraphe2),àl’étapesuivanteoncrieversleSeigneuretonle prie pour nos propres besoins et les besoins des autres(paragraphe3),etfinalementnoussommeslestémoinsheureuxde la divinité du Seigneur dans sa gloire (paragraphe 4). Lesdeux premiers paragraphesmettent en parallèle la lecture et laméditationdela lectiodivinadeBonaventuredans laquelleonreçoitunenouvelleinformation(lectio)quel’onméditeensuite(meditatio). L’appel ici consiste à suivre le Christ dans sonbaptême,d’enfaire lasubstancede la lectio etd’en rechercherlessecretsparlameditatio.

  • L’étapesuivantec’estl’oratioquiestsymboliséeparlesmotsdes personnages de l’Écriture qui, chacun, appellent Jésus detoutleurcœur(scèneIII).Aveceux,lelecteursesentencouragéàdemanderlaguérison,lamiséricordeetlapureté.Finalement,le repos de la contemplation est symbolisé par la hautemontagnedanslerécitdelaTransfigurationoùPierre,Jacqueset Jean sont les témoins de la gloire du Seigneur. Une foisencore, le lecteur est invité à monter vers le Seigneur par unchemin de vérité et de vertu, laissant la lectio, meditatio etoratioleconduireàlasereinejouissancedelacontemplatio.Lesvéritésthéologiquesquenousavonsdéjàdécouvertesdans

    lesprécédentschapitresentrentànouveauenscèneauchapitreIII du Lignum Vitae. La Trinité et l’Incarnation sont une foisencoretrèsintimementliéeslorsqueleChristrévèlelaTrinitéaucœur d’actions concrètes de sa vie humaine telles que sonBaptême et sa Transfiguration. Du fait même que lacondescendancedeDieuestunconcept-clédanslathéologiedeBonaventure, il presse à nouveau le chrétien d’entrer dans cechemind’humilitéet,cettefois,enprésentantleChristaudésertcomme un modèle à encourager. Ce qui est nouveau dans cechapitre III, c’est l’appel adressé au disciple pour une plusprofonde foi, pureté et zèle. En plus de l’humilité, le voyagemystique est aussi un appel à ces vertus pour vraimentcomprendrelasignificationdelavieduChristettoutcequiestécrit de Lui dans la Sainte Écriture. Dans le Prologue de sonBreviloquium,Bonaventureécritceci:

    Cette triple intelligence [des Saintes Écritures] convientaussi à l’auditeur, car personne ne l’entend valablementque s’il est humble, pur, fidèle et studieux. Sous l’écorce

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  • qui, le premier, pleura pour nous. Finalement, à l’étape de lavoie unitive, on pleure en raison d’un amour plus intense deDieuque l’onexpérimente, àceniveau,commequelquechosed’indéniable et d’irrévocable. Elizabeth Dreyer nous rappellequelesymboledeslarmes,mêmes’ilestsouventutilisédanslesécritsmystiquescommeunsignedejoie,estpar-dessustoutliéàlarédemption

    81:

    Les larmes apportent non seulement une consolationpersonnelle,maisellespeuventconduireàlapurificationetà la paix. Les larmes d’affection qui résultent de laconversion ne peuvent couler à moins d’éprouver unsentiment fort envers nous-mêmes et envers notremonde.PourFrançoisetpourBonaventure,leslarmescommencentaveclacontemplationamoureuseduCrucifié.Nouscouperdessentiments,c’estnouscouperdelacompassionpourlemondeetdel’imitationd’unDieupleindecompassion

    82.

    Enplusdecetélémentdecompassionsouventsymbolisépar

    leslarmes,pleurerestconsidéréparDieucommequelquechosequiluiplaît,commeunactequifaitdescendresurnouslagrâceet la consolation de Dieu. Dans le commentaire que faitBonaventuredel’épisodedel’enfantramenéàlavie(enLc,7),ilconclutquecesontleslarmesdelamèredel’enfantquiontattirél’attentionduChristetprovoquélemiracleduretouràlavie

    83.Cettethéologieestcohérenteaveccelledelatraditionque

    Bonaventure connaissait si bien. Joseph Carola, par exemple,danssonétudedurôledelaprièreetdelarepentancedanslesécritsd’Augustin,écrit:

  • Les larmesaccompagnentdirectement la repentance.Ellesservent à attirer le regardmiséricordieux duChrist sur lepénitent et à guérir ses blessures.De plus, les larmes dupeuple agissent de façon indirecte, elles servent à attirerl’attention du Christ et à purifier le pénitent de sespéchés

    84.

    Larmes, compassion et componction sont des notions tout à

    faitimportantesdanslathéologieduvoyagemystiquechezsaintBonaventure.Cesontdesréponsesthéologiquementappropriéesà notre propre état de pécheurs, à la présence du Christ dansnotrevieouàunereconnaissancedudonque leChrist faitdelui-même,luiquiestceCœureucharistiquequinousconduitàl’union avec Dieu. C’est aussi en imitant cette vertu decompassion que le vrai disciple du Christ doit être comme leMaître. Même « le glaive » qui perça le cœur de ce parfaitdisciplequefutlaViergebénieseracomparé,parBonaventure,auglaivedecompassion(compassionisgladio)

    85.

    LemystèredelaPassionduChristDans la première partie du Lignum Vitae, nous avons

    commencé par regarder le Christ à la fois dans son origineéternelle au sein de la Sainte Trinité et dans son originetemporelle sur la terre.Nous avons entrevu que tout ce que leChristestettoutcequ’Ilfaitestunappelàlavertuadresséaucroyant. Toute la théologie de Bonaventure affirme clairementquecertainesqualitésouvertus,tellesquel’humilité,lapureté,la compassion, sont indispensable pour entreprendre le voyagemystique vers Dieu dont la propre humilité rend l’Incarnationpossible.Maintenant,dans la secondepartieduLignumVitae,les vérités théologiques révélées sont encore plus profondes et

  • les réponses deviennent plus exigeantes. Cette partie médianecontient quatre chapitres unis par le titre « LeMystère de laPassion»

    86. Les quatre fruits de cette partie de l’ouvrage sont

    « la confiance duChrist au cours de son procès, sapatiencedanslesmauvaistraitements,saconstancesouslatortureetsavictoire sur la mort »

    87. Désormais, la croix tient une place

    centralealorsquenousarrivonsaucœurdel’ouvrage.C’esttoutà la fois l’identité duChrist et son amour sacrificiel qui vontêtrerévélésplusclairementaulecteurdisposéàlaprière.Nousallonsenapprendredavantagequant au rôleduChristdans salutte contre les forces du mal et découvrirons que sonengagement pour notre rédemption appelle tout croyant à plusd’engagementpourentreprendrelevoyagemystique.

    Lecinquièmefruit:confiancedanslespérilsComme substance du cinquième « fruit » du Lignum Vitae,

    Bonaventure utilise la confiance que le Christ a montrée aucœurdesoncombatintérieur.Danslapremièrescène,Jésusesttrahi par Judas et, dans la seconde, il reste seul, dans lesangoisses,enprièresurlemontdesOliviers.Danslatroisièmescène,ilestentouréparsesennemisetarrêté.Dansladernièrescène, il est emmené enchaîné. Bonaventure réfléchit jusquedanslesdétailssurlessouffrancesqueleChristaenduréespournotresalutet,toutspécialementici,surl’angoisse.LedivinFilsdeDieuestentouréparlahaineetcomptécommeleplusvildesêtres humains.Dans le texte des quatre scènes de ce chapitre,l’humanitéetladivinitéduChristsontjuxtaposéesdetellesorteque nous puissions apprécier pleinement la « coïncidence desopposés»dans lapersonneduChrist.LeChrist entredans saPassionet,enmêmetemps,ilentreaucœurmêmedelabatailleentreDieuetlemaldontl’enjeun’estrienmoinsquelesalutde

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  • appréhendé, lesdisciplesfuirent.Cependant,Pierre,plusfidèle,‘lesuivitdeloinjusqu’aupalaisdugrand-prêtre’;là,àlavoixd’uneservante,ilniaavecsermentetjusqu’àtrois foisqu’ilconnaissait leChrist.Auchantducoq, leBonMaîtrejetasurledisciplepréféréunregarddepitiéetdegrâce;Pierrerappeléà laréalité, ‘sortitetpleuraamèrement’.Ô qui que tu sois, toi qui à la voix d’une servantecurieuse, c’est-à-direde tachair,a reniéeffrontémentenespritouenacteleChristsouffrantpourtoi,souviens-toidelaPassiondetonMaîtrebien-aimé,sorsavecPierreetsi te regarde celui qui regardaPierre, pleure amèrementdans une double irritation, de componction en toi et decompassionpourleChrist,etabreuve-toid’absinthepourêtreavecPierrepurifiédelafautedetoncrimeetrempliavecluidel’espritdesainteté

    109.

    AnalyseAprès s’être intéressé plus spécialement à Judas dans le

    dernier chapitre, Bonaventure, maintenant, se tourne versPierre :une façond’allerplus loindans lessouffrancesque leChristaenduréespournous.Pierre,dontlenom,ainsiquenousl’avonsditparailleurs,signifie«celuiquisait»

    110,juraqu’ilneconnaissaitpasleChristetcetroisfoisdesuite.L’abandondela part de ses amis, dont leChrist fit l’expérience, est là pourcontraster de la façon la plus extrême qui soit quand, dans lamême phrase, Pierre est appelé le plus fidèle (fidelior) desdisciples alors que son reniement va jusqu’à s’accompagnerd’un serment (cum iuramento). Nous sommes là dans un casd’extrêmes[opposés]oùceluiquiestleplusfidèleniesafoienjurantparserment.Pierrepréfèrerépondreàunesimpleservante

  • (ancilla)plutôtqu’àsonbien-aiméMaître(Magister).Pourtant,même la repentance de Pierre est un cas d’extrême lorsque,faisant un emprunt au chapitre 26 de l’Évangile deMatthieu,Bonaventurenousrappellequel’apôtren’apasverséseulementquelqueslarmesmaisqu’ilpleuraamèrement(flevitamare).En interprétant tropologiquement les Écritures, Bonaventure

    établit ainsi un lien entre le lecteur et l’apôtre Pierre dont lesactionssontunappelàuneréponsemoraledenotrepart.Quandl’apôtrerenieleChrist,celadevraitêtrepournousl’occasionderepérer lesmoments où nous succombons au péché. Dans sespleurs pleins de remords, nous devrions entendre un appelpersonnel au repentir. Bonaventure fait appel à l’image del’absinthe d’une double irritation [amertume] (qui se trouvedanslelivredesLamentations)

    111pourentraînerlelecteurdans

    lavoiepurgativeet illuminative.Lapurificationseproduiraaumomentoùnouséprouveronsduremordspournospéchés,alorsque l’illumination, elle, jaillira de notre compassion pour leChrist. Comme déjà mentionnées, les larmes conviennent àchaque étape et, bien qu’une réponse faite dans les larmespuisseparaîtreextrême,[cetteréponsesousformedelarmes]estprésentée ici comme toutà fait appropriéeenconsidérationduMaîtrequi,pournous,enduradessouffrancesextrêmes.

    «Jésus,levisagevoilé»112

    TextederéférenceDevant un conseil de pontifes méchants, notre pontifeJésus-Christ confessa la vérité qu’il est le Fils de Dieu.Accusédeblasphème,ilfutcondamnéàmortetsoumisàd’innombrables opprobres. Ce visage vénéré par lesanciens, désirable aux anges et qui remplit les cieux de

  • joie, est souillé de crachats par une lèvre avilie ; il estfrappépardesmainssacrilèges, ilestcouvertd’unvoilede dérision. Le Seigneur de toute la création est gifflécommeunesclaveméprisable.Alors, avecun visage trèsplacide,d’unevoixsoumise,ilcorrigeal’undesserviteursdupontifequil’avaitsouffleté:‘Sij’aimalparlé,faislapreuvequec’estmal;maissij’aibienparlé,pourquoimefrappes-tu?‘Ô vrai et pieux Jésus, quelle âme pleine de dévotion,voyantetentendant toutcela,pourraitretenirses larmesetcacherladouleurdesacompassionintérieure

    113?

    AnalyseDans le paragraphe ci-dessus tiré du chapitreVI duLignum

    Vitae, le Docteur séraphique donne à Jésus-Christ troisnouveaux titres. Il se réfère à lui en tant queGrandPrêtre, leFils deDieu et le Seigneur de toute laCréation dont la faceremplit lescieuxde joie.Dans cettemise en scènedramatiquede la Passion, on est mis en présence de ce Seigneur de laCréationd’unefaçontoutàfaitopposéeàceàquoionpourraits’attendre.Cesontlesêtresmêmesqu’ilacréésquilefrappentet l’insultent et rabaissent notre Grand Prêtre au rangd’esclave.Sonvisageetsesoreillessontagressésparleslèvreset les mains de ceux qui, ironiquement, témoignent du malqu’ilscroientcondamner.Àl’analyseducontenudeceparagraphe,iln’estpasdifficile

    de conclure que Bonaventure utilise souvent des récits de laPassionduChristpouren faire lecontenudesa lectiodivina.On ressent la vivacité du Docteur séraphique dont les motstendent à devenir plus passionnés lorsqu’il écrit sur les

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  • le lieu où sont punis les scélérats, un jour solennel, àl’heuredemidi,aumilieudeslarronssurlacroix,commedonné en spectacle aux amis en pleurs et aux ennemisdéchaînés. Car les passants ‘l’injuriaient en hochant latête’et‘ceuxquiétaientlàsegaussaientendisantqu’ilenasauvéd’autresetqu’ilnepeutsesauverlui-même’.L’undeslarronsnes’abstintnullementdecettedérision,alorsque le très doux Agneau priait le Père pour ceux qui lecrucifiaientetsemoquaientdelui,etpromettaitavecunecharité toute libérale le paradis au larron qui seconfessaitetlesuppliait.Ôparoletoutededouceuretdepardon:‘Père,pardonne-leur!‘ÔParoletouted’amouretdegrâce: ‘Dèsaujourd’hui tuserasavecmoidans leparadis!‘Respire maintenant dans l’espoir du pardon, mon âme,toutpécheressequetusois,sitoutefoistun’hésitespasàsuivrelestracesdetonSeigneurDieusouffrantpourtoi,‘quidans toutes sesafflictionsn’ouvrit jamais labouchepouradresseràseschiensmaudits lamoindreparoledeplainte ou d’excuse ou de reproche ou de malédiction.Bienplutôtlaissa-t-iltombersursesennemisunenouvellebénédicition, comme ‘jamais on n’en avait entendu desemblable dans les siècles’. Dis donc avec une grandeconfiance:‘Pitiépourmoi,ôDieu,pitiépourmoi,jemefie à toi’ ; si d’aventure tumérites d’entendre comme lelarronrepentiàl’articledelamort:‘Dèsaujourd’huituserasavecmoidansleparadis’

    133.

    AnalyseLesdeuxvoleurssontpourBonaventureuneimagequ’ilpeut

    utiliser pour appeler les chrétiens à un choix fondé sur

  • l’attention à notre désir le plus profond. Les voleursreprésentent une « coïncidence des opposés » qui appelle leviator à choisir entre le bien et le mal. Placé entre ces deuxvoleurs, le Christ est littéralement au centre de deux opposés,c’est là une remarque que Bonaventure fait tout au long duLignum Vitae. Le lecteur est invité à s’identifier avec le bonlarronrepentantafindefairel’expériencedelamiséricordedeDieu.Émucomme il l’estparses réflexionssur lacroix,on trouve

    de purs moments d’oratio dans cette partie de l’œuvre deBonaventure. D’une façon méditative, Bonaventure met lelecteur,etlui-même,àlaplaceduvoleurrepentantetildialogueavecleChristencroix,ainsiquecethommelefit.Lesmotsdececriminelconvertisontadaptésafind’yinclurele«Misereremei»dupsaume57,1etpournouspermettredefairedecetterencontre unmoment d’oratio en faisant nôtre cette prière.LeDocteur séraphique nous invite à nous joindre à lui pourdemanderpitiéafinquenousaussinousentendionslesmotsderéconfort duChrist et la promesse duparadis. Peu importe lagravitédenotrepéché,notretâcheconsistesimplementàdésirerleSeigneur,à rechercher soncontactavecuncœurcontritetàfairedenotremieuxpoursuivresespas.Ainsiquenousl’avonsmentionnéauchapitreIdecetteétude,

    la théologie de Bonaventure, le fidèle franciscain, est unethéologie de l’Incarnation. Cela est tout à fait évident dans leLignumVitae qui,plutôtquede simples idéesabstraites,offreaulecteurdesexemplesconcretsetincarnésdubienetdumal.Le voleur repentant est présenté au moment où il entre encontactavecleChrist,ayantconfesséetimplorésamiséricorde,

  • nousdonnant ainsiuneauthentique illustrationdecequeveutdire suivre le Christ et choisir le bien. De la même façon, lapromessedeparadisdevraitnousaideràdésirerleChristmêmesi,entrerencontactavec leChrist,signifie lerencontrersur lacroix.

    «Jésus,abreuvédefiel»134

    ‘Puis,sachantquetoutétaitachevédésormais,Jésusdit,pour que toute l’Écriture s’accomplît : J’ai soif.’ Aprèsqu’on lui eût présenté avec une éponge un mélange devinaigre etde fiel, selon le témoignagedeJeanqui étaitprésent, il ajouta : ‘Tout est achevé’, comme si laplénitudeconsomméedetoutelapassionamèreconsistaità goûter le vinaigre et le fiel. En effet, en goûtant del’arbresuavemaisdéfendu,Adamlepécheurfutlacausede toute notre perdition, il était opportun et convenableque le remède de notre salut se trouvât dans la voiecontraire.Deplus,enchacundesesmembres,lesflèchesles plus acérées multipliaient les attaques, ‘son humeurbuvait leur venin’ ; alors il fallait que la bouche et lalanguenedemeurentpasindemnesdelanourritureetdela parole pour vérifier dans notre médiateur la paroleprophétique : ‘il m’a saturé d’amertume, il m’a enivréd’absinthe’;etcetoracledanslaMèretrèsdouceettrèsaimante:‘ilm’afaitedésolée,maladetoutlejour.’Quelle langue peut dire, quel esprit peut concevoir lepoidsde tesdésolations,Viergebienheureuse?Présente,assistantetparticipantdetoutemanièreàtoutcequivientd’êtredit.Cettechairbénieettrèschastequetuasconçuechastement,quetuasnourrieetallaitée,quetuasportéesisouventsurtonseinetquetuasbaiséedeteslèvressurles lèvres, tu la contemples de tes yeux de chair,

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  • miséricordeduPèreestinvoquée.Le Christ nu que nous avons rencontré au chapitre VI est

    maintenant dénudé encore plus puisqu’il l’est même de saproprechair.Cedénudementestunappelquinousestadressésurlanécessitéoùnoussommesd’avoirànous«dépouiller»denotre propre orgueil et d’implorer également le pardon parl’intercession de la Souveraine très miséricordieuse. Il estintéressant de noter que Bonaventure fait suivre l’invitationamoureuseàl’union,duprécédantparagraphe,aveccetappelàconversion.Mêmesinoussommesinvitésàposernoslèvressurle corps du Christ pour exprimer notre profonde union, nousdevons aussi nous souvenir que nous ne méritons pas ceprivilège.IlestlefruitdelaseulemiséricordedeDieu.ToutaulongduLignumVitae,ainsiquecetteétudelemontre,

    Bonaventure souligne l’empressementduChrist à supporter cequ’il a dû souffrir pour nous. C’est un amour obéissant. IlchoisitdesupportersaPassionafinqu’enDieuilpuisseyavoirpleinerédemption. Enméditant sur l’exemple duChrist, nousentendonsnousaussilasubtileexhortationàl’obéissanceetunappel encore plus direct à éviter de rechercher la gloiretemporelle (temporaliter gloriari). Obéissant à la volonté deDieunoussommes,comme leChrist,appelésàpasseroutre larecherched’unegloirepersonnellepourchoisirlaCroix,sourcedevie.

    «Jésus,enseveli»157

    TextederéférenceUn noble décurion Joseph d’Arimathie ayant obtenul’accord de Pilate, déposa le corps du Christ avec

  • Nicodème, l’embauma d’aromates et l’ayant recouvertd’un linceul, le déposa dans un tombeau tout proche etl’ensevelitavecgrandrespect.Deplus, leSeigneurainsienseveli fut confiéà lagardedes soldats.Lespieuses etsaintes femmes qui l’avaient suivi durant sa vie,continuèrentauprèsdeluilesdevoirsdeleurpiété:ellesachetèrentdesaromatespouroindrelecorpstrèssaintdeJésus. Parmi elles, Marie-Madeleine était transportéed’unetelleardeurdanssoncœur,d’une telledouceurdepiétéetdetelsliensdecharitéqu’oubliantlafaiblessedesonsexe

    158, elle ne se lassa pas de visiter le sépulcre ni

    dans les ténèbres de la nuit ni malgré la cruauté despersécuteurs. Bien plutôt, se tenant au dehors, ellearrosait le tombeau de ses larmes. Les discipless’éloignant, ellene s’éloignapoint.Consuméepar le feude l’amour divin et brûlée d’un désir si grandissant etblesséed’unamoursiimpatientquerienneluiconvenaitque de pleurer, pouvant ainsi crier en toute vérité laparoleprophétique : ‘Jen’aidepainquemes larmes, lanuit, le jour,moi qui tout le jour entendsdire : où est-iltonDieu?‘MonDieu,bonJésus,accorde-moi,bienque je sois sansmériteetdetoutemanièreindigne,àmoiquineméritaispas d’assister de corps à ta Passion, qu’en la méditantd’uneâmefidèle,jeressenteenverstoi,monDieu,crucifiéet mort pour moi, le sentiment de compassionqu’éprouvèrent ta Mère innocente et Madeleine lapénitenteàl’heuredetaPassion

    159.

    AnalyseDans ce dernier paragraphe du chapitre VIII, Joseph

  • d’Arimathie, Nicodème et Marie-Madeleine sont mentionnéspar leur nom. Des deux hommes, on dit qu’ils ont agi avecgrand respect (cum omni reverentia) tandis queMarie et sescompagnes sont appelées pieuses et saintes (devotae… etsanctae).DeMarie,ilestmêmeditqu’elles’estunieàJésusparles liens de charité (vinculis caritatis). De cette manière, enutilisant le langage de son époque, Bonaventure établitclairementque laCroix a fait tomber lesbarrières.Hommeoufemme, chef religieux ou pécheur repentant, tous sontmaintenant invités à faire partie de la famille de Jésus. Noussommes tout spécialement invités à être comme Marie-Madeleine, le modèle de la pénitence, celle qui est consuméeparlefeudel’amourdivin.Sonchagrinrévèlesa«blessure»d’amour.ElleestdevenueunieauChristsouffrantetpeutfairesienne la prière des Galates telle qu’on la trouve dans lePrologueduLignumVitae :«AvecleChrist jesuisclouéàlacroix…»

    160.

    EnnousprésentantMarie-Madeleinecommemodèleàimiter,

    BonaventurenousinviteàdemeureravecleChrist tantdanssamortmêmequequandleschosesdeviennentplussombres.Danscette scène, on trouve un subtil appel à la patience, appel quinaîtdelapropremeditatiodeBonaventure.Marie-