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UNITE DE FORMATION APPROFONDISSEMENT PRH Marie-Claire FAURE Née ALIBERT Animatrice en gériatrie Centre Hospitalier G Claudinon 42500 Le Chambon Feugerolles « La mort à vivre » Paradoxe de l'animateur auprès des personnes âgées ARFATSEMA Association Régionale pour la Formation au Travail Socio-Éducatif et aux Métiers de l’Animation 90 cours Tolstoï 69100 VILLEURBANNE Tel : 04 78 03 17 11 Juin – Décembre 2007

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UNITE DE FORMATION APPROFONDISSEMENT PRH Marie-Claire FAURE Née ALIBERT Animatrice en gériatrie Centre Hospitalier G Claudinon 42500 Le Chambon Feugerolles

« La mort à vivre » Paradoxe de l'animateur auprès des personnes âgées

ARFATSEMA Association Régionale pour la Formation au Travail Socio-Éducatif et aux Métiers de l’Animation 90 cours Tolstoï 69100 VILLEURBANNE Tel : 04 78 03 17 11 Juin – Décembre 2007

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SOMMAIRE P.2 PREAMBULE P.3 INTRODUCTION P.4

1ère PARTIE

I. HISTOIRE INSTITUTIONNELLE P.6

1) L'institution dans laquelle je travaille 2) Son histoire 3) Histoire des institutions

II. PERSONNE AGEE ET ANIMATION P.9

1) La personne âgée 2) Fonctionnement de l'animation

a) Ma fonction b) L'animation

3) Histoire de l'animation a) Définition b) Naissance de l'animation c) L'animation dans les établissements pour personnes âgées

2ème PARTIE

I. LA PROBLEMATIQUE P.14

1) Les questionnements à l'origine de ma problématique 2) La problématique qui en découle 3) Notion de paradoxe

a) Définitions b) Concept en psychologie c) Le paradoxe et l'école des systémiciens d) Gestion de ce paradoxe

II. EXPERIENCES DE VIE P.17

1) Du côté des personnes âgées 2) Du côté des professionnels

III. QUELS SENS DONNER A LA PROBLEMATIQUE P.20

1) Origine, formation et étymologie de l'animation 2) Pulsion de mort, pulsion de vie

CONCLUSION P.26 BIBLIOGRAPHIE P.28

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PREAMBULE Ce vendredi de novembre, nous apprenons que Mr Martin n'est plus. Mr Martin nous a quitté en cette belle matinée d'automne. Il était un des piliers de la participation à l'animation. Il était un fabuleux conteur de poèmes, de blagues, un pigeon voyageur qui partageait souvent avec nous son amour de la France et de ses belles régions. Il était aussi devenu le compagnon de Mme Grand depuis un an environ. Ils ont partagé leurs jours et leurs nuits. Ils se promenaient aussi souvent que possible dans le parc, elle poussant le fauteuil duquel il était maintenant tributaire. Elle était ses jambes perdues, et lui sa sérénité retrouvée. Mme Grand est atteinte de la maladie d'Alzheimer et est fréquemment assaillie par l'angoisse. Maintenant, elle le pleure, elle a perdu son second compagnon et se raccroche à nous pour rester dans le souvenir de ce qu'ils avaient encore à vivre.

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INTRODUCTION Il y a maintenant un peu plus de 23 ans, je commençais ma pratique d'infirmière. Pendant une quinzaine d'années, les choses sont allées plutôt bien. J'ai essentiellement travaillé auprès du public âgé. Par choix, j'y suis revenue à chaque fois après une incartade de quelques mois en libéral ou en cancérologie.

Et puis la pratique a énormément évolué, la technique s'est faite de plus en plus pointue et surtout ce que j'appellerai "la paperasse" nous a envahi peu à peu.

Toutes les fois que ça a été possible, j'ai participé à des réflexions sur la communication et les relations humaines. La prolifération des soins, le manque de personnel en gériatrie, nous a fait réduire ce temps de présence informel auprès du patient. Nous manquions de temps pour l'accompagnement de ces personnes très en demande de présence. J'avais par exemple le sentiment de passer beaucoup trop de temps à la distribution des trop nombreux médicaments qui auraient pu être pour certains du moins, remplacés par un peu plus d'écoute et de paroles. J'étais également déléguée du personnel et je recevais beaucoup de doléances de la part de soignants. Je me suis investie avec beaucoup de force dans l'amélioration des conditions de travail, et dans la reconnaissance de la pénibilité de notre exercice. Malheureusement, je n'ai pu, ni n'ai su me protéger des retombées et bientôt je n'ai plus été en état de contenir le stress induit par cette situation. Au bout d'une quinzaine d'années d'exercice, une lassitude, un sentiment de mal faire mon travail s'est installé lentement. Je suis entrée dans une dépression sournoise que je n'ai d'abord pas voulu reconnaître. A force de refuser l'inéluctable, je suis arrivée au "burn out" ou épuisement professionnel. Quand j'ai enfin réussi à surmonter cette épreuve, j'ai pris la décision de changer d'orientation professionnelle. Il m'a fallu 5 longues années pour trouver ma voie. Je suis passée par différentes phases. J'avais un bon contact avec l'animatrice de notre établissement et nous échangions souvent au sujet des patients et de leur intérêt pour l'animation. Un jour, elle m'apprend qu'elle va partir à la retraite. Les choses mûrissent en moi, et je prends l'envie de présenter à ma hiérarchie un projet d'animation envers les personnes atteintes de démence. Il est accepté et la formation pour le DEFA avec. Je dois juste me débrouiller pour trouver le centre de formation, ce qui a été plutôt compliqué. En effet, j'ai mis quelques temps à trouver le diplôme qu'il fallait que je valide afin de pouvoir assumer ce poste. L'animation avait beau être ancienne dans l'établissement, elle était assumée par un Agent des Services Hospitaliers. La qualification des animateurs DEFA en milieu hospitalier, est récente, tout au moins pour les petites structures. En acceptant ma demande de formation, l'établissement permettra la reconnaissance de l'animation.

Nous voilà donc en juin 2003, date à laquelle j'ai réussi les sélections d'entrée à l'ARFATSEMA. Je prends mon nouveau poste d'animatrice en janvier 2004, en même temps que je commence la formation.

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Avec ce recul de bientôt 3 ans, je peux analyser mon évolution comme étant celle de quelqu'un qui en avait assez de ne soigner que le corps, en n'ayant pas les moyens de s'occuper de "l'esprit". Cependant, en exerçant le métier d'animatrice auprès de ce public à la dernière étape de sa vie, j'ai été confrontée à un double paradoxe. ! Comment être animateur auprès de personnes en fin de vie? ! En quoi la pratique de l'animation heurte t-elle la logique de soin?

Ma problématique pourrait se résumer ainsi: "En quoi exercer la profession d'animateur dans un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes est-il paradoxal et de ce fait engendre t'il des difficultés relationnelles avec les soignants?" J'aborderai cette problématique par deux hypothèses:

# C'est parce que les formations de ces deux fonctions sont fondamentalement

différentes qu'animateurs et soignants ne trouvent que difficilement une pensée commune à propos de leur présence auprès des personnes âgées.

# C'est parce que tout personnel travaillant auprès de personnes âgées est

confronté à la pulsion de vie et de mort que cette dualité peut engendrer souffrance, sentiment d'échec, conflit.

Dans une 1ère partie je reprendrai l'histoire des institutions, de l'animation et donc l'origine des fonctions de soignant et d'animateur, afin de pouvoir établir une comparaison. Dans la 2ème, pour m'appuyer sur du concret, je citerai des expériences de vie du côté du résident et des professionnels en soin et en animation. Ensuite, je traiterai les hypothèses dégagées en les étayant de mes différentes lectures. Pour conclure, je ferai une synthèse des deux éventualités, afin de donner l'explication qui me semble la plus adaptée à ce qui se joue dans l'accompagnement des personnes âgées.

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1ère PARTIE

I. HISTOIRE INSTITUTIONNELLE

1) L'institution dans laquelle je travaille

Je travaille dans un Centre Hospitalier qui se situe au Chambon-Feugerolles dans la vallée de l'Ondaine dans la Loire. Son activité est influencée par la proximité du Centre Hospitalier Universitaire de Saint-Etienne à 7 km. Pour s'adapter aux besoins de prise en charge médicale spécialisée sur notre secteur géographique, c'est un établissement en pleine mutation. Depuis un an et demi, il est devenu EHPAD, Etablissement Hospitalier Pour Personnes Agées Dépendantes. Il regroupe sur un secteur intra-muros, 4 unités de 40 lits et une unité de 10 lits et sur un secteurs extra-muros, 22 autres lits. Ce secteur d'activité s'adresse à une majorité de personnes âgées et à une dizaine de personnes de moins de 60 ans. L'âge minimum requis pour entrer en EHPAD est de 60 ans au moins. Avant cet âge là, il faut demander une dérogation aux tutelles. Dans un avenir proche, l'établissement souhaite concevoir un projet de service spécifique, pour une prise en charge plus adaptée de ces résidents. Il existe un autre secteur, celui du soin de suite, qui a été réorganisé il y a quelques années maintenant car son activité n'était pas assez ciblée. Enfin, nous avons un atout majeur, celui d'être installé dans un parc aux multiples possibilités de promenades. Les axes autoroutiers proches rendent l'accès à l'hôpital très facile, sans pour autant troubler son calme. L'établissement fonctionne par un système d'instances comme tous les établissements de la fonction publique, un Conseil d'Administration, et des instances consultatives comme le Comité d'Etablissement.

2) Son histoire L'hôpital doit sa création à deux legs datant: $ l'un de 1852 : donation de Mr GAZEL, curé de la paroisse $ l'autre de 1854 : donation de Melle Antoinette THOMAS. Ces deux legs permirent la création d'un hospice. En raison de l'accroissement de la population du Chambon Feugerolles, la capacité de cet hospice (22 lits) devint rapidement insuffisante. Un projet adopté par le conseil municipal en mars 1902 souhaitait l'agrandissement à 68 lits. Ce projet ne put être réalisé rapidement par manque de trésorerie. Une souscription fut lancée et l'adjudication des travaux eut lieu en janvier 1905.

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En novembre 1907, le nouvel hospice baptisé G.CLAUDINON du nom du maire de la commune en 1905 et également donateur, ouvrit ses portes. Vers 1912, une subvention du pari mutuel permit la construction de deux pavillons à l'entrée et d'un autre destiné à abriter l'orphelinat puis des résidents de maison de retraite. En 1957 l'hôpital fut surélevé. En 1967, se terminait la construction de l'actuel bâtiment C. La capacité de l'établissement était alors de 315 lits. En 1978, des lits situés dans l'ancien orphelinat étaient fermés en vue de l'humanisation de l'établissement. En 1992, à mon arrivée, j’assiste à la démolition de l’ancien bâtiment. Il a été remplacé par l’extension du bâtiment C par le A et le B. Il ne reste alors que les 2 maisons de part et d’autre de l’entrée comme rappel du passé.

3) Histoire des institutions

• Jusqu'à la révolution La charité chrétienne est à l'origine de la mise en place d'institutions hospitalières. Au Moyen Age et sous l'Ancien Régime, le pauvre est le client exclusif des hôpitaux. Les débuts de l'hospitalité médiévale (origine étymologique du mot hôpital) se font dans les villes sous la direction des évêques et dans les campagnes par les moines. Les établissements charitables remplissent des fonctions d'accueil et d'hébergement pour tous ceux qui, placés dans une situation nécessiteuse, réclament une protection temporaire ou définitive: les orphelins, les vieillards, les pauvres, les pèlerins et bien sur les malades, mais plus du fait de leur fragilité sociale que de leur affection. A partir du XVIIe siècle, époque de grande paupérisation, la tradition hospitalière d'accueil charitable des nécessiteux se double d'une mission nouvelle. Pour préserver l'ordre social, les mendiants sont enfermés à l'hôpital et contraints au travail obligatoire. Cet enfermement permettait surtout de maintenir les vagabonds hors de la cité et en quelque sorte de les "exclure" complètement. # Les anciens hôtels-dieu répondent à la vieille tradition charitable, # Les hôpitaux généraux à une visée répressive et éducative.

A côté de ces établissements généralistes, existent alors des établissements spécialisés de toutes tailles, plus ou moins richement dotés, pour les incurables, les enfants abandonnés et orphelins, les femmes de mauvaise vie.

• Jusqu'au XVIIIe siècle

L'hôpital, traduction institutionnelle du principe de charité, est administré par des religieux, doté par des dons et des legs, d'un patrimoine propre, l'hôpital refuse de se médicaliser. Le gouvernement révolutionnaire affirme en 1793 que l'assistance est une charge nationale. L'hôpital-hospice, hideux miroir de toutes les plaies sociales de l'Ancien Régime doit disparaître. Il décide la nationalisation et la vente du patrimoine hospitalier. Malades et religieux sont jetés dans la rue et des troubles éclatent un peu partout. L'espoir d'une société délivrée de la maladie et de la misère se brise. La création des hospices civils en 1796 incarne une triple révolution juridique, sociale, et médicale, qui marque encore les structures et le fonctionnement de l'hôpital moderne.

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• Au début du XIXe siècle La hiérarchisation de la pratique médicale hospitalière entraîne la création d'un corps socioprofessionnel à deux niveaux, qui marque encore l'activité hospitalière. $ Le 1er est constitué par une aristocratie médicale strictement hiérarchisée, externe,

interne, chef de clinique, assistant hospitalier, médecins des hôpitaux, chef de service.

$ Le 2ème est constitué par le personnel soignant au statut subalterne, placé sous autorité des médecins, dont il exécute les prescriptions.

Ce personnel souffre encore de trois handicaps qui ne sont pas encore effacés. C'est un personnel féminin qui par son statut est inférieur à l'homme. Ce sont des femmes mais en plus des religieuses. Enfin, les infirmières exercent une activité soignante complètement dévalorisée par les cliniciens du XIXe siècle. En 1905, l'hôpital a l'obligation de recevoir tous les vieillards, infirmes et incurables. En 1919, il s'ouvre aux victimes de la guerre. Pour autant, il autorise des quartiers payants aux médecins, afin de percevoir des honoraires. De 1900à 1939, de nombreuses cliniques privées vont s'ouvrir pour les classes aisées. Dès lors, il existe une médecine à deux vitesses. En 1941 une loi ouvre l'hôpital à toutes les classes de la société.

• De 1945 à nos jours En 1945, la création de la sécurité sociale permet l'accès aux soins médicaux pour tous. La pratique médicale est transformée par la technique, la mise sur le marché de médicaments. Les nouveaux chercheurs, les techniciens ont besoin d'une formation qui va être dispensée par l'union des hôpitaux et des facultés de médecines en Centres Hospitaliers Universitaires. La primauté des cliniques s'efface. Entre 1950 et 1980, l'hôpital voit ses effectifs exploser avec l'ouverture de plus en plus de lits. Bientôt, la mission médico-sociale est oubliée pour un sanitaire de pointe. La loi de 1975 justifie cette séparation. Dans un même temps avec la crise économique, des réformes voient le jour. On parle de maîtrise comptable des dépenses de santé. A partir de 1983 avec les ordonnances "Juppé", l'enveloppe budgétaire est répartie par l'Agence Régionale d'Hospitalisation entre les établissements. Pendant la crise économique, le chômage aggrave la situation de la population qui n'a plus les moyens de se soigner. Les services d'urgence s'engorgent car ils ne demandent pas d'avance d'argent. L'hôpital se retrouve à nouveau devant sa mission sociale mais sans véritables moyens.1 La gériatrie est un de ces parents pauvres. Il est demandé aux établissements de faire mieux sans plus de moyens. Il y a un nombre insuffisant de personnel soignant et les services d'animation ne se développent que tardivement et selon la bonne volonté des directions. C'est ce qui s'est heureusement passé pour l'établissement dans lequel j'exerce.

1 Dr G.Moutel, Pr C.Hervé, "Historique et évolution de la prise en charge des personnes en état de vulnérabilité", 2002.

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II. PERSONNE AGEE ET ANIMATION

1) La personne âgée Comme l’indique le sigle EHPAD, Etablissement Hospitalier pour Personnes Agées Dépendantes, notre établissement s’adresse essentiellement aux personnes dépendantes de plus de 60 ans. Cependant la moyenne d'âge est élevée et avoisine 80 ans. Parmi eux, quatre centenaires dont la plus âgée aura 105 ans cette année, font monter cette moyenne. Cette dépendance est évaluée grâce à un système de cotation qui permet de définir les besoins médicaux de ces résidents. Il existe 6 niveaux de dépendance. Le secteur EHPAD intra-muros regroupe les résidents les plus médicalisés alors que le secteur extra-muros est conçu pour les résidents les plus autonomes, équivalent de l’ancienne appellation de maison de retraite.

• L’origine du dernier projet en EHPAD Nous avons constaté depuis quelques années une augmentation considérable du nombre de patients déments au sein des services. Certains ont développé des symptômes au cours de leur séjour puis la maladie a été à l’origine de l’entrée en institution. Ce constat nous a amené à travailler sur une prise en charge plus adaptée de ce type de patients et surtout à un approfondissement de la connaissance de la pathologie.

La MA, Maladie d'Alzheimer, touche essentiellement les sujets âgés. Sa fréquence augmente avec l’âge : une personne sur cinq en est affectée au-delà de 85 ans. Avec l’allongement de la durée de vie, on s’attend à une augmentation significative du nombre de malades. La MA est la plus connue des maladies démentielles dégénératives, elle représente à elle seule la moitié de l’ensemble des démences. Cependant il existe d’autres causes à la démence, comme celles cérébro-vasculaires. J’utiliserai le terme plus approprié de Démence de Type Alzheimer. Donc comme les pouvoirs publics l’avaient prévu et comme nous l’avions nous-même pressenti, de nombreux patients atteints par cette pathologie se présentaient dans les demandes d’entrée dans notre établissement. L’anticipation était bien fondée. En Mars 2005, après un long travail de préparation, l'établissement ouvre une USPAD, Unité Spécifique pour Personnes Agées Démentes. Ce service devait être le précurseur d’autres unités de ce type pour faire face aux besoins. J’ai moi-même participé activement à ce nouveau projet de vie car l’animation y avait une place de choix. Ce projet a fait l’objet de mon travail en Technique d'Animation.

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2) Fonctionnement de l'animation

a) Ma fonction Je suis animatrice responsable du service animation et son l'équipe depuis 3 ans. A ce titre, je remplis plusieurs missions. ! Je suis référente du service animation au sein de l'établissement. ! J'élabore les projets d'animation et leur organisation avec l'équipe. ! Je participe à la réflexion sur la réorganisation du secteur EHPAD.

Le changement d’appellation de services de Soins de Longue Durée en EHPAD n’était que le précurseur d’un travail de longue haleine qui prévoit une répartition des prises en charge en pôles d’activité :

• un pôle psycho-gériatrique, • un pôle de Soin de Longue Durée médicalisé, • un pôle de soin classique.

A ce jour, je gère une équipe de 8 animateurs dont 3 sont en contrat aidé, quatre en CDD et une autre titulaire de la fonction publique. Une seule animatrice est diplômée du BEATEP. Les institutions pour personnes âgées n’intègrent des animateurs dans les équipes que depuis peu de temps, et souvent les personnes embauchées n’ont malheureusement aucune formation professionnelle. Pour notre établissement, c’est un peu différent dans le sens où l’animation existe depuis environ 20 ans, grâce à la volonté des directions précédentes. Personnellement, mon objectif est donc de professionnaliser le service animation en portant les animateurs vers l’obtention d’un diplôme. Je m'occupe de tout ce qui est organisation du travail de ce personnel, planning, emploi du temps, congés annuels, arrêt maladie… Je participe aux réunions de l'établissement comme chaque cadre de service et particulièrement aux synthèses de service. Je gère bien entendu chaque nouveau projet d'animation. Toutes les fois que je peux me libérer du temps, je fais de l'animation individuelle auprès des résidents ne souhaitant pas bénéficier des activités collectives et particulièrement en matière d'accueil à l'entrée en institution. Enfin, j'ai un statut de trésorière dans une association l'ADAL, « Association pour le Développement de l'Animation et des Loisirs ». Les patients de tout l'établissement ont accès à un salon de coiffure et une boutique qui dépendent du service animation. Ces deux activités génèrent de l'argent qu'un Centre Hospitalier ne peut pas légalement gérer. L'association a donc été créée pour assumer ce rôle. Cet argent est avant tout utilisé pour rembourser le salaire de la coiffeuse, au Trésor Public, et ensuite pour réapprovisionner la boutique. L'établissement gère le contrat de travail de la coiffeuse et les locaux. Des bénéfices sont dégagés par ces activités et sont utilisés dans le cadre de l'animation afin de financer l'achat de matériel et les transports lors des sorties. A terme, nous allons recourir à la demande de subventions car notre activité étant appelée à s'étendre, les fonds ne suffiront plus.

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b) L'animation Quand j'ai pris mon poste comme responsable de l'animation, j'ai repris toute l'organisation qui n'avait jamais été écrite. Les horaires, une journée type, les fiches techniques des différents ateliers… J'ai ensuite entrepris d'écrire chaque projet et entre autre celui du service l'USPAD hébergeant des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Il y avait besoin de clarifier notre exercice, car il vient s'inscrire entre les temps de soins. Cela revient à dire que notre temps de présence auprès du patient est situé après le petit déjeuner le matin soit 10H jusqu'au repas de midi, pendant le repas de midi pour les dix patients qui participent au repas pris au petit restaurant avec nous et l'après-midi de 14H à 16H30, fin de notre journée. Le matin vers 9H, nous accueillons les patients les plus valides, autour d'un café et avec la possibilité de lire le journal auquel nous sommes abonnés. Nous discutons avec ces résidents ou entre animatrices, de l'organisation de la journée, de la répartition des ateliers, des nouveaux projets à mettre en route. L'animatrice chargée du repas de midi assure la cuisine, et chacun se dirige vers la préparation de son atelier, préparer le matériel, prévenir les patients et les acheminer vers le lieu de l'activité. La 1ère condition que je préconise de respecter, c'est le désir des résidents d'être acteurs d'une animation. En effet, nous ne forçons personne à participer. Seulement parfois, nous stimulons un peu plus celles que le médecin nous demande d'aider à reprendre une activité lors de la synthèse de service. En général, c'est pour un nouvel arrivant dont la famille souhaite de l'animation, et ce, malgré le désir du résident. Ca ne marche que rarement. Une 2ème chose, alors qu'auparavant nous pouvions nous permettre de prendre en activité plus de résidents du fait de leur plus grande autonomie, depuis ma prise de fonc tion, j'ai instauré le nombre maximum de 10 à 15 personnes afin de faire un travail de prise en charge plus personnalisée si le besoin s'en fait ressentir. D'ailleurs afin d'allier ces conditions et ne pas oublier les désirs de chaque patient, nous avons instauré une fiche individuelle, nous permettant de consigner un minimum d'informations les concernant nous permettant de les prendre en charge correctement. Nous pouvons aussi y consigner les modifications de comportement, d'état de santé qui peuvent influer sur leur participation. Dans l'absolu, je passe beaucoup de temps à ces fonctions mais je veille à m'accorder du temps pour faire la connaissance de chaque nouvel entrant. Je tiens également à participer au repas de midi car à travers cette activité, nous apprenons beaucoup de chacun. Ce temps est très convivial et les résidents se confient aisément. Nous vivons des moments de grand bonheur avec des éclats de rire, mais aussi parfois une grande sérénité s'installe. Les résidents nous expliquent qu'ils savourent la paix car bien souvent les repas en service sont agités et bruyants. Cependant, l'exercice du métier d'animateur auprès des personnes âgées n'a pas commencé en même temps que l'émergence de la profession. C'est pourquoi il me semble nécessaire de faire une rétrospective.

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3) Histoire de l'animation

a) Définitions

"Le mot animation vient du latin "anima", qui signifie donner une âme, et du verbe actif latin "animare", signifiant mouvoir, faire bouger. A cette définition très étymologique, nous pouvons ajouter celle qui définit l'animation comme un moyen de donner la vie, susciter ou activer un processus vital par lequel un sujet ou un groupe s'affirme et se met en marche; c'est insuffler ou révéler un dynamisme qui est tout à la fois biologique et spirituel, individuel et social."2

b) Naissance de l'animation # L'animation socio-éducative

Elle puise son origine dans deux courants:

- les mouvements d'éducation populaire en 1894. Suite à l'affaire Dreyfus, des universitaires créent les universités populaires. Tandis qu'elles sont destinées à l'éducation des adultes, des patronages et des colonies de vacances sont proposés aux enfants. L'essor de ces mouvements est en rapport avec la loi 1901 sur la liberté d'association. En 1936, la création du 1er secrétariat aux loisirs et aux sports dirigé par Léo Lagrange donne un nouvel essor aux mouvements d'éducation populaire.

Enfin pendant la guerre, des responsables de ce courant prennent part au maquis et à la libération, ils initient une direction de Culture populaire. Ils pensent que l'enseignement scolaire doit être complété par le loisir et la culture afin de former de bons citoyens.

- des équipes de chercheurs en sciences sociales auxquelles les associations font appel dans les années 1960. Le projet de démocratisation de l'enseignement évolue. Il s'individualise et passe par une prise en compte des besoins physiques, psychologiques et sociaux pour permettre aux individus de s'épanouir et ainsi de s'intégrer dans une société. On passe alors de la pédagogie de l'activité, pratiquée par tous et en groupe, à celle du choix d'activités par petits groupes. On parle alors d'autonomie du sujet. On assiste à une professionnalisation des animateurs jusque là essentiellement bénévoles. Les premiers diplômes sont créés.

# L'animation socioculturelle

Il s'agirait d'une notion globale recouvrant les secteurs sociaux, éducatifs et culturels de l'animation. Dépendraient de ce secteur de l'animation, des animateurs qui travaillent à l'intersection du social et du culturel, la culture servant de médiateur pour l'insertion sociale. 2 Claire Hartweg, Geneviève Zehnder, "Animateurs et animation en établissements pour personnes âgées", Editions Erès, 2005, p. 23.

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# L'animation sociale Elle est évoquée dès 1976 comme une méthode d'intervention de l'animateur afin de rendre certains groupes sociaux parmi les plus dépendants, plus aptes à communiquer, à décider ou à agir. Ce secteur concernerait les actions médico-sociales, la prévention et la formation. Elle concerne donc l'insertion des individus dans la société et leur participation à cette société

c) L'animation dans les institutions pour personnes âgées L'animation auprès des personnes âgées trouverait son origine dans un décret de 1943 qui prévoit que "le travail des hospitalisés soit organisé en vue d'occuper ceux qui sont en état de s'y livrer". Puis, en lien avec le rapport Laroque publié en 1962, la fonction animation serait apparue. Elle aurait eu pour objectif de ralentir "le processus de déchéance". Cependant, les dimensions morales, occupationnelles et thérapeutiques de ces propositions peuvent-elles être considérées comme les prémices de l'animation auprès des personnes âgées? Ne s'agit-il pas plutôt du début d'une réflexion sur l'importance d'une prise en charge globale de l'individu? Les 1ères animations se situeraient à partir de 1975. La loi du 30 juin de cette année et celle du 14 janvier 1978, conduisent une transformation des hospices en institutions de long séjour, mais elles ne font pas encore obligation d'élaborer un projet de vie. La circulaire du 20 mai 1978 précise que"le bien être physique et moral des personnes âgées résidant en établissement ne se limite pas au gîte, au couvert, à l'entretien: les personnes âgées ont besoin de continuer à participer à la vie sociale, de se sentir présentes à leur époque et de conserver le plus d'autonomie possible". C'est suite à la circulaire du 4 février 1986, relative à l'hospitalisation des personnes âgées, que le projet de vie et le projet de soins sont considérés avec une importance égale. A partir de cette période, l'animation s'inscrit naturellement dans le projet de vie. Cependant, les véritables premiers projets d'animation ne seront évoqués qu'en 1988, avec la prise de conscience des soignants du besoin d'animation dans un projet de vie institutionnel. Quand aux reconnaissances de qualification des animateurs, elles ne débuteront qu'entre 1990 et 1993, soit plus de vingt ans environ après la professionnalisation des animateurs des autres secteurs. En 2001, le BEATEP est reconnu dans toutes les conventions collectives, mis à part dans le secteur de la fonction publique hospitalière pour laquelle il a fallu attendre 2007. Il était nécessaire de souligner la relative jeunesse de l'animation professionnelle en établissement pour personnes âgées. Cela permet d'insister sur le fait que la réflexion sur cet exercice n'a que peu avancé dans les petites structures ayant des moyens humains insuffisants. Aussi, je vais poursuivre par ce qui représente ma progression de pensée autour de ma fonction et qui m'a amené à une problématique.

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2ème PARTIE

I. "En quoi exercer la profession d'animateur dans un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes est-il paradoxal et de ce fait engendre t'il des difficultés relationnelles avec les soignants"

Autrement dit, pour quelles raisons, notre activité d'animateur auprès des personnes âgées, entraîne t'elle tour à tour un sentiment d'échec, une remise en question permanente sur notre activité.

1) Les questionnements à l'origine de ma problématique

Etant animatrice depuis 3 ans, j'ai cependant une présence antérieure de quelques 12 ans dans l’établissement. En effet, j'étais infirmière depuis une vingtaine d'années quand j'ai décidé de changer de voie. En fait, après avoir pris soin du corps de tous ceux que j'ai pu soigner, j'ai eu envie de m'occuper enfin de leur psychisme. Une de mes grandes frustrations aura été de ne pas avoir pris assez de temps pour simplement communiquer avec les patients qui en avaient besoin. Je suis arrivée à me mettre dans la situation paradoxale de l'animateur de personnes à la fin de leur vie.

Littéralement, ANIMER voulant dire DONNER LA VIE fait de mon contexte de travail un paradoxe. Autrement dit, comment peut-on penser que ces deux notions, "donner la vie" et "exercice auprès de personnes à la fin de leur vie" soient compatibles? Est-il possible de "donner la vie" à "des personnes âgées" et même parfois très âgées? C'est possible puisque je fais ça tous les jours, mais encore faut-il le démontrer.

2) Notion de paradoxe a) Définitions

Le paradoxe est une proposition qui semble contredire une idée reçue, le bon sens, voire la logique, ou se contredire elle-même : il est interdit d’interdire. Cependant le terme est employé par les philosophes et les scientifiques dans des acceptations plus complexes. (Définition wikipédia.org) Le préfixe para- est employé en français dans le sens de l'opposition, comme le paratonnerre, ou même parapluie. Le terme doxa en grec veut dire opinion. Un paradoxe, c'est, ou bien ce qui vient s'opposer à l'opinion, ou peut-être mieux, ce qui est au-delà de l'opinion et que l'opinion ne peut saisir. (Définition Petit Larousse)

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b) Concept en psychologie Le 1er écrit où j'ai vu abordé la notion de paradoxe en psychologie est dans "Aïe mes aïeuls" de Anne Ancelin Schützenberger. Dans le contexte, des histoires familiales ayant une influence sur la manifestation de maladie, elle explique que cette notion est utilisée en thérapie systémique pour faire comprendre ce que le paradoxe provoque entre le malade désigné et sa famille.3

Plusieurs études ont été érigées sur le thème du paradoxe notamment celles de Wittgenstein qui fut le premier à s’être intéressé aux implications des pratiques comportementales du paradoxe notamment celles qui concernent le langage. Gregory Bateson quant à lui a dirigé la première étude sur le comportement paradoxal dans la communication humaine (schizophrénie). L’intervention du paradoxe dans le langage humain conduit à des blocages. " Soyez spontané " illustre cette impasse. Cette demande tente d’imposer un ordre à un acte volontaire et spontané. Exemple : une mère demande à son fils d’étudier mais aussi d’avoir envie d’étudier. Provoquer le sommeil, l’acte sexuel, la démocratie dans une dictature, le changement de personnalité des prisonniers par l’incarcération ou du patient par la psychiatrie, l’enthousiasme des élèves pour leurs études. Tous ces exemples sont caractérisés par un paradoxe provoqué par la contrainte de spontanéité. La solution ne peut émerger de l’intérieur mais au delà des limites du cadre, encore faut il pouvoir en sortir.

c) Le paradoxe et l'école des systémiciens, Palo Alto. Aux Etats-Unis, Grégory Bateson et son équipe de chercheurs ont été les créateurs de cette école. L'approche Systémique était née, c'est-à-dire la théorisation de l'ensemble des interactions qui régissent les individus lorsque ceux-ci communiquent entre eux dans un même système. Donc, en psychologie et psychosociologie, l'École de Palo Alto est un courant de pensée et de recherche ayant pris le nom de la ville de Palo Alto en Californie, à partir de 1950. En effet, au début des années 50 l'anthropologue Gregory Bateson développe avec Jay Haley, John Weakland et Don Jackson - la théorie de la "double contrainte" qui envisage la maladie mentale comme un mode d'adaptation à une structure pathologique des relations familiales.4 Cette théorie provoque un bouleversement des conceptions psychiatriques traditionnelles et contribue au développement de la thérapie familiale. Dans le but d'étudier les implications thérapeutiques de cette approche, Don Jackson fonde, en 1959, le Mental Research Institute (MRI) à Palo Alto. La double contrainte est constatée lorsque l'individu doit affronter un ordre double et totalement contradictoire, qu'il ne peut ni obéir, ni désobéir, il est condamné à osciller entre une attitude et l'autre. On peut dire que cette situation est paradoxale. 3 Anne Ancelin Schützenberger, "Aïe mes aïeuls", Editions Desclée de Brouwer, Paris, 2004, p. 25. 4 Fiche de lecture de Fouad AYARI, P.Watzlawick, " Changements, Paradoxes et Psychothérapie", (l'école de Palo Alto), Editions du seuil, 1975, p. 3.

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Par exemple, un enfant qui subit cela lorsque sa mère lui dit quelque chose et qu'elle lui inculque autre chose par son comportement affectif ou si ses deux parents sont en désaccord dans leur système éducatif ou sont en conflit lors d'une séparation, quelque soit sa réponse, il est puni car il ne peut obéir à ce que l'on appelle aussi "des injonctions paradoxales". Il peut en résulter une évolution vers la pathologie et à l'extrême vers la schizophrénie. En ce qui concerne notre pratique professionnelle, nous sommes confrontés à la double contrainte de créer du lien social auprès de personnes qui sont à la dernière phase de leur vie, et avec lesquelles, nous devons faire le maximum de travail en sachant que c'est pour un temps limité. De fait, nous sommes contraints d'agir exactement comme si tout était possible alors qu'en fait, il y a forcément une fin plus ou moins proche à notre action. Cela provoque en nous le sentiment que notre action est vaine et que quoique que l'on fasse ça ne changera rien à la suite des événements.

d) Gestion de ce paradoxe Ayant pris conscience d'être nous aussi en position de ressentir un échec à la perte des résidents, chaque matin nous prenons un temps de partage. Nous évaluons nos actions tout en sachant qu'il est normal de voir décliner la participation de telle personne vu son état de santé. Alors, nous envisageons de changer notre mode d'intervention. Nous avons également la chance de travailler étroitement avec les psychologues. Elles sont toujours à l'écoute de ce que nous ressentons. Connaissant bien les résidents, elle nous aident à gérer nos émotions et prennent le relais quand nous atteignons nos propres limites professionnelles. Ainsi, nous nous préparons à cette fin de vie sans la subir et quand c'est possible, nous accompagnons les personnes qui en formulent le besoin. Mais c'est assez rare. Pour donner de la résonance aux hypothèses qui découlent de la problématique, je vais maintenant exposer plusieurs exemples découlant de notre pratique, d'abord ce qui peut se jouer dans nos rapports avec les personnes âgées et ensuite ce qui se passe avec les personnels soignants.

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II. EXPERIENCES DE VIE

1) Du côté d'une personne âgée

Mme T est une femme de 75 ans qui est entrée dans notre institution en début d'année. Elle a une grave maladie et a une espérance de vie courte d'environ 6 mois. A son arrivée, elle est très lasse et n'exprime que peu d'attentes. Elle ne veut que lire et attendre la fin de sa vie. Lors de ma 1ère visite, elle me raconte sa vie de sergent chef dans l'armée, une vie bien remplie et dont elle avait la maîtrise. Je lui propose de venir prendre contact avec l'équipe au "petit restaurant". Elle accepte mais pas pour tout de suite. Elle a de nombreux épisodes de problèmes intestinaux qui l'empêchent de faire à son gré. Elle apprécie beaucoup la prise en charge individuelle afin de pouvoir parler librement dans sa chambre. Elle a de nombreuses choses à confier. La psychologue la prend en charge très rapidement car on ressent une grande fatigue psychologique.

Elle vient enfin manger avec nous et nous remercie du repas qu'elle trouve différent de celui des services et surtout parce qu'elle peut manger de la salade et du fromage, aliments qu'elle adore. Mais à son retour en service, elle n'exprime pas tout à fait la même chose.

Peu importe, elle n'a pas encore trouvé toute la satisfaction nécessaire à son adaptation à l'institution.

Elle ne tarde pas à être plus demandeuse de cette animation et à exprimer sa gourmandise alimentaire, surtout de salades diverses et de fromage que nous avons toujours en assortiment. Je l'inscris dans cette activité 3 fois toutes les quatre semaines, le lundi. Elle est très heureuse de cette décision partagée. Trois semaines passent, le lundi suivant arrive et alors que nous avons commencé le repas, nous voyons arriver Mme T conduite par l'aide rééducateur. Surprises, mais à moitié seulement, nous l'acceptons parmi nous et à partir de ce jour, si quelqu'un de son service ne peut venir elle, se propose spontanément, pour le remplacer. Mme T ne vient pas seulement pour le plaisir de manger, mais aussi pour pouvoir partager sur le passé récent de sa maladie et son séjour dans une structure où elle a ressenti de la maltraitance. Elle nous décrit surtout la période de six mois où elle ne mangeait plus à cause de l'évolution de sa maladie et durant laquelle elle a maigri de plus de 10 kilos. Elle ne tarit pas de ce discours et nous comprenons mieux son grand attrait pour la bonne nourriture. Depuis quelques temps, elle a décidé de travailler son apparence et s'est fait apporter par sa famille des robes très gaies, très colorées. Elle s'est faite coiffer et a repris cinq kilos. Elle parle de son échéance de six mois de vie comme quelque chose de virtuel, on verra bien! Elle a décidé de reprendre sa vie en main. Pour essayer de comprendre ce que Mme T est venue chercher lors de ce moment privilégié du repas, nous pouvons penser au besoin de "se nourrir" au sens figuré du terme.

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J'ai le sentiment que cette dame est à la recherche de l'amour d'une mère, un amour protecteur. Elle a besoin de se rassurer face à cette angoisse de mort, et elle trouve cette aide auprès de cette mère nourricière que représente notre animatrice cuisinière. Nous pouvons d'ailleurs noter que lorsqu'elle repart, elle a toujours un mot de félicitation particulier pour elle. Hélène Reboul en parle en faisant une analogie avec le développement du petit enfant, "La régression chez le vieillard à la lumière de l'éveil affectif chez l'enfant. Les difficultés relationnelles avec l'être âgé sont souvent dues à un manque d'éclairage sur son comportement; c'est pourquoi nous nous sommes intéressés aux différentes formes de régression que l'on peut observer chez le vieillard; elles deviennent compréhensibles si on veut bien les considérer comme une déstructuration progressive symétrique de la structuration chez l'enfant, et le plus souvent liée à une carence affective"5 Enfin l'évolution de son comportement, nous permet de constater qu'elle a su trouver ce qu'elle venait chercher, de l'écoute, de la compréhension, et de la réassurance. Je rajouterai, que comme elle a eu une mauvaise expérience dans l'acte de soin, elle s'est tournée vers ce qui lui offrait le choix de prendre ce dont elle avait besoin. L'absence de contrainte, lui a ouvert la possibilité de se prendre en charge et de changer cet avenir proche que les médecins lui avaient prédit.

2) Du côté des professionnels Un peu avant midi, alors que je remonte dans les services, je me trouve face à face avec une aide-soignante du service B3, Mme M en conversation avec Mme A, agent des services hospitaliers à l'USPAD. Mme M assure le poste "J" qui a été créé en 2006. Il est assuré du lundi au vendredi et de 8H à 15H. Il a pour but d'aider l'équipe au cours des temps forts comme les repas, et en particulier le petit déjeuner, afin d'éviter sa prolongation dans la matinée. Ces postes ont été attribués aussi souvent que possible à des soignants ayant des problèmes de santé, les privant de pouvoir manipuler les résidents lors des soins. C'est le cas de Mme M. Mme A en travaillant à l'USPAD, a déjà un regard adapté sur l'animation. Elle a été sélectionnée et ce n'est pas par hasard si elle pouvait comprendre ce que ressentait sa collègue AS. Mme M est mal, je la sens au bord des larmes et je comprends que Mme M essaie de l'aider. Elle m'explique qu'elle a des difficultés relationnelles avec l'équipe soignante ou du moins avec certains éléments. Mme M s'est beaucoup investie dans ce poste et je dirai même qu'elle l'a fait évoluer vers quelque chose de très humain. Elle est à la fois dans l'aide parallèle de ses collègues et dans une prise en charge réfléchie des résidents. Quand elle a accompli les tâches qui déchargent l'équipe soignante, aide au déjeuner, rangement de la vaisselle, du linge, passage de commandes, l'après-midi venue, elle fait de l'animation.

5 Hélène Reboul, "Vieillir, projet pour vivre", Editions le Chalet - SNPP, 1973, p. 36.

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Elle prévoit la diffusion d'un film, des séances de manucure, elle fait chanter un groupe de résidents, elle n'hésite pas à nous aider dans la préparation de nos activités et elle nous accompagne volontiers à l'extérieur. Ce jour donc, tout ressort. Elle avoue faire l'objet d'incompréhension et de remarques. Elle travaille depuis longtemps dans le service et elle se sent mise en marge et peu se soucie de son état de santé. Pour ma part, je peux assurer qu'elle assure ce poste avec professionnalisme. Je me permets alors de lui faire part de mes propres constats concernant nos rapports avec certains agents lors de nos interventions en service. Elle se relâche et les larmes coulent. Elle se sent enfin comprise et elle finit par m'avouer que si elle en avait l'occasion, elle ne ferait que de l'animation. Je lui explique qu'elle est entrain de changer et qu'elle n'est déjà plus en phase avec la conception du soin en service. Je lui fais part de mes réflexions en la matière. Je la rassure sur la justesse de ses pensées et le soulagement d'être comprise s'installe peu à peu. • Pour compléter ce témoignage, je vais faire un état de ce qui se passe à l'USPAD

entre animateurs et soignants. En fait, il n'y a pas de lutte intestine. Pourtant l'animatrice responsable de cette unité est une AS qui a fait sa formation d'animatrice et qui a donc son BEATEP. Elle a été recrutée à l'ouverture de l'unité et ensuite elle a rejoint l'équipe d'animation sur ma demande. Nous avons le parcours commun de la soignante devenue animatrice. Nous sommes dans la même évolution de réflexion de la prise en charge des personnes âgées. De même, comme je l'ai précisé plus avant, les soignants de cette unité ont été sélectionnés. Ces agents avaient eux aussi besoin de voir leur pratique de soin évoluer, persuadés de la nécessité de personnaliser le soin et surtout que cela devait passer par la création de plus petites unités et d'un travail en tandem avec l'animation. De ce fait nous sommes tous centrés sur le résident, ce qui nous rassemble et nous permet d'arriver à notre objectif commun, le mieux être des résidents en perte d'estime de soi à cause de la maladie. Pour faire une synthèse de ces différentes situations, je pense que tout tourne autour de cette angoisse de mort qui est plus ou moins prégnante selon la place que l'on a auprès du résident. Autrement dit le personnel soignant des services de soins sont au plus près de la mort quand elle survient. Pour nous animateurs, nous savons qu'elle est survenue mais nous ne la voyons pas forcément. A l'USPAD, soignants et animateurs sont sur le même pied d'égalité puisque les résidents quittent l'unité quand l'état de leur démence s'aggrave. Ils ne sont donc pas confrontés à la mort en direct. Ceci explique les différences de comportements constatés chez les différents intervenants auprès des personnes âgées dans les cas précédemment cités. Les résidents vivent une véritable crise induite par l'approche d'une fin certaine. Cette crise est nécessaire pour qu'ils puissent faire leur propre deuil. De ce fait, le personnel est inconsciemment contaminé par cette crise et se trouve face à son propre avenir, à sa propre mort et de façon plus ou moins intense. De ces exemples, j'ai pu dégager deux hypothèses qui envisagent l'influence de l'origine très divergente des différentes formations d'agents exerçants auprès des personnes âgées et celle de l'omniprésence de la mort lors de ces exercices.

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III. QUELS SENS DONNER A LA PROBLEMATIQUE ? 1) Origine, formation et étymologie du terme "animer"

"C'est parce que les formations de ces deux fonctions sont fondamentalement différentes qu'animateurs et soignants ne trouvent que difficilement une pensée commune à propos de leur présence auprès des personnes âgées."

# A l'intérieur d'un même établissement, il existe donc:

"… des différences de cultures et d’idéologie entre les métiers relevant du "médical" et ceux qui viennent du social, dont les origines sont très dissemblables, ce qui provoque de curieux paradoxes." 6 Comme nous pouvons le voir dans l'histoire de l'animation, le fondement même du métier d'animateur se trouve dans les mouvements de l'éducation populaire qui, au départ, avait été pensé pour les enfants et non pour les adultes vieillissants. Alors que la formation médicale fonde les activités des professionnels dans les besoins des résidents, les animateurs construisent leurs missions dans les désirs du résident. Ce constat m’amène à penser que nos collègues soignants peuvent ressentir un malaise du fait que si les résidents sont en capacité de pouvoir dire non aux animations, eux prodiguent des soins pour la plupart imposés. Il est un fait que l'on ne peut oublier, les soignants sont constamment en présence de personnes en voie de régression et donc en perte d'autonomie. Ces différentes pertes amènent inéluctablement à l'incontinence fécale et urinaire. Il est donc peu gratifiant de devoir tenir les résidents les plus régressés, propres. Les animateurs sont épargnés de ce côté dévalorisant du travail auprès des personnes âgées. De plus, il y a quelque chose de très fort dans le passé des soignants qui a du mal à s'oublier et qui conditionne encore l'attitude de la plupart des professionnels du soin. A l'origine, ce sont des sœurs qui assuraient les soins dispensés. Elles étaient vouées corps et âme à leur devoir, à leur sacerdoce. Cet héritage est encore très présent actuellement. Pour exemple de cette empreinte, en 1924, le professeur Calmette définit ainsi l'infirmière française: "Religieuse ou laïque, partout où elle passe, les douleurs s'apaisent, les larmes tarissent. Son voile blanc comme les ailes des anges, ou bleu comme l'azur du ciel, porte dans ses plis l'espérance et la bonté. Quelle sainte, quelle admirable mission de charité […] accomplissent ces nobles femmes qui ne veulent pas d'autre amour que celui du malheureux, en qui les uns et les autres croient voir l'image du Christ rédempteur, en qui les autres trouvent la satisfaction de leur besoin de sacrifice et de dévouement! A toutes les servantes d'un idéal qui est le nôtre, nous voulons tendre la main pour cheminer ensemble"7

6 Claire Hartweg, Geneviève Zehnder, "Animateurs et animation en établissements pour personnes âgées", Editions Erès, 2005, p.19. 7 Yves Gineste, Jérôme Pellissier, "Humanitude", Editions Armand Colin, 2007, p.155.

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Longtemps, et encore actuellement semble t'il, les soignantes ont admis qu'elles devaient ressentir la souffrance pour être en communion avec les patients. Elles étaient spirituellement "formées" à accepter leur sacerdoce et ainsi à s'oublier, faire don d'elle-même au nom du sens du devoir. Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle, et le début de leur formation pour que cette conception change un peu, mais il reste une forte empreinte de ce passé. En effet malgré les nombreuses grèves et manifestations, la notion de la souffrance des soignants n'est pas prise en juste considération. Les professionnels eux-mêmes ont des difficultés à travailler sur cette souffrance, car malgré tout la logique de ce ressenti reste ancrée. Donc, aux yeux des soignants, nous avons un métier très intéressant qui nous met en présence du patient souriant et disposé alors que les soignants travaillent souvent dans le refus et la contrainte. En résonance à cela, je pense qu'un sentiment de trahison peut-être ressenti par mes anciennes collègues. En effet, j'ai changé de camp en choisissant de quitter le soin pour l'animation. Je ne suis plus en phase avec leurs difficultés d'exercice et maintenant, je suis même dans l'aisance du temps consacré au résident qui leur fait terriblement défaut. # Le mot « animer », ne semble pas coïncider avec notre fonction en gériatrie.

Ainsi, il peut y avoir des sentiments d'inadéquation du métier d'animateurs en gériatrie.

Sans aller jusqu'au sens strict du terme animer, il me semble important de préciser que chaque jour nous avons le sentiment qu'animer c'est en réalité redonner le plaisir de vivre, à ceux qui l'ont perdu. Cette capacité à reprendre le dessus, n'est qu'enfouie quelque part et ne demande qu'à resurgir. Nous pouvons faire rejaillir ce goût de l'existence à travers des activités choisies de plein gré et surtout beaucoup d'écoute et de patience. Nous induisons ainsi la résurgence du désir, chez des personnes ayant oublié qu'elles pouvaient en avoir. En effet, elles ne s'autorisent plus à l'exprimer, car les besoins sont tellement nombreux du fait de leur perte d'autonomie, qu'ils ont masqué leurs souhaits personnels. C'est souvent au moment où nous nous y attendons le moins que nous avons des témoignages de reconnaissance. Je pense particulièrement à Mme Mallet qui étant en grande souffrance d'avoir été contrainte à rentrer en institution, avait un comportement très agressif. Il n'y avait pas moyen d'avoir une relation sereine avec elle. Elle repoussait quiconque tentait de l'approcher. Et puis brusquement, après 3 semaines, alors que j'avais pu régler son téléviseur (son seul interlocuteur jusqu'alors), elle s'ouvrit peu à peu et me confia ses souffrances. Il était temps, car deux semaines plus tard, elle perdait son gendre. C'est à cause de sa grave maladie qu'elle avait décidé de soulager sa fille en entrant dans notre établissement. Depuis, Mme Mallet est de plus en plus présente en animation et nous accorde de nombreux remerciements en repartant de l'activité. Il s'agit plus de redonner du sens à la vie et de la vie aux années. C'est donc évidemment un terme tout à fait approprié à note exercice.

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Ce savoir faire, suppose reconnaître dans le vieillard un sujet, l'unicité de sa personne et de son être. Cette démarche ne peut être le seul fait de l'animateur. Elle doit être la démarche particulière de chaque personne intervenant auprès du résident. Cependant pour comprendre le fondement de ce sentiment d'échec face à la mort, il est nécessaire de parler du concept de pulsion de vie et de mort.

2) Pulsion de vie, pulsion de mort "C'est parce que tout personnel travaillant auprès de personnes âgées est confronté à la pulsion de vie et à la pulsion de mort que cette dualité peut engendrer souffrance, sentiment d'échec, conflit."

# Tout d'abord on peut dire que le regard de la société sur la mort a évolué. Elle a choisi de la mettre dans des institutions spécialisées pour "la cacher"pour ne pas avoir "à la vivre au grand jour.

L'animation en milieu hospitalier est en plein essor actuellement. Comme j'ai pu le constater dans l'histoire de cette pratique, elle date des années 1975. Jusqu'à là, il était sans doute paradoxal que l'on puisse animer des personnes au dernier parcours de leur vie, car le risque était sans doute de voir ressortir cette fin de vie de son isolement voulu, choisi. J'ai repris précédemment, l'évolution des institutions prenant en charge les personnes âgées, pour mieux appuyer ce propos. On voit bien que dès leur origine, le but a été de cacher ce qui gênait, la pauvreté, le handicap, la maladie. La vieillesse a subi ce même sort. La mort n'a pas toujours été vécue de la même façon dans notre société. On peut voir qu'elle évolue de façon cyclique, alternant rapprochement et éloignement. Dans l'antiquité la mort n'est pas déniée, est simplement vue comme la fin du corps physique. Au Moyen-Âge, la recrudescence de maladies mortelles a induit une peur de la mort et un rapprochement de la religion pour tenter de s'en garantir. A la Renaissance, la beauté de la vie reprend le pas. On assiste à une séparation de la vie et de la mort et cette dernière est prise en charge par les ecclésiastiques. Les cimetières apparaissent, de façon à éloigner les morts de la ville. Au XIXe siècle, l'espérance de vie croît, la mort n'est plus vue uniquement sous l'angle religieux. Les familles se réapproprient leurs morts. L'église perd un peu de son emprise. Au XXe siècle, avec les hécatombes des guerres et les traumatismes qui s'ensuivent, on ne veut plus parler de la mort. On la cache pour ne plus la voir. Elle devient taboue. Hélène Reboul, explique ce phénomène ainsi: "Il ressort que si la mort fait aujourd'hui l'objet d'un tabou, c'est qu'elle est refusée par notre société. Ce refus vient d'une part, comme nous l'avons vu, de ce que notre culture européenne n'intègre pas la mort dans le processus naturel et normal de la vie. On peut se demander s'il n'est pas imputable à l'affadissement ou à la disparition du sentiment religieux qui favorisait une acceptation."8

8 Hélène Reboul, "Vieillir, projet pour vivre", Editions le Chalet - SNPP, 1973, p. 90.

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Il semble qu'actuellement, nous sommes à nouveau dans une prise de conscience de la nécessité de vivre cette mort et de faire le deuil de cette perte. Cependant, l'évolution est lente. Un fait perturbe parfois l’équipe d’animateurs et l’interroge souvent. Lors du décès d'un patient, nous ressentons un déséquilibre, un déséquilibre du groupe auquel il pouvait appartenir, un déséquilibre pour ses voisins de chambre, de table. En effet, des liens se sont créés grâce à des souvenirs partagés, sur la vie dans la même commune ou le travail dans la même entreprise. Certains évoquent leur peine ou même le fait que ce seront eux les prochains. Nous, animateurs, ressentons la mort également comme une perte. Nous en parlons en réunion ou en pause, pour faire notre deuil, nous aussi. Si nous n'y veillons pas, les services oublient souvent de nous avertir de ces décès. Aussi, je vais régulièrement m'enquérir de l'état de santé des résidents. Il semble que malgré le travail accompli d'intégration de l'animation dans le projet de service, nous ne soyons pas encore perçus comme pouvant être concernés par cette mort.

# D'autre part, il est important de souligner qu'il existe un sentiment d'échec perpétuel des soignants exerçant auprès des personnes âgées et qu'ainsi il leur est difficilement acceptable que les animateurs aient un exercice plus gratifiant.

En effet, les soignants sont toujours mis en échec, car quelque soit les efforts faits pour soigner les résidents, l'issue est fatale, la personne meurt. Pour reprendre mon exemple de changement professionnel, l'épuisement que j'ai connu m'a probablement de façon inconsciente amenée à m'éloigner de ce sentiment d'impuissance et d'échec. J'ai choisi un nouveau métier ou même si je suis confrontée à la mort, je ne suis plus en contact direct avec elle. Chaque profession induit chez l'individu une caractéristique particulière. Il est donc certain que si les soignants sont exposés, c'est bien sûr à des angoisses de mort. Le fait de s'occuper de personnes en fin de vie nous renvoie à l'image de notre propre mort. Le Dr Ploton explique: "Un autre registre de la souffrance des personnels gériatriques est bien sûr la confrontation à l'idée de mort. En effet l'image de la mort est omniprésence dans les services de gériatrie, inscrite sur le visage de chaque patient, que le soignant en ait conscience ou non, qu'il la nie ou la refoule, il est confronté auprès de chaque lit à une relation à trois dans laquelle taire le nom du troisième ne résout rien, et escamoter les cadavres non plus."9

# Enfin, toute personne travaillant auprès de personnes âgées est confrontée à la pulsion de vie et de mort et cette dualité peut engendrer souffrance, sentiment d'échec, conflit.

Pour comprendre ce qui se passe chez toute personne confrontée à la mort, il est nécessaire de traiter des notions de pulsion de vie et de mort qui sont le fondement même de la personnalité de l'homme. 9 Dr Louis Ploton, "La personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence", Editions chronique sociale, 2001, p. 14.

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Ces deux pulsions sont très intriquées et indissociables. Freud explique que la mort est à l'origine de la vie et non l'inverse. " Le moi n'a pas besoin du monde extérieur pour autant qu'il est auto-érotique, mais il reçoit de celui-ci des objets par suite des expériences que connaissent les pulsions de conservation du moi et il ne peut éviter de ressentir des excitations pulsionnelles internes, pour un temps, comme déplaisantes. Alors sous la domination du principe de plaisir, s'accomplit un nouveau développement dans le moi. Il prend en lui, dans la mesure où ils sont source de plaisir, les objets qui se présentent, il les introjecte et, d'un autre côté, expulse hors de lui ce qui, à l'intérieur de lui-même, provoque du déplaisir" 10 Il dit aussi que le lien entre plaisir et instinct de mort se trouve au niveau de la gestion des excitations venant de l'extérieur. En l'occurrence pour nous personnel intervenant auprès de personnes âgées, les personnes à la fin de leur vie sont en crise dans la mesure où elles affrontent des pertes progressives et doivent le deuil. Pour résoudre les tensions induites face à cet instinct de mort, nous devons nous-même faire appel à notre régulation inconsciente, et ainsi revenir au plaisir conscient. Mais malheureusement ça ne fonctionne pas pour tous. "Il est en outre un fait remarquable et méritant d'être signalé, à savoir que les instincts de vie présentent des rapports d'autant plus étroits avec nos sensations internes qu'ils se présentent toujours en trouble paix, qu'ils sont une source inépuisable de tensions incessantes dont la résolution est accompagnée d'une sensation de plaisir, tandis que les instincts de mort semblent travailler en silence, accomplir une œuvre souterraine, inaperçue. Or, il semble précisément que le principe du plaisir soit au service des instincts de mort; il veille d'ailleurs aussi bien aux excitations de provenance extérieure qui représentent des dangers pour les deux groupes d'instincts ; mais il a plus particulièrement pour tâche de parer aux augmentations d'intensité que peuvent subir les excitations inter-nes et qui sont de nature à rendre plus difficile l'accomplissement de la tâche vitale."11 Donc, que nous soyons animateurs ou soignants auprès de personnes âgées, que nous y soyons confrontés de près ou de loin, nous ne pouvons nous garantir de la pulsion de mort. Nous devons prendre conscience qu'il ne suffit pas de dire que nous n'avons pas de problème avec la mort de nos résidents. Il existe un phénomène inconscient qui conditionne nos facultés au "prendre soin". Nous sommes influencés jusqu'à éprouver tour à tour, de la colère ou de l'anxiété et c'est presque à coup sûr, en réponse à ce que nous vivons quasi quotidiennement, la perte de nos résidents. Je voudrais finir sur une note positive de Charlotte Herfray: "Peut-être, contrairement à ce que les valeurs sociales actuelles laissent entendre, le destin des vieillards est-il plus"utile qu'on ne le croit? Il nous contraint à réexaminer certaines questions de fond ayant trait à l'existence humaine et à sa spécificité. Il nous offre le livre des leçons jamais achevées où lira qui pourra… et dont l'humanité tire les richesses symboliques qui la constitue. Et même: peut-être que vieillir, après tout, cela n'est-il pas "si terrible qu'on le croit". Certains vieux ont l'air en paix, ce qui renforce notre conviction de l'importance du qualitatif, plus particulièrement encore au temps de la vieillesse qu'aux autres âges de la 10 Sigmund Freud, "Métapsychologie", Editions Gallimard, 1940, p. 37-38. 11 Sigmund Freud, "Au-delà du principe du plaisir", Editions Payot, 1968, p. 58.

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vie, dès lors que l'inconscient aura su se résoudre aux deuils qui auront permis de sauvegarder du désir et du plaisir".12

12 Charlotte Herfray, "La vieillesse en analyse", Editions Eres, 2007, p.85

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CONCLUSION Ce travail de recherche a nécessité beaucoup d'approfondissements, et a permis une réelle remise en question de ce que j'ai vécu professionnellement par le passé. Je me suis aperçue que j'avais fait fausse route et que la mort n'était pas un sujet avec lequel j'étais réellement sereine. D'abord, il m'a fallu du temps pour arriver à m'autoriser à le traiter, ensuite changer d'avis sur mon rapport à la fin de vie ne s'est pas fait dans la facilité. Il apparaît évident que cette omniprésence conditionne considérablement l'exercice de tout métier auprès de personnes âgées. Que nous soyons soignants ou animateurs les choses ne sont pas différentes. Nous pouvons être assiégés d'angoisse que nous avons du mal à cerner et à définir. En fait, nous sommes régulièrement remis en face de notre propre fin, ce qui nous ébranle. Tout ce qui se passe en nous est inconscient mais bien légitime. Il faut seulement en prendre conscience et alors la gestion de ce stress peut-être différente. Quand nous pouvons enfin mettre une explication à un sentiment de mal être, nous sommes moins enclin à penser que c'est uniquement de nous que ça dépend. La culpabilité de l'échec personnel n'a alors plus sa place et la pensée de notre exercice professionnel prend un sens différent. Il sort de cette recherche que la réponse à la problématique n'est pas unique mais multifactorielle. En effet, nous sommes tous différents par notre éducation, notre formation et de fait, notre difficulté ou non à travailler auprès des personnes âgées l'est à des degrés différents. Cependant, une chose me semble essentielle, c'est le partage de nos différentes pratiques qui nous permet d'avancer. Ce n'est évidemment pas facile de parler de ses rapports à la mort, mais il est possible d'avancer dans ce sens en refusant de faire taire ces angoisses et de les partager pour les comprendre. Ensuite, notre prise en charge de la personne âgée prend une autre dimension, une dimension toute humaine. Pour finir, j'aimerais revenir à ceux sans qui rien ne serait possible, les résidents. Une fois par mois, l'équipe d'animation organise une après-midi musicale et dansante. Dans le cadre du nouveau projet d'animation pour le service accueillant les patients gravement atteints de la maladie d'Alzheimer, nous avons convié des résidents autonomes tant physiquement que psychiquement à se joindre à nous. Le but est de recréer du lien dans cette unité, mais aussi de décloisonner ce lieu qui se situe au dernier étage et qui inspire une certaine crainte. Nous avons soigneusement préparé cet échange, car le contact avec ces patients effraie considérablement les autres. Nous avons choisi six personnes qui ont accepté de nous accompagner en toute connaissance de cause. Ce qui s'est passé à été féerique, après un moment de retenue et d'observation chacun a exprimé son sentiment face à la situation. Puis la musique a fait son œuvre et la différence s'est estompée. Plus rien ne pouvait empêcher le bonheur de partager cette passion. La salle à manger s'est peu à peu transformée en salle de danse. Mme Lahaye nous fait partager son point de vue : "Je ne vous cacherais pas que je suis venue par curiosité, et avec une certaine crainte de ce que j'allais découvrir. Maintenant, je n'ai plus peur de vieillir et de développer la maladie d'Alzheimer. Décidemment, même ici on ne se croirait pas dans un hôpital".

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Tous ceux qui le peuvent, se lèvent et dansent avec nous. Ceux qui ne le peuvent plus, ont un sourire qui ne trompe pas ou s'agitent en rythme dans leur fauteuil. D'autres chantent les paroles connues et profondément mémorisées. Le lien est créé et au moment où l'on s'y attend le moins, un résident marchant avec difficulté se lève et va inviter une dame à danser. Ils se sont appropriés cet instant et l'ont fait leur. Notre but est atteint.

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BIBLIOGRAPHIE LIVRES

$ "L'animation des personnes âgées en institution" CRÔNE Philippe

$ "Au-delà du principe de plaisir" FREUD Sigmund

$ "Métapsychologie" FREUD Sigmund

$ "Humanitude, comprendre la vieillesse, prendre soin des Hommes vieux" GINESTE Yves, PELISSIER Jérôme

$ "Animateurs et animation en établissements de personnes âgées" HARTWEG Claire et ZEHNDER Geneviève

$ "La vieillesse en analyse" HERFRAY Charlotte

$ "La personne âgée, son accompagnement médical, psychologie, la question de la démence"

Dr PLOTON Louis

$ "Vieillir, projet pour vivre" REBOUL Hélène

$ "Aie mes aïeuls" SCHÜTZENBERGER Anne Ancelin DOCUMENTS

$ "Historique et évolution de la prise en charge des personnes en état de vulnérabilité"

Dr G. MOUTEL, Pr C. HERVE

$ Fiche de lecture de Fouad AYARI " Changements, Paradoxes et Psychothérapie"

P.WATZLAWICK (l'école de Palo Alto)

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Je suis au bord de la plage Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l'océan. Il est la beauté, il est la vie. Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon. Quelqu'un à mon côté dit: "Il est parti." Parti? Vers où? Parti de mon regard, c'est tout… Son mât est toujours aussi haut, sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine. Sa disparition totale de ma vue Est en moi, pas en lui. Et juste au moment où Quelqu'un près de moi dit "Il est parti" il y en a d'autres qui, le voyant poindre à l'horizon et venir vers eux, s'exclament avec joie: "Le voila!" C'est ça la mort. William Blake