Bryars - Festival d'Automne à Paris · Guglielmo Marconi dans la tragédie du Tita - nic. Marconi...

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gaVin brYarS The Sinking of the Titanic 22 ocobre 2012

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gavin bryarSThe Sinking of the Titanic

22 octobre 2012

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quelle aubaine que la perte du Titanic pourles marxistes) ; et c’est aussi l’illustration desliens entre l’ancien monde et le nouveau. Sil’événement a acquis un tel statut, c’est aussigrâce à cet hymne à l’inéluctable qu’est lepoème de Thomas Hardy, The Convergence ofthe Twain (La Double Convergence), et sur-tout, désormais, à une copieuse moisson defilms et de documentations, et à toute unefournée de livres qui vont de l’élégiaque et ducommémoratif à la paranoïa pure et simple.Mais rien, jamais, n’a su restituer plus claire-ment le mystère du dernier voyage du Tita-nic, ses tragédies, humaines et familiales, lemélange de générosité et d’égoïsme, les ins-tants de transcendance et ceux de la plus pro-saïque nécessité, son esthétique et sonarithmétique, qu’une œuvre musicale entre-prise il y a quarante-trois ans, et laissée depuislors inachevée et ouverte, ouverte à toute nou-velle découverte sur le voyage de ce paque-bot, sur son état actuel, sur sa destinée…

Comment cette oeuvre a-t-elle pu être écrite ?Elle a d’abord été élaborée comme uneébauche conceptuelle pour une « expositionde soutien aux étudiants des beaux-arts auxabois », à Portsmouth, en 1969. Le lieu et ladate ont leur importance : car précisémentdeux ans auparavant, dans les atterrages occi-dentaux, s’était produit un naufrage d’uneampleur et d’une gravité jusque-là inédites.Le Torrey Canyon, un pétrolier de cent vingtmille tonnes, en provenance du Koweit et àdestination de Milford Haven, s’était échouésur le récif des Seven Stones, entre la Cor-nouaille et les Sorlingues…Le Titanic qui gîtau large de Terre-Neuve, par 41-43’55” Nordet 49-56’45” Ouest (et quelle étrange poésie ily a dans ces chiffres !) continue de pourrirdepuis un siècle dans les tréfonds de l’Atlan-tique Nord, mais tandis que lentement il sedécompose, l’œuvre de Bryars, elle, ne cesse

de grandir et de se développer, sans que l’« his-toire événementielle » ou le révisionnismeaient encombré sa coque de leurs sédiments.Perpétuellement réinventée : c’est unemusique toujours en partance.

Brian Morton, avril 2012

Hymne et circonstances

Le 14 avril 1912, le Titanic heurte un icebergà 23h 40 dans l’Atlantique Nord, et coule le 15avril, à 2h 20 du matin. Sur les 2201 personnesqui se trouvaient à bord, 711 seulementdevaient parvenir à destination à New-York.Tous les matériaux que j’ai utilisés pour cettepièce sont le résultat de recherches et despéculations menées sur le naufrage del’« insubmersible » paquebot de luxe. Le pointde départ de ce travail est le témoignage selonlequel l’orchestre – à savoir un petit grouped’instruments à cordes – aurait joué un hymnependant les cinq dernières minutes du nau-frage, dans un magnifique élan d’abnéga-tion sacrificielle.

Les diverses interprétations de The Sinkingof the Titanic données depuis sa création en1969 ont intégré la musique d’un hymne inti-tulé Automne, évoqué par un des survivants,le radiotélégraphiste Harold Bride. Voici ce qu’il en dit au New York Times enavril 1912 : « L’orchestre jouait toujours. Je pense que tousles musiciens ont péri. À cet instant-là, ilsjouaient Automne. Je nageais de toutes mesforces, je crois que je me trouvais à cinquantemètres environ quand le Titanic a piqué dunez, sa poupe levée tout droit vers le ciel, eta commencé lentement, lentement, sa des-cente… L’orchestre a continué à jouer, de façonadmirable… La dernière fois que je les ai vus,alors que je flottais dans la mer, équipé de

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The Sinking of the Titanic Nouvelle version à l’occasion du centième anniversaire du naufrage du Titanic

Gavin Bryars, musique

Philip Jeck, platines

Bill Morrison, Laurie Olinder, conception du dispositif de projection et images

Gavin Bryars Ensemble

Rachel Shipp, directeur de productionPaul Allen, directeur de tournéeBob Burnell, ingénieur du son

Première version, Portsmouth 1969. Création àLondres, au Queen Elizabeth Hall, en 1972, par leGavin Bryars Ensemble Création en France par le Gavin Bryars Ensemblelors du Festival d’Automne à Paris 1979

Éditeur : Schott Music Ltd

Durée : 60’ sans entracte

Production Forma

Coproduction Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris

Avec le concours de Diaphonique, fonds franco-britannique pour la musiquecontemporaine, et du British Council

Photo couverture et page 2 : © Mark AllenPhotos page 5 : © DR

Rien de tel que le naufrage d’un grand bateaupour nous renvoyer aussitôt à notre identitéde nation insulaire. Les peuples sans accès àla mer ne se seraient pas arrêtés aussi obses-sionnellement aux images de l’épave du CostaConcordia (en février 2012). Pour les Britan-niques, ce récent naufrage a soudain ravivéle souvenir du Herald of Free Enterprise (leferry de la Townsend Thoresen), un désastrequi remonte à vingt-cinq ans, le 6 mars 1987 ;et, plus loin encore dans le temps, celui d’unautre paquebot, autrement plus imposant, etdont la construction, le voyage inaugural etle naufrage dans l’Atlantique Nord ont depuisun siècle tant fait pour nourrir le souvenir pâlis-sant de nos gloires maritimes. Le Titanic – outout au moins, son naufrage – revêt toute ladimension du symbole pour un pays dontl’influence était alors à son apogée, un paysqui s’enivrait de son essor technologique etse déchirait en divisions de classe (d’ailleurs

Écueils et récifs

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mon gilet de sauvetage, ils étaient toujourssur le pont, et jouaient Automne. Je ne sais pascomment ils ont fait. Mais ce spectacle, et celuide Phillips (le chef radiotélégraphiste) conti-nuant d’émettre, bien que le commandantsoit venu lui dire que sa vie lui appartenait,et qu’il devait essayer de se sauver, sont lesdeux choses qui me restent à l’esprit. […] »

Cet hymne a été joué entre 2h 15 et 2h 20, soitpendant les cinq dernières minutes du nau-frage, et c’est cette séquence qui constitue lenoyau de ma musique ; celle-ci peut traver-ser toute une série d’états différents, évoquantune lente descente vers les fonds marins, avecune grande diversité d’échos et de phéno-mènes de déflection, allant de pair avec uneréduction considérable des hautes fréquences.Étant donné que la surface de l’eau agit commeun plafond, et que l’eau est un milieu acous-tique extrêmement porteur, la musique pour-rait continuer à résonner indéfiniment sousla mer. Cela implique évidemment que lesmusiciens n’aient pas cessé de jouer pen-dant que le bateau s’engloutissait, mais à encroire Harold Bride, il en a bien été ainsi. Il fautse souvenir que l’orchestre n’a joué dans l’eauqu’à la toute fin, mais que l’instant d’avant,lorsque le paquebot s’est dressé presqueperpendiculairement à la mer, pendant cescinq dernières minutes, il n’a pas cessé dejouer. Bride ne savait pas « comment ils avaientfait », mais nous, nous savons que l’orchestreétait placé devant les portes du gymnase, etque ces portes, verticales à l’origine, s’étaienttransformées, du fait de la position du bateau,en un plancher horizontal qui a servi de der-nière tribune aux musiciens.

Outre le matériel dont se servaient les deuxofficiers radiotélégraphistes – Phillips à l’émis-sion, Bride à la réception –, il y a eu d’autres

occurrences de va-et-vient de signaux acous-tiques. Nous avons, par exemple, le schémad’un capteur audio fixé sur la coque du paque-bot, sur la couche interne qui en protégeaitl’armature. Il avait pour fonction de permettreau bateau de percevoir le son des clochesimmergées dont on avait équipé les bouéesdérivantes au large des côtes orientales duCanada et des États-Unis, pour signaler laproximité de la terre ferme (il va sans direque l’approche de l’iceberg a été parfaitementsilencieuse).

On ne saurait négliger le rôle primordial jouépar ce grand inventeur italien que futGuglielmo Marconi dans la tragédie du Tita-nic. Marconi avait défini les grands principesde la télégraphie sans fil sur les grandes dis-tances, et il avait déjà réussi, quelque dix ansauparavant, la première transmission trans-atlantique d’un signal (la lettre S), de Poldhu,en Cornouailles, à Saint-John, en Terre-Neuve.Mais le naufrage du Titanic constitue la pre-mière utilisation en vraie grandeur de latechnique du sans fil dans un sauvetage enmer ; et le relevé des signaux allant vers lebateau et en revenant résume à lui seultoutes les péripéties de l’événement. L’undes survivants, qui dérivait en pleine mer, amême formulé un vœu quelque peu mys-tique, en exprimant l’espoir qu’ils pourraienttous « marconiser » leur reconnaissance à cebienfaiteur depuis leur chaloupe de sauve-tage. Et de fait, quand Bride a débarqué duCarpathia dans le port de New York, Marconiétait là, tout prêt à se précipiter à bord pourlui serrer la main.

Le prolongement de la musique dans l’éter-nité découle pourtant d’une autre point devue « scientifique » : vers la fin de sa vie, Mar-coni s’était convaincu que les sons, une fois

émis, ne meurent jamais ; simplement, ils s’af-faiblissent, de plus en plus, jusqu’à ce quel’oreille cesse de les percevoir. Et Marconi espé-rait mettre au point des dispositifs assezsensibles – des filtres puissants et sélectifs,j’imagine – pour capter et rendre audiblesles sons ténus du passé. Il allait même jusqu’àdire son espoir de pouvoir un jour entendre

Jésus-Christ prononcer le Sermon sur la Mon-tagne. Et à cet égard il est curieux de consta-ter que l’un des bateaux venus à la rescousse,le Birma, a reçu des signaux radio, émanantapparemment du Titanic, une heure et vingt-huit minutes après la disparition du paque-bot sous les flots.

Gavin Bryars, octobre 2006Traduction Béatrice Dunner

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Gavin Bryars

Gavin Bryars, né en1943, commence sacarrière commecontrebassiste dejazz. Il est aussi unpionnier de l’impro-visation libre, avecDerek Bailey et TonyOxley.À la fin des années

1980, il rejoint John Cage aux États-Unis, et col-labore avec la communauté des musiciens dela scène expérimentale britannique. Lesœuvres de cette période, The Sinking of theTitanic (1969) et Jesus’ Blood Never Failed MeYet (1971) sont devenues légendaires et leursenregistrements connaissent un immensesuccès.Gavin Bryars compose pour la scène, en par-ticulier trois opéras (Medea, mis en scène parRobert Wilson, Lyon et Paris 1984 ; Doctor Ox’sExperiment, mis en scène par Atom Egoyan,English National Opera et Dortmund 1998 ; G,mis en scène par Georges Delnon, Mayence2002). Il compose aussi pour les chorégraphesMerce Cunningham, Edouard Lock, CarolynCarlson, David Dawson et William Forsythe. Il enseigne pendant des années dans différentsinstituts pour les arts plastiques et collaboreavec des artistes comme Bruce McLean, DavidWard, Tim Head, James Hugonin, Bill Woodrowet Will Alsop. Il participe à des installations/per-formances entre autres à la Liverpool Tate Gal-lery, Tate St. Ives, Chateau d’Oiron, et mène unecollaboration étroite avec Juan Muñoz. Le catalogue de Gavin Bryars présente ungrand nombre d’œuvres instrumentales,orchestrales, vocales, des concertos pour vio-lon, violoncelle, contrebasse, piano, saxo-phone, hautbois basse, ensemble depercussion. Ses œuvres vocales sont interpré-tées par le Hilliard Ensemble, Red Byrd, TrioMediaeval, le chœur de la radio de Lituanie,le chœur national d’Estonie, Vox Altera, Iarla

O’Lionaird, Singer Pur. Depuis 2006, Gavin Bryars travaille avec OperaNorth sur des arrangements pour des Sonnetsde Shakespeare et des chansons de Tom Waits.Depuis 1998, il compose les musiques pour lesfilms de la réalisatrice russe Anna Tcherna-kova. Gavin Bryars a le titre de « regent » duCollège de Pataphysique. Il vit et travaille dansla région du Leicestershire (Grande-Bretagne)et en Colombie britannique (Canada).Le Gavin Bryars Ensemble, auquel participentles chanteurs Anna Maria Friman et JohnPotter, donnent de nombreux concerts et réa-lisent des enregistrements pour ECM, Point,Philips, Naxos, Decca, et pour le label person-nel de Gavin Bryars, GB Records.

www.gavinbryars.com

Gavin Bryars

au Festival d’Automne à Paris1979 : The Sinking of the Titanic,Out of Zaleski’s Gazebo, 1.2. 1-2-3-4 / The Cross-Channel Ferry/My First Homage (Chapelle de la Sorbonne)1984 : Medea (Théâtre des Champs-Élysées)au Théâtre de la Ville1986 : The Cross-Channel Ferry Mark II, First Vien-nese Dance, My First Homage, Pavane, Eglisak 1989 : Premier QuatuorOut of Zaleski's Gazebo, Ponukelian Melody

au Festival d’Automne à Paris et au Théâtre de la Ville1999, 2001, 2011 : Biped, Merce CunninghamDance Company

Gavin Bryars Ensemble :Nick Barr, violaMorgan Goff, violasNick Cooper, celloGavin Bryars, double bassDave Smith, tenor horn, keyboardJames Woodrow, electric guitarRoger Heaton, bass clarinetMartin Allen, percussionJunior Ensemble:Alex Tchernakova, viola Orlanda Bryars, celloZiella Bryars, celloYuri Bryars, double bass

Philip Jeck

Philip Jeck a étudiéles arts visuels à l’École des beaux-artsde Dartington.Dans les annéesquatre-vingt, il com-mence à mixer dese n r e g i s t r e m e n t sd’œuvres existantesavec de l’électro-

nique. Il compose des musiques pour des films,pour des compagnies de théâtre et de danse.Son œuvre Vinyl Requiem a obtenu le TimeOut Performance Award en 1993. Pour cetteperformance, il a utilisé 180 platines, douzeprojecteurs de diapositives et deux projec-teurs de cinéma.En 2010, il reçoit le Prix de la Fondation PaulHamlyn pour les compositeurs.

www.philipjeck.com

Bill Morrison

Né à Chicago en 1965, Bill Morrison a étudié lapeinture à la Cooper Union School à New York.Au cours des vingt dernières années, il a consti-tué une filmographie de plus de trente pro-

jets qui ont été présentés dans le monde entier,dans des théâtres, des musées, des galerieset des salles de concert.Le travail de Bill Morrison repose sur uneréflexion autour de la disparition/réappari-tion des films ; en redonnant vie à des filmsoubliés, Morrison pose la question du sens del’histoire, mais aussi celle du passage du tempset de la mémoire des images. Il a reçu denombreux prix, deux Bessie et un Obie Award.

www.billmorrisonfilm.com

Laurie Olinder

Laurie Olinder est concepteur multimédia,peintre et photographe. Elle est membrefondateur de Ridge Theater de New York quia obtenu de nombreux prix.Elle a conçu des projections pour de nom-breux compositeurs, comme John Adams, Phi-lip Glass, Michael Gordon, Henryk Gorecki,David Lang et Julia Wolfe. Son travail a été pré-senté dans des lieux de performance commeART, BAM, Carnegie Hall, Lincoln Center, etMASS MoCA.

www.laurieolinder.com

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Partenaires médias du Festival d’Automne à Paris et du Théâtre de la Ville

www.festival-automne.com – 01 53 45 17 17 / www.theatredelaville–paris.com – 01 42 74 22 77

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