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Actualité des racines Pour une linguistique du développement social suivi d’un Glossaire français-italien de la LDS Giovanni Agresti ESTRATTO PER DISPENSA CORSO DI LINGUA FRANCESE UNIVERSITÀ DI TERAMO A.A.2012-2013 QUESTO DOCUMENTO COSTITUISCE SOLO UNA PARTE (1/4) DI UN LAVORO DI PROSSIMA PUBBLICAZIONE (2013), IL SUO USO E’ RIGOROSAMENTE LIMITATO AGLI STUDENTI DEL CORSO E NON PUO’ IN ALCUNA FORMA ESSERE DIVULGATO, CITATO, UTILIZZATO ALL’ESTERNO

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Actualité des racines Pour une linguistique

du développement social

suivi d’un Glossaire français-italien de la LDS

Giovanni Agresti

ESTRATTO PER DISPENSA CORSO DI LINGUA FRANCESE

UNIVERSITÀ DI TERAMO A.A.2012-2013

QUESTO DOCUMENTO COSTITUISCE SOLO UNA PARTE (1/4) DI UN LAVORO DI PROSSIMA PUBBLICAZIONE (2013), IL SUO USO E’ RIGOROSAMENTE LIMITATO AGLI STUDENTI DEL

CORSO E NON PUO’ IN ALCUNA FORMA ESSERE DIVULGATO, CITATO, UTILIZZATO ALL’ESTERNO

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Table des matières

Introduction ................................................................................................................................ 5

Première Partie

Le sujet relationnel entre malaise linguistique, droits de l’homme et développement social

I. Changer le monde par le discours. Sujet relationnel, relais de connaissance, circulation du sens ............................................................. 17

0. La LDS: rendre au sujet son pouvoir créateur .................................................................... 17

1. Discours comme apprentissage ............................................................................................. 18

2. Statut du sujet relationnel ........................................................................................................ 21

2.1 Corps du sujet et représentations du monde .......................................................... 21

2.2 Sujet et niveaux de mise en relation .......................................................................... 25

3. Topologies relationnelles et relais de connaissance ............................................................ 27

4. Interaction et apprentissage .................................................................................................... 30

4.1 Compétences vs connaissance .................................................................................... 31

4.2 Censures et césures dans l’interaction ...................................................................... 32

4.3 Qualité et définition de la transmission des savoirs: le problème de la circulation du sens .............................................................................................................. 33

4.3.1 Praxème vs signe ........................................................................................................ 34

4.3.2 Sens co(n)textuel, sens immanent ? ....................................................................... 36

5. Pour conclure ............................................................................................................................ 41

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II. Idéologie, économie, linguistique du développement social : quels enjeux ? ...................................................................................................... 45

1. L’emprunt, marque de domination ? .................................................................................... 45

2. Le paradoxe linguistique de la crise économique ............................................................... 47

3. Représentations de linguistique et idéologie ....................................................................... 49

4. Le sujet entre analyse de la langue et analyse de la société ............................................... 50

5. De la destinée et de la nature des langues ............................................................................ 54

6. « Utilité » des langues et enjeux économiques .................................................................... 55

6.1 Le linguiste au milieu du gué ..................................................................................... 55

6.2 L’économie de la langue dans la LDS ...................................................................... 55

III. Entre malaise linguistique et droits de l’homme. Le modèle européen des droits linguistiques à l’âge de la crise globale .................................... 57

1. Revitaliser une linguistique sans ambitions ? Un enjeu politique .................................... 57

2. La parole du sujet en interaction : atteindre ou manquer la cible .................................... 59

3. Le malaise linguistique entre langue et droit ....................................................................... 61

4. Droits linguistiques et droits de l’homme : le modèle européen ..................................... 71

5. À l’âge de la crise globale: entre délégitimation du droit à la parole et valorisation du plurilinguisme .................................................................................................... 76

Références ..................................................................................................................... 81

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Introduction

Depuis bientôt vingt ans, à côté et même au sein des recherches sur la langue française, s’est éveillé en nous un besoin de plus en plus pressant de déborder le cadre linguistique stricto sensu ainsi que la culture française institutionnalisée et « reçue » pour emprunter également des chemins fort moins battus, parfois hérétiques (nous pesons nos mots). La rencontre avec des réalités sociales par trop méconnues, comme par exemple les langues de France et notamment la langue-culture occitane contemporaine, nous a prouvé d’une manière tangible, irréversible, qu’en aucune manière l’analyse linguistique ne peut faire fi de la dimension pulsionnelle, communautaire voire anthropologique du langage.

L’étude de la « périphérie » linguistique de l’Hexagone, aussi et sans doute surtout en raison de ses conditions précaires d’existence, nous a assez vite imposé au moins deux approches majeures et relativement originales :

1) La sévère mise en question de la compacité et de l’homogénéité présumées de la langue-culture française en particulier et des langues-cultures étatiques en général. Il s’agit de l’élément qui pose le moins de problèmes parce qu’il est aujourd’hui assez largement partagé, ne serait-ce qu’au sein de la communauté scientifique des linguistes qui font du travail de terrain ;

2) Le déverrouillement de l’analyse linguistique, qui de notre point de vue n’est plus sérieusement concevable de manière abstraite ni tout à fait autonome par rapport à l’épaisseur humaine, matérielle des vécus en jeu. Cette vue des choses est loin de faire l’unanimité chez les spécialistes, pour qui souvent, pour ne faire qu’un exemple dont nous avons l’expérience directe, des frontières disciplinaires fortes demeurent entre linguistique et sociolinguistique ou anthropologie linguistique etc.

Par l’intégration de ces deux approches à notre démarche, c’est notre visée même de chercheur qui a basculé. En aval de l’analyse et de la description traditionnelle de phénomènes linguistiques, nous nous sommes désormais donné la tâche de montrer l’intérêt et les enjeux posés non seulement par les langues de France, mais également – et plus largement – par toute

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langue de proximité, par toute langue enracinée et identitaire.

Il est évident que, au bout du chemin, nous rejoignons ou à tout le moins croisons les instances de la recherche en linguistique générale et en anthropologie linguistique. C’est tant mieux. En effet, notre intérêt est double : il ne concerne pas que les langues, mais d’abord et surtout le sujet, qui est toujours porteur de langue, de mémoire. Les « racines » – pour user d’une métaphore bien transparente – sont en nous, elles passent et sont véhiculées par la langue que nous avons non pas apprise mais reçue. Nous sommes des passeurs de mémoire et de langue, à chaque acte de langage nous laissons des traces, plus ou moins nettes ou estompées, de cette mémoire, filtrée par notre vécu. Ce faisant, nous ajoutons une couche de subjectivité à cette mémoire collective, à cette société latente qui nous habite.

Par l’analyse linguistique et discursive nous pouvons donc questionner ou découvrir nos racines – parfois juste un pâle reflet de surface – et notre manière de nous enraciner dans le monde, puisque la communication linguistique nous lie, nous ancre dans la société et nous situe dans l’espace social. Or, nous formulons l’hypothèse que le sujet enraciné est tout particulièrement en mesure de transformer le monde, donc de contribuer au développement de sa communauté. Il se place en effet aux antipodes du sujet déraciné, victime de l’aliénation diglossique ou de l’aliénation tout court – sujet diminué qui est, lui, transformable, manipulable par le monde.

Nous venons de poser un enjeu majeur, qui déborde le cadre strict de la recherche linguistique. Ou alors il invite à repousser ces limites disciplinaires. En tout cas, cette hypothèse et cet enjeu demandent à être étoffés par des preuves, des analyses et des exemples, qui peuvent déboucher sur l’esquisse d’une linguistique du développement social, bien au-delà des visées substantiellement descriptives de la sociolinguistique traditionnelle.

Pour ce faire, nous avons défini un cadre linguistique et culturel, coïncidant en gros avec l’espace de la France métropolitaine mais qui finit par le dépasser. Dans ce cadre il est possible de lire, en diachronie aussi bien qu’en synchronie, d’une part les dynamiques de dominance culturelle du centre par rapport à la périphérie et de l’autre les tentatives d’émancipation de celle-ci. Ces tentatives passent par les voies non seulement de l’action politique ou de la formalisation juridique mais également, et d’abord, par

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l’exploitation des nouvelles technologies de la communication, par une création culturelle parfois d’avant-garde, par la mise en place de projets où le développement social et culturel rime avec le développement économique.

Dans ce livre nous avons essayé de mettre de l’ordre dans une matière aussi vaste, complexe et mobile par la reprise de dix-huit articles, dans la plupart des cas déjà publiés mais parfois encore inédits1, où nous avons abordé des aspects divers, allant de la définition du champ relationnel intersubjectif à la mise en discrétion du malaise linguistique ; des contraintes juridiques et législatives concernant les langues minoritaires à la production culturelle contemporaine de ces communautés linguistiques marginales etc.

Or, sous la diversité des thèmes abordés et des contextes où ces sujets ont été convoqués, présentés et débattus, au bout de ce travail de sélection et d’édition une remarquable cohérence a émergé qui nous pousse à proposer ces recherches et ces éclairages non pas comme un recueil d’articles mais bien comme les chapitres d’une étude unitaire encore que – de toute évidence – loin d’être parfaitement achevée, clôturée.

C’est dans le but de mettre en relief cette cohérence et la ligne de développement de notre raisonnement que nous proposons, de suite et en début de chapitre, une synthèse de chaque contribution.

***

Nous avons organisé notre matière en quatre parties. Dans la première (Le sujet relationnel entre malaise linguistique et développement social), nous proposons un encadrement théorique liminaire et essayons de fournir une terminologie de base pour asseoir les principes de la linguistique du développement social (désormais LDS). Au cœur de celle-ci figure le sujet relationnel, sujet en chair et en os qui demande à dialoguer, à échanger, à dépasser par le langage ses limites physiques et sociales au contact de l’autre mais qui éprouve bien souvent (si ce n’est pas toujours) du malaise linguistique à différents niveaux. C’est, en gros, ce malaise qui motive

1 Pour l’indication des références originelles on se reportera à la bibliographie en fin

de volume. Tous les articles, édits et inédits, ont été de toutes façons largement retravaillés en vue de cette édition.

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l’élaboration (consciente ou pas) de stratégies de développement social – et, en amont, personnel – via l’action sur la langue.

1) Dans le premier chapitre (« Changer le monde par le discours. Sujet relationnel, relais de connaissance, circulation du sens ») nous essayons de comprendre comment le sujet, et d’abord son corps, est en rapport avec le langage et son environnement ; comment il établit une communication qui est action sur l’environnement, comment le sens circule entre interlocuteurs. Cette réflexion s’accompagne de l’élaboration d’une terminologie spécifique. Dans son ensemble, la nôtre est une approche topologique des échanges linguistiques qui doit beaucoup à la praxématique de Robert Lafont.

2) Cette conception résolument organique de la langue est ultérieurement précisée dans le deuxième chapitre (« Idéologie, économie, linguistique du développement social : quels enjeux ? ») où nous posons l’affrontement entre deux conceptions et idéologies de linguistique : une conception, majoritaire, qui exclut le sujet, sa matérialité et individualité, de toute analyse de la langue ; et une conception qui, au contraire, pose le sujet comme élément fondateur et incontournable de toute production langagière. Nous avançons l’hypothèse que la première conception, qui a ses références et ses autorités bien reconnues, a été fortement soutenue par une idéologie qui est le proche parent de l’économie de marché, qui stigmatise la diversité linguistique au nom de l’impératif du dépassement des soi-disant « barrières linguistiques ». Cette hypothèse contribue à éclaircir ce que serait la LDS, arc-boutée sur la tentative de contourner ou surmonter la dichotomie « tout économique » vs « tout culturel » par l’idée qu’une conception profondément humaniste et anthropologique du langage pourrait être fort bénéfique, indirectement même en termes économiques, pour la société.

3) La centralité du sujet dans l’analyse linguistique pose donc des enjeux importants même au niveau de la gestion « politique » de la cité. Preuve en est le fait que la négation de telle centralité est source de malaise, lorsque par exemple la langue « officielle » d’un territoire donné ne permet pas de prendre en compte dans ce même territoire les besoins (linguistiques et autres) des individus mais reflète, prolonge et actualise les instances du pouvoir impersonnel constitué. Le troisième chapitre (« Entre malaise linguistique et droits de l’homme. Le modèle européen

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des droits linguistiques à l’âge de la crise globale ») se donne pour tâche d’encadrer et de préciser, articuler ce malaise linguistique (désormais ML). Nous essayons d’y parvenir d’une part en établissant une taxinomie du ML, et de l’autre en cherchant à vérifier dans quel sens et sous quelles contraintes le modèle européen des droits linguistiques prend en compte cette dimension.

***

Après avoir posé dans la première partie le cadre théorique général et précisé les enjeux majeurs posés par la LDS, dans la seconde partie du volume (Reconfigurer, aménager, s’émanciper) nous proposons une série d’approches visant à changer la donne sociolinguistique de cadres minoritaires. La planification linguistique en est de toute évidence la protagoniste et est ici envisagée et construite d’après plusieurs angles d’attaques et expériences de terrain. Mais à côté des actions délibérées s’inscrivant dans un projet plus ou moins précis et « institutionnel », il est intéressant de mentionner quelques lectures qui pourraient contribuer à mieux orienter les stratégies d’aménagement linguistique.

4) « L’occitan en marche ou la reconquête de l’espace par la parole, le corps, le rythme » est le titre du chapitre qui nous permet de passer à l’analyse d’un cas de figure bien défini. Une communauté linguistique minoritaire qui est peu ou pas reconnue au point de vue juridique, politique et social nous fournit des éléments précieux pour mieux saisir : a) la nature du malaise linguistique – et du malaise social tout court ; b) les formes de réaction à ce malaise. La langue-culture occitane contemporaine représente en effet un exemple tout à fait intéressant pour ce qui est de l’instance d’incorporation de la langue de la part du sujet aussi bien que de la communauté. Cette incorporation – qui est une notion qui va au-delà de celle de « réappropriation » – peut seule conjurer la pulvérisation linguistico-culturelle et permettre une sorte de « reconquête de l’espace », à savoir la normalisation de l’usage de la langue dans l’espace public outre que privé.

5) Le cadre occitan représente une sorte de miroir ou d’altérité périphérique par rapport à la la langue-culture française centralisée et permet d’apprécier par là la continuité systémique du linguistique, du social et du politique. Dans le cinquième chapitre nous proposons un éclairage sur la pensée de l’un des pères de l’occitanisme contemporain,

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Robert Lafont, dont la réflexion et l’action se situent historiquement « Au carrefour d’une pensée politique et linguistique ». Lorsque le sujet s’enracine (non pas « se renferme ») dans sa langue-culture ancestrale, il est en mesure d’agir sur le monde, sur la réalité. Parce qu’il est en contact, en connexion avec les générations qui l’ont précédé et généré et parce qu’il est en mesure d’établir des relations plus fines et de qualité dans la proximité, il se peut que ce sujet enraciné soit plus citoyen que les autres, plus responsable de la gestion du patrimoine (matériel et immatériel) local. Il peut alors se découvrir une vocation « politique » au sens large et civique du terme. De même que la langue et le discours, aussi la sphère politique enveloppe le sujet et ses relations. Chez Lafont, approche de théorie linguistique (notamment la praxématique) et vision politique des sociétés sont très rapprochées ; chez lui, sociolinguistique, anthropologie linguistique et linguistique générale ne font qu’un.

6) Comme pour Lafont, aussi pour d’autres occitanistes contemporains l’enracinement dans la langue-culture ancestrale s’est fait de manière consciente, voire volontariste. Dans le sixième chapitre (« Le sujet reconfiguré, le marché linguistique redessiné : douze ans d’enquête sur le lien à la langue ») nous racontons quelques-unes de ces expériences où, sous la diversité des témoignages, on apprend une même leçon : la découverte et le lien à la langue représentent pour les auteurs passés en revue une véritable révélation, après laquelle leur vie a basculé de manière irréversible vers une dimension de richesse et de conscience supérieures. La LDS explore ces changements, à savoir la matérialité de l’impact chez le sujet de l’enracinement dans une langue-culture méconnue et les chances de transformation du monde qui s’ensuivent.

7) Les récits de vie que nous évoquons témoignent d’une conception tout à fait positive de l’élargissement des répertoires individuels et notamment de l’enracinement de la langue-culture ancestrale dans ces vécus. Ces témoignages peuvent bien recevoir une systématisation théorique afin de procéder, en un deuxième temps, à l’élaboration de stratégies efficaces d’aménagement linguistique. C’est ce que nous proposons dans le septième chapitre, « Praxématique et planification linguistique ».

8) Dans le cadre de la mise au point de stratégies de promotion de langues minoritaires en phase avec la promotion tout court de territoires alloglottes, il nous paraît utile de rendre compte de manière détaillée

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d’expériences concrètes et relativement réussies, que nous-même avons dirigées. C’est ce que nous faisons dans le huitième chapitre (« Production culturelle et émancipation des minorités linguistiques. L’exemple des îlots alloglottes francoprovençaux de Faeto et Celle di San Vito (FG) ») où la stimulation de la production littéraire en langue locale se veut le vecteur d’une prise de conscience accrue de l’identité locale. Nous sommes là en quelque sorte au cœur de la LDS, car au contact du terrain, des communautés minoritaires et des institutions, il est essentiel de clôturer le cycle d’empowerment culturel sans pour autant déséquilibrer au point de vue économique, pour qu’elles soient durables, les actions mises en place.

9) Dans le chapitre successif (« L’Italie, pays multilingue : de la protection des minorités linguistiques historiques aux enjeux des nouvelles minorités »), nous illustrons une autre expérience d’aménagement linguistique et culturel. Cette fois-ci, nous visons à prendre en compte non seulement les productions culturelles locales mais également et surtout les connexions possibles avec les nouvelles minorités, dépourvues de territoire. Ainsi, l’îlot alloglotte arbëresh de Villa Badessa (Pescara) est envisagé comme possible laboratoire de dialogue et dialectique entre les descendants des colons albanais du XVIIIe siècle et les migrants qui, toujours depuis la rive adriatique orientale, débarquent aujourd’hui – ou à peine hier – dans les Abruzzes.

10) Les migrations de jadis permettent d’éclairer et, éventuellement, de mieux lire et gérer les migrations d’aujourd’hui. Si les nouvelles minorités ne sont pas prises en compte ni par le modèle national (français et italien) ni par le modèle européen des droits linguistiques, elles constituent néanmoins des cadres extrêmement intéressants pour mieux saisir les notions de ML et la nature de la LDS. Dans le dixième chapitre (« La communauté sénégalaise des Abruzzes : une enquête sociolinguistique et une approche de LDS ») nous présentons les premiers résultats et la méthodologie d’une recherche qui est encore en cours et qui nous a permis d’approfondir la nature du sujet relationnel à travers le prisme « privilégié » du sujet migrant, qui est souvent sujet à la fois plurilingue, pluriculturel et pluribiographique.

11) L’instance de dépassement des contraintes d’inscription historique et d’enracinement territorial que le modèle des droits linguistiques aussi bien national (français et italien) qu’européen impose non seulement aux sujets

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migrants mais à toute communauté se proclamant à tort ou à raison « alloglotte », trouve une réponse intéressante (même en termes économiques) encore que controversée dans l’utilisation de l’internet. Nous développons dans le dixième chapitre une réflexion sur « Le web et les langues minoritaires. Les enjeux du projet LEM », projet d’encyclopédie évolutive des langues d’Europe et de la Méditerranée.

***

Dans la troisième partie de ce livre (Enseigner, apprendre, transmettre la langue) nous proposons un certain nombre de pistes pour mieux comprendre le rôle de la didactique des langues – et notamment des langues minoritaires – dans le cadre de la LDS.

12) Si la transmission de la langue minoritaire est le but ultime de toute stratégie d’aménagement linguistique, il est indispensable de bien cerner et distinguer les tâches et de l’école et de la famille. C’est ce que nous essayons de faire dans le douzième chapitre (« L’école des langues : lieu du père, lieu de la mère ? ») où nous abordons la dialectique espace d’apprentissage privé vs espace d’apprentissage public d’après une approche une fois de plus topologique en partie redevable de la psychanalyse.

13) Après cet aperçu général concernant le sens même des différentes formes d’apprentissage d’une langue minoritaire, dans le chapitre successif nous envisageons l’élaboration de méthodes spécifiques d’enseignement (« Enseignement des langues régionales et territoire : quelles stratégies ? »). Ces stratégies, dont l’institutionnalisation n’est possible qu’à partir d’une reconnaissance officielle, même partielle, se doivent de prendre en compte la donne géographique (au sens large) des territoires concernés par telle ou telle langue.

14) Dans le quatorzième chapitre (« L’enseignement de l’occitan dans les universités italiennes ») nous poussons plus loin l’analyse. Le cas de figure de l’occitan se veut à la fois unique et paradigmatique en ce que l’absence de chaires de langue et littérature occitane contemporaine d’une part exclut de jure et de facto cet enseignement du monde universitaire italien, et de l’autre impose aux rares spécialistes des détours et des démarches qui ne sont pas sans intérêt et qui ne manquent pas d’originalité en termes pédagogiques généraux.

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15) Le quinzième chapitre (« Les configurations relationnelles pour une didactique plurilingue et pluriculturelle (occitan et français) »), qui clôt la troisième partie du volume, s’ouvre sur la question de l’enseignement plurilingue, qui est seul en mesure de tirer une synthèse féconde de la dialectique de « grandes » et « petites » langues, ici l’occitan et le français.

***

Dans la partie conclusive de ce volume, Sujet, langue, travail, environnement. Retour sur la motivation, nous présentons trois recherches visant à éclaircir le rapport entre le sujet, le travail (et tout particulièrement les outils de travail), l’environnement et la langue locale. Nous proposons d’appeler ce rapport « motivation », en revenant sur cette notion qui traditionnellement se réfère au signe linguistique, « arbitraire » chez les structuralistes. Contrairement à ces derniers, notre approche est dynamique et présuppose la possibilité que le signe (ou plus exactement le praxème) soit non seulement motivé mais également remotivé ou remotivable : il suffit qu’un rapport clair, net, s’établisse entre les quatre éléments principaux en jeu. Il faut que les racines qui sont en nous se manifestent dans notre agir par des traces linguistiques aussi bien qu’environnementales. Pour montrer concrètement ce que cela peut signifier, nous emprunterons trois voies relativement distinctes.

16) La première (« Au cœur de l’Europe. La langue occitane en tant que langue-carrefour des langues romanes : historique et perspectives d’une idée ») est développée dans le seizième chapitre. Nous revenons sur la langue d’oc pour proposer, moyennant la comparaison des différentes formes qu’un même praxème latin a pris en plusieurs langues romanes, une lecture originale du problème de la motivation, celle-ci étant finalement une trace de l’humain dans le linguistique.

17) Dans le dix-septième chapitre (« Le lexique des outils traditionnels dans le parler de Gussola (Crémone, Italie) ») nous développons ultérieurement le questionnement concernant la motivation linguistique à travers l’étude du rapport entre la nature/fonction de l’outil et le nom qui le désigne dans une langue locale. Cette analyse est à notre sens loin de représenter une stérile réflexion universitaire : elle pourrait au contraire déboucher sur la mise en place d’outils méthodologiques en mesure d’« ouvrir » et de rendre parlant le patrimoine linguistique de parlers locaux fortement liés à la culture matérielle locale. Il y a là une des tâches

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de la LDS, et non des moindres, car elle pourrait contribuer à la transmission de la langue et de la culture locale aux nouvelles générations.

18) Comme dernière contribution du volume nous proposons une étude assez étendue sur « La toponymie narrative. État des lieux et perspectives en linguistique du développement social ». L’analyse toponymique, si elle permet de traduire en informations sur le territoire étudié les noms de ce même territoire, peut résulter beaucoup plus parlante et permettre ainsi de rapprocher l’environnement (sa nature, son histoire, la culture qui l’habite) des communautés si elle se fait récit – autobiographique ou alors collectif. Du macrotoponyme au microtoponyme, l’environnement, l’espace qui enveloppe le sujet est parsemé de noms qui se lient forcément aux vécus des habitants de ce territoire, d’où l’intérêt sûr e le rôle que ce dialogue et cette mémoire notée en langue pourraient avoir dans une perspective de LDS.

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Première Partie

Le sujet relationnel entre malaise linguistique, droits de l’homme et

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Changer le monde par le discours. Sujet relationnel, relais de connaissance, circulation du sens

Dans ce chapitre nous essayons de comprendre comment le sujet, et d’abord son corps, est en rapport avec le langage et son environnement ; comment il établit une communication qui est action sur l’environnement ; comment le sens circule entre interlocuteurs. Cette réflexion s’accompagne de l’élaboration d’une terminologie spécifique. Dans son ensemble, la nôtre est une approche topologique des échanges linguistiques qui doit beaucoup à la praxématique de Robert Lafont.

0. La LDS: rendre au sujet son pouvoir créateur

Penser et travailler à l’élaboration d’une Linguistique du développement social (LDS), c’est vouloir rendre au sujet son pouvoir créateur. Il en a le potentiel : par le langage, actualisé en discours, celui-ci intervient à la fois directement et indirectement sur sa vie et le réel qui l’enveloppe. Parfois, ou même souvent, à son insu.

En effet, n’importe quel discours représente le monde et, ipso facto, le transforme ou contribue à le transformer. Mais un discours peut plus spécialement chercher à changer le monde : il y a là une importante différence qualitative, qui définit en quelque mesure le positionnement du sujet au sein de sa communauté, son rôle ou sa conscience de décideur, bref son statut social.

Il est facile de cerner un niveau ultérieur de conscience linguistique : le sujet non seulement cherche ses mots pour essayer d’atteindre ses objectifs ; il peut également arriver à s’observer au cours de cette recherche. Il peut enfin produire un discours sur le discours – en général ou alors son propre discours ou le discours d’autrui.

Sans doute, est-ce à ce niveau de conscience linguistique que le sujet est à même d’utiliser les patrimoines linguistiques et narratifs qui l’entourent et l’habitent, et c’est à ce sujet conscientisé que s’adresse en premier lieu la LDS.

Cela dit, quelques questions de fond sont incontournables et méritent d’être approfondies avant d’aborder dans les détails les articulations plurielles de la LDS : comment atteindrait-on cette conscience linguistique, si ce n’est par la praxis linguistique et le dialogue, fondateur d’identité (relationelle) ? Comment le discours agit-il sur l’environnement – et, d’abord, sur l’autre ?

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Dans ce chapitre nous tâcherons de baliser une réflexion portant sur les conditions, la nature ainsi que la mécanique du discours pris comme action manipulative-transformatrice de la réalité. Le sujet étant évidemment très vaste, nous nous en tiendrons à un niveau théorique général, c’est-à-dire de linguistique générale, tout en tirant la plupart de nos exemples de fragments de discours en langue française.

Pour mener à bien notre tâche nous avons articulé notre raisonnement en cinq paragraphes. Dans le § 1 nous évoquons les éléments (mémoire, langue, interaction, espace) qui font du discours, de tout discours, un lieu de rencontre, un cadre de progression éventuelle des compétences – voire d’avancée de la connaissance (la métaconnaissance linguistique, aussi) – individuelles et collectives ; dans le § 2 nous proposons deux schématisations du sujet relationnel, qui est le véritable pivot d’une telle progression ; dans le § 3, sur la base de ces schématisations, nous aboutissons à des représentations topologiques du sujet relationnel en interaction ; dans le § 4 nous essayons de voir comment les éléments énoncés en § 1 fonctionnent à travers les structures présentées dans les §§ 2 et 3, notamment pour ce qui est de la transmission des savoirs et plus spécialement pour ce qui est du problème de la circulation du sens au sein de l’interaction. Dans le paragraphe conclusif, nous proposons deux prolongements de l’analyse, très féconds pour ce qui sera exposé dans les chapitres successifs : l’inscription de ces fonctionnements dans la durée (soit dans des cycles de praxis) ; la prise en compte du contact entre sujets relevant de communautés linguistiques différentes.

1. Discours comme apprentissage

Avant d’en mesurer la nature à l’aune du français, posons une définition très large du discours. D’un point de vue historique et philosophique, le discours est sans doute le cadre privilégié du naturel processus d’apprentissage collectif. Ce processus – qui ne va évidemment pas sans échecs, malentendus, parasitages, redites, régressions, mystifications, censures, asymétries, aberrations, oublis etc. –, est « naturel » en ce qu’il devrait en principe viser à l’amélioration, aussi bien sur la courte que sur la moyenne et longue durée, des conditions de vie du sujet. Le discours en est le cadre privilégié, car ce processus d’apprentissage se réalise essentiellement par le partage, la négociation et finalement la

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transmission/réception (désormais : « transmission » tout court) de savoirs et d’expériences.

Nous soulignons : ce processus ne saurait être linéaire. En effet, en plus de tous les accidents qui peuvent affecter une telle transmission, il nous est très difficile de mettre en discrétion la simultanéité des phénomènes qui la rendent possible et/ou qui la réalisent. Nous nous bornerons à énoncer quatre éléments majeurs, qui sont tous nécessairement mis en branle à chaque acte de langage et qui concernent autant de composantes du sujet :

1) la mémoire, qui constitue le contenu, l’objet de toute transmission. Codée par le linguistique et l’extralinguistique (dimension sensorielle, sémiotique etc.) elle est inscrite dans le biographique, elle construit le sujet historique (sujet de mémoire) ;

2) la langue, qui est son matériau, son véhicule privilégié (quoique non exclusif), s’actualisant en discours à tout moment de l’interaction. Elle est à son tour le résultat de chaînes de transmissions, c’est pourquoi elle a tendance à se confondre avec la mémoire, de même que le sujet historique est inéluctablement aussi sujet discursif : le sujet actualise sa mémoire en actualisant sa langue. Il n’est jamais le maître absolu ni de l’une ni de l’autre, les deux provenant de loin, des générations lointaines ou disparues, et gisant dans l’inconscient du sujet et de sa communauté ;

3) l’interaction (explicite ou implicite, en présence, en absence ou en latence) représente pour sa part le support social du déroulement de cette transmission et est affectée par les conditionnements qu’implique l’utilisation d’un système linguistique donné. Il n’y a pas de langue, donc pas de sujet discursif ni de mémoire en dehors d’une interaction : celle-ci construit tout particulièrement le sujet dialogal (sujet dialectique, sujet relationnel) ; par celle-ci le sujet dialogal construit son identité ;

4) l’espace (concret ou virtuel) représente enfin le support topologique, le cadre matériel d’existence de toute transmission. Il enveloppe et est en dialectique nécessaire avec un autre espace qui est à la fois réservoir mémoriel, relais linguistique, dispositif relationnel : cet espace, c’est le corps du sujet, à savoir le sujet

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topologique (sujet de présence physique au monde). Il a sa structure et, à partir de cette structure, il organise discursivement le monde. Nous y reviendrons en § 2.

On remarquera que les éléments (1) et (2) concernent la dimension temporelle, alors que les éléments (3) et (4) relèvent plutôt de la dimension spatiale. L’action sur le cadre ambiant (hic), l’action manipulative-transformatrice de la réalité, ne peut se réaliser (nunc) qu’à partir de la projection d’un temps (mémoire, discours) antérieur.

Ainsi, chaque fois qu’il y a transmission du savoir, ces éléments étroitement interconnectés et interdépendants (il n’y a pas de langue sans mémoire ; il n’y a pas de langue actualisée non plus sans interaction, et rien ne se réalise – rien ne se fait réel – en dehors d’un cadre spatial, concret ou virtuel etc.) sont mobilisés et éventuellement modifiés, reconfigurés. Le sujet participe, consciemment ou non, de ce mouvement évolutif, en subissant ou en provoquant de telles modifications, reconfigurations. Temps et espace sont concernés de près : ainsi, pour ne faire qu’un exemple, le développement technique aboutissant à la réalisation des avions et résultant non seulement de multiples transmissions de savoirs très ponctuels, mais également de pensées, rêves ou imaginaires1, a modifié lourdement la notion de « distance ». Avec elle le(s) sens du praxème « adieu », dans le discours concernant le voyage, a/ont été bouleversé(s) en relativisant énormément l’image d’un temps irréversible où le sujet se sépare douloureusement de son interlocuteur.

Or, même si en usant du conditionnel, nous avons affirmé que toute transmission devrait aboutir à une sorte d’avancée, ou progrès, du sujet et de sa/ses communauté(s). Le conditionnel y est de rigueur, puisque nous savons, d’une connaissance intuitive, pratique, que le niveau de « bonheur » d’une société ne se mesure pas nécessairement en termes ni de richesse économique (PIB) ni de progrès technologique2. Nous n’irons pas plus loin : ici, il nous suffit de remarquer que l’opulence d’une société, qui est à son tour l’un des résultats de son développement, avec les comforts est

1 Ainsi les avions ont été pressentis dès la fable d’Icare. Cf. Guillaume Apollinaire,

L’Esprit Nouveau et les poëtes (1917). 2 On propose de plus en plus de nouveaux indicateurs concernant le bonheur d’une

société. Parmi ceux-ci, le BIB (Bien-être Intérieur Brut) est sans doute le plus saisissant.

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porteuse de faiblesses – biologiques ou comportementales –, soit, de dépendances. Chacun peut y trouver la sienne.

Malgré cette importante réserve, qui renvoie en dernier ressort à une critique à l’égard du progrès (ou plus précisément à l’égard de l’idée de progrès linéaire ou de croissance illimitée), on peut à notre sens s’accommoder de trois formulations très générales :

a) le sujet et les organisations humaines évoluent aussi et d’abord par le discours ;

b) l’apport de l’Autre (individu ou maillage social) est indispensable au développement du sujet. Par conséquent,

c) sujet, communauté et discours se répondent et s’entre-éclairent. Chaque élément décide de l’évolution de l’autre. Ou de son involution3.

Cela dit, analyser de plus près ce processus d’apprentissage collectif – comment le discours permet de ménager ou ménage la transmission des savoirs et des expériences et comment cette transmission transforme la réalité – revient à affronter un problème d’une formidable complexité.

Cette complexité semble en effet irréductible à tout système. Non seulement à cause de la quantité, insaisissable, des variables à considérer, mais également à cause d’une raison pour ainsi dire intrinsèque : il appartient au discours de surprendre, créer, se contredire, mentir au monde… il est souvent imprévisible, il permet de formuler de nouvelles idées, il renverse les valeurs acquises. C’est d’ailleurs par ce caractère novateur, parfois déroutant, qu’il rend possible l’évolution culturelle et technique des civilisations.

2. Statut du sujet relationnel

2.1 Corps du sujet et représentations du monde

Si la formidable complexité de l’action transformatrice exercée sur la réalité par le discours, par la transmission des savoirs qui s’y accompagne,

3 L’écrasement de la subjectivité, son effacement dans une soi-disant « masse »

sociale, l’assujettissement de celle-ci à une idélogie totalitaire est une mécanique bien connue. Pour qu’elle se réalise, la simplification et standardisation-cristallisation du discours dominant est une condition nécessaire, encore qu’insuffisante.

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nous pousse à renoncer à en échafauder une théorie générale, nous estimons que le sujet relationnel, protagoniste absolu non seulement de ce processus de partage et de transmission de la connaissance, mais également de tout ce qui est créatif et surprenant dans le discours, est, lui, relativement analysable. Ne serait-ce qu’au niveau de sa structure.

En effet, au carrefour ou plus exactement au cœur de toute transmission de savoirs, situé dans l’espace et traversé par le temps, c’est une évidence, se trouve le corps du sujet. Celui-ci est donc le dépositaire de la mémoire, qui parfois s’inscrit visiblement en lui : un visage crispé peut être « parlant », de même qu’une bosse ou un ventre prominent peuvent laisser deviner des attitudes, des styles de vie, des intérêts ou au contraire des négligences. Mais le corps du sujet est également le résonateur de sa langue, de la langue maternelle qu’il a reçu en héritage ou alors d’une langue qu’il a apprise plus tard, langue qui en tout cas s’accompagne toujours d’un langage du corps articulé en traits tantôt universaux tantôt relevant de cultures spécifiques. Ce corps est par ailleurs situé au cœur d’un espace de communication et représente l’un des deux pôles de l’interaction. Voilà les quatre éléments fondateurs du discours qui se trouvent être également à l’origine de la construction du sujet. On le voit clairement : sujet discursif et sujet topologique ne font qu’un. Le sujet est plus qu’un point dans l’espace, il est plus que l’auteur d’une surface discursive : il est profondeur psychologique et épaisseur à la fois d’« animal topologique » et d’être travaillant. Travail et discours manipulent et transforment la réalité et établissent par là une continuité fondamentale entre l’intériorité du sujet, son enveloppe cutanée-sensorielle et son espace de vie et de communication. Étant à la fois physique, psychique, symbolique, social et érotique, le corps du sujet est également une topologie organisatrice et de l’espace et du discours. Ainsi, un assez vaste répertoire de représentations métaphoriques incontournables (quoique pas forcément universelles) pour la mise en place de tout discours naît de l’architecture fondamentale et fondatrice du corps du sujet. Il s’agit d’abord et surtout de représentations binaires :

1) spatio-temporelles : « le futur est devant » vs « le passé est derrière » [le corps du sujet] ;

2) axiologiques : haut-lumineux-antérieur vs bas-sombre-postérieur ;

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3) philosophiques : « monde extérieur » vs « règne intérieur » ;

4) etc.

Justement parce que relevant de l’architecture du corps du sujet, ces formulations métaphoriques primaires sont largement partagées par les communautés linguistiques, ce qui explique leur catactère presque universel. Même lorsqu’on remarque, à juste titre, que certaines représentations ne sont guère universelles, le corps du sujet en reste universellement le cœur, le soubassement, le repère4.

Une preuve de la rentabilité de ces représentations binaires primaires nous est sans doute fournie par le foisonnement, à partir d’elles, de phrases idiomatiques ou figées – dont le sens est relativement autonome par rapport au contexte en ce que ce même sens est issu d’une interaction latente, soit acquise par la communauté. Voici à titre d’exemple quelques-unes de ces phrases idiomatiques et figées organisées à partir de la schématisation de l’architecture fondatrice du corps du sujet – schématisation empruntée à Robert Lafont et reproduite telle quelle dans la partie centrale de la figure suivante :

4 C’est par exemple le cas de la figuration de l’avenir qui en français et dans la plupart

des langues est représenté comme étant « devant » nous par rapport au passé qui est « derrière » nous, alors qu’en certaines langues d’Afrique c’est le contraire (le passé est devant nous parce que nous pouvons le « lire » ; l’avenir est derrière nous parce qu’il nous est inconnaissable).

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Fig. 1, Architecture du corps symbolique et essaimage phrastique.

Adaptée de Lafont (2007 : 45)

Dans la Fig. 1 nous avons distribué topologiquement un échantillon de phrases figées d’après les oppositions fondamentales : lumière (ce qui est positif, rassurant, rationnel ; ce qui progresse, ce qui marche en avant, ce qui symbolise l’ouverture etc.) vs nuit (ce qui est négatif, ce qui reste à l’ombre, ce qui est perte de contrôle visuel et, par là, qui provoque peur, crispation ; ce qui symbolise donc l’imprévu, l’irrationnel etc.) ; haut (ce qui est élevé, supérieur, pur, léger, aérien, abstrait, transcendant etc.) vs bas (ce qui est impur, inférieur, grossier, lourd, terrien, vulgaire etc.) ; air (ce qui est spirituel, aérien, léger, élevé, pur, parfumé, vital, impalpable, bon, transcendant, abstrait) vs terre (ce qui est primaire, charnel, lourd, terrien, matériel, mauvais, concret etc.).

Bien évidemment, la distribution topologique de notre échantillon de phrases a sa part d’arbitraire. Nous avons simplement gardé le sens « doxal » de chaque phrase figée qui, pour être telle, comme nous l’avons

(10) Avoir le dos tourné

(11) Être dos au mur

(12) N’avoir rien à se mettre sur le dos

(13) Bouder contre son ventre

(14) Perdre la face

(15) Agir dans le dos de qqu’un

(16) Passer sur le ventre de quelqu’un

(17) Coup de poignard dans le dos

(18) Face de crabe/d’œuf/de rat

(19) Ventre affamé n’a pas d’oreilles

(1) Avoir les yeux plus grands que le ventre

(2) A la face du ciel/du monde

(3) Face à face

(4) Avoir du plomb dans la tête

(5) Avoir la tête sur les épaules

(6) Sauver la face

(7) Avoir la tête de l’emploi

(8) Avoir du cœur au ventre

(9) Avoir la grosse tête

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dit, véhicule un sens qui est à priori relativement stable en amont et en aval de toute actualisation discursive. Pour ne faire qu’un exemple particulièrement parlant de notre démarche, (6) et (14) s’opposent en ce que la « face » est tantôt sauvée, tantôt perdue. « Sauver la face » est une expression qui représente un sujet qui est toujours en mesure de se présenter au monde (voilà pourquoi nous avons placé cette phrase figée a gauche), alors que « Perdre la face » signifie la perte de cette condition et le dévoilement, impromptu et négatif, du côté caché, privé, intime, embarrassant du sujet dont il est question : c’est l’image du « Roi nu ». Bien évidemment, nous le répétons, nous donnons là le sens « doxal », c’est-à-dire le sens commun de telle ou telle phrase figée, ce qui n’empêche guère d’autres lectures, interprétations, d’autres sens. Ainsi, sans même évoquer des contextes discursifs particuliers (ironiques ou autres), pour certaines philosophies orientales, la « perte de la face » est loin d’être une mésaventure : c’est, au contraire, un événement extrêmement salutaire en ce qu’il marque le commencement de la libération du sujet, le moment du dévoilement de soi. D’après cette idéologie, la phrase figée « perdre la face » devrait donc être située en haut à gauche par rapport au corps du sujet discursif. Si la forme peut l’être, et l’est bien souvent, rien n’est jamais vraiment figé au niveau du sens.

2.2 Sujet et niveaux de mise en relation

Ces quelques exemples et ces schématisations nous permettent de saisir l’essentiel de l’architecture du corps du sujet discursif et quelques-unes de ses très nombreuses actualisations discursives cristallisées dans le vocabulaire par la ratification de l’usage social. Cette architecture, parce qu’elle recouvre l’organique premier du sujet, relève de l’anthropologie linguistique, en accompagnant, conditionnant et transcendant à la fois le sujet historique : quel qu’il soit, où qu’il soit, quoi qu’il fasse. Elle permet de coder linguistiquement (en versant la pensée subjective à la mémoire collective, latente), et donc de transmettre, la mémoire du sujet en usant de repères communs. Mais le sujet relationnel, pour être tel, est un être qui, tout en modifiant la réalité, au contact de celle-ci en est modifié. Cette réalité est un environnement (cadre ambiant, milieu naturel, milieu social etc.) qui a sa face spatiale et sa face temporelle-historique – et, évidemment, discursive.

Des indices concernant la configuration discursive de cet environnement sont déjà inscrits dans notre échantillon de phrases figées. Les différents

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exemples (1) à (19) de la Fig. 1 montrent que le corps discursif du sujet est à l’origine d’un essaimage de phrases figées parce que véhiculant un sens et des images partagés par la communauté, à quelques éléments idéologiques près. Or, il est banal de constater que certaines d’entre elles relèvent d’expressions particulièrement imagées ou familières (que l’on compare « perdre la face » à « Face de crabe/d’œuf/de rat »), ce qui implique que tous ces exemples ne sont pas adaptés à n’importe quel cadre d’interaction.

Il nous échoit donc d’inscrire maintenant notre sujet dans un contexte d’interaction (avec ses semblables ainsi qu’avec son environnement), contexte qui détermine ses réglages discursifs, ses tris praxémiques etc. et qui de toute évidence détermine également la qualité et la forme de la transmission/réception de la connaissance. Pour atteindre une schématisation suffisamment souple et rentable de ce sujet relationnel, nous proposons d’emprunter quelques indications de la psychologie et de la sociologie. En simplifiant et en modifiant l’architecture de la grille ékistique (Doxiadis 1968, Moles & Rohmer 1978), à savoir le schéma des « coquilles de l’homme »5, cette structure pose à tout le moins quatre couches ou niveaux de mise en relation :

Fig. 2, Le sujet relationnel

Par rapport à la Fig. 1, nous venons d’esquisser une représentation des topologies discursives, et donc relationnelles, du sujet. Le corps symbolique est remplacé par le corps discursif : ce qui a trait à l’intimité du sujet se dit par un langage personnel, intime, interne et intérieur (le « cœur » est à la fois la partie la plus interne du corps et le thème le plus intime du discours) ; ce qui a trait aux échanges strictement pragmatiques se dit par un langage qui fuit – autant que possible – toute marque de subjectivité, pour communiquer –

5 La grille originelle concerne en effet moins la configuration du sujet dans le

maillage discursif que la configuration du sujet dans l’espace anthropique.

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autant que possible – des contenus discrets qui n’affectent pas en principe les dimensions intérieures du sujet. Finalement, la deixis ainsi que l’acte nombrant (autant d’actes de langage visant à la mise en discrétion du réel) usent largement de fonctionnalités exclusives des parties les plus externes du corps du sujet, à savoir les mains.

Nous pouvons donc considérer ces niveaux comme correspondant à autant d’espaces de rencontre, donc d’interaction, et, par là, comme à de potentiels relais de connaissance, en ce que dans le cadre de ces espaces peut se dérouler la transmission de savoirs et d’expériences. Il s’agit de cercles concentriques structurés autour du noyau central, qui est le lieu par excellence de la communication verticale – surgissant des profondeurs (l’inconscient), visant les hauteurs (la spiritualité) et fonctionnant aussi par des silences (le non-verbal) – alors que les cercles externes sont les lieux fréquentés par la communication horizontale, se déroulant dans les couches externes du sujet, dans la « ville », le « commerce » avec les autres. Cette communication est souvent utilitaire, banale, stéréotypée, défensive ou protectrice par rapport à l’espace intime6.

3. Topologies relationnelles et relais de connaissance

Nous venons de le voir : l’interaction (qui n’est jamais que linguistique stricto sensu) se joue dans le cadre des relais de connaissance et peut faire par conséquent évoluer le sujet d’après différentes topologies relationnelles7. Si la mémoire est l’affaire d’un legs que le sujet met en forme et restitue par une langue qui est à la fois patrimoine individuel et collectif, cette même langue se réalise en discours divers (par genre textuel, registre, vocabulaire etc.) via l’interaction et d’après les différentes topologies relationnelles qui l’inscrivent en des espaces divers.

En effet, ces topologies sont d’abord l’affaire d’espaces concrets. Lorsque nous n’abordons que l’interaction in presentia, elles correspondent le plus souvent aux proxémies – qui varient selon les cultures et n’ont pas de valeur universelle (Hall 1966). Cela dit, on peut mesurer au centimètre près les

6 La langue en tant qu’instrument défensif du sujet est l’une des interprétations

proposées par la physiologie. 7 Rien ne prouve que le sujet évolue à la même vitesse dans toutes les couches

discursives. C’est plutôt vrai le contraire : nous connaissons tous des personnes qui peuvent avoir une grande maîtrise du discours social, public, et qui manquent de maturité pour ce qui est des échanges affectifs, ou vice-versa.

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distances physiques propices, par exemple dans la culture des pays « latins » (dont la culture française), à l’interaction dans les différents espaces-relais, et représenter par là graphiquement les topologies relationnelles :

Fig. 3, Les topologies relationnelles

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De cette représentation nous pouvons tirer quelques éléments significatifs :

- ce schéma ne concerne en principe que l’interaction in presentia, faite de sujets en chair et en os, en relation les uns avec les autres et partageant très matériellement le même espace8. Lorsque cet espace physique est traversé par le langage, l’interaction se réalise sous certaines contraintes et peut déboucher sur un partage d’informations censé faire évoluer les (inter)actants ;

- l’espace concerné par l’interaction, le « relais de connaissance » de chaque interactant, peut être croisé, parasité, par d’autres présences langagières (voix « off », texte écrit sur un panneau etc.) qui peuvent conditionner l’interaction elle-même ;

- la distance entre sujets-actants, de #1# à #4# est proportionnelle au nombre d’interactants virtuellement touchés. Cet élément quantitatif a des retombées au niveau de la qualité des messages : la quantité d’interlocuteurs potentiels censés être rejoints par une interaction se déroulant dans le cadre de l’espace public étant logiquement plus élevée par rapport à des échanges plus intimes, ces destinataires seront le plus souvent anonymes et récepteurs de messages plus « universaux » ou standardisés, facilement recevables. Par ailleurs, au niveau de l’énonciation, nous observons que le statut des pronoms varie en fonction des topologies relationnelles : c’est par exemple le cas de la non-personne, d’autant plus « absente » ou « exclue » du scénario de la communication lorsque les interactants sont deux, qu’ils partagent en #4# un discours particulièrement personnel et lorsqu’ils occupent de manière exclusive l’espace de l’interaction ;

- malgré ce, il se peut qu’une interaction soit banale, reçue, stéréotypée disons au niveau de #3# et originale, affectivement marquée au niveau de #1#. La rhétorique classique illustre bien le rôle du pathos dans le discours persuasif destiné à un auditoire plus ou moins vaste. Il s’agit sans doute de la configuration du discours charismatique : un discours se déroulant dans l’espace public (#1#) mais sollicitant le sujet pulsionnel, touchant les interactants, même à

8 Cela dit, on pourra mobiliser le concept de « proximité » pour appliquer ces mêmes

schémas aussi à l’interaction in absentia.

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grande distance ou in absentia, au niveau des verticalités de la communication (#4#).

- Enfin, il faut considérer également la question de la communication en ligne, qui abolit ou reconfigure les distances physiques et qui permet de nouvelles formes d’interaction où le statut même de l’autre absent résulte profondément modifié.

En résumant, le processus relationnel est, en gros, distribué sur ces quatre topologies relationnelles principales, où l’emplacement des interactants dans l’espace – donc l’aspect matériel – n’est guère secondaire ou accessoire9. Bien au contraire : la pression du réel est telle que force est de réserver à ce réel le rôle de contexte et de réserver au contexte textuel celui de cotexte ou d’environnement textuel. Chaque topologie a son fonctionnement et sa grammaire, sa façon de développer, d’organiser l’échange/apprentissage lui-même, qui ne peut donc qu’être multidimensionnel [l’enfant apprend différemment à l’école (#2#) et en famille (#3#) etc.]. L’espace impliqué par l’échange peut être un relais de connaissance et déboucher sur un apprentissage dès que l’interaction est ouverte à l’apport de chacun des interactants. C’est une ouverture au dialogue démocratique, égalitaire. Profondément dialectique.

4. Interaction et apprentissage

4.1 Compétences vs connaissance

À partir d’une schématisation du sujet d’après ses zones et ses dispositifs de mise en relation, nous venons d’illustrer les contours d’un éventail de topologies relationnelles au cœur desquelles – c’est-à-dire à l’intersection des espaces individuels de mise en relation – la pulsion communicative du sujet, actualisée dans l’interaction, circule pour modifier quelque part le cadre ambiant. Cette circulation, nous le verrons, est déjà une forme de circulation du sens.

9 Cela dit, il est loin d’être toujours indispensable, comme le témoigne l’existence

même de n’importe quel échange in absentia. Par ailleurs on a récemment mis à jour l’analyse proxémique, en y intégrant les problèmes posés par la communication de proximité à l’âge d’internet.

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Plus haut nous avons évoqué une importante analogie, ou homologie entre la langue et le travail (Rossi-Landi 1968, Lafont 1978), tous deux étant des formes de production du sujet visant à manipuler et transformer la réalité. L’expérience réfléchie de cette transformation matérielle (première ou seconde10) génère, chez le(s) sujet(s) protagoniste(s) de ce processus, un apprentissage. Ainsi, l’utilisation d’un outil précède et permet normalement une utilisation plus compétente de ce même outil dans un nouveau cycle de praxis. Pareillement, le développement – ou mise en espace par la langue – d’un discours en interaction mettra, par exemple, à dure épreuve les arguments et les convictions – mémoire – d’un sujet qui, à partir de cette expérience, pourra à l’avenir interagir différemment en structurant différemment son discours.

Si cet apprentissage évolutif est une retombée positive de l’expérience (praxis matérielle ou praxis discursive), il est à notre sens indispensable de préciser qu’il se réalise au moins sur deux niveaux, trop souvent et trop facilement confondus de nos jours :

1) une avancée ou reconfiguration en termes de compétences (le sujet gagne un plus d’informations ou d’habiletés) : c’est la dimension « horizontale », utilitaire, du savoir ;

2) une avancée ou reconfiguration en termes de connaissance (le sujet progresse sur la voie de la compréhension et donc de la conscience) : c’est la dimension « verticale » du savoir.

Il est très compliqué d’aller plus dans les détails et de recouper avec plus de précision ces deux niveaux d’apprentissage sollicités, fécondés par l’interaction. En effet, les voies de la compréhension paraissent illimitées, comme l’expérience de l’intuition nous le montre : il se passe parfois que le sujet atteint le sommet de la compréhension à des moments apparemment banals, en des circonstances qui en principe n’auraient strictement rien pour solliciter le noyau profond de son être, et même en dehors de toute interaction in presentia. On n’a que trop écrit au sujet de

10 Sans vouloir mobiliser la théorie des actes de langage (Austin 1962), nous

proposons ici l’idée que le travail modifie directement le cadre ambiant (transformations premières), alors que les modifications de ce dernier par la langue ne sont en général qu’indirectes (transformations secondes).

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l’épisode de la madeleine proustienne, qui pose, entre autres choses, l’évidence des relations – humaines et environnementales – in absentia.

4.2 Censures et césures dans l’interaction

À travers et à l’intérieur des espaces-relais le sujet est traversé par des messages (forme, portée et contenu) divers, parfois contradictoires. Il réagit suivant cette diversité : on parle de masques, on parle de registres en tant que « face externe des discours » (Achard 1995, p. 87). Rien de plus naturel : le sujet et sa parole s’« habillent » différemment suivant le contexte relationnel – ou « scène d’énonciation » (Maingueneau 1993, 1998) – qu’ils sont en train de vivre ou d’animer. Par le langage, aussi, le sujet ménage son éthos – avec plus ou moins de succès.

La régularité géométrique de nos schématisations ne doit pas cacher d’importantes asymétries : la différence de statut social entre les interactants, bien sûr, même si cette différence n’est sans doute jamais absolue – il suffit de changer de contexte pour que le rapport s’inverse : le professeur est une autorité dans l’insitution par rapport à ses élèves, mais au dehors la donne peut être bien différente11. Un cas de conditionnement discursif très parlant parce que concernant le matériau même de l’échange est représenté par le régime diglossique : c’est notamment un cas de figure incontournable dans une perspective de LDS. On connaît bien les dynamiques générées par ce complexe, un masque que le sujet qui en est victime n’arrive pas à s’arracher de la figure : chez un locuteur qui a honte de sa parole, dès qu’une personne tierce rentre dans le champ d’une interaction de connivence, il y a passage à la langue dominante (qui occupe dès lors les relais #1# et / ou #2#) afin de protéger les couches #3# et #4# ainsi que son éthos – en évitant l’image que le locuteur de langue minoritaire donnerait de lui-même d’après un système de valeurs diffus et lié à des représentations stéréotypées et dévalorisantes. Nous pouvons affirmer par là que le code switching d’une part correspond certes à un ajustement de registre, mais d’autre part représente une censure/césure dans l’interaction, une faille

11 Un excellent exemple de ce que nous venons d’exposer est à notre sens représenté

par le film de Laurent Cantet La classe – Entre les murs (2008), qui a récemment fait l’objet d’une intéressante analyse linguistique lors des IIIèmes Assises européennes du plurilinguisme (Henry 2012).

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dans la topologie relationnelle : plus que communiquer (c’est-à-dire « mettre en commun »), le sujet discursif se cache12.

4.3 Qualité et définition de la transmission des savoirs : le problème de la circulation du sens

Au sein de chaque système ou plus exactement de chaque communauté linguistique on trie régulièrement une palette de formes à même de seconder la diversité et la variation des topologies relationnelles, et ce dès le niveau lexical. La souplesse, la plasticité du discours décident sans doute de la qualité, de la « définition » de toute transmission13. Celle-ci dépend en grande mesure de la compétence du sujet discursif, de la richesse de son vocabulaire, de la pertinence de ses énoncés, des éléments qui prennent part à la construction de l’image de réalité (v. infra) etc.

Mais qu’entend-on exactement par « qualité/définition de la transmission [des savoirs] » ? Comment expliciter ce processus dont nous avons jusque-là illustré les constituants premiers (mémoire, langue, interaction, espace), cerné le statut du protagoniste absolu (le sujet relationnel), tracé les contours et les limites des différentes scènes d’énonciation (les relais de connaissance et les topologies relationnelles) ? Il nous faut maintenant aborder le problème de la circulation du sens : à savoir, la circulation entre interactants de l’« objet » qui est, en dernier ressort, la synthèse résultant de tous ces éléments.

L’exemple du statut de l’interaction en langue minoritaire (encore faudrait-il préciser laquelle et dans quel contexte sociolinguistique etc.) est du plus grand intérêt car il met en évidence une qualité essentielle de l’interaction elle-même, à savoir la complexité du rapport entre le sujet et

12 Ce qui est bien connu par tout sociolinguiste engagé dans des enquêtes de terrain :

la présence d’un médiateur local peut partiellement conjurer son rôle, volontaire ou involontaire, d’« intercesseur de la norme » (Lafont 1990 : 25-35) et lui permettre d’avoir accès à des contenus discursifs qui lui seraient autrement interdits.

13 Ainsi, lorsque par exemple une forme verbale tombe en désuétude – c’est le cas presque généralisé à l’oral du subjonctif imparfait en français contemporain et du subjonctif tout court en bien des occurrences dans le discours oral en italien contemporain – il y a lieu de supposer qu’elle s’accompagne d’une perte de définition de la transmission du savoir. Mais, à l’exception de cas d’ambiguïté du message, rien ne prouve que les choses se passent effectivement de la sorte. Nous serons donc très prudents là-dessus.

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sa/ses communauté(s) (linguistique(s)) – rapport dont on ne saurait faire l’économie dans une réflexion portant sur la transmission linguistique des savoirs. Le degré de partage de mémoire, langue, espace et conditions d’interaction est fonction du niveau de cohésion sociale à l’intérieur d’une communauté : le triangle classique langue-nation-patrie à la base de la représentation de l’État-nation se fonde là-dessus.

Mais ce degré de partage est sans doute également proportionnel à la qualité de la circulation du sens au sein d’une interaction. Si les interactants partagent une même mémoire, un même niveau de langue, un même cadre ambiant ou territorial, il y a lieu de croire que le sens (à savoir l’actualisation ou thématisation du sujet pulsionnel) circule plus aisément au sein de l’interaction, quelle qu’en soit la topologie relationnelle. Une maîtrise imparfaite de la langue de l’échange, une méconnaissance partielle ou complète du sujet dont il est question dans le discours, une séparation matérielle des deux interactants etc. peuvent dérouter le sens qui n’atteindra pas, dès lors, sa cible14. Une forte cohésion sociale facilite au contraire les inférences et permet de saisir plus aisément les contenus implicites.

Maintenant, si l’on veut passer de généralités concernant la macrostructure de l’interaction à une analyse de la circulation du sens au niveau de la microstructure, il nous faut préciser quelques éléments terminologiques, à partir des unités minimales en jeu dans l’échange. Or, dans le sillage de la praxématique de Robert Lafont (au moins 1976, 1978, 2004, 2007), dans ce chapitre nous avons préféré parler de praxèmes au lieu de parler de mots ou de signes : nous remplaçons par là des unités de sens par des unités de production du sens.

4.3.1 Praxème vs signe

Contestant l’idée classique de signe, le praxème est comparable à un silex dont les aspérités et les entailles correspondraient en gros au squelette consonantique, et d’abord aux racines bi- et triconsonantiques de l’indoeuropéen : comme le silex, le praxème est ainsi disponible à

14 Un exemple fréquent de malentendu au sein d’une communauté linguistique est

l’interprétation fautive de textos, où la thématisation du sujet pulsionnel est souvent mal reçue par déficit de contextualisation.

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accomplir plusieurs tâches en contextes d’emploi différents. Loin de toute essentialisation, il est traversé, habité par les accidents de l’histoire, les enjeux psychologiques individuels et collectifs, l’organisation topologique de l’interaction : autant d’éléments qui poussent Lafont à remplacer la signification – cristallisée, positive, immuable, donnée une fois pour toutes – par la signifiance, à savoir un processus signifiant éminemment dialectique, reflétant une interaction et une négociation permanentes entre sujets bien vivants, de véritables « êtres de langage » (Lafont 2004).

En usant de ces concepts, nous estimons asseoir de façon correcte le problème de la circulation du sens dans le discours, problème qui revient à dépasser celui de l’acceptabilité du message pour atteindre la question de la pertinence et même celle de la richesse du message. Nous devrons pour l’instant nous en tenir au niveau praxémique – même s’il est évident que, par sa nature même, en aucun cas l’analyse du praxème ne peut faire fi de son inscription discursive.

La différence idéologique entre praxème et signe est capitale : elle reflète la vision d’une société respectivement et foncièrement « conflictuelle » (Lafont) s’opposant radicalement à la vision saussurienne de la société en tant que « masse inerte ». Par conséquent, le praxème est une unité de production du sens en ce que celle-ci est une interface entre sujet et communauté linguistique : elle produit du sens, tel sens etc. en fonction des heurts, mouvances, déchirures, simplifications, spécialisations, stéréotypes etc. traversant et habitant la communauté linguistique. À l’opposé, le signe classique, à la double face signifiant / signifié, véhicule un sens figé, gelé, étant la pièce de monnaie dont la valeur est exclusivement d’échange et non pas d’usage. Ainsi, le sens est inscrit dans le signe et ne circule que de manière mécanique : la transmission / l’apprentissage par l’interaction est d’après cette approche une simple dynamique d’encodage-décodage qui fait l’économie aussi bien du mémoriel que du topologique – elle transcend donc l’humain15.

Le praxème, par contre, n’aurait pas de sens en lui-même : en effet, le sens ne résulterait que du contexte-cotexte et, de ce point de vue, le praxème est comparable à une pièce de monnaie dont la valeur serait

15 Plus loin (ch. VII) nous reprendrons cette distinction capitale entre les

conceptions de la circulation et de la transmission des savoirs.

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plutôt d’usage, c’est-à-dire soumise et accompagnant les mouvements de la société-système et les valeurs qu’elle produit ou modifie au jour le jour. L’approche de praxématique permet donc de saisir le sens dans le discours comme résultat d’une circulation et, dans ce cadre, d’interpréter le processus de transmission / apprentissage comme une co-construction du sens, où le destinateur en s’adressant au destinataire réalise une action à double orientation. Ce que d’ailleurs représente bien la centralité du verbe « apprendre » : apprendre à quelqu’un, apprendre de quelqu’un : nous avons là une première, fondamentale illustration de ce que « circulation du sens » dans le discours peut vouloir dire16.

4.3.2 Sens co(n)textuel, sens immanent ?

Pour approfondir notre analyse de la « circulation du sens » en discours il nous faut maintenant considérer de plus près la devise bien connue de Wittgenstein : « les mots n’ont de sens qu’en contexte », reprise par Benveniste (1974 : 226), implicite dans le lexique-grammaire de Maurice Gross (1975)17 et, finalement, dans sa substance, partagée par le même Lafont. Or, plus haut nous avons usé de prudence pour essayer de décrire la nature du rapport entre sens et praxème, le produit (sens) étant le fait d’un producteur (praxème) qui, tout en possédant un programme de sens, n’est productif qu’en contexte-cotexte. En effet, si nous partageons en général cette vue des choses, nous trouvons que, d’une part, il n’en faut pas faire un dogme ; et, d’autre part, qu’il est indispensable de garder à l’esprit qu’en dehors de toute approche distributionnaliste, mécaniste ou « numérique », et quoi qu’il en soit du cotexte, toute unité langagière, du fait d’être perçue par un sujet (discursif), finit par être toujours mise en contexte, de la même façon que tout sujet relationnel est toujours en relation avec un Autre – soit-il présent, absent ou latent18. Ainsi, il est à

16 Le dictionnaire ventile les deux sens fondamentaux du verbe « apprendre » en un

sens subjectif (« Acquérir la connaissance de ») et en un sens objectif (« Faire connaître ») (Le Petit Robert, ad vocem). Notre approche est évidemment différente : s’il y a circulation du sens entre les deux interactants (présents, absents ou latents), le subjectif ne saurait être escamoté ni dans une direction ni dans l’autre.

17 Chez qui le « contexte » serait la phrase, et d’abord la « phrase simple », qui est d’après Gross « l’unité significative du lexique » (Gross 1986 : 299).

18 V. infra, ch. VI et XV. Pour une analyse détaillée du système des configurations relationnelles, cfr. Agresti 2005 et 2008.

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notre avis difficile de nier de manière absolue le fait que chaque praxème possède du sens indépendamment de l’échiquier discursif dans lequel il se trouverait à fonctionner.

Il est vrai que toute mise en discours (en usant de praxèmes, parapraxèmes ou métapraxèmes) segmente formellement une signifiance qui, pour être un processus d’actualisation du pulsionnel, est une continuité ramenable à l’unité complexe du sujet relationnel – et que donc la valeur de chaque segment est ramenée à la valeur de l’ensemble. La maîtrise de cette mise en discours / mise en discrétion est une opération qui demande beaucoup de temps à l’enfant qui apprend péniblement à parler et un effort assez considérable à l’adulte en passe de formuler une pensée articulée. Le malentendu, l’échec, le ratage etc. sont là pour nous rappeler ce niveau de complexité.

Il n’empêche que le petit d’homme, sujet pulsionnel, sujet désirant par excellence, même tout petit arrive à faire circuler du sens en interaction avec ses parents en usant de praxèmes cotextuellement isolés et même partiellement inaboutis. Le rôle des relais de connaissance et des topologies relationnelles est alors tout particulièrement évident : créer les conditions matérielles pour que le travail d’inférence, donc de réception du sens, soit possible. Mais au-delà de cet exemple, deux faits de langue tout à fait courants – entre autres – semblent appuyer la thèse de l’existence d’un fond de sens du praxème « pris à part » de toute mise en discours :

1) l’existence des séries synonymiques. Puisque le synonyme parfait, absolu, n’existe pas, l’hypothèse d’une parfaite remplaçabilité des praxèmes n’est pas scientifiquement recevable. Lorsqu’un praxème tombe en désuétude et un autre prend sa place, c’est que des conditions socio-culturelles ont changé. Il y a lieu de penser que la praxéogénie qui est à l’origine de ces séries s’est produite pour répondre à des exigences référentielles qui ne pouvaient être satisfaites par simple différenciation contextuelle. Ainsi, si la phrase de Maupassant (Toine, 1885) « Le hameau enfoncé dans un pli du vallon […] pauvre hameau paysan composé de dix maisons normandes » n’est pas tout à fait remplaçable par « Le village enfoncé dans un pli du vallon […] pauvre village paysan composé de dix maisons normandes », c’est que, évidemment, à parité de contextes, le praxème hameau possède quelque part une plus-value

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culturelle, littéraire si l’on veut, qui le distingue à nos yeux (voilà une topologie relationnelle in absentia) du praxème village. Il est sans doute question d’« image de réalité » – en amont de toute détermination parapraxémique (grammaticale) – plus nette dans hameau, plus estompée dans village19. La qualité de cette image est à notre avis très importante en termes de transmission de la connaissance : de nombreux et illustres témoignages intellectuels associent l’enfance, qui est par excellence l’âge de l’apprentissage, à la qualité de l’« impression » de la mémoire par le discours. À l’inverse, on connaît bien l’emploi « universel » de certains praxèmes passepartout (« truc », « chose » etc.) : le sens passe dans l’interaction par inférence et par la différenciation des contextes, mais souvent la transmission échoue. C’est un véritable ménage à trois : a) le contexte ne peut seul décider du sens de toute unité lexicale et par ailleurs b) toute unité lexicale garde en quelque sorte les sens raisonnablement possibles (donc immanents), rassemblés dans la palette-entrée du dictionnaire, et c) le sujet trie, réduit (mais parfois crée aussi) volontairement et inconsciemment ces sens possibles par choix ou par compétence lexicale.

2) Le statut des toponymes. Même si l’analyse d’un toponyme doit être soumise à une mise en perspective diachronique, responsable de ses évolutions formelles ainsi que de la mémoire ou des représentations qu’il véhicule (Agresti 2012, Agresti et Pallini en préparation et infra, ch. XVIII), nous observons qu’en général un toponyme est à l’origine un praxème étroitement lié à des traits d’un territoire identifié par le sujet relationnel en fonction soit de caractères géomorphologiques objectifs (Mons, Montaigu, Le Puy, Laval, Entraigues, Rieux, Fontenelle, La Selve, etc.), soit de l’interaction de ce lieu avec la communauté linguistique qui l’occupe et qui le marque par son ethnonyme, par des adjectifs, par sa praxis etc. (Paris,

19 Notre remarque se veut très prudente : en dehors de toute détermination

grammaticale, segmentable, discursive, la qualité de l’image de réalité liée au praxème ne peut qu’être l’affaire de perception et mémoire individuelles : « je parle de vaches et de brebis paissant au pré ne dit rien de l’existence réelle de ces êtres et de ce lieu, de leur inscription en espace et en temps ; je parle de ces vaches et de ces brebis qui paissent dans mon pré les affirme réels par l’espace et le temps » (Lafont 2007 : 192). En italique dans le texte original.

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Belleville, Beauvoisin, Châteauneuf, Le Mas-d’Azil, Ferrières, Sablonnières, Savonnières etc.). Or, un toponyme n’en est un qu’à partir d’une opacification du sens, à savoir la séparation du praxème d’avec le sens premier – descriptif, référentiel –, et ce notamment lorsqu’il est question d’un espace social (un village par exemple). Des recherches de terrain menées dans des villages d’origine de communautés de migrants ont par ailleurs permis de cerner le statut du toponyme isolé20 qui, bien que coupé de son environnement textuel, à lui seul fonctionne en agent réactivateur de mémoire. La simple évocation du nom du village des aïeux peut parfois fonctionner en véritable mot de passe permettant l’accès de l’enquêteur dans le cercle de la communauté enquêtée (Agresti 2012 : 47-48). On voit bien que, dans ce contexte, le sens est aussi immanent au praxème – même s’il est vrai, d’une part qu’il s’agit de praxèmes dérivés en noms propres, et de l’autre que ce sens immanent n’est guère univoque, étant vague et par trop subjectif21.

En résumant, la phrase « les mots n’ont de sens qu’en contexte » est infirmée dans sa portée universelle, absolue ; elle garde sa valeur lorsque nous avons affaire à des praxèmes très diffus, peu marqués et anthropologiquement motivés (cf. § 2.1), car ils se prêtent effectivement à des actualisations très variées. Or, comme nous l’avons anticipé en § 2.2, la variabilité du sens s’accompagne, aussi, de la variabilité des topologies relationnelles encadrant et supportant l’interaction. Cette remarque nous permet d’envisager une première, rudimentaire ébauche de représentation graphique de la circulation du sens, pris comme orientation de la thématisation du sujet pulsionnel vers le centre ou alors vers les niveaux périphériques de mise en relation de l’interactant. Soit l’exemple suivant où, dans le cadre d’une interaction #je# / #tu# la diversité des topologies relationnelles se reflète au niveau de la diversité des emplois d’une même entrée du dictionnaire :

20 Il s’agit du toponyme du village jumeau, Villa Badessa, fondé jadis (en 1743) par

les émigrés (dix-huit familles albanaises) en terre étrangère (les Abruzzes, dans le centre de l’Italie).

21 Des courants artistiques contemporains, comme en Italie la Poésie visuelle des années 60/70, ont misé sur ce pouvoir évocatif, justement parce qu’au sens flou, de praxèmes isolés.

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Fig. 4, Hypothèse de représentation topologique de la circulation du sens dans l’actualisation du praxème maison

La Fig. 4 montre comment, aux expressions « familières » près (qui se situent dans la plupart des cas dans le relais #3#), il n’y ait pas de correspondance univoque entre praxèmes et topologies relationnelles ; celles-ci sont au contraire à la base de l’essaimage des sens à partir d’une même entrée. Ainsi, tout en circulant au sein d’interactions où chaque interactant fait fonction de cible des thématisations de l’autre, le sens évolue par l’action langagière/travaillante visant à modifier le cadre ambiant. Il dérive donc de l’action du sujet et n’est guère transcendant. Le sens est lui-même envisageable dans sa valeur topologique, à savoir la forme ou configuration, voire la direction ou plus exactement le cheminement de la mise en relation entre les actants en jeu. Ainsi, la diversité des topologies relationnelles pose la diversité de la qualité des relais de connaissance, donc des formes d’apprentissage. Comme nous l’avons dit plus haut, chaque espace est propice à une forme d’avancement de la compétence ou de la connaissance, qui touchera respectivement les couches externes et internes du sujet, et qui sera tantôt une forme banale, connue ou reçue, tantôt une forme originale. À proprement parler, on passe de l’acquisition d’informations (pratiques, en général) dans les couches externes à la progression de la connaissance (symbolique ou affective, le plus souvent) du sujet dans les couches internes. En (20), « maison à vendre », message projeté dans l’espace de la non-personne, de la société absente, ne donne normalement qu’un renseignement de plus, in absentia, concernant un objet (« [il y a quelqu’un

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qui la vend] telle maison »), et le sujet qui reçoit ce renseignement (21) ou (22) n’est guère avancé au point de vue de sa connaissance, de sa compréhension du monde ou de lui-même. Alors que l’exemple « tu viens à la maison ? » pourrait – comme en (26) et davantage en (27) – signifier l’ouverture d’un espace réservé, personnel, de la part d’un locuteur s’adressant à un interlocuteur par un « tu » qui marque son appartenance à un espace familial/amical. La connaissance transmise par le discours est de l’ordre de la connaissance interpersonnelle, qui touche à son apogée en (28), qui marque la connaissance de l’Autre de la part du sujet, dont l’identité résultera enrichie de cette interaction – dans la mesure où le Même reconnaîtra à et dans l’Autre la nature de miroir. Cette interaction pourra déclencher une transmission importante d’expériences, de savoirs, de représentations et insérer par là le sujet dans un réseau de relations in absentia – chaque sujet relevant à son tour d’un maillage social, linguistique et culturel, étendu dans l’espace et dans le temps. Mais rien, dans le langage, ne se passe jamais de manière mécanique ni trop prévisible. D’autres exemples pourraient être invoqués pour infirmer la rigidité de ces correspondances.

5. Pour conclure

Les Figg. 3 et 4 ne nous disent rien quant à ce qui précède ou suit l’interaction, à savoir la visée du sujet pulsionnel et, après actualisation, ses effets de discours. Elles escamotent par ailleurs la question, que nous n’avons évoquée que de loin (en § 4.2), de l’interaction entre sujets relevant de communautés linguistiques distinctes. C’est pourquoi nous pressentons deux prolongements de l’analyse : a) en termes de durée, de continuité, bref de « cycle de praxis » et de « processus d’apprentissage », soit-il superficiel ou profond, « horizontal » ou « vertical » ; b) en termes de contact linguistique.

a) Pour ce qui est du premier prolongement, nous l’avons dit en § 4.1 : le processus d’apprentissage se réalise par l’expérience (de langage, de travail), qui perfectionne, raffine progressivement et en interaction la praxis manipulative-transformatrice de la réalité (tangible ou intangible). Or, le changement ne concerne pas que les sujets en jeu qui, moyennant une mise en relation féconde, peuvent avoir accès à des informations référentielles (changement

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au niveau superficiel ou informationnel) ou peuvent faire l’expérience de la découverte d’un autre ou de l’Autre (changement au niveau profond) : au fur et à mesure que l’expérience relationnelle réglée par les différentes topologies s’approfondit, progresse également une connaissance/conscience linguistique du sujet. Au contact de l’Autre, à travers le canal de sa parole et le vécu partagé, les sens s’inscrivent dans le sujet et le sujet s’inscrit dans les sens. La construction du sujet s’accompagne de celle du sens articulé dans les topologies relationnelles, leur évolution est conjointe. Il y a là un principe fondamental de la LDS.

b) Pour ce qui est du deuxième prolongement, nous nous devons de remarquer une évidence : l’évolution du sens n’en est une que lorsqu’elle déborde le cadre du sujet. La culturalisation du référent en est un exemple. Revenons aux communautés linguistiques minoritaires, des communautés en permanente quête d’identité. En analysant la délicate question de l’emprunt, Lafont affronte tout particulièrement le problème de l’aliénation de la communauté occitane contemporaine, pour laquelle une large partie de ses praxèmes ne sont plus productifs et sont remplacés par d’autres relevant de cultures dominantes (Lafont 1990 : 17). Mais l’auteur analyse également l’autre volet de la question : l’emprunt de la langue française à la langue-culture occitane. L’exemple qu’il fait au sujet de mas, galéjade, pétanque, manade etc. est très parlant : tous ces emprunts datent à peu près du XIXe siècle, une époque où le discours doxal concernant le Midi posait l’équivalence « Midi = pittoresque rural, ou Midi = jeu social mystificateur » (Lafont 1990 : 16). Notamment dans l’emprunt, l’évolution du sens est soumise à des représentations préalables qui traversent le maillage social et qui conditionnent le tri. En fait, l’emprunt n’en est jamais un, pas jusqu’au bout, pas tel quel. Mas est une simple ferme en occitan provençal ; elle passe en français en devenant du coup une « ferme en style traditionnel provençal ». Cette transmission de mémoire s’accompagne d’un malentendu et d’une spécialisation. Il s’agit sans doute de la spécialisation imposée par les relais de connaissance, qui recoupent toujours le champ de l’interaction, ne serait-ce que par

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principe d’économie et par la pression des mémoires et des idéologies en jeu.

On pourrait bien évidemment multiplier les exemples. Pour l’instant, nous nous arrêtons en soulignant que la LDS se doit non seulement d’éclairer ces processus de spécialisation/emprunt mais également, de même qu’elle se donne pour objectif ultime celui de « rendre au sujet son pouvoir créateur », de contribuer à rendre à toute communauté linguistique sa pleine productivité du sens.

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II Idéologie, économie, linguistique du développement social :

quels enjeux ?

Dans ce chapitre nous reprenons et précisons la nature et la portée de l’affrontement de deux conceptions de la langue et de la linguistique : l’une, majoritaire, qui exclut le sujet, sa matérialité et individualité, de toute analyse de la langue ; l’autre qui, au contraire, pose le sujet comme élément fondateur et incontournable de toute production langagière. À notre sens la première conception a été fortement soutenue par une idéologie dont le dernier avatar est l’économie de marché, qui stigmatise la diversité linguistique au nom de l’impératif du dépassement des soi-disant « barrières linguistiques ». Or, même si la politique universitaire et la politique tout court emboîtent le pas aux lobbies économiques et financiers, en privilégiant les filières professionnalisantes et en mortifiant la recherche de base et le culturel en général, cette dérive n’empêche que ces contraintes pourraient déboucher sur la refonte en positif de tout un secteur des sciences du langage. La nécessité de traduire les acquis de la recherche linguistique en retombées concrètes (directes ou indirectes) pour la communauté ou le territoire dans lesquels le chercheur se trouverait à opérer pourrait effectivement pousser celui-ci à approfondir des thèmes stratégiques pour ce qui est de la compréhension et de la transformation du monde, comme l’anthropologie linguistique ou la linguistique matérialiste, en attribuant à la « sociolinguistique » moins une valeur descriptive qu’un sens d’action sociale de terrain. C’est ce que nous proposons d’appeler la linguistique du développement social.

1. L’emprunt, marque de domination ?

La question de l’emprunt, en tant que phénomène statistiquement sensible, significatif au sein des discours d’une communauté linguistique, n’est pas anodine. Elle présente au moins deux facettes.

D’une part, c’est la trace de relations entre communautés linguistiques et discours qui se portent secours, qui s’enrichissent lorsque la culture de l’autre apporte des éléments originaux à la culture qui se les approprie : « que le gascon y aille, si le françois n’y peut aller! », disait Montaigne. Mais, d’autre part, l’emprunt peut être la marque de l’emprise d’une communauté linguistique sur l’autre, dans un ou plusieurs domaines, ou alors son hégémonie ou prestige à l’échelle supra-nationale.

Dans ce second cas, l’emprunt seconde et contribue à asseoir une donne qui déborde largement le culturel pour se faire politique au sens large. Dans ce cas-là, l’emprunt n’est pas ressenti comme nécessaire – à savoir fonctionnel à dire ou nommer un objet, une pensée, un concept etc. originaux – mais, quelque part, il s’impose de par son prestige présumé. Ainsi, pour faire « contemporain » et « technologique » l’anglais est de

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mise, comme jadis – et encore aujourd’hui somme toute – l’était le français lorsqu’il s’agissait de faire « chic ».

Rien de surprenant à tout cela, ces phénomènes étant bien connus et pas mal étudiés. Nous ajouterons ici une remarque : la LDS doit déjouer deux tentations opposées, en veillant d’une part à ce que la communauté linguistique, parce que conscientisée quant à son identité (relationnelle) n’accepte pas n’importe quel emprunt à la mode ; et, d’autre part, en veillant à ce que le lien aux racines culturelles ne vire pas au purisme intolérant et anachronique, parfois caricatural. Bref, la LDS doit harmoniser exigence fonctionnelle de l’expression dans le monde contemporain et sauvegarde de l’identité linguistico-culturelle de la communauté minoritaire1 qui est, aussi et surtout, le levier de la productivité du sens de la langue qui la constitue. Sous-estimer ou entraver celle-ci représente un pas décisif vers l’aliénation diglossique, avec tous les risques que cela peut impliquer. Dangers dont le « complexe de Bonaparte » est sans doute le cas de figure le plus frappant.

Bien évidemment, l’interaction, telle que nous l’avons décrite dans le chapitre précédent, est traversée en permanence par cette dialectique : elle enregistre les changements continus de la langue par l’actualisation dans la parole individuelle. Des études « en temps réel » analysent cet aspect évolutif et variationniste des usages linguistiques au sein d’une communauté (Blondeau 2011) et aussi, ce qui nous intéresse beaucoup dans la perspective de la LDS, l’apport de la parole individuelle à l’expérience linguistique collective. Non seulement le sujet change de compétence, registre, vocabulaire, syntaxe, style etc. au cours de sa vie ; il peut également – et d’ailleurs cela arrive en permanence – influencer compétence, registre, vocabulaire, syntaxe, style etc. de son ou de ses interlocuteurs. Les « relais de connaissance » ne véhiculent pas que des contenus (connaissance ou information), ils transmettent aussi des formes et des styles.

Or, lorsque le sujet emprunte sans une véritable nécessité fonctionnelle un praxème à une autre langue en l’intégrant dans son propre discours, le problème de la synonymie (du tri praxémique) ne s’en trouve

1 En termes absolus et en termes relatifs, à savoir par rapport à la communauté

hégémonique.

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qu’ultérieurement complexifié et le legs mémoriel du sujet et du groupe est de toute évidence visé. La culturalisation d’un praxème provenant de l’extérieur et son intégration injustifiée dans la communauté linguistique interne marque, en gros, l’acceptation d’un pan – petit ou moins petit – de la culture de l’autre dans la nôtre. Ce qui pourrait être plutôt une bonne nouvelle, à cela près que, ce faisant, la communauté interne renonce à un pan – plus ou moins petit – de sa culture et donc de son identité. Au niveau de l’interacion intersubjective, dans l’emprunt les références sont souvent externes au répertoire linguistico-culturel des interactants, ce qui peut enrayer ou détourner la circulation du sens telle que nous l’avons schématisée dans la Fig. 4. Des études récentes montrent que l’emploi d’une langue de travail « tierce » en milieu professionnel plurilingue (c’est très souvent le cas de l’anglais dans les entreprises multinationales), s’il permet la rapide circulation au sein de l’entreprise d’informations concernant tel ou tel dossier, il n’assure pas pour autant une véritable, satisfaisante intercompréhension entre les travailleurs des différentes équipes. Dans les dimensions verticales de l’interaction, ce phénomène est particulièrement évident : prier, aimer, insulter ex imo corde n’est possible qu’en langue maternelle !

Or, lorsque l’emprunt se constitue, voire se codifie en langue de spécialité, c’est tout un modèle (culturel, social, économique, politique etc.) que nous sommes, conscients ou pas, en train d’emprunter. Il y a là la base d’un cercle, vertueux ou vicieux, qui relie très matériellement la langue à notre discours, à notre vie et aux choix « politiques » de la cité qui nous tient. La crise économique que nous traversons est directement liée à la mondialisation de modèles occidentaux de développement et de progrès véhiculés par des langues de spécialité, de véritables « lunettes » idéologiques à travers lesquelles nous regardons le monde. Les deux, langues et modèles, s’autorisent et légitiment réciproquement. Essayons d’aborder cette circularité de plus près.

2. Le paradoxe linguistique de la crise économique

Posons d’abord un paradoxe, de grande actualité : le déferlement dramatique de la crise économique globale – qui est plutôt une crise financière – n’a fait qu’affirmer davantage la primauté de l’économie de marché dans la vie de la cité. Autrement dit : l’échec du système basé sur

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le marché global et sur le dérèglement du jeu marchand a fini par sacrer définitivement ce système. Il fait toujours la une des quotidiens et des journaux télévisés. Il sature nos discours, notre imaginaire. On dirait même que, en ce que le « monstre » fait peur, on le respecte davantage…

Même si par-ci, par-là, des réactions s’amorcent qui se fondent sur une remise en question radicale de l’idéologie de la croissance sans limites et du libre marché, le vieux système continue de mener, somme toute, bon train. Qui plus est, d’une part il ne concerne directement qu’une minorité très restreinte de personnes (en gros, l’élite des gens qui travaillent dans le cercle de la Bourse) et de l’autre ses effets touchent lourdement l’ensemble des communautés, et notamment les couches les plus faibles de la population.

Il est urgent de se demander pourquoi. Sans doute est-ce parce que cet « ancien régime » a été culturellement associé à tout ce qu’il y avait de plus progressiste et de plus « libre » – ce qui implique qu’il est difficile, aujourd’hui, ne serait-ce que de penser de pouvoir le dépasser, voire le réformer en profondeur ou l’abolir. Pourquoi renoncerait-on au marché global ? Pourquoi entraverait-on la libre circulation des capitaux ? Comment d’ailleurs pourrait-on inverser la donne ? Puisque, nous explique-t-on, ce n’est même plus l’affaire de la politique. Puisque c’est la technologie du web qui crée et régule les réseaux et donc les marchés. Puisque c’est le numérique qui a rendu encore plus virtuel l’argent et que de par le monde circule énormément plus d’argent virtuel que d’argent réel etc. Finalement, on peut se demander : comment contrevenir à l’Histoire, qui en a voulu ainsi ? Comment arrêter le Progrès ?

Nous nous retrouvons donc pris dans une circularité et un déterminisme qui semblent en mesure de récupérer toute sorte de tentative de sortie du système. C’est que nous avons affaire à une mécanique de la domination qui agit en profondeur : domination certes économique et politique mais, en amont et en aval, également discursive et linguistique, de l’imaginaire. Oui, car toute idéologie revient à un discours cristallisé et à un répertoire figé d’images et de valeurs. Parmi ces images, il y en a qui concernent directement a) la langue ; b) telle langue en particulier ; c) les langues en général. D’où un nombre important d’idées reçues sur tout ce qui est linguistique. D’où, depuis la perspective de la LDS, un fait très important et délicat : tout jugement de valeur concernant la langue, telle langue en

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particulier, les langues en général risque de représenter, de fait, une diminution et du pouvoir créateur du sujet, et de la productivité du sens de telle communauté linguistique. Juger une langue « poétique », « pragmatique », « pertinente », « musicale », « amusante » ne saurait être jamais innocent, toute qualité présumée excluant virtuellement les autres. De même que limiter la nature de la langue au statut de simple « outil de communication », qui exclue virtuellement la dimension verticale de l’interaction et donc la créativité et la symbolique du langage et de son sujet.

3. Représentations de linguistique et idéologie

De ces observations on devinera un enjeu très délicat : ces représentations (de la langue, de telle langue ou des langues) non seulement reflètent, mais également affirment et affermissent le statu quo, le pouvoir politique constitué – toute représentation de linguistique étant à la fois une représentation sociale. Et ce, principalement à deux niveaux :

I) au niveau de la configuration sociolinguistique des répertoires d’un territoire donné, État ou autre. Ainsi, une variété linguistique X sera par exemple représentée (et donc, à terme, perçue) tour à tour comme un patois ou alors comme une langue de prestige, et ce d’après la nature du rapport essentiellement politique qu’entretient le centre politique avec le territoire historique d’implantation (souvent périphérique) de telle variété linguistique etc. Un cas très parlant est celui de la langue occitane, dont le statut a énormément évolué en diachronie : de langue de grand prestige littéraire au Moyen Âge, l’occitan – et partant la communauté occitane – a fait l’objet de représentations de plus en plus dévalorisantes à cause de revers politiques et militaires à compter notamment de la Croisade contre les Albigeois (XIIIe siècle). Mais ce statut est également variable en synchronie (le statut juridique de l’occitan étant différent dans les trois États où il est parlé – France, Italie, Espagne) ;

II) au niveau de l’idéologie de linguistique générale, qui infléchit les interprétations des faits de langue en les ramenant à des mécaniques globales et transcendantes ainsi qu’à des

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déterminismes dont le pouvoir politique en place est le seul garant, arbitre ou dépositaire.

Dans le premier cas, la discrimination de facto et souvent de jure de toute langue minoritaire s’accompagne de sa délégitimation dans l’espace social et de son expulsion des contextes officiels ou de pouvoir, qui est aussi et surtout pouvoir économique. Cette expulsion peut se mettre en place par deux stratégies, apparemment opposées : dévalorisation d’une part et hypervalorisation (mais rien qu’esthétique : de la « langue du cœur » au cas littéraire teinté d’exotisme) de l’autre, bien loin donc de toute normalisation.

Dans le second cas, le phénomène de tri / marginalisation est à la fois plus subtil et plus imposant, car il ne concerne pas vraiment telle ou telle langue en particulier mais le sujet de langue lui-même. L’« être de langage » (Lafont 2004) est occulté ou escamoté par de grands courants de la linguistique qui, tout en poursuivant des méthodes soi-disant « scientifiques » préfèrent contourner la complexité subjective inéluctablement inscrite dans les faits de langue pour s’adonner à l’analyse d’un objet, la langue, dès lors fatalement cristallisé et / ou hypostatisé.

Or, cela n’est jamais innocent au point de vue politique. En effet, s’il est douteux qu’il y ait une correspondance sûre entre la nature et la structure de la langue – de toute langue – et la nature et la structure de la société, il est au contraire assez évident qu’il y a correspondance entre les formes d’analyse de la langue (à savoir la « linguistique ») et celles d’analyse de la société (c’est-à-dire l’« idéologie politique » ou « idéologie » tout court). Voilà notre parti pris, qui a le mérite ne serait-ce que d’attribuer au linguiste le rôle non secondaire – encore qu’éventuel – de « démineur » (Lafont 2005).

4. Le sujet entre analyse linguistique et analyse sociale

Loin d’être forcé, ce parallèle entre analyse de la langue (nous disons bien « de la langue » et non « du discours ») et analyse / modélisation de la société est à notre sens incontournable et n’a pas suffisamment retenu l’attention de la communauté scientifique. Il peut s’appuyer sur plusieurs exemples tout à fait éclairants tirés de l’histoire de la linguistique. Nous en proposons trois qui nous paraissent tout particulièrement parlants :

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1) Dans la seconde moitié du XIXe siècle, par l’ouvrage Die Darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft, August Schleicher (1873) proposait une interprétation des phénomènes de linguistique générale et historique fondée sur la théorie évolutionniste empruntée aux sciences naturelles et sur la trouvaille, certes fascinante, des langues en tant qu’êtres vivants – qui, par conséquent, naissent, se développent, vieillissent et se meurent.

2) Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, Ferdinand de Saussure fonde la linguistique structurale, dont l’ancrage principal est le concept de signe, à savoir l’union de signifiant (ou « image acoustique ») et de signifié (ou « concept »). Chez de Saussure la communication fonctionne comme un circuit intégré d’encodage / décodage d’un message au sens univoque, non ambigu.

3) À partir de la seconde moitié du XXe siècle, les langues de spécialité (ou « sur objectifs spécifiques » ou « à visée professionnelle » etc.) commencent à être enseignées de manière de plus en plus systématique et diffuse en Europe Occidentale. Plus en général, la didactique des langues vivantes – secondes ou étrangères – bannit progressivement la méthode traditionnelle d’enseignement des langues classiques, fondée sur la lecture, l’écriture et la traduction. L’oralité est certes prise en compte, cependant l’essentiel du processus d’enseignement / apprentissage est convoqué à des fins instrumentales.

Ces trois exemples, correspondant à autant de périodes historiques bien distinctes, ont par-dessus leur diversité un important élément commun : comme nous l’avons dit plus haut, dans tous les trois cas le sujet de langue est escamoté. Chez Schleicher les langues ayant une vie qui leur est propre, certes liée à celle des communautés linguistiques, elles transcendent en quelque sorte le sujet. Chez de Saussure la communication ressemble à un mécanisme qui exclurait l’erreur, le malentendu, l’implicite etc. et tout ce que nous pourrions appeler le bruit parasite humain propre aux échanges réels (à savoir, la parole

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saussurienne)2. Dans les classes de langue seconde ou étrangère à visée professionnelle, enfin, c’est l’idée de la langue en tant qu’outil de communication qui est idéologisée au point que cette valeur instrumentale de la langue l’emporte sur tout le reste. Ce qui est très discutable…

Dans ces exemples il est à notre avis possible de déceler une idéologie tout à fait économique : la langue y possède soit une valeur en elle-même, intrinsèque (Bourdieu 1982) soit une valeur virtuelle liée au principe de l’échange. Mais jamais une valeur d’usage, qui ne peut qu’être relative aux sujets pris dans leur irréductible nature d’êtres de langage et dans des contextes toujours différents de négociations discursives.

Dans le schéma suivant, où nous reprenons – à quelques détails près – la structure du sujet relationnel présentée dans le chapitre précédent, nous proposons une représentation de ces trois formes de séparation du sujet par rapport à sa langue, ou plus exactement du subjectif par rapport au linguistique :

2 Voir infra le schéma de la communication d’après le Cours de Linguistique

Générale de Saussure.

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Fig. 5, Trois idéologies de linguistique excluant le sujet discursif

Remarquons au passage que ces trois représentations de linguistique ont eu un très grand succès. Or, elles peuvent se combiner et générer des représentations secondes et diffuses qui ont sans doute un impact remarquable sur la société : l’approche positiviste schleicherienne génère aisément l’idée que le destin des langues n’appartient pas à la dialectique des civilisations ; l’approche structuraliste pose la société en tant que « masse foncièrement inerte » et la langue comme un système arithmétique et éminemment fonctionnel, sans restes ni censures ni ratures ; le succès emporté par les filières professionnalisantes réduit – notamment à l’université – l’apprentissage d’une langue seconde ou étrangère à une question d’utilité de premier degré, « horizontale », à des langues de spécialité et à l’acquisition de « compétences » plus que de « savoirs » : on sait manier un outil, on ne le connaît pas forcément…

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5. De la destinée et de la nature des langues

Par conséquent, dans l’imaginaire de la doxa l’idée s’est d’abord installée et ensuite enracinée qu’il y a des langues destinées à l’extinction par une volonté insaisissable, transcendante – ce qui « dépolitise », « dédialectise », pour ainsi dire, le problème des hégémonies linguistiques que l’emprunt massif permet de reconnaître ; que les langues sont des outils de communication objective, « numérique » ; et que l’essentiel, c’est d’acquérir des compétences linguistiques, à savoir des connaissances exclusivement formelles ou fonctionnelles.

Il est évident que cette façon d’envisager les choses n’est pas qu’une conception de linguistique : elle est également une vision économique et politique en ce qu’elle finit par discriminer les langues en « utiles » ou « inutiles ». Cette vision est très diffuse : pour s’en persuader, il suffit d’écouter le discours dominant chez des adultes lambdas en train de donner « de sages conseils » à leurs fils ou petit-fils en matière de choix de la langue seconde ou étrangère à étudier à l’école.

Or, lorsqu’il s’agit de langues moins répandues, cette dérive idéologique est particulièrement grave. L’« inutilité » présumée de telles langues est très facilement argumentable et, qui plus est, elle entraîne un jugement de valeur d’ensemble sur la communauté linguistique qui en est la dépositaire. Ainsi, par l’affirmation que telle langue est somme toute « inutile », voire nuisible en ce qu’elle entraverait la communication et donc le soi-disant développement du territoire dans lequel elle est parlée, on pourrait indirectement conclure à l’inutilité de telle communauté linguistique. Ce qui est, de toute évidence, absolument inacceptable et qui peut mener à des conséquences bien lourdes et dangereuses. Malheureusement, on a déjà entendu parler de « régions à la traîne », voire « superflues ». Ça peut concerner jusqu’à un continent tout entier : George W. Bush, à propos de l’Amérique du Sud, a pu parler de « continent insignifiant »…

Le cercle (vicieux) s’est ainsi fermé : penser de manière réductrice la langue en général permet de caricaturer telle langue en particulier et de cristalliser la communauté linguistique qui en est la dépositaire et l’expression. Penser la langue d’après des critères marchands, simplifiés, contrôlables, finit par imposer la catégorie de l’utilité de premier degré qui

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est dès lors légitimée pour décider en mesure non négligeable de l’avenir des langues et des communautés.

6. « Utilité » des langues et enjeux économiques

6.1 Le linguiste au milieu du gué

Cette idéologie « économique » du linguistique à l’époque de la crise financière a eu pour conséquence ultérieure l’accélération de toute une série de processus assez inquiétants, à savoir la réduction parfois abrupte en plusieurs pays de l’Union européenne non seulement des postes d’enseignant de langue seconde ou étrangère (à l’école comme à l’université), mais également et plus en général le démantèlement des sciences du langage.

Ainsi, depuis quelques années, le linguiste se trouve au milieu du gué : il est partagé entre un passé dont il a le plus souvent nostalgie car il avait la latitude d’exercer sa liberté de chercheur et mener à bien des projets qui n’étaient dans la plupart des cas jugés que sur la base de l’intérêt interne aux projets eux-mêmes ; et un avenir qui est déjà là, où en milieu universitaire les ressources sont de plus en plus limitées et réservées dans la plupart des cas à des projets de recherche appliquée – ce qui n’est pas toujours évident pour ce qui est des disciplines « humanistes ».

6.1 L’économie de la langue dans la LDS

Pour reprendre la remarque du début, la crise économique verse la cité au «tout économique», et le linguistique suit. Mais nous souhaitons conclure ce chapitre sur une note positive. En effet, à notre sens tout n’est pas négatif dans cette situation. Le fait d’avoir à trouver et à s’inventer des retombées concrètes – c’est-à-dire économiquement argumentables – de la recherche en linguistique peut être finalement un défi stimulant et fécond. Tout ne va pas uniquement dans le sens de la recherche / enseignement des langues sur objectifs spécifiques : il y a lieu d’exploiter et de mettre pleinement en valeur, par exemple, des approches novatrices d’anthropologie linguistique ou de linguistique matérialiste, qui mettent toutes les deux le sujet topologique, en chair et en os, au centre de la réflexion sur la langue. Ainsi, en mobilisant des concepts tout à fait contemporains, relevant d’une économie autre, tels les « biens

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relationnels », le « bien-être intérieur brut » et finalement le maître-mot de la « qualité de la vie », nous proposons de miser sur une sociolinguistique réformée ayant moins une valeur descriptive qu’une portée d’action sociale de terrain. Le sens de la LDS est là. Pour l’essentiel, cette approche revient à répondre à la question suivante : compte tenu du fait que n’importe quelle communauté est porteuse d’héritages linguistiques et culturels, comment peut-on exploiter ces patrimoines pour l’épanouissement social, culturel et même économique des communautés elles-mêmes ? De ce point de vue, ce sont les effets néfastes de la crise financière elle-même qui suggèrent plusieurs réponses possibles, puisqu’ils mettent en évidence une demande forte et croissante de cohésion sociale, de solidarité intergénérationnelle et intercommunautaire, de diversité culturelle pour faire face au rouleau compresseur de marchés aveugles qui, à force de libérisme, ont fini par rendre de moins en moins libre le sujet.

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III Entre malaise linguistique et droits de l’homme.

Le modèle européen des droits linguistiques à l’âge de la crise globale

Il ressort des deux chapitres précédents que la centralité du sujet en linguistique n’est pas sans rapports avec la gestion « politique » de la cité. Par conséquent, la négation de telle centralité au sein des dynamiques internes à la cité peut être source de malaise, lorsque par exemple le statut exclusif de « langue officielle » dans un territoire donné ne permet pas de prendre en compte dans ce même territoire les besoins (linguistiques et autres) de sujets alloglottes mais reflète, prolonge et actualise les instances du pouvoir impersonnel constitué. Dans ce chapitre nous nous donnons pour tâche d’encadrer et de préciser, articuler ce malaise linguistique (ML). Nous essayons d’y parvenir d’une part en établissant une taxinomie du ML, et de l’autre en cherchant à vérifier dans quel sens et avec quelles limites le modèle européen des droits linguistiques se doit d’envisager cette dimension.

1. Revitaliser une linguistique sans ambitions ? Un enjeu politique

Des deux chapitres précédents il ressort que la centralité ou marginalité du sujet en linguistique entretient quelque part des rapports avec la gestion « politique » de la cité. Cette affirmation peut surprendre car la linguistique a depuis longtemps perdu de poids, de prestige, atomisée en une constellation de disciplines allant de la dialectologie à la philosophie du langage, de la linguistique computationnelle à la lexicographie etc., et se trouve aujourd’hui orpheline ne serait-ce que d’un angle visuel en mesure d’unifier ou de relier de manière suffisamment cohérente toutes ces approches au nom de la centralité de l’être de langage. Comment, dès lors, conclure à une relation étroite entre idéologie de linguistique et idéologie politique ?

Pourtant, les arguments ne manquent pas pour se surprendre du contraire. Comment se fait-il qu’au niveau de la doxa la langue, qui structure les lois, les rapports individuels et collectifs, qui fonde la transmission des savoirs (donc l’éducation, l’instruction), bien-forme et manipule les opinions, qui est le miroir de la société etc., qui finalement caractérise l’espèce, ait été réduite à un outil de communication d’informations purement pratiques et ne fait pas, ne fait plus l’objet d’études humanistes ambitieuses, unitaires ?

Une linguistique escamotant le sujet et sa parole pour se pencher majoritairement sur la dimension numérique de la communication finit

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fatalement par fournir et ratifier des interprétations faussées des faits de langue et donc des faits de société, qui ne relèvent presque jamais de systèmes réguliers d’interaction. Elle finit par bâtir des grammaires prescriptives, qui vont à l’encontre de la nature évolutive même de la langue. C’est justement le passage de la description à la prescription qui en dit long quant au rôle de dispositif de pouvoir que les grammaires traditionnelles ont joué et jouent en partie encore, ne serait-ce que pour discriminer les couches de la population sur la base d’un « écart de la norme » : un accent régional ou local ou des fautes qui sont plus que de simples erreurs : elles ressemblent presque au péché spirituel, à la chassée du Paradis… L’axe de la recherche et de la formation traditionnelle en linguistique et dans la didactique des langues est donc situé principalement du côté de la forme du message, visant à faciliter la rapidité de l’échange – dimension horizontale – plutôt qu’à en approfondir la nature et donc la qualité – dimension verticale.

Disons cela plus simplement. La centralité du sujet dans les faits de langue, que nous revendiquons, renvoie nécessairement à la centralité de la parole du sujet dans l’espace privé aussi bien que public : d’où l’idée que l’affinement d’outils d’analyse de la parole du sujet doit forcément aller dans le sens d’une écoute plus attentive de celle-ci et donc, même si indirectement, cet affinement peut participer bien du processus toujours recommencé de la démocratie participative. Si pour nombre d’études en pragmatique cette retombée sociale, civique est complètement absente des intérêts directs ou indirects du chercheur, pour la LDS cette centralité est en revanche l’une des conditions pour le développement social de la communauté, car la conscience linguistique de chacun est pour ainsi dire préalable à la compétence du collectif – la « communauté compétente » (Caldarini 2008) étant la communauté consciente de son histoire, de son identité, de sa langue, des narrations qui ont permis d’atteindre cette identité. Qui plus est, le sujet conscient au point de vue linguistique est en mesure de se dire de manière efficace et donc de défendre ses opinions, sa vision des choses et du monde.

Or, s’il y a dans cette relation entre conscience linguistique du sujet et développement social le fond de la thèse régissant l’ensemble de notre travail, une question s’impose au fil de ce raisonnement : que se passe-t-il lorsque ces conditions de pleines conscience et maîtrise linguistiques ne sont pas présentes dans l’espace de l’interaction, dans les topologies

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relationnelles ? Qu’arrive-t-il au sujet démuni de ces ressources linguistiques, fondamentales pour une efficace, positive inscription dans le maillage social ?

2. La parole du sujet en interaction : atteindre ou manquer la cible

Pour répondre à cette question, revenons un moment à nos schémas concernant l’interaction. Nous avons posé le sujet discursif au cœur de toute production langagière. Ce qui revient à dire que toute production langagière véhicule une trace et est même une sorte de prolongement du sujet discursif lui-même. Ainsi, l’interaction, les topologies relationnelles et les relais de connaissance sont autant de cadres où la parole du sujet produit du sens et circule plus ou moins bien.

L’image de la circulation du sens et la représentation que nous en avons proposée (Fig. 4) nous suggèrent une autre métaphore, celle de la flèche qui atteint (pleinement ou partiellement) ou manque sa cible. La parole du sujet peut en effet saisir le sens interne au sujet lui-même et le véhiculer en suivant soit un parcours direct, linéaire, soit un parcours tordu, flou. Elle peut aussi échouer, manquer la cible.

Or, il est évident que lorsque la parole-flèche atteint sa cible, c’est le sujet discursif tout entier qui a réussi. Son inscription dans les topologies relationnelles est positive : en amont et en aval de toute différenciation / asymétrie de statut social elle lui assure au moins une position d’égalité virtuelle par rapport à son interlocuteur. Mais lorsque la parole-flèche manque en partie ou complètement sa cible, la topologie relationnelle qui enveloppe le sujet devient un cadre parfois pénible, parfois stérile, parfois même angoissant.

Parmi les nombreux parasitages qui peuvent enrayer la communication, détourner la « flèche » de sa trajectoire linéaire, la maîtrise imparfaite de la langue utilisée dans l’interaction est sans doute la cause première de ce genre d’échecs. Cette situation peut être due à plusieurs facteurs : méconnaissance du thème dont il est question dans l’échange, carences expressives même en langue maternelle, blocages psychiques divers etc. Mais le facteur de loin prédominant est vraisemblablement l’impossibilité, voire l’interdiction, pour le sujet discursif, d’utiliser dans l’échange sa langue maternelle, ou plus exactement sa langue première.

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Lorsque le statut de « langue officielle » dans un territoire donné est exclusif, le sujet alloglotte se trouve dans la plupart des cas défavorisé par rapport au natif. Alors que celui-ci « pèse », « sélectionne », « nuance » ses mots et son dire, celui-là normalement les « cherche » à grand-peine et souvent ne les trouve pas. Il y a là une évidence, dont nous faisons tous la preuve lorsque nous séjournons à l’étranger.

Cette difficulté est parfois très grave : lorsque le sujet alloglotte a un problème de santé qu’il n’arrive pas à expliciter de manière efficace à son thérapeute ; ou lorsqu’il doit se défendre ou se pourvoir en justice.

En plus de ce genre de difficultés pratiques, il est indispensable de remarquer que les sujets alloglottes font couramment l’objet de discriminations surnoises ou de représentations stéréotypées – rarement valorisantes, le plus souvent dévalorisantes. Ces représentations sont normalement liées à des accents ou à des prononciations « étrangères », bref à la matière sonore segmentale et suprasegmentale qui prolonge le corps-résonateur du sujet dans les topologies relationnelles. Des enquêtes très « parlantes » ont tâché de mesurer ce rapport entre accent étranger et représentation de l’étranger.

L’espace de l’interaction est donc facilement brouillé par des préalables qui infléchissent la trajectoire de la parole du sujet alloglotte : des déficits expressifs chez celui-ci, des préjugés socio-culturels chez son interlocuteur. On l’a déjà souligné : les conséquences qui s’ensuivent ne sont pas que d’ordre strictement pratique. Elles sont aussi d’ordre psychologique, symbolique et, à terme, même économiques et politiques1.

C’est pour pallier en partie à ce genre de problèmes que les droits linguistiques se sont progressivement constitués en tant que branche des droits de l’homme. Pourtant, l’inscription effective des droits linguistiques dans le grand livre des droits de l’homme ne va pas sans contradictions et entraîne un certain nombre de discussions. Dans ce chapitre nous

1 La branche de l’économie qui va sous le nom d’« économie de la langue » étudie entre autres choses l’impact des politiques linguistiques sur l’économie de pays linguistiquement dominés ou en passe d’adopter dans plus en plus de domaines une langue étrangère dominante censée contribuer à leur développement. Cf. Grin, Phillipson, Gazzola.

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essaierons de les aborder en tant que réponse possible au malaise linguistique (désormais ML) tel que nous venons de l’llustrer. Pour continuer à utiliser la métaphore de la flèche, un droit linguistique serait alors envisageable comme la possibilité de rectifier la trajectoire de la parole du sujet alloglotte, principalement par la reconnaissance formelle de la dignité de sa langue (évidemment à différents niveaux) et par le développement et mise en place d’outils et d’institutions pédagogiques et autres visant l’aménagement d’un environnement plurilingue.

Voyons tout cela de plus près.

3. Le malaise linguistique entre langue et droit

Il est facile de constater jusqu’à quel point langue et droit sont en rapport étroit l’un avec l’autre. Ils peuvent même coïncider. On a pu affirmer une évidence, très chargée de sens : « le droit est langage » (Di Lucia 1994). Cependant, ce rapport peut être lu depuis des points de vue différents :

- D’une part, et de toute évidence, la langue est au service du droit. Pour le meilleur et pour le pire : complexité et plasticité linguistiques2 sont fonctionnelles tantôt à l’obscurité du langage normatif, tantôt à la formulation discrète de normes, concepts, règlements, domaines d’application etc. D’ailleurs, c’est la langue elle-même qui est normée, et ce sont justement les règles ou contraintes grammaticales qui permettent de reconnaître aussi bien un code commun que les éléments d’originalité, d’infraction, subjectivité du discours. C’est dans cette optique que Roland Barthes (1977) put affirmer, non sans provocation, que « la langue est fasciste ». En même temps, le caractère dialectique-évolutif propre à toute langue naturelle, bien

2 Au niveau lexical nous songeons évidemment à la polysémie, et notamment à la

« double appartenance », qui est souvent à l’origine de malentendus (un même praxème peut appartenir à la « langue générale » tout en ayant un sens bien différent dans une langue de spécialité). Plus en général, le discours est complexifié par des phénomènes parfois difficilement mesurables : polyphonie, implicites culturels etc. Dans l’organisation textuelle toute reprise anaphorique est susceptible de générer des ambiguités etc. Pour une analyse approfondie du rapport entre clarté et obscurité dans le langage juridique, cf. Preite 2005.

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souligné par la linguistique praxématique (Lafont 1978, 1990, 1994)3, se reflète dans le caractère également évolutif de l’interprétation juridique, accompagnant (parfois avec bien du retard) la transformation permanente des sociétés qui ne peuvent en aucun cas faire l’économie des normes.

- D’autre part – c’est le cas des droits linguistiques – le droit est au service de la langue. Il régule en effet les emplois linguistiques dans un domaine ou un territoire donnés, au sein d’une communauté ou alors dans un espace plus vaste. Plus en profondeur on distingue : a) un droit à la langue, à savoir un « droit universel fondamental de parler et de comprendre dans la langue de son choix, particulièrement dans les domaines de l’usage non officiel ou privé des langues (culture, communications, travail, commerce et affaires) » (Turi 2012 : 16-17). Il s’agit, culturellement et juridiquement, d’un droit essentiellement individuel ; et

b) un droit à une langue, à savoir le « droit historique de parler et de comprendre une ou plusieurs langues identifiées ou identifiables historiquement dans un territoire politique donné, particulièrement dans les domaines de l’usage officiel des langues » (Ibid.). Il s’agit, culturellement, d’un droit à la fois individuel et collectif, mais du point de vue juridique c’est un droit est essentiellement individuel, notamment pour ce qui est des minorités linguistiques.

Langue qui discipline le droit et droit à la / à une langue sont donc des choses bien différentes. Pourtant, elles se rapprochent jusqu’à devenir de véritables vases communicants pour peu que l’on prenne comme repère commun, central, le sujet, à la fois auteur et cible aussi bien du droit que de la langue, et notamment la qualité de son être au monde en relation avec les autres. La qualité de la vie du sujet est en effet concernée aussi bien par la négation (partielle ou totale) du droit à la / à une langue, que par l’obscurité du langage qui régule et règle la vie de la communauté. Sous leur indéniable différence de surface, à bien y voir ces obstacles réalisent tous deux une forme – évidente ou latente – d’oppression de la part du pouvoir constitué à l’égard d’un sujet fragilisé parce que

3 De praxème, unité de production du sens. Concept idéologiquement et

dynamiquement opposé au signe, pris dans la lecture saussurienne comme union cristallisée, transcendante, de signifiant et de signifié.

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Actualité des racines. Pour une linguistique du développement social

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partiellement privé de l’un des principaux instruments de transformation du monde (Rossi-Landi 1968), le langage, que quelques spécialistes ont pu comparer à un véritable organe de notre corps (Chomsky 1988).

En conditions normales ou optimales, c’est-à-dire lorsque celle que nous appellerons de manière opérationnelle la langue première est également la langue par et dans laquelle le sujet s’est formé intellectuellement et par et dans laquelle il s’exprime « librement », aussi bien dans la sphère intime que dans l’espace public, la souveraineté ou sécurité linguistique met le sujet discursif dans les conditions les meilleures pour intervenir de manière conséquente et consciente dans l’espace social qui l’enveloppe – qui est toujours un tissu relationnel. C’est lorsque cette sécurité n’est plus là, pour des raisons diverses, que nous pouvons parler de malaise linguistique (ML), forme non secondaire du malaise social et, souvent, cause voire synonyme de ce dernier.

En revenant à la schématisation topologique du sujet discursif proposée dans la Fig. 2 (p. 26), le ML concerne tantôt les couches externes, tantôt les couches internes de la personne. Les premières sont linguistiquement sollicitées par et dans l’espace public ; les secondes sont sollicitées par et dans l’espace intime. Au vu de cette perspective sujet-centrique nous pouvons organiser le ML d’après un même cadre de référence, qu’il s’agisse de problème occasionnel ou permanent, d’ordre éminemment psychologique ou plutôt de nature pratique – sachant que lorsque l’on appréhende le sujet en société ces deux aspects ne sont pas tout à fait séparables.

Dans les Tableaux 6 et 7 nous proposons une première taxinomie et échelle (respectivement à basse et moyenne définition) du ML, à partir d’un niveau minimum jusqu’à un niveau maximum de malaise suivant le traitement (pleine reconnaissance, usage normalisé, emploi entravé, stigmatisation, marginalisation, interdiction etc.) auquel la langue Y, langue maternelle ou première du sujet X, est assujettie dans une société Z inscrite dans un cadre politique et territorial donné – société dans laquelle X se trouve à vivre. En effet, en amont et en aval d’analyses qualitativement et quantitativement significatives, nous n’ambitionnons guère à saisir le sujet pulsionnel : X est plutôt ici un « acteur social » (Chabrol 1994 : 92) dont nous pouvons juste supposer qu’il souffre quelque part d’une forme de ML en raison de l’emplacement

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sociolinguistique de sa propre langue première. Hypothèse toujours discutable : un sujet dont la langue première serait considérée de manière diffuse comme un patois pourra par exemple être blessé par cette représentation réductrice, ou alors amusé, fier ou même indifférent : c’est le contexte idéologique et culturel – en plus évidemment de sa personnalité irréductible etc. – qui décide de son lien à la langue et de sa réaction.

ML

0.0

Emploi normal de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Emploi « normal » dans tous les domaines d’usage et dans toutes les topologies relationnelles.

ML

1.0

Emploi non linéaire de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, X utilise parfois Y avec quelque difficulté, suivant les domaines d’usage, les cadres relationnels et les respectifs langages sectoriels.

ML

2.0

Emploi diminué de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, au sein du répertoire de Z, Y a un statut qui est de manière diffuse diminué du fait de la comprésence de langues-cultures hégémoniques de plus grand prestige.

ML

3.0

Emploi incomplet de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, Y perd des domaines d’usage. La langue officielle, dans des contextes précis, n’est plus la langue nationale, mais une langue de prestige distante.

ML

4.0

Emploi subalterne de Y

X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle et langue nationale (en Z ou hors de Z) mais non comme langue officielle en Z.

ML

5.0

Emploi stigmatisé de Y

X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle, mais ni pour langue officielle ni pour langue nationale en Z. Y est fortement identificatrice, en positif et surtout en négatif aux yeux de la doxa.

ML

6.0

Emploi interdit et refoulé de Y

Y a un statut négatif en Z et est même considérée comme nuisible au sein de Z. Son interdiction s’accompagne de l’effacement de la mémoire historique, toutes les deux étant affichées par le pouvoir central comme nécessaires pour atteindre ou sauvegarder l’unité nationale et le progrès collectif.

ML

7.0

Élimination de X et de Y

L’élimination de la langue non officielle (Y) s’accompagne de l’élimination physique de la respective communauté linguistique.

Tableau 6 – Échelle du malaise linguistique (basse définition)

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Actualité des racines. Pour une linguistique du développement social

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± Catégorie Descripteur

ML

0.0

Emploi normal de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z.

Emploi « normal » dans tous les domaines d’usage et dans toutes les topologies relationnelles.

ML

0.A

Emploi normal de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Sa compétence linguistique présente quelques carences que l’interaction dans l’espace public met en évidence.

Légère sanction sociale de la faute linguistique.

ML

0.B

Emploi normal de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Sa compétence linguistique présente quelques carences que l’interaction dans l’espace professionnel met en évidence.

Légère sanction sociale et professionnelle de la faute linguistique.

ML 0.C

Emploi normal de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. À cause d’une circulation restreinte de X au sein du tissu social, sa compétence linguistique présente quelques carences au niveau de l’interaction dans les topologies relationnelles internes (sphère de la connivence, de la relation de proximité).

Maladresse dans la gestion de la variation, surtout lorsque l’emploi dialectal détermine l’inclusion dans une communauté restreinte; décalage linguistique intergénérationnel.

ML

0.D

Emploi normal de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. À cause d’une circulation restreinte de X au sein du tissu social et de sa non complète formation intellectuelle et émotionnelle, la compétence linguistique de X présente quelques carences surtout au niveau de l’expression de la subjectivité profonde.

Occultation du moi émotionnel par l’emprunt de formules littéraires (populaires ou cultes) en Y ou en langue étrangère lors de la production de messages “amoureux” (c’est-à-dire relevant des topologies relationnelles les plus intimes) ; anonymat dans les forums de discussion sur l’internet etc.

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ML

1.0

Emploi non linéaire de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, X utilise parfois Y avec quelque difficulté, suivant les domaines d’usage, les cadres relationnels et les respectifs langages sectoriels.

ML

1.A

Emploi non linéaire de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, même à cause de formes hyperspécialisées ou ésotériques souvent injustifiées et par un excessif formalisme bureaucratique omnipervasif, X se rapporte à Y de façon non linéaire et parfois avec difficulté, suivant les topologies relationnelles et les respectifs langages sectoriels. Ces derniers ont tendance à créer des sphères de Z peu perméables à X : le langage devient un instrument contraire aux intérêts de X, crée des divisions sociales et de pouvoir en Z, normalement entre pouvoirs impersonnels et X dans l’espace public.

Caractère cryptique de relevés bancaires, de factures, de contrats de tout genre souvent longs de dizaines de pages, lois tellement articulées au point de devenir inintelligibles etc.

ML

1.B

Emploi non linéaire de Y

X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, même à cause de formes hyperspécialisées ou ésotériques souvent injustifiées et par un excessif formalisme bureaucratique omnipervasif, X se rapporte à Y de façon non linéaire et parfois avec beaucoup de difficulté, au point d’être endommagé par l’obscurité des normes réglant la vie en Z.

En plus du caractère cryptique et des sophismes de bien des documents principalement de type administratif, il faut également prendre en compte l’asymétrie ainsi que la distance topologique, physique entre les interactants (call center, boîtes postales etc.) qui entravent encore davantage la communication en Z.

ML

2.0

Emploi diminué de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, au sein du répertoire de Z, Y a un statut qui est de manière diffuse diminué du fait de la comprésence de langues-cultures hégémoniques de plus grand prestige.

ML

2.A

Emploi diminué de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, au sein du répertoire de Z, Y a un statut qui est

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de manière diffuse diminué du fait de la comprésence de langues-cultures hégémoniques de plus grand prestige introduisant de nombreux emprunts dans Y, notamment dans des contextes directement ou indirectement ouverts aux relations avec des pays étrangers.

Ébauche d’un processus peu évident de perte de productivité de sens de quelques praxèmes en Y. Ébauche d’un processus de survalorisation, chez X, de modèles culturels étrangers.

ML

2.B

Emploi diminué de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, au sein du répertoire de Z, Y a un statut assez diminué du fait du statut de plus grand prestige de langues-cultures hégémoniques qui introduisent non seulement des emprunts en Z, mais également des représentations culturelles tout entières que la doxa estime juge « supérieures » par rapport à l’auto-représentation de la communauté locale.

Ébauche d’un processus assez évident de perte de productivité de sens de quelques praxèmes en Y. Ébauche d’un processus de survalorisation, chez X, de modèles culturels étrangers et adhésion conformiste de X à quelques tópoi linguistiques et culturels au niveau de la sphère publique (par exemple : caractère inéluctable du choix/de l’institutionnalisation de telle langue étrangère de grande communication dans les parcours scolaire et universitaire etc.)

ML

2.C

Emploi diminué de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, au sein du répertoire de Z, Y a un statut assez diminué du fait du statut de plus grand prestige de langues-cultures hégémoniques qui introduisent non seulement de nombreux emprunts en Z, mais également des représentations culturelles et idéologiques, reliées à des pouvoirs économiques et politiques, que de manière diffuse la doxa juge « supérieures » par rapport à l’auto-représentation de la communauté locale.

Ébauche d’un processus plutôt évident de perte de productivité de sens d’un corpus non négligeable de praxèmes en Y et de remplacement de ceux-ci par des praxèmes étrangers. Ébauche d’un processus de survalorisation, chez X, de modèles culturels étrangers et adhésion conformiste de X à quelques tópoi linguistiques et culturels au niveau de la sphère publique, professionnelle et même au sein des discours dans la sphère amicale/familiale. La pression des hégémonies externes engendre aussi une

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discrimination entre fonction instrumentale d’une part et fonction affective d’autre part des différentes langues, y compris Y. Les stéréotypes du genre “cette langue ne sert à rien”, “sans la connaissance de cette langue on ne va nulle part” etc. habitent la doxa. On peut sans doute parler d’une ébauche de complexe diglossique chez X.

ML

2.D

Emploi diminué de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, au sein du répertoire de Z, Y a un statut assez diminué du fait du statut de plus grand prestige de langues-cultures hégémoniques qui introduisent non seulement de nombreux emprunts en Z, mais également des représentations culturelles et idéologiques, reliées à des pouvoirs économiques et politiques, que de manière diffuse la doxa juge « supérieures » par rapport à l’auto-représentation de la communauté locale jusqu’à se constituer en de véritables modèles substitutifs.

Ébauche d’un processus plutôt évident de perte de productivité de sens d’un corpus non négligeable de praxèmes en Y et de remplacement de ceux-ci par des praxèmes étrangers. Accentuation d’un processus de survalorisation, chez X, de modèles culturels étrangers et adhésion conformiste de X à quelques tópoi linguistiques et culturels au niveau non seulement de la sphère publique, professionnelle et amicale/familiale mais également au niveau des sphères les plus intimes (par exemple: des parents qui donnent à leurs enfants des prénoms étrangers pour imiter des modèles que l’on estime davantage prestigieux, souvent puisés dans le monde du spectacle et des médias de masse).

ML

3.0

Emploi incomplet de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, la langue officielle, dans certains domaines, n’est pas la langue nationale, mais une langue de prestige externe et parfois distante – et donc séparative dans le cadre de Z.

ML

3.A

Emploi incomplet de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, la langue officielle, dans certains domaines, n’est pas la langue nationale, mais une langue de prestige distante dans le temps et l’espace.

Par exemple, l’emploi du grec et du latin de la part des médecins encore au XVIIIe siècle pour narcissisme ou alors pour se rendre incompréhensibles et donc inaccessibles aux patients; des systèmes de camouflage verbal fonctionnant

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Actualité des racines. Pour une linguistique du développement social

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dans la prose médicale italienne encore à la fin du XIXe siècle. La graphie cryptique de l’ordonnance médicale olographe est devenue un stéréotype qui a son bien-fondé (“ha una scrittura da medico”) qui relève d’une séparation et d’une soumission du patient au thérapeute.

ML

3.B

Emploi incomplet de Y X a Y pour langue maternelle, langue de formation intellectuelle et langue nationale et officielle en Z. Cependant, la langue officielle, dans certains domaines, n’est pas la langue nationale, mais une langue de prestige étrangère, hégémonique par rapport à Y.

Obligation pour les employés de grandes entreprises de communiquer entre eux (courriels) en anglais et non en Y.

ML

4.0

Emploi subalterne de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle et langue nationale (en Z et/ou hors Z) et comme langue officielle seulement hors Z.

ML

4.A

Emploi subalterne de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle et langue nationale (en Z et éventuellement aussi hors Z) et comme langue officielle seulement hors Z, si ce n’est pour une précise détermination historique territoriale (régime de co-officialité en des territoires bien circonscrits).

ML

4.B

Emploi subalterne de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle et langue nationale (mais seulement hors Z) et comme langue officielle seulement hors Z. Y n’est donc pas langue officielle en Z si ce n’est pour une précise détermination historique territoriale (régime de co-officialité en des territoires bien circonscrits).

ML

4.C

Emploi subalterne de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle et langue nationale (mais seulement hors Z) et comme langue officielle seulement hors Z.

S’il s’agit d’une langue “historique”, à savoir d’ancienne implantation en Z, Y peut faire l’objet de politiques de protection et éventuellement de promotion.

ML

4.D

Emploi subalterne de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle et langue nationale (seulement hors Z), mais en aucun cas comme langue officielle (ni en Z, ni hors Z).

S’il s’agit d’une langue “historique”, à savoir d’ancienne implantation en Z, Y peut faire l’objet de politiques de

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protection et éventuellement de promotion.

ML

5.0

Emploi stigmatisé de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle, mais Y n’est ni langue officielle ni langue nationale ni en Z ni hors Z.

ML

5.A

Emploi stigmatisé de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle, mais Y n’est ni langue officielle ni langue nationale ni en Z ni hors Z. Y possède un statut de langue locale, régionale ou minoritaire.

ML

5.B

Emploi stigmatisé de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle, mais Y n’est ni langue officielle ni langue nationale ni en Z ni hors Z. Y possède un statut de dialecte de la langue nationale/officielle.

ML

5.C

Emploi stigmatisé de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle, mais Y n’est ni langue officielle ni langue nationale ni en Z ni hors Z. Y possède un statut de patois.

ML

5.D

Emploi stigmatisé de Y X a Y pour langue maternelle, éventuellement pour langue de formation intellectuelle, mais Y n’est ni langue officielle ni langue nationale ni en Z ni hors Z. Y est un idiome considéré, à tort ou à raison, “non territorial”.

ML

6.0

Emploi interdit et refoulé de Y

Y a un statut négatif en Z et est même considérée comme nuisible pour Z. Son élimination s’accompagne de l’effacement de la mémoire historique, élimination et effacement censés être nécessaires pour favoriser l’unité nationale et le progrès collectif.

ML

6.A

Emploi interdit et refoulé de Y

Y a un statut négatif en Z et est même considérée comme nuisible pour Z. Son élimination s’accompagne de l’effacement de la mémoire historique, élimination et effacement censés être nécessaires pour favoriser l’unité nationale et le progrès collectif.

Des actions répressives menées dans la sphère publique (par exemple, remplacement des toponymes en Y par d’autres en langue officielle, interdiction de Y à l’école, exclusion de Y des tribunaux etc.)

ML

6.B

Emploi interdit et refoulé de Y

Y a un statut négatif en Z et est même considérée comme nuisible pour Z. Son élimination s’accompagne de l’effacement de la mémoire historique, élimination et effacement censés être nécessaires pour favoriser l’unité nationale et le progrès collectif.

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Actualité des racines. Pour une linguistique du développement social

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Des actions répressives menées dans la sphère publique et privée (par exemple, remplacement pendant le Fascisme des plaques commémoratives écrites en Y par d’autres en langue officielle dans les cimetières – lieu par excellence d’intersection de l’espace public et de l’espace intime)

ML

6.C

Emploi interdit et refoulé de Y

Y a un statut négatif en Z, elle est considérée comme nuisible pour Z et est même perçue comme une entrave à l’intégration de X en Z. Son élimination s’accompagne de l’effacement de la mémoire historique, élimination et effacement censés être nécessaires pour favoriser l’unité nationale et le progrès collectif.

Des actions répressives menées dans la sphère familiale (par exemple, interdiction pour les parents de parler en Y aux enfants à la maison, comme proposé dans la première version du Rapport Bénisti de 2004).

ML

6.D

Emploi interdit et refoulé de Y

Y a un statut négatif en Z, elle est considérée comme nuisible pour Z et est même perçue comme une entrave à l’intégration de X en Z. Son élimination s’accompagne de l’effacement de la mémoire historique, élimination et effacement censés être nécessaires pour favoriser l’unité nationale et le progrès collectif.

Des actions répressives menées directement contre X et marquées par une forte portée symbolique (par exemple, les élèves humiliés par le signal dans l’école républicaine française, les instituteurs italophones crachant dans la bouche de leurs élèves slovénophones pendant la période fasciste etc.).

ML

7.0

Élimination de X et de Y L’élimination de la langue non officielle (Y) s’accompagne de la ségrégation de X et, en quelques cas extrêmes, de l’élimination physique de la communauté linguistique de X.

Des projets de déportations massives de sujets alloglottes en France pendant la Terreur (Proposition du 25 novembre 1793).

Tableau 7, Échelle du malaise linguistique (moyenne définition)

4. Droits linguistiques et droits de l’homme: le modèle européen

Ayant placé au cœur de notre réflexion le ML, nous avons pu ramener n’importe quelle articulation du rapport entre langue et droit au principe unificateur de la qualité de la vie du sujet social. La centralité de ce dernier est indispensable pour aborder le thème des droits linguistiques dans une

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perspective interdisciplinare, en le reliant par exemple à d’autres questionnements majeurs : la protection de l’environnement et de la biodiversité, la conservation des patrimoines matériels et immatériels, la pédagogie culturelle et interculturelle, les formes de durabilité du développement local (Agresti G., D’Angelo M., 2010). Mais, de toute évidence, la centralité du sujet est également indispensable pour inscrire les droits linguistiques dans le cadre du débat sur les droits de l’homme.

Cette démarche sujet-centrique nous paraît raisonnable et féconde aussi en ce qu’elle se doit de contrer, voire de renverser une tendance bien diffuse, enracinée, à hypostatiser les langues et à en cristalliser par là les statuts éventuels : tantôt pensées et représentées comme « hautes », « fortes », « dignes », « nobles », « musicales », « illustres », « hégémoniques », « en agonie » etc., tantôt classées sous différentes rubriques dont la scientificité et donc la légitimité restent en tout cas bien douteuses : « dialectes », « patois », « langues vernaculaires », « langues de l’avenir » etc. comme si de telles représentations étaient en quelque sorte transcendantes et non dépendant de l’angle visuel mobile du sujet dans l’histoire. Le pouvoir constitué (et parfois la science à sa suite) a pendant longtemps marginalisé voire ignoré « l’être de langage » en classant les langues sur la base de propriétés intrinsèques présumées, séparées de la donne historique-anthropologique, et en soudant souvent ces mêmes langues à la destinée de peuples mythifiés, hypostatisés à leur tour.

Ainsi, la suprématie politique, militaire ou économique de telle ou telle nation ou civilisation s’est accompagnée assez systématiquement d’une narration à la fois idéologique et mythologique concernant la langue d’usage officiel. La recherche de l’origine des indoeuropéens a pu être reliée et confondue avec la bien connue théorie de la « race ariane » (Villar 1991); le français a pu être proclamé comme « langue universelle » parce que reflétant fidèlement la genèse des idées dans la théorie de l’ordre naturel (Hagège 1989)4; l’italien a pu être déclaré la « langue de Dieu » et la « langue de Rome » comme étant la langue du progrès des civilisations dans le discours fasciste etc. À ces exemples nous pouvons sans doute ajouter le cas du globish, l’anglais simplifié et tendanciellement

4 On lira tout particulièrement le chapitre, éclairant, «Ordre des mots et ordre du

monde».

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monosyllabique / isolant au service de la stratégie économique globale, coïncidant en grande mesure avec l’économie financière, où le processus d’hypostatisation n’a plus pour cible un peuple mais le marché. Ce processus se rend bien visible dans nos discours : « ce sont les marchés qui le veulent », « il faut rassurer le marché » etc.

Malgré cet héritage encombrant, qui à l’exception du globish peut se résumer dans la formule bien connue et redoutée « une langue – une nation – un État », le sujet de langue a été de plus en plus placé au cœur du modèle qui, à partir du second après-guerre, s’est progressivement affirmé en Europe, par-dessus les différences parfois importantes d’un État à l’autre pour ce qui est de la gestion interne de la diversité linguistique. Après un parcours conjoint qui a abouti à la Résolution Arfè (1981)5, le modèle européen des droits linguistiques a développé une double articulation : 1) une dimension « patrimonialiste », à savoir visant à protéger et éventuellement à promouvoir les patrimoines linguistiques et culturels minoritaires, qui risquent de se dissoudre, de se pulvériser et de disparaître ; 2) une dimension « droit-de-l’hommiste », davantage orientée vers la défense des communautés minoritaires, donc relevant directement de la défense des droits de l’homme.

Ces deux articulations, qui évidemment ne sont jamais tout à fait séparables (une langue n’est vivante qu’à condition que la communauté qui l’emploie soit encouragée à l’utiliser, via, aussi, une reconnaissance juridique) aboutissent à deux documents majeurs, adoptés dans les années 90 du XXe siècle par le Conseil de l’Europe : a) la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995, désormais CCML) et b) la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992, désormais CELRM). Ces traités, comme les intitulés mêmes le suggèrent, ventilent respectivement la protection des groupes humains minoritaires et celle des patrimoines linguistiques.

L’espace nous manque ici pour analyser dans les détails ces traités6. Nous nous bornerons à souligner quatre aspects nous permettant de préciser le

5 Il s’agit de la Risoluzione del Parlamento europeo su una carta comunitaria (delle lingue e

culture regionali e una Carta dei diritti delle minoranze etniche) présentée par l’eurodéputé Gaetano Arfè et adoptée par le Parlement européen le 16 octobre 1981.

6 Cf. De Varennes 2007.

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positionnement de ces textes dans le cadre de notre réflexion sur le malaise linguistique.

1) Le fort ancrage territorial des minorités protégées. Aussi bien la CCML que la CELRM limitent leur champ d’application au territoire d’ancienne ou tradutionnelle implantation des différents groupes minoritaires. Sont donc exclues les minorités et les langues à tort ou à raison considérées « non territoriales ». Dans cette perspective, le ML, comme par exemple celui des migrants, n’est guère abordé par ces traités, qui excluent les situations de malaise au profit des contextes géographiques.

2) Par ailleurs, nous remarquons un évident programme de réparation historique des torts subis par les groupes minoritaires au cours notamment du XXe siècle, programme assorti de l’affirmation de la non-discrimination du sujet sur la base de critères ethniques et linguistiques.

3) La haute souplesse de la mise en œuvre. Celle-ci concerne en premier lieu chaque État membre, à qui il revient d’abord de définir – et donc de reconnaître – les groupes ou les langues minoritaires présents sur son propre territoire. Qui plus est, chaque État membre conserve une pleine autonomie pour ce qui est de la réglementation et de la gestion interne des différentes formes de protection aussi bien des minorités nationales que des langues régionales, locales ou minoritaires (jusqu’à l’idée d’un traité à la carte, ratifiable de manière «personnalisée» comme dans le cas de la CELRM). En second lieu, la souplesse concerne également le membre de la communauté minoritaire, qui peut s’auto-déterminer, en choisissant par exemple d’être considéré ou non comme sujet minoritaire (art. 3 de la CCML).

4) Le faible pouvoir contraignant de la ratification. Une fois signés, les traités doivent être ratifiés pour pouvoir entrer en vigueur. Or, à compter de leur ratification est institué un calendrier pour chaque État signataire, qui s’engage à rédiger des rapports périodiques faisant l’état de leur application ou alors à permettre à un comité d’experts du Conseil de l’Europe d’effectuer ce monitorage. Ce qui nous intéresse sur ce point, c’est qu’en cas d’engagements non tenus de la part du pays signataire, il n’est guère possible d’aller au-delà de recommandations ou de sollicitations formelles, dont l’efficacité est toujours fort douteuse.

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À partir de ces quatre points, il est possible de tracer un profil ambivalent du modèle européen des droits linguistiques, notamment pour ce qui est de la question du ML. Profil que nous pouvons synthétiser à l’aide du Tableau 8, où nous avons mis en évidence les éléments prenant ou ne prenant pas en compte la question malaise vs sécurité linguistique des locuteurs de langue minoritaire:

Tableau 8, La prise en compte du malaise linguistique dans le modèle européen des droits linguistiques (CELRM et CCML)

– Exclusion du sujet + Inclusion du sujet

Ancrage territorial des minorités

Manque de prise en compte des nouvelles minorités, des minorités non-territoriales, du ML des migrants

Dimension topologique des communautés minoritaires, prise en compte de leur inscription territoriale, lien avec leur dimension sociale, environnementale

Programme de réparation historique

Non-discrimination du sujet sur la base de critères ethniques et linguistiques, réparation des torts historiques subis par les sujets et les communautés

Haute souplesse de la mise en œuvre

Reconnaissance de l’identité multiple du sujet, chance d’auto-détermination individuelle et collective

Faible pouvoir contraignant

Efficacité discutable des engagements pris

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5. À l’âge de la crise globale: entre délégitimation du droit à la parole et valorisation du plurilinguisme

Au bout de notre chemin il est légitime de se demander quel est, aujourd’hui et en Europe, l’état de santé des droits linguistiques. La réponse n’est nullement facile, d’une part à cause de la complexité des réalités sociales et territoriales impliquées, de l’autre en raison de la difficulté de mesurer la distance entre principes de jure et applications de facto. Ce qui est sûr, c’est que le tableau est en clair-obscur. Nous soulignons en désordre: le faible caractère contraignant des deux traités et les doutes qui s’ensuivent quant à l’efficacité de leur mise en œuvre; le caractère souvent arbitraire des choix en matière de politique linguistique de la part des États signataires; la difficulté croissante à obtenir des financements européens pour des projets de défense et valorisation des langues minoritaires7; l’affaiblissement économique de l’organisme de coordination des minorités linguistiques, le NPLD8; l’absence assourdissante, dans le domaine du vaste et important réseau de l’Anna Lindh Foundation9, visant la coopération et le dialogue interculturel dans l’espace euroméditerranéen, d’un débat sur la diversité linguistique; un discours dominant qui réduit de manière diffuse la culture à un luxe (discours synthétisé par la formule stéréotype «la culture, ça se mange pas») et la culture “mineure” à un passe-temps substantiellement inutile – et notamment à l’âge de la crise globale; une opinion publique largement majoritaire ignorant les minorités linguistiques, ou alors les réduisant à un objet oléographique ou encore les caricaturant tantôt comme «sympathiques», tantôt comme «dangereuses»; une doxa qui s’enferme dans et par des idées reçues sur le progrès technologique qui serait inéluctablement lié à l’économie du libre marché ne parlant qu’anglais ou alor le chinois mandarin; une interprétation négative de la diversité linguistique, vue comme barrière contraire à la communication et par là au développement, vision qui est bien synthétisée par l’acception négative

7 Il n’existe plus, en effet, de ligne budgétaire de la Commission européenne

spécialement réservée à ces contextes minoritaires. 8 Le Network to Promote Linguistic Diversity, organe de coordination d’un rosea

européen de minorités dont le chef de file est le Welsh Language Board, n’est plus financé par la Commission européenne mais doit substantiellement s’auto-financer moyennant la contribution des membres inscrits. www.npld.eu

9 www.euromedalex.org

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de l’adjectif «babélique» etc. Ces éléments, et bien d’autres encore, qui de toute évidence relèvent tous d’un même circuit intégré (les représentations diffuse des langues minoritaires ne peuvent qu’infléchir, directement ou indirectement, les lois et les actions politico-institutionnelles qui en gèrent l’emploi etc.) devraient vraisemblablement nous amener à la conclusion que l’actuelle n’est certainement pas une saison favorable aux langues régionales ou minoritaires en particulier et à la diversité linguistique en général. Nous pouvons affirmer que, par rapport à un discours positif, édifiant, qui reconnaît dans la diversité une richesse, concrètement ce message s’avère plutôt une caution idéologique pour, de facto, délégitimer le droit à la différence et la démocratie linguistique.

D’où la nécessité d’une implication forte d’acteurs internes et externes aux minorités pour chercher à proposer de nouvelles visions du problème, en l’occurrence moyennant le renversement ou la mise en question radicale d’idées qui, pour être continuellement répétées et pratiquées, ont fini par paraître indiscutables auprès de l’opinion publique. Parmi celles-ci, nous évoquons ici celle que Fernand de Varennes a appelé «le mythe de l’exclusivité de la langue officielle»:

Ce point de vue prend pour acquis que toute politique de langue officielle est exclue de l’application du droit international, parce que cela fait partie de la souveraineté de tout État de choisir une seule langue officielle, mais aussi une seule langue officielle à l’exclusion de toute autre, y compris dans l’enseignement public. (de Varennes F., 2012: 38)

En dernier ressort, si l’idée que les droits linguistiques sont une partie, un chapitre pour ainsi dire (et non des moindres) du grand livre des droits de l’homme, la réalité nous force à constater que les droits linguistiques sont de facto trop souvent des droits de l’homme de second ordre. Malgré ce, il nous échoit de remarquer également plusieurs signes positifs: la reprise de la discussion autour de la ratification de la CELRM de la part de l’Italie, suivie quelques jours plus tard (le 14 mars 2012) de l’approbation de la loi régionale de la Région des Pouilles sur les minorités linguistiques, depuis trop longtemps en suspens. Au cours de cette année, parmi les différents rendez-vous de niveau International en matière de droits linguistiques au moins deux aborderont plus précisément les principales questions ici discutées: les Sixièmes Journées

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des Droits Linguistiques (Les migrations: entre malaise linguistique et patrimoines culturels, organisées entre les Abruzzes et l’Albanie (6-8 novembre 2012 et 5-9 juin 2013)10 ainsi que la XIIIe conférence de l’Académie Internationale de Droit Linguistique (Language Rights, Inclusion and the Prevention of Ethnic Conflicts, organisée à Chiang Mai en Thailande du 13 au 17 décembre)11. Il faut également rappeler au moins deux importants rendez-vous sur le plurilinguismo: les Troisièmes Assises Européennes du plurilinguisme (Lingue senza frontiere: il plurilinguismo, organisées par l’Observatoire Européen du Plurilinguisme à Rome, du 10 au 12 octobre)12 et le XLVIe Congrès International de la Società di Linguistica Italiana (Plurilinguismo/Sintassi, organisé à Siennne par la SLI du 27 au 29 septembre)13. Courant 2012 s’est conclu un extraordinaire colloque itinérant, sans précédents, organisé par l’association de francisants DORIF et visant le rapport entre Plurilinguisme et monde du travail14. Pour terminer, nous souhaitons rappeler la grande manifestation Anem òc! Per la lenga occitana, qui le 31 mars 2012 a salué sa quatrième édition par la participation pacifique, à Toulouse, de plus de 30.000 personnes en défense de la langue occitane et des langues de France. Manifestation qui a impliqué également les militants de l’altermondialisme écologiste et qui a pour la première fois eu une importante couverture médiatique, grâce aussi à la présence dans le défilé du Président du Sénat, du fait que cette manifestation s’est tenue à la veille des élections présidentielles et que d’autres manifestations analogues se sont déroulées dans toutes les régions de France caractérisées par l’existence de langues ancestrales (Corse, Bretagne, Alsace, Catalogne française, Pays Basque français etc.).

Tous ces signes positifs, favorables à la diversité linguistique et au plurilinguisme dans l’économie d’un discours prônant la qualité de la vie et le développement durable, la valorisation du paysage et des biens intangibles, la récupération de la mémoire dans une perspective d’une plus importante cohésion sociale et intergénérationnelle, nous poussent à

10 www.associazionelemitalia.org/le-nostre-azioni/giornate-dei-diritti-linguistici/gdl-

2012.html 11 www.iall-aidl.org 12 www.observatoireplurilinguisme.eu 13 http://sli2012.unistrasi.it/ 14 www.dorif.it

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émettre l’hypothèse que c’est justement à l’âge de la crise globale que l’échec de l’économie de marché fondée sur la spéculation financière et sur la croissance ad libitum des consommations a provoqué des réponses foncièrement humanistes. En effet, pour se vouloir globale, l’économie n’a pas su se passer de l’élimination des soi-disant «barrières linguistiques»: avec, pour résultat, la «libération» du marché et la contextuelle crise de la liberté et de la sécurité économique du sujet, dont les droits (nous songeons notamment aux droits des travailleurs) se sont d’une manière générale affaiblis un peu partout en Europe. Par rapport à ces dérives d’aliénation, les communautés (re)découvrent le caractère «matériel» des biens relationnels, le statut des «langues identitaires» (Minardi), le rôle que pourrait avoir la diversité linguistico-culturelle en tant que véritable «berge» et limite aux perversions de la mondialisation ainsi que celui des économie set des rapports de proximité pour contrecarrer le croissant malaise social. La destinée des langues minoritaires, comme d’ailleurs l’histoire, reste une dialectique ouverte.

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