b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

16
b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s ssai jean-luc hennig zulma 122, boulevard Haussmann Paris viii e « à la mémoire de zulma vierge-folle hors barrière et d’un louis » tristan corbière

Transcript of b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

Page 1: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

b r è v e h i s t o i r ed e s f e s s e s

!ssai

j e a n - l u c h e n n i g

zulma122, boulevard Haussmann

Paris viiie

« à la mémoire de zulma vierge-folle hors barrière

et d’un louis »

tristan corbière

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page5

Page 2: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

isbn: 978-2-84304-487-8

N° d’édition: 487Dépôt légal: août 2009

Copyright © Zulma, 2009Difusion: Seuil — Distribution : Volumen

[email protected]

Si vous désirez en savoir davantage sur Zulma et être régulièrement informé de nos parutions,

n’hésitez pas à nous écrire ou à consulter notre site.

www.zulma.fr

z

hFesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page6

Page 3: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

Afarensis

les fesses datent de la plus haute antiquité.Elles sont apparues quand les hommes eurent l’idée de se dresser sur leurs pattes arrière et d’y rester. Unmoment capital de notre évolution, puisque les musclesfessiers se sont alors considérablement développés.Parmi les 193 espèces vivantes de primates, seule l’es-pèce humaine possède des fesses hémisphériques qui font saillie en permanence. Quoique certains aientpu croire qu’on trouve aussi des fesses chez le lama desAndes. En tout cas, comparés aux humains, les chim-panzés ont été décrits comme des « singes aux fessesplates ». Ce qui est bien le non-sens de la fesse. Donc, la naissance des fesses coïncide avec la station debout etla marche bipède. Laquelle, selon Yves Coppens,remonterait à trois ou quatre millions d’années. C’estprécisément la grande époque de l’australopithèque afarensis, qui vivait en Éthiopie et en Tanzanie.

L’événement, explique Yves Coppens, se serait passéà l’époque de l’assèchement climatique qui suivit lesoulèvement de la région est du Rift africain, grand

e 7E

hFesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page7

Page 4: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

fossé jalonné de volcans qui court de Djibouti au lacMalawi et le long duquel l’Afrique a commencé à secouper en deux. À l’ouest, l’Afrique intertropicale estrestée humide, elle a donc gardé ses forêts et ses singesdans les arbres. À l’est, la région s’est asséchée, la savanea remplacé la forêt et les hommes ont couru sur la terre.Du même coup, leurs mains ont été libérées, l’em-manchement du crâne sur la colonne vertébrale s’estmodifié, ce qui a permis au cerveau de se développer.Retenons cette idée intéressante : les fesses de l’hommeseraient, en quelque sorte, à l’origine de l’éruption deson cerveau. Plus récemment, on a émis une autrehypothèse : l’australopithèque ne serait qu’un grandsinge dont le développement a été perturbé, ralenti parla modification d’un gène. Le trou occipital qui relie lecerveau à la colonne vertébrale serait resté fixé à la basedu crâne (comme c’est le cas chez les chimpanzés,quand ils sont petits). Les muscles auraient alorsmodelé les formes osseuses et le bassin se serait arrondi.Toujours est-il que ce n’est pas parce que l’homme étaitdebout que sa fesse ressemblait à la nôtre. Il faudraencore beaucoup de temps pour passer d’une fesse velueet somme toute assez peu apparente, à une fesse nue,douce et lisse comme nous l’aimons.

Lucy, la plus célèbre australopithèque afarensis quenous connaissions (mais il est vrai que nous en connais-sons fort peu), et qui a été découverte en 1974 dansl’Afar éthiopien, date de trois millions d’années. Ellenous permet de nous faire une idée générale de ceux qui

e 8E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page8

Page 5: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

eurent le privilège de porter les premières fesses dumonde. Précisons d’ailleurs que Lucy n’avait qu’unefesse occasionnelle : elle continuait encore à grimperdans les arbres pour se nourrir, dormir et échapper auxprédateurs, et naturellement, pour grimper, elle rentraitses fesses, elle les avalait. Mais une fois à terre, elle sedéplaçait bel et bien sur ses deux pieds, ce que lui per-mettaient son bassin raccourci et le fût de son fémuroblique. Lucy était une toute petite personne. Âgéed’une vingtaine d’années, elle avait à peu près la tailled’un enfant de cinq ou six ans (1,05 m pour 30 kg) etune allure générale assez pataude : des bras immenses etdes jambes courtes, un visage presque plat, le crâneréduit et l’œil aux aguets. Elle passait son temps às’épouiller, à déterrer les termites, à rêvasser ou àpiailler, car elle avait, croit-on, le bec bien effilé, bienque la place de son larynx ne lui permît pas de pousserdes sons articulés (encore que les savants se chamaillentà ce sujet). Comme on n’a évidemment retrouvé queson squelette, il est difficile de se faire une idée exa"e del’état de la fesse, mais on peut estimer qu’elle s’appa-rentait davantage à la noix de coco, dont une variétéoriginaire de l’îlot Praslin, dans les Seychelles, porteprécisément le nom de coco-fesses. Bref, entre la fesseintermittente de l’homo habilis et la fesse définitive del’homo erectus, il faudra attendre encore un bon milliond’années.

Les singes restés dans la forêt furent, par voie deconséquence, privés de fesses. Ce qui ne les tracassa

e 9E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page9

Page 6: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

pas outre mesure. Quand un singe femelle voulaitadresser un « signal sexuel » à un mâle, note DesmondMorris, elle lui présentait ostensiblement son derrière.Car voilà bien le miracle : les femelles de nombreusesespèces de singes ont le derrière qui s’allume, devenantaussi rouge que le piment-zozio et particulièrementgonflé, à l’approche de l’ovulation. Et l’accou plementse produit généralement quand elles exhibent leursorganes au plus fort de leur dilatation. Si bien que lemâle babouin ou le chimpanzé passait sa vie à courird’un cul rouge à un autre, ce qui lui permettait sansdoute d’oublier son infortune. Chez la femelle del’homme, c’est différent. Son derrière ne se gonfle pasavec ses cycles menstruels : il reste en permanence pro-tubérant. Elle est donc a priori toujours prête pour lemâle et peut s’accoupler même quand elle est dans l’im-possibilité de concevoir. Ce qui irrita longtempsl’Église catholique.

Desmond Morris fait également observer que lafemelle de l’espèce des babouins gelada a, sur la poi-trine, une copie conforme de sa croupe. Et comme sazone génitale est de couleur rose rouge, bordée depapilles blanches, avec en son centre une vulve d’unrouge sang, on retrouve en période d’ovulation cetteheureuse configuration sur la poitrine. La babouinegelada possède donc, dans ses moments propices, unedouble vulve, ce qui peut abuser, mais ne laisse pasindifférent. Un processus similaire, ajoute DesmondMorris, semble d’ailleurs avoir joué dans le cas de la

e 10E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page10

Page 7: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

femelle humaine. Si elle devait en effet découvrir sacroupe à un mâle, celui-ci observerait une paire delèvres rouges entourées de deux hémisphères renflés etcharnus. Mais présenter ainsi ses fesses aux mâles n’estpas courant. Du fait de notre mode de locomotion ver-tical, le dessous du corps est devenu le devant, donc laplus visible et la plus accessible des zones de signalisa-tion. Rien de surprenant, dès lors, si l’on découvre desmimétismes génitaux sur le devant du corps féminin.C’est ainsi que les lèvres génitales voient leur répliquedans les lèvres maquillées et les fesses rondes dans lesseins.

Dire que le sein féminin est mimétique des fessessouleva pourtant quelques critiques. Selon lesquelles lesein pend trop et ne rappelle qu’imparfaitement larondeur de la croupe. Cela est vrai, répond Morris, desseins qui ne sont pas dans leur première jeunesse. Lafemme atteignant sa maturité sexuelle à 23 ans, c’estdonc avant que les seins sont les plus fermes et les pluspleins. Quoique certaines femmes aient de plus en plusrecours à divers artifices pour les relever et les regonfler,les dotant ainsi d’une forme qui ne correspond pas àleur âge. Mais même sans ce recours, le sein de lafemme ressemble suffisamment à sa fesse pour que lesignal soit transmis. Le mimétisme, dit-il, n’a pasbesoin d’être précis pour être efficace. D’ailleurs, lesseins ne sont pas les seuls à être assimilés aux fesses : lesépaules ou les genoux charnus également. Spéciale-ment dans la position des genoux embrassés ou encore

e 11E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page11

Page 8: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

lorsque l’épaule est rehaussée au point de toucher lajoue. Si bien qu’on peut dire que l’espèce humaine estla seule espèce de primates dont la femelle possède desfesses un peu partout.

Dans le Dossier de l’œil pinéal, Georges Bataille s’estétonné de cette différence, dans le régime des fesses,entre l’homme et le babouin. Ainsi, remarque-t-il, lespetites filles qui entourent dans les jardins zoologiquesles cages des animaux ne peuvent manquer d’êtreéblouies par les derrières si lubriques des singes. Cetteidée lui est venue, un jour de juillet 1927, alors qu’ilvisitait le Zoological Garden de Londres. La nuditéd’une telle saillie anale l’a jeté « dans une sorte d’abru-tissement extatique ». Ces impudiques protubérances,sortes de crânes excrémentiels aux couleurs éblouis-santes, qui vont du rouge vif au violet nacré,l’épanouissement obscène de cet anus chauve, auréolé,éclatant comme un furoncle, cet énorme fruit anal deviande rose cru lui ont paru « d’une splendeur comiqueet d’une atrocité suffocante » : bref, le derrière du singeest « aussi criard qu’un soleil ». Du reste, précise-t-il,cette obscénité fut poussée à un point que les plus évolués des singes se sont finalement débarrassés deleur queue, depuis longtemps impuissante à cachercette énorme hernie de chair. Et cette libération desforces anales aurait, selon lui, coïncidé avec l’éruptiondes volcans. À cette douteuse colique de la nature,déchargée dans la pénombre gluante des forêts, la terreaurait alors répondu, avec la joie bruyante des en trail -

e 12E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page12

Page 9: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

les, par les vomissements d’invraisemblables volcans.Bref, dit Bataille, dans une formule assez hardie, « leglobe terrestre est couvert de volcans qui lui serventd’anus ».

Qu’en est-il alors chez les hommes ? Eh bien, on aassisté, dit-il, à un curieux phénomène d’inversion del’anus à la tête : ce qui jusque-là avait fait bourgeonneret embrasé l’orifice anal s’est retrouvé brusquementrejeté vers le visage et la région cervicale, précisémentparce que l’homme se trouva dressé sur le sol, et l’ex-trémité faciale a assumé une partie des fon!ionsd’excrétion détournées auparavant vers l’extrémitéopposée : les hommes crachent, toussent, bâillent,rotent, se mouchent, éternuent beaucoup plus que lesautres animaux, mais surtout ils ont acquis la facultéétrange de sangloter et de rire aux éclats. Il est doncvraisemblable, pour Bataille, qu’un certain potentield’éclat et d’éblouissement, propre à la nature animale etgénéralement dérivé vers la tête, a pu être dirigé chez lessinges vers l’extrémité contraire, alors que notre anus,dépossédé d’un tel rayonnement, est devenu le centrenoirci du ravin étroit qui ouvre les fesses. Ce qui,somme toute, paraît une vision assez pessimiste du der-rière humain.

Reste une question épineuse : la femme préhis-torique avait-elle les fesses particulièrement volu -mineuses, qui pointaient en forme de cône ? Avait-ellele croupion audacieux qui, au lieu comme aujourd’huide tomber en as de cœur renversé, rebiquait au contrai -

e 13E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page13

Page 10: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

re en pain de sucre ? Portait-elle ses fesses comme unehutte ? On ne peut malheureusement pas le vérifier surdes squelettes. Mais apparemment, la femme auxgrosses fesses fait partie des origines de l’humanité, sil’on en croit les statuettes primitives du paléolithique,façonnées au creux de la paume il y a plus de 20 000 anset à peine plus grosses qu’un noyau de fruit, comme laVénus de Willendorf (Autriche), la femme sans tête deSireuil (Dordogne) ou la Vénus de Kostienki (Russie).La plus curieuse de toutes ces femmes stéatopyges étant,à l’évidence, la Vénus de Lespugue (Haute-Garonne),sculptée dans un bloc d’ivoire : véritable défi aux loisanatomiques, empilement de masses arrondies etpolies, un peu comme une brioche qui aurait gonfléde tous les côtés, c’est une femme qu’on a du mal àcomprendre. On peut même dire qu’on est dans la plusgrande confusion, car on ne sait pas très bien si elleporte quatre fesses autour des reins ou si ses seins etses fesses ne forment plus qu’une immense masse glan-dulaire, succession de globes sphériques qu’on aurait aupréalable découpés en tranches. On pourrait mêmecroire qu’avec leurs bulbes graisseux qui floculentcomme une grappe, elles ressemblent davantage aux amas de cellules qui constituent le stade le plusélémentaire de la vie. En ce sens, ces grosseurs indi-queraient moins le développement de la chair que sapréhistoire. Mais enfin ces gros derrières goulus, cescroupes gonflées de vanité, ces fessiers qui projettent unpeu partout leurs forces avec une impétuosité de bou-

e 14E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page14

Page 11: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

ledogue devaient considérablement séduire les hommesde cette époque reculée.

Pourquoi une telle hypertrophie ? Correspondait-elle à une réalité anatomique ou avait-elle une fon!ionmagique dans la chasse et la fécondité ? Pour beaucoupde préhistoriens, dans ces mélanges d’argile, d’os pilés,de charbon et de cendres, il faut voir des croupes mater-nelles. Ce sur quoi on est beaucoup revenu, car on a puobserver qu’un tiers seulement de ces statuettes repré-sentaient des femmes enceintes. S’agirait-il alors deprêtresses de religions archaïques ? Ou de Vénus« impudiques », comme celles de Laugerie-Basse, deGrimaldi ou de Monpazier, créatures rhomboïdalesréduites à la forme et aux dimensions de leur vulve ?De femmes qui mettent tout simplement en valeurl’opulence de leurs formes et leur nudité dans des atti-tudes parfois très provocantes, cuisses écartées ougenoux pliés et croupe surélevée en coupole ? Bref, cesculs météoriques de la préhistoire étaient-ils gonflés deconcupiscence ? Apparemment oui. Dans certains casextrêmes, l’enflure des hanches va même jusqu’à seconfondre avec des testicules et l’élongation du couévoque le pénis dressé, ce qu’on retrouve dans certainsdessins de Picasso (1927). Manifestement, la femmen’avait pas d’influence magique que sur l’abondance dugibier ou la descendance des hommes : c’était aussi unex-voto de l’ére!ion.

Desmond Morris avance une hypothèse, à proposd’une telle accumulation de graisse fessière. Comme

e 15E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page15

Page 12: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

tous les primates, dit-il, les hommes de l’époque s’ac-couplaient par derrière et les signaux sexuels de lafemme étaient émis par la croupe, comme chez lessinges. Plus la croupe était généreuse, plus la femmeétait séduisante. Mais elle était aussi fort encombrante.Si bien que les hommes passèrent à la copulation deface. Conséquence : les seins se gonflèrent pour repro-duire les larges hémisphères fessiers. Ce qui était uneversion beaucoup plus équilibrée et agile de la femme.On la garda. Il existe encore, du reste, dans la broussedu sud-ouest africain, des femmes aux fesses en formede cratère, ce sont les Boshiman, et on retrouve cesprofils avantageux sur les peintures rupestres au Zim-babwe et en Afrique du Sud. L’interprétation estséduisante. D’autant que beaucoup ont fait remarquerqu’en Afrique la beauté d’une femme résidait dans un cul royal, qui évoquait le roulis de la lionne. EnMauritanie, il exista longtemps des maisons d’engrais-sement, avec une corporation de gaveuses destinées àrendre obèses les jeunes filles destinées au mariage :« Pour être femme de qualité, disait-on, il faut êtrefemme de quantité. » Au Nigéria, écrit Mungo Park,une femme même sans prétentions à une extrêmebeauté, ne doit pas être en état de marcher autrementque soutenue sous chaque bras par une esclave et labeauté achevée est une charge suffisante pour unchameau. Ce que disait déjà Darwin, dans la Descen-dance de l’homme et la Sélection sexuelle (1871). « SirAndrew Smith, écrit-il, vit un jour une femme qui était

e 16E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page16

Page 13: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

regardée comme une beauté et qui avait cette partie deson corps si développée qu’une fois assise sur le sol,elle ne pouvait se relever qu’à la condition de se traînerjusqu’à un endroit en pente. Et si nous en croyons Burton, les Somali, pour choisir leurs femmes, fontranger en ligne les candidates et élisent celles qui,a tergo, dépassent le plus l’alignement. »

Ce qui prouve au moins une chose, c’est quel’homme, une fois dressé sur ses pieds, fut assez contentdu résultat. Assommé par la plénitude des chairs fémi-nines, il tenta le plus longtemps possible d’en garder lesouvenir. Mais la femme ayant préféré minimiser sesavantages et rentrer les fesses, il se contenta de succé-danés. Ce qui entraîna, au cours de l’histoire de lamode, cette avalanche de poufs et de bouffants censésrehausser le postérieur de ces dames et calmer lesardeurs nostalgiques de ces messieurs. Au début de laTroisième République, on vit ainsi apparaître une fesseincroyable et assez somptueuse, qui rappelait la fessepréhistorique, quoiqu’elle fût totalement artificielle,et qu’on appela tournure, ballon (sans doute poursignifier qu’elle tenait davantage de l’aérostat) ou plussimplement faux cul. Héritage du vertugadin et de lacrinoline, le faux cul n’était bien sûr qu’une extrapola-tion de la fesse, un fuselage constitué d’armaturesmétalliques et de rembourrages divers (notamment ducrin) qui ne trompait personne, mais qui du moinsdonnait à la femme l’équivalent indiscutablementflatteur d’un croupion. Ce fut le triomphe de la fesse

e 17E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page17

Page 14: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

« montée », du popotin et du tralala.Certains eurent alors le mauvais goût de comparer

les femmes à de grosses oies. En réalité, cette silhouetteen bec-de-cane évoquait plutôt le cygne. Créatureguindée et sensitive, qui évoluait dans des nuances bleude ciel, scabieuse ou rose thé, la femme fut visiblementsacrifiée à cette esthétique de l’évanescent qui enchan-tait Mallarmé. D’autres évoquèrent les centauresses,animaux fabuleux qu’on n’avait jamais vus nulle part etauxquels il aurait d’ailleurs fallu couper les pattes dedevant. À vrai dire, on ne savait plus très bien à quoiressemblait la femme, ni même si c’en était toujoursune. Car du fait de son équipage de drapés, de nœuds etde volants, elle ne marchait pas, elle glissait. Sa carna-tion très pâle ajoutait encore à l’inquiétude et, si leursfesses postiches caressaient l’œil des bourgeois, ellesleur causaient aussi beaucoup de souci, car ils sedemandaient anxieusement ce qu’il y avait réellementdessous. Ce fut l’époque des pires vacheries. JulesLaforgue écrit que la femme est un « vertugadin dunéant » et Edmond de Goncourt, un « zéro avec unecrinoline ».

La femme se débarrassa alors de la tournure, mais cefut pour se livrer aussitôt à la fureur du corset serpentin.Sous la profonde ensellure des reins, elle devintsinueuse. Buste rejeté en arrière et ventre presque hori-zontal, la femme pouvait se vanter d’une croupeillimitée et décourager définitivement toute envie de laclasser dans une espèce humaine. Jacques Laurent, dans

e 18E

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page18

Page 15: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

une savoureuse histoire des dessous féminins (le Nuvêtu et dévêtu), note avec beaucoup d’à-propos que c’estprécisément à l’époque où les dessous tentèrent, pour lapremière fois, de s’opposer aux élans amoureux queFreud élabora sa théorie du refoulement et que toutParis courut assister au Coucher d’Yvette, premier spec-tacle de strip-tease où, au son d’un piano, une dame entoilette de jour entreprenait de se déshabiller aveclenteur. Il fallait, dit-il, que le bourgeois de 1905 fût àbout de nerfs. Il l’était. Du moins put-il se persuaderqu’à mesure que la femme s’effeuillait, un corps luivenait qui différait en certains points de celui deshommes, mais ne lui était pas aussi radicalement étran-ger qu’il y paraissait. Par chance, le cubisme démodacomplètement les silhouettes gondolées. Renouvelantle sacrifice des Amazones, dont le sein droit était unegêne pour le tir à l’arc, quelques sportives sacrifièrentles deux. Et, dans leur élan, se coupèrent aussi les fesses.Dans les années 25-30, apparut alors une femme touteneuve, puisqu’entièrement plate. On l’appelait la gar-çonne. Et on garda le crin pour les sommiers.

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page19

Page 16: b r è v e h i s t o i r e d e s f e s s e s

Fesse ep 0:litt 08/07/09 10:28 Page20